15ème législature

Question N° 44301
de M. Pierre-Yves Bournazel (Agir ensemble - Paris )
Question écrite
Ministère interrogé > Culture
Ministère attributaire > Culture

Rubrique > Union européenne

Titre > Respect des droits voisins dans le cadre de la PFUE

Question publiée au JO le : 15/02/2022 page : 907
Réponse publiée au JO le : 26/04/2022 page : 2704

Texte de la question

M. Pierre-Yves Bournazel interroge Mme la ministre de la culture sur le respect des droits voisins. Au même titre que les droits d'auteur, les droits voisins font partie de la propriété intellectuelle. La directive européenne de 2019 prévoit le principe de leur rémunération, dès lors que ces contenus (textes, photographies, vidéos etc.) publiés par les entreprises presse sont reproduits et diffusés par les plateformes numériques. Elle prévoit également que cette rémunération fasse l'objet d'un accord négocié entre les agences et éditeurs de presse et les plateformes. C'est une reconnaissance juridique et un principe de rémunération légitimes. La loi du 24 juillet 2019 (loi n° 2019-775) a transposé la directive européenne de 2019 en droit français. Malgré ces avancées significatives, les principaux organes de presse se heurtent au difficile respect de ces principes par les moteurs de recherche, en dépit des injonctions de l'Autorité de la concurrence, une situation rencontrée également dans d'autres pays européens. Il souhaiterait ainsi savoir comment, dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, le Gouvernement envisage de faire progresser le respect des droits voisins en Europe, notamment la transparence des données fournies par les plateformes numériques, celles-ci servant de base de négociations entre un opérateur numérique et une agence ou un éditeur de presse.

Texte de la réponse

S'il constitue une formidable opportunité pour élargir les publics et l'accès aux œuvres, le développement des services en ligne se traduit également par une forte distorsion dans le partage de la valeur entre les créateurs des contenus culturels et les intermédiaires qui les diffusent et en tirent bénéfice, notamment par la publicité ou la commercialisation des données personnelles. Cette distorsion est tout particulièrement sensible dans le domaine de la musique, de la presse et des arts plastiques puisque, malgré l'utilisation massive des plateformes dites d'hébergement pour l'accès à ces contenus culturels, seule une part très limitée de leurs revenus publicitaires, estimée à 10 %, fait l'objet d'un reversement à l'amont de la filière. Le droit voisin des éditeurs et des agences de presse constitue l'un des instruments de ce partage plus équitable de la valeur en faveur des acteurs qui garantissent le pluralisme des sources d'information. À l'heure de la prolifération des fausses informations, les éditeurs et les agences de presse ont un rôle fondamental dans la vérification des faits et le traitement qualitatif de ceux-ci et il appartient aux pouvoirs publics de veiller à ce que cette mission centrale puisse être assise sur un modèle économique viable et pérenne. La France a porté avec conviction cet enjeu dans le cadre des négociations européennes sur le droit d'auteur et s'est fortement mobilisée pour l'adoption de la directive européenne relative au droit d'auteur dans le marché unique numérique d'avril 2019. Le Parlement français s'est également exprimé de manière déterminée en faveur d'une meilleure rémunération des éditeurs et des agences de presse au titre de l'exploitation en ligne de leurs contenus. L'adoption de la proposition de loi « tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse » le 23 juillet 2019 a permis à la France d'être le premier pays en Europe à transposer le droit voisin des éditeurs et agences de presse. Le choix d'une transposition aussi rapide – trois mois à peine après l'adoption de la directive – s'explique par la volonté de répondre à une situation d'urgence, soulignée durant tout le temps des débats parlementaires. La mise en œuvre de ce droit se heurte néanmoins à des difficultés qui résultent, pour l'essentiel, du refus de négocier de bonne foi avec l'ensemble des acteurs concernés. Cette situation n'est pas acceptable en ce qu'elle heurte directement la volonté du législateur. Saisie en novembre 2019 par plusieurs syndicats représentant les éditeurs de presse ainsi que par l'Agence France-Presse (AFP), l'Autorité de la concurrence a ordonné, le 9 avril 2020, des mesures d'urgence dans le cadre de la procédure de mesures conservatoires à l'encontre de la société Google. Elle a en effet estimé que les pratiques de cette société étaient susceptibles de constituer un abus de position dominante et portaient une atteinte grave et immédiate au secteur de la presse. Dans sa décision du 12 juillet 2021, l'Autorité de la concurrence a infligé à la société Google une sanction de 500 M€ pour avoir méconnu plusieurs injonctions prononcées en avril 2020. Le comportement de cette société relève, selon elle, d'une stratégie délibérée, élaborée et systématique de non-respect des injonctions prononcées et apparaît comme la continuation de sa politique de refus du principe même des droits voisins, mise en place depuis plusieurs années. En réponse aux préoccupations de concurrence exprimées par les services de l'Autorité de la concurrence chargés de l'instruction au fond du dossier, la société Google a présenté une proposition d'engagements le 15 décembre 2021. Elle se prononcera dans les prochaines semaines sur le point de savoir si ces engagements répondent aux préoccupations de concurrence. Il incombe néanmoins à la société Google, sans attendre cette échéance, d'entamer ou de poursuivre des négociations de bonne foi en fournissant aux éditeurs et agences toutes les données indispensables à une évaluation précise et sérieuse du droit voisin et en proposant un mécanisme de rémunération reflétant correctement, par son montant et ses règles de calcul et de répartition, la valeur que lui apportent les contenus de presse qu'il référence. L'AFP et la société Google ont d'ores et déjà annoncé la signature d'un accord portant sur la rémunération des droits voisins le 17 novembre 2021. Un accord-cadre a également été conclu entre la Société Google et l'Alliance de la presse d'information générale (APIG) le 3 mars dernier. Les négociations n'ont en revanche pas encore abouti avec les autres agences et éditeurs de presse. La question de la mise en œuvre du droit voisin constitue un combat de longue haleine. Des avancées majeures ont déjà été obtenues et le Gouvernement prendra ses responsabilités dans les batailles qui restent à mener en fonction de l'issue des négociations et des procédures en cours, dans lesquelles il n'a pas vocation à interférer. Dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne, le Gouvernement a proposé aux États membres d'aborder la question de l'effectivité du cadre du droit d'auteur et des droits voisins dans un environnement mondialisé sous l'angle des pratiques, en particulier contractuelles, de certaines plateformes tendant à contourner son esprit, sinon sa lettre. Le refus de certains grands acteurs internationaux de mettre en œuvre la législation européenne permettant d'assurer la protection des auteurs, des artistes-interprètes et des industries culturelles pour les exploitations réalisées dans l'Union n'est pas acceptable. De telles pratiques de contournement ont notamment été constatées lors de la mise en œuvre du droit voisin des éditeurs de presse. Des travaux ont été lancés au sein des enceintes techniques du Conseil de l'Union européenne afin d'identifier les situations de contournement et d'envisager les solutions qui permettraient d'y remédier. Une table-ronde a également été dédiée à cette question par le ministère de la culture dans le cadre des « rencontres européennes de la création artistique » qui se sont tenues le 3 mars dernier, dont les conclusions ont confirmé la pertinence de réfléchir à l'effectivité du cadre européen du droit d'auteur, en particulier en matière de rémunération.