15ème législature

Question N° 41617
de Mme Valérie Gomez-Bassac (La République en Marche - Var )
Question écrite
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > lieux de privation de liberté

Titre > Psychiatrie pénitentiaire

Question publiée au JO le : 05/10/2021 page : 7294
Réponse publiée au JO le : 26/04/2022 page : 2763
Date de renouvellement: 01/02/2022

Texte de la question

Mme Valérie Gomez-Bassac alerte M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur les insuffisances du système pénitentiaire en matière de prise en charge de soins psychiatriques. D'une part, le dispositif français prévoit trois niveaux de prise en charge psychiatrique de la personne reconnue responsable : à titre principal, les soins sont dispensés au sein des services médico-psychologiques régionaux (SMPR) implantés dans les établissements pénitentiaires ; en cas de crise et de refus de soins, la personne peut faire l'objet d'une hospitalisation d'office dans des établissements hospitaliers habilités ; enfin, entre le SMPR et l'hospitalisation d'office, de nombreux établissements pénitentiaires accueillent des personnes atteintes de troubles mentaux, considérées comme inadaptées à la détention de « droit commun » sans relever cependant des conditions de placement en hôpital psychiatrique. Depuis le décret n° 86-602 du 14 mars 1986 relatif à la lutte contre les maladies mentales et à l'organisation de la sectorisation psychiatrique, les soins psychiatriques des personnes détenues placées auparavant sous la responsabilité des établissements pénitentiaires dépendent désormais du service public hospitalier (la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 a étendu ce principe à l'ensemble des soins - y compris somatiques). Les soins psychiatriques en milieu pénitentiaire s'organisent d'abord par les prises en charge ambulatoires réalisées par les équipes de psychiatrie générale et ensuite, pour les soins plus complets, avec le consentement des intéressés, au sein de l'un des services médico-psychologiques régionaux (SMPR) implantés dans les plus grands établissements pénitentiaires. Ces services constituent des secteurs de psychiatrie au même titre que les autres secteurs créés par la loi du 31 décembre 1985 - rattachés à un établissement hospitalier (CHU, centre hospitalier régional ou hôpital psychiatrique). Ils sont animés par une équipe pluridisciplinaire associant psychiatres psychologues, infirmiers, assistants sociaux et travailleurs éducatifs. Ils exercent principalement trois missions : recevoir systématiquement toutes les personnes arrivant dans l'établissement pénitentiaire d'implantation, assurer le suivi au cours de l'incarcération et préparer la mise en place du suivi postpénal. Les SMPR permettent d'assurer essentiellement une prise en charge médicale de jour ; seuls deux SMPR, ceux des établissements pénitentiaires de Fresnes et des Baumettes à Marseille, disposent d'une couverture paramédicale nocturne au sein d'unités psychiatriques hospitalières. Les SMPR présentent des aspects positifs de la prise en charge : la disponibilité du personnel médical et des traitements plus effective sans doute qu'à l'extérieur du milieu carcéral ; l'organisation d'ateliers et d'activités de soutien ; l'attention réelle du personnel de surveillance, moins évidente dans le régime commun de détention où un surveillant doit veiller sur un grand nombre de détenus. Il convient cependant de souligner que les personnes susceptibles de nécessiter un suivi médical ou psychologique ne sont pas systématiquement orientées vers les établissements disposant d'un SMPR (à l'exception des personnes condamnées pour le meurtre ou l'assassinat d'un mineur de quinze ans précédé ou accompagné de viol, de tortures ou actes de barbarie). Ainsi, les SMPR étant principalement implantés en maison d'arrêt, la prise en charge dans les établissements pour peine s'avère insuffisante. Cette situation apparaît d'autant plus préoccupante que la prévalence des troubles psychotiques pourrait, sur la base d'observations établies sur les détenus du centre national d'observation de Fresnes, atteindre 30 % des condamnés à de longues peines. Par ailleurs, les conditions d'hospitalisation dans le cadre pénitentiaire ne sont pas réellement comparables à celles des services hospitaliers. Les chambres d'hospitalisation ne se différencient pas des cellules de détention dans dix-sept SMPR et présentent des insuffisances liées à l'absence de système de réanimation de premier niveau et de système d'alerte ou aux risques que constituent les lits métalliques en cas de crise. Par ailleurs, 40 % des lits d'hospitalisation se trouvent situés dans des chambres individuelles, 42 % dans des chambres à deux lits et 19 % dans des chambres à trois lits. Les chambres d'isolement peuvent être utilisées sur indication médicale lorsque le patient présente un danger pour lui-même ou autrui mais moins d'un quart des SMPR en dispose contre 84 % des secteurs de psychiatrie générale. En outre, leurs conditions sont plus que sommaires. En outre, par lettre de mission du 5 avril 2018, le ministère de la justice et le ministère des solidarités et de la santé ont confié à la cheffe de l'inspection générale des affaires sociales et au chef de l'inspection générale de la justice une mission conjointe relative à l'évaluation de la première tranche des UHSA en vue de l'installation d'une seconde tranche. Les unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA), créées par la loi d'orientation et de programmation pour la justice (LOPJ) du 9 septembre 2002, sont des unités de soins qui accueillent des personnes détenues des deux sexes, mineures et majeures, souffrant de troubles psychiatriques et nécessitant une hospitalisation avec ou sans leur consentement. Elles sont toutes implantées dans des établissements publics de santé mentale et enserrées par une enceinte pénitentiaire. La mission a visité l'ensemble des UHSA en activité et a conduit des entretiens tant avec les équipes soignantes et pénitentiaires qui travaillent au quotidien dans ces structures, avec des patients détenus hospitalisés dans ces unités comme avec les acteurs de leurs environnements institutionnels. Outre les variations des profils cliniques, la mission a relevé la grande hétérogénéité d'organisation et de fonctionnement des unités liée tant aux projets médicaux qu'aux particularités locales. L'absence de pilotage territorial et national conduit à exclure les patients des UHSA des parcours de soins ou induit des admissions inappropriées. Alors qu'elles étaient très attendues, les prises en charge des urgences constituent plus l'exception que la règle. À l'issue de ces investigations, 18 recommandations ont été formulées par la mission conjointe, avec au cœur la nécessité de mener un exercice de planification des futures UHSA dans une double perspective d'amélioration du parcours de soins du patient-détenu et d'inscription dans une offre graduelle de soins psychiatriques de droit commun. Cette approche devrait s'accompagner d'un engagement dans une démarche de certification des UHSA par la Haute Autorité de santé (HAS). Cette démarche pourrait partir d'une confrontation des pratiques professionnelles et d'une réflexion sur leur possible harmonisation dans le cadre d'une conférence de consensus réunissant les acteurs concernés, sanitaires, judiciaires et pénitentiaires. Aussi, elle souhaite connaître les dispositions que compte prendre le Gouvernement afin de pallier les manques de places en psychiatrie pénitentiaire et dans le suivi des recommandations exprimées par la mission conjointe relative à l'évaluation de la première tranche des UHSA.

Texte de la réponse

Le ministère de la Justice s'attache à assurer de bonnes conditions de détention à toutes les personnes qui lui sont confiées en tenant compte des spécificités que leur garde présente. L'amélioration de la prise en charge des personnes atteintes de troubles psychiatriques constitue un engagement conjoint du ministère de la Justice et du ministère des solidarités et de la santé dans le cadre de la feuille de route santé des personnes placées sous main de justice 2019-2022 (dite feuille de route santé-justice), signée conjointement le 2 juillet 2019. Cette feuille de route prévoit ainsi, conformément aux recommandations du rapport de l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'inspection générale de la justice (IGJ) relatif à l'évaluation des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) pour les personnes détenues, la construction de trois nouvelles UHSA. Un comité de pilotage, réunissant la direction générale de l'offre de soins, la direction de l'administration pénitentiaire, les services déconcentrés et les professionnels de santé, a été lancé en avril 2021. Il s'est réuni à plusieurs reprises afin d'identifier précisément les sites d'implantation de trois nouvelles UHSA, prévues en Normandie, en Occitanie et en Ile-de-France. Il doit également définir le programme immobilier de ces nouveaux établissements en intégrant l'expérience des premières UHSA, ainsi que les modalités concrètes des travaux et leur calendrier. Il doit enfin arrêter un cahier des charges et identifier la prise en charge sanitaire au sein des UHSA et préparer l'actualisation des textes relatifs aux UHSA. La feuille de route santé-justice préconise, en outre, un renforcement de la formation des surveillants aux troubles mentaux. Outre son partenariat avec l'Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (UNAFAM) conclu depuis 2017, la direction de l'administration pénitentiaire organise des formations aux premiers secours en santé mentale à destination des personnels pénitentiaires depuis 2020. En 2020 et 2021, 39 sessions ont été réalisées par l'UNAFAM pour 377 agents formés. Cette dynamique perdurera en 2022. Enfin, plusieurs travaux de recherche doivent permettre d'améliorer la connaissance de l'état de santé mentale des personnes détenues. Une étude portant sur la « Santé mentale de la population carcérale sortante » a ainsi pour objectif de mesurer la prévalence des troubles psychiatriques chez les sortants du milieu pénitentiaire. Confiée au centre hospitalier de Lille, elle vise à mesurer la prévalence des troubles psychiatriques, à décrire et évaluer le parcours de soins et d'accompagnement pendant la détention, à la libération et après celle-ci. Conduite sur 18 mois, l'étude concerne 2 600 personnes dans vingt-six maisons d'arrêt tirées au sort. La direction de l'administration pénitentiaire est en attente du rapport de cette étude. Une seconde étude portant sur la santé mentale en prison va également être lancée par la direction de l'administration pénitentiaire. Un marché correspondant, publié en fin d'année 2021, sera notifié dans les prochaines semaines. L'objectif de cette étude est de déterminer la prévalence des troubles mentaux à l'arrivée en prison, leurs évolutions durant la détention et les facteurs associés. Elle vise également à identifier la part des pathologies psychiatriques qui se développent au cours de l'incarcération ainsi que les facteurs qui y contribuent.