Question de : Mme Élodie Jacquier-Laforge
Isère (9e circonscription) - Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés

Mme Élodie Jacquier-Laforge interroge M. le ministre de l'intérieur sur le dernier rapport, du 24 juin 2021, du Conseil de l'Europe sur les conditions de détention dans les prisons et commissariats français. Ce rapport fait suite à la visite de la délégation du Comité pour la prévention de la torture menée en décembre 2019, dans quatre prisons, douze établissements de police et de gendarmerie, ainsi que dans un établissement de soins psychiatriques. Le Conseil de l'Europe se dit vivement préoccupé par les « conditions matérielles de détention » dans certains commissariats, la « surpopulation carcérale » et « l'insuffisance de places en psychiatrie pour les personnes en soin sans consentement ». « Comme lors des précédentes visites, la grande majorité des personnes rencontrées (...), tant dans les postes de police et gendarmerie que dans les maisons d'arrêt (...) n'ont fait aucune allégation de mauvais traitements physiques », selon le rapport. Toutefois, le Comité dit avoir recueilli des allégations « d'insultes, y compris à caractère raciste, homophobe ou transphobe, de la part de policiers », ainsi que « des menaces proférées avec arme ». « Depuis 1991, les prisons françaises sont surpeuplées à des niveaux préoccupants, avec des taux d'occupation dépassant les 200 % dans certains établissements. » Et, « au moment de la visite, de nombreux détenus étaient hébergés à deux ou trois dans des cellules de moins de 10 m² ». « Un nombre non négligeable de personnes, y compris des mineurs, ont indiqué avoir reçu des coups volontaires (...) lors de l'interpellation une fois immobilisées. » Face à ces constats, elle lui demande ce que le Gouvernement compte concrètement mettre en œuvre rapidement.

Réponse publiée le 23 novembre 2021

La lutte contre la surpopulation carcérale est l'une des priorités du ministère de la justice car elle porte des enjeux de dignité des personnes incarcérées mais aussi d'efficacité de la peine en termes de prévention de la récidive. Cette lutte s'appuie sur plusieurs leviers. Tout d'abord le programme immobilier pénitentiaire qui prévoit la création de 15 000 places supplémentaires. Ce programme prévoit la mise en chantier d'ici 2022 de 7000 premières places, dont près de 2000 places ont déjà été mises en service. 120 places supplémentaires vont l'être avec l'ouverture du centre pénitentiaire de Lutterbach. Il prévoit 8000 places supplémentaires portant sur 16 opérations de construction lancées d'ici 2022, en vue d'une livraison entre 2025 et 2027. Cinq premières opérations ont été engagées en 2020, comme Tremblay en France, Saint Laurent du Maroni, Entragues, Muret et Rivesaltes, pour un total de 2750 places. Les nouveaux établissements sont construits sur les territoires où les besoins sont les plus importants au regard du nombre actuel de places de détention et de la projection à dix ans de la population pénale La lutte contre la surpopulation carcérale passe également par une politique d'optimisation du parc immobilier pénitentiaire. Ainsi, depuis plusieurs mois, la direction de l'administration pénitentiaire assure un transfert accéléré des condamnés vers les établissements pour peine afin de limiter l'occupation des maisons d'arrêt. Dans le même sens, le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire prévoit des dispositions permettant l'affectation de détenus ayant fait appel de leur décision, dans ces établissements pour peine. L'adoption de ces dispositions permettra d'aller plus loin dans cette régulation carcérale par le transfert. Cela permet d'assurer des conditions de détention plus favorable, et une prise en charge offrant de meilleures garanties contre le risque de récidive. Enfin, la lutte contre la surpopulation carcérale passe également par un recours plus important aux alternatives à l'incarcération, en particulier s'agissant des courtes peines. C'est le sens même de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Ce texte, dont l'un des objectifs est de donner sens et efficacité à la peine, interdit le prononcé d'une peine d'emprisonnement ferme inférieure ou égale à 1 mois et pose le principe d'un aménagement de peine ab initio pour les peines inférieures ou égales à 1 an. Il favorise, notamment par la systématisation de la libération sous contrainte, l'accompagnement de la sortie de prison et diversifie le panel des peines : sursis probatoire, détention à domicile sous surveillance électronique, peines de stage, travail d'intérêt général. Il facilite également le recours à l'assignation à résidence sous surveillance électronique avec pour objectif d'en accroître le prononcé comme alternative à la détention provisoire. La circulaire du garde des Sceaux du 20 mai 2020, portant sur la mise en œuvre des dispositions relatives aux peines de la loi du 23 mars 2019 préconise une politique volontariste de régulation carcérale. Elle invite à se saisir de la baisse inédite du nombre de détenus pour donner plein effet aux dispositions de cette loi, dont le volet relatif aux peines est entré en vigueur le 24 mars 2020. Elle met ainsi l'accent sur le choix des peines pour leur redonner sens et efficacité et promeut les alternatives à la détention lorsqu'elles sont envisageables. Entrée en vigueur au cœur de la crise sanitaire, elle n'a pas encore produit tous ses effets. Néanmoins, on constate déjà une hausse du nombre de personnes bénéficiant d'un aménagement de peine ou d'une libération sous contrainte puisqu'elles représentent 21,1 % de l'ensemble des personnes écrouées contre 18,4% avant la crise sanitaire. Les actions se poursuivent pour favoriser la mise en œuvre de ces dispositions, et plus globalement de ce qui contribue à une meilleure régulation carcérale. Il s'agit notamment de la mise à disposition d'un outil de pilotage destiné à nourrir les échanges entre les chefs de cours et les directeurs interrégionaux des services pénitentiaires, afin d'engager une politique de régulation carcérale par des données permettant de connaître le nombre, la nature et le quantum des peines prononcées par chaque tribunal judiciaire, afin d'en analyser les évolutions et leur impact sur le taux d'occupation du ou des établissements pénitentiaires du ressort. Ce « baromètre » constitue pour les chefs de juridiction un véritable outil de pilotage opérationnel, facilitant la conduite d'une politique volontariste en matière de prononcé des peines et de maîtrise de la population carcérale. En outre, le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire prévoit la création d'une libération sous contrainte de plein droit pour les détenus exécutant une peine inférieure ou égale à 2 ans. Ce dispositif permet d'imposer un accompagnement par le service pénitentiaire d'insertion et de probation, en dehors de l'établissement, sur les 3 derniers mois de la peine à exécuter, sous la forme d'une surveillance électronique notamment. Par ailleurs, ce projet de loi réaffirme le principe selon lequel le recours à la détention provisoire doit rester exceptionnel et limite donc le recours à cette mesure en imposant au juge de favoriser le recours à l'assignation à résidence sous surveillance électronique et d'éviter que celle-ci ne s'inscrive dans la durée quand une alternative est possible. S'agissant de la prise en charge des détenus, le programme immobilier pénitentiaire prévoit la création de nouveaux types d'établissements pour adapter davantage les régimes de détention. Se développent ainsi les quartiers dits de respect ou de confiance, d'ores-et-déjà expérimentés au sein de 41 modules répartis dans 34 établissements, déployés dans neuf directions interrégionales des services pénitentiaires. Ils offrent une plus grande autonomie à la personne détenue en contrepartie d'une responsabilité accrue et du respect de règles de vie strictes. Leur effectivité repose donc sur un cadre strict, la participation active de la personne détenue dans le dispositif, l'autonomie plus forte dont elle bénéficie et l'implication des surveillants dans la prise en charge des personnes détenues. Par ailleurs, les structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), créées par la loi du 23 mars 2019, sont des structures pénitentiaires, orientées vers la réinsertion et qui ont vocation à favoriser l'autonomisation et la responsabilisation des personnes détenues. L'action de l'administration pénitentiaire y est centrée sur préparation de la sortie, notamment à travers l'implantation de programmes pilotés par les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) favorisant l'octroi d'aménagements de peine ou de mesure de libération sous contrainte. Chaque SAS propose un programme de prise en charge globale et renforcée comprenant des interventions collectives et individuelles. La préparation à la sortie s'appuie sur une plateforme regroupant les différents partenaires, et services compétents permettant l'accès des personnes détenues aux droits sociaux, à l'hébergement/logement et à l'emploi. Le projet InSERRE (Innover par des Structures Expérimentales de Responsabilisation et de Réinsertion par l'emploi), également créé dans ce programme immobilier, s'inscrit dans cette même dynamique en visant à remettre l'emploi au cœur du parcours des personnes détenues, leur permettant de construire un véritable projet de sortie de nature à restreindre les risques de récidive. Trois prisons d'environ 100 places chacune, entièrement centrées sur la formation et le travail, seront ainsi chargées d'accueillir des condamnés et de construire des partenariats avec des entreprises locales et les collectivités territoriales. En outre, dans le cadre de la politique globale de lutte contre les violences en détention, des unités pour détenus violents (UDV) ont été créées afin d'héberger les personnes détenues majeures dont le comportement porte atteinte au maintien du bon ordre de l'établissement ou à la sécurité publique. Elles bénéficient d'un programme adapté de prise en charge et sont soumises à un régime de détention impliquant des mesures de sécurité renforcée. Une formation spécifique à la prise en charge des personnes détenues violentes est préalablement dispensée aux personnels affectés au sein de ces unités. Le deuxième comité de pilotage qui s'est tenu le 30 juin dernier a relevé une baisse des incidents à la sortie d'UDV (-33 %) et salué l'appel à projets lancé par la direction de l'administration pénitentiaire afin de diversifier et consolider l'offre d'activités et de programmes de prise en charge visant le désengagement de l'agir violent (médiation animale, activités sportives, programmes de prise en charge collective, gestion du stress, etc.). L'ensemble de ces mesures témoigne de l'engagement du ministère à poursuivre sa mobilisation en faveur d'une baisse sensible de la population carcérale et de l'amélioration des conditions de détention. Au-delà de ces dispositifs, la loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention a inséré dans le code de procédure pénale un article instituant une nouvelle voie de recours permettant à toute personne détenue de saisir le juge judiciaire lorsqu'elle estime subir des conditions de détention contraires à sa dignité, afin qu'il y soit mis fin. Ce recours a été créé afin de tirer les conséquences de plusieurs décisions juridictionnelles rendues au niveau européen et national. Ce nouveau recours devant le juge judiciaire est introduit sans préjudice de la possibilité pour la personne détenue de saisir le juge administratif en référé, et peut aboutir notamment à un transfert vers un autre établissement, voire à une remise en liberté dans certains cas.

Données clés

Auteur : Mme Élodie Jacquier-Laforge

Type de question : Question écrite

Rubrique : Lieux de privation de liberté

Ministère interrogé : Intérieur

Ministère répondant : Justice

Dates :
Question publiée le 20 juillet 2021
Réponse publiée le 23 novembre 2021

partager