Le développement des « dark kitchen »
Question de :
M. Julien Dive
Aisne (2e circonscription) - Les Républicains
M. Julien Dive interroge M. le ministre de l'économie, des finances et de la relance sur le développement des dark kitchen. Malgré les dispositifs d'aides mis en place, les professionnels du secteur de la restauration sont toujours confrontés à de multiples incertitudes, que ce soit sur la date d'une reprise totale de leur activité ou sur la trésorerie lorsque les aides s'arrêteront. À ces difficultés bien connues s'ajoute une nouvelle problématique dont les conséquences pourraient être considérables pour le secteur : le phénomène des dark kitchen. Ces cuisines « fantômes » apparues il y a une dizaine d'année aux États-Unis d'Amérique ont commencé à s'installer en France fin 2019 et connaissent une forte croissance depuis la crise sanitaire. Le principe est simple : il s'agit d'un restaurant sans salle et conçu uniquement pour la vente en format livré via des plateformes en ligne. Une entreprise décide d'investir dans une cuisine et de créer trois ou quatre marques différentes et, au sein de ses locaux, seront cuisinés pour ces quatre marques différents plats avec les mêmes produits. Bien que ce phénomène soit aujourd'hui inévitable et incontournable compte tenu de la forte demande en faveur de plats livrés à domicile, il pose néanmoins plusieurs interrogations. Il constitue en effet un facteur de concurrence déloyale pour la restauration classique, étant donné que les investissements pour créer ces cuisines « fantômes » sont réduits grâce à des locaux moins onéreux et des frais de personnel très inférieurs, mais aussi des normes et contrôles moins exigeants. Il pose aussi la question des conditions de travail des livreurs employés par les plateformes de livraison rapide et pour lesquels il n'existe aucun cadre légal protecteur. Par conséquent, il souhaite connaître sa position vis-à-vis de l'émergence et de la forte croissance de ce nouveau modèle économique ainsi que les solutions et les actions que son ministère serait prêt à engager afin de maîtriser les risques majeurs qu'un tel phénomène pourrait engendrer pour l'ensemble des professionnels du secteur de la restauration.
Réponse publiée le 3 mai 2022
Les « dark kitchens » désignent des réalités et des métiers divers : la gestion de cuisines équipées ensuite louées par lots à des marques ou à des restaurants virtuels ; la fourniture d'ingrédients ; la création et le marketing de nouvelles recettes ; la préparation des repas et marques de restaurant ; enfin, la livraison de repas chez les particuliers. Le Gouvernement est bien conscient que la crise sanitaire a opéré une accélération notable de cette activité en raison des mesures de restrictions administratives qui se sont imposées aux restaurants traditionnels. Toutefois, sur un strict plan juridique, rien ne permet de distinguer les entreprises exploitant des « dark kitchens » des restaurants traditionnels. Ces entreprises n'ont pas de réglementation propre. En matière d'hygiène par exemple, ces structures répondent aux mêmes obligations que les restaurants matériels s'agissant des formations à l'hygiène issues de la réglementation communautaire (Paquet Hygiène). Les formalités d'identification auprès de la direction départementale de la protection de la population (DDPP) sont également semblables (déclaration agrément ou dispense d'agrément). Par ailleurs, pour vendre de l'alcool en ligne, les « dark kitchens » doivent justifier d'une licence spécifique en fonction du groupe d'alcool auquel les boissons alcoolisées à emporter appartiennent (soit de la petite licence à emporter, soit de la licence à emporter). Il est vrai toutefois que du fait notamment de l'absence de service en salle, la structure des coûts d'une « dark kitchen » n'est pas comparable à celle d'un restaurant traditionnel. En particulier, la masse salariale de ces structures est donc souvent réduite par rapport à celle d'un restaurant traditionnel, dont les loyers et les autres charges fixes sont généralement plus élevés. Concernant la question de la livraison, les livreurs des plateformes qui livrent des particuliers pour le compte de restaurateurs et les livreurs des « dark kitchens » qui livrent des particuliers, sont placés dans la même situation. Ce sont dans leur grande majorité des travailleurs indépendants. Le développement rapide de l'emploi des plateformes numériques a remis en question l'équilibre de la relation économique entre travailleurs indépendants et donneurs d'ordres. Les travailleurs indépendants liés à ces plateformes présentent d'importantes disparités de situations, qui s'expliquent par la grande variété des plateformes. Certains travailleurs sont fortement dépendants des plateformes pour l'exercice de leur activité, tant sur le plan économique que concernant les conditions concrètes d'exercice de leur activité, notamment le prix de la prestation. Ce cas semble concerner notamment les travailleurs des plateformes de livraison de repas et les travailleurs indépendants des « dark kitchens » et concentre l'essentiel des problématiques liées au risque de requalification du lien juridique qu'ils entretiennent avec les plateformes. Prenant acte de ces transformations, la France est le seul pays membre de l'Union européenne ayant adopté une législation nationale concernant les conditions de travail et de protection sociale spécifiques aux travailleurs indépendants économiquement dépendants des plateformes qui déterminent les caractéristiques de la prestation de service fournie ou du bien vendu et fixent son prix. En effet, la France a introduit dès 2016 dans sa législation nationale du travail un principe de « responsabilité sociale des plateformes » qui met, sous certaines conditions, à la charge de ces plateformes des obligations vis-à-vis des travailleurs qui exécutent les prestations qu'elles proposent et garantit des droits au bénéfice de ces travailleurs. Le législateur a par la suite complété le dispositif en 2019 dans le cadre de la loi d'orientation des mobilités (LOM) en accordant de nouveaux droits aux travailleurs indépendants des plateformes définies à l'article L. 7342-1 du code du travail, en matière de formation professionnelle et d'accès aux données personnelles. La LOM a par ailleurs introduit des dispositions spécifiques aux secteurs de la livraison de marchandises en véhicule à deux roues, dites plateformes « de mobilité ». Elle autorise ces plateformes à mettre en place des chartes de responsabilité sociale devant comporter un certain nombre de garanties et instaure des règles visant à clarifier les droits des travailleurs indépendants vis-à-vis de ces plateformes (notamment le droit de se voir communiquer à l'avance le prix proposé pour une prestation, ainsi que le droit de choisir les plages d'activité et d'inactivité). Cette loi a ensuite permis d'aller plus loin en habilitant le Gouvernement à définir par ordonnance les modalités de représentation des travailleurs indépendants des plateformes. L'ordonnance n° 2021-484 du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d'exercice de cette représentation fixe les règles relatives à la représentation des travailleurs des plateformes au niveau de deux secteurs d'activité, dont la livraison de marchandises par véhicule à deux ou trois roues. Une nouvelle intervention du législateur sera nécessaire pour achever le cadre du dialogue social entre travailleurs et plateformes, afin notamment de prévoir les modalités de représentation collective des plateformes au niveau des secteurs d'activité, d'encadrer la négociation collective et le champ du mandat des représentants.
Auteur : M. Julien Dive
Type de question : Question écrite
Rubrique : Hôtellerie et restauration
Ministère interrogé : Économie, finances et relance
Ministère répondant : Économie, finances et relance
Dates :
Question publiée le 4 mai 2021
Réponse publiée le 3 mai 2022