Garantie de l'État de droit
Question de :
M. Pierre-Yves Bournazel
Paris (18e circonscription) - Agir ensemble
Question posée en séance, et publiée le 2 juin 2021
GARANTIE DE L'ÉTAT DE DROIT
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Bournazel.
M. Pierre-Yves Bournazel. Ma question s'adresse à M. le garde des sceaux. Depuis plusieurs semaines, un vent mauvais souffle sur notre pays : on entend de hauts responsables politiques dire qu'ils sont prêts à voter avec le Rassemblement national au Parlement européen ;…
M. Jean-René Cazeneuve. Eh oui !
M. Pierre-Yves Bournazel. …on entend les mêmes, dans l'est de la France, déclarer qu'un candidat RN ne serait pas d'extrême droite ; on entend certains, dans le sud, rejeter le choix de l'intérêt général au profit de l'extrême droite.
M. Jean-René Cazeneuve. Eh oui !
M. Pierre-Yves Bournazel. Ces derniers jours, c'est l'État de droit lui-même qui a été remis en cause : supprimer la possibilité d'appel dans un procès pénal, il faut mesurer ce que cela signifie comme renoncement de civilisation ! (Applaudissements sur quelques bancs des groupes Agir ens, LaREM, SOC, FI et GDR.) Rendez-vous compte ! Remettre en cause l'idée de procès équitable et notre conception de la justice, c'est mettre aux oubliettes notre longue histoire de progrès, celle de l'enseignement des Lumières, de Victor Hugo ou de l'affaire Dreyfus. Quel sombre destin pour notre pays ! Toutes ces voix émanent pourtant de personnes qui se réclament d'un parti dit de gouvernement ; on ne sait si elles révèlent la vérité et la profondeur des âmes, ou si elles répondent à de pures stratégies électoralistes. Quoi qu'il en soit, c'est désormais Mme Le Pen qui appelle ceux qu'elle qualifie « de la droite sincère » à la rejoindre.
C'est désormais le numéro deux – oui, le numéro deux du parti Les Républicains…
M. Pierre Cordier. Pas de leçons !
M. Pierre-Yves Bournazel. …qui affirme avoir les mêmes convictions que celles du maire de Béziers, élu avec le Rassemblement national. Ce ne sont plus des digues qui sautent, ce sont des ponts qui sont construits à vitesse grand V. Où est passée la droite républicaine chère à Jacques Chirac et Alain Juppé ? (Exclamations sur les bancs du groupe LR. – Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.) Jamais ces dérives n'auraient été acceptées par l'un et par l'autre. Que reste-t-il de républicain quand on sape les fondamentaux démocratiques, quand on déconstruit l'idéal républicain et que l'on détruit l'État de droit ?
Monsieur le garde des sceaux, pouvez-vous rappeler à ceux qui ont perdu la mémoire la boussole de la République et le respect de l'État de droit ? (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes Agir ens et LaREM.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Vous avez raison, les vents mauvais qui soufflent n'ont sans doute pas le goût sucré des alizés. L'État de droit, c'est notre bien le plus précieux, l'État de droit distingue la démocratie de la tyrannie. Ceux qui jouent avec l'État de droit sont des pompiers incendiaires et, je le dis, des irresponsables. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)
On nous propose, dans le cadre du débat parlementaire relatif à mon projet de loi, d'incarcérer automatiquement en détention provisoire. Fantastique ! Qui dit mieux ? On va dire mieux : cinquante ans de réclusion criminelle rétroactivement applicables. Qui dit mieux ? (Rires et applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.) Une automaticité, non plus de la détention provisoire, mais des peines automatiques qui interdiraient, nous dit l'un des vôtres, un acquittement. Qui dit mieux ? Et, cerise sur ce gâteau judiciaire : le rétablissement de la Cour de sûreté de l'État sans possibilité d'interjeter appel.
M. Guy Teissier. Ce n'est pas vrai !
M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux . Toutes les digues ont été rompues. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – Protestations sur les bancs du groupe LR.) Les principes que notre société civilisée a mis des millénaires à élaborer n'existent plus : la présomption d'innocence, le droit de faire examiner son affaire en appel, l'indépendance de la justice. L'État de droit, pour paraphraser le poète, c'est comme le bonheur, on sait ce qu'il représente quand il s'enfuit. Au secours, messieurs ! (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Agir ens.)
Auteur : M. Pierre-Yves Bournazel
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Droits fondamentaux
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 2 juin 2021