15ème législature

Question N° 528
de M. José Evrard (Non inscrit - Pas-de-Calais )
Question orale sans débat
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Justice

Rubrique > justice

Titre > Autorité judiciaire ou pouvoir judiciaire

Question publiée au JO le : 08/01/2019
Réponse publiée au JO le : 17/01/2019 page : 22

Texte de la question

M. José Evrard attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la situation de l'administration de la justice. En demandant à son administration de la justice d'être sévère à l'égard des « Gilets jaunes », le Président de la République rappelle le peu de cas que la tête de l'État se fait de l'indépendance, proclamée à tous les instants, de la justice. Or la justice est un idéal qui ne se réduit pas à l'indépendance. Indépendance théorique aussi bien que pratique car l'administration de la justice n'est pas un pouvoir mais une autorité dépendante de l'exécutif. Dans le contexte présent, l'administration de la justice cumule le mécontentement, pour le moins, des Français vis-à-vis de leurs dirigeants, de l'État en général, ainsi que leur méfiance vis-à-vis d'un corps dont ils ne comprennent ni les codes, ni les décisions. L'état de droit est ainsi considéré par les Français comme quelque chose toujours plus éloigné de leurs préoccupations et au service d'un petit nombre de privilégiés. Si un doute subsistait encore, les récentes démonstrations judiciaires de la campagne de l'élection présidentielle ont démontré qu'il existait bien deux poids et deux mesures dans ce domaine et que ceux-ci pouvaient exercer leurs ravages dans la zone théoriquement protégée du débat démocratique. La mise sous le même vocable de justice, de l'action de poursuivre et de l'action de juger ressort de l'ambiguïté française. C'est le règne de la confusion des genres. Les difficultés dans lesquelles se débat le Gouvernement, le pouvoir au sens large, aujourd'hui tiennent en grande part à l'usage dont fût fait lors de la campagne présidentielle de l'administration de la justice, en particulier du parquet national financier. Le problème, compte tenu de cet antécédent, n'est plus de se demander comment cela fût possible, mais de se demander comment faire pour que cela ne se reproduise plus jamais. La réponse se trouve donc dans l'organisation de la justice. Depuis plus de quarante ans des voix s'élèvent pour faire en sorte que l'indépendance de la justice ne soit pas un vain mot. Les réformes ont succédé aux réformes se proposant de l'atteindre, aucune n'a obtenu un commencement de mise en œuvre. En réalité, c'est la base sur laquelle repose la justice française qui doit être revue. Il ne pourra y avoir de justice indépendante sans remise en cause de la tutelle qui pèse sur la justice qui se rend dans les tribunaux. La mise en œuvre d'un pouvoir judiciaire est à l'ordre du jour dans les faits, n'est-il pas temps de mettre celui-ci en mouvement. Certes, ce changement est du domaine constitutionnel, un référendum sur ce sujet a toute sa place dans la République française. Il lui demande quelle est la position du Gouvernement sur cette question.

Texte de la réponse

MISE EN ŒUVRE D'UN POUVOIR JUDICIAIRE


M. le président. La parole est à M. José Evrard, pour exposer sa question, n°  528, relative à la mise en œuvre d'un pouvoir judiciaire.

M. José Evrard. Madame la ministre de la justice, garde des sceaux, en demandant à son administration de la justice d'être sévère à l'égard des gilets jaunes, le Président de la République nous rappelle le peu de cas que la tête de l'État fait de l'indépendance de la justice, proclamée à tous les instants et dont lui-même se trouve être le garant.

La dépendance est aussi bien pratique que théorique, car, au pays de Montesquieu, l'administration de la justice n'est pas un pouvoir, mais une autorité dépendante de l'exécutif, un instrument du pouvoir. Le message est entendu et une répression judiciaire sans précédent est en action. La clémence n'est pas accordée aux gilets jaunes et l'État de droit, qui a pour objet de légitimer l'action publique, ne s'applique qu'aux individus dangereux que la lâcheté et le manque de place en prison laissent en liberté.

Oui, l'État de droit est considéré par nos compatriotes comme quelque chose d'incompréhensible, éloigné de leurs préoccupations et au service d'un petit nombre de privilégiés. Si un doute subsistait encore à cet égard, les récentes démonstrations judiciaires de la campagne de l'élection présidentielle ont montré qu'il y avait bien deux poids et deux mesures dans ce domaine et que celles-ci pouvaient exercer leurs ravages dans la zone théoriquement protégée du débat démocratique.

Les difficultés dans lesquelles se débat aujourd'hui votre gouvernement – votre pouvoir, au sens large – tiennent en grande part à l'usage qui fut fait, lors de la campagne présidentielle, de l'administration de la justice, en particulier du parquet national financier.

Mettre sous le même vocable de « justice » l'action de poursuivre et l'action de juger ressortit à l'ambiguïté française. C'est le règne de la confusion des genres. Ce n'est pas nouveau mais, dans le contexte de l'élection présidentielle, c'est le cœur du dispositif démocratique qui a été touché. On ne peut donc plus réformer, mais il faut refonder.

La réponse se trouve dans l'organisation de la sécurité des Français, mission régalienne essentielle, et de la justice, dont je brosse ici les grands traits.

La justice s'exerce dans les tribunaux, dont l'indépendance est fondamentale pour son exercice. Il faut donc s'engager vers l'élection des magistrats exerçant dans les tribunaux. Seule l'élection assurera l'indépendance effective de nos juges. C'est ce qu'on définit communément comme étant le pouvoir judiciaire.

À l'indépendance devra correspondre la proximité avec les justiciables. La sécurité met en œuvre des policiers, des structures et des magistrats. C'est le regroupement de ces personnels dans un grand ministère de la sécurité qui donnera l'efficacité nécessaire que souhaitent les Français face à la montée inexorable de la criminalité.

La mise en œuvre d'un pouvoir judiciaire est à l'ordre du jour. Dans les faits, n'est-il pas temps, madame le ministre, de le mettre en mouvement ?

Certes, ce changement est du domaine constitutionnel. Un référendum sur ce sujet a toute sa place dans la République française. Le référendum d'initiative populaire pourra sans aucun doute s'en saisir.

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Ces dernières années, notre législation a évolué dans le sens d'une plus grande indépendance des magistrats, notamment de ceux du parquet, pour ce qui concerne tant l'exercice leurs fonctions que les conditions de leur nomination.

La loi du 25 juillet 2013 interdit les instructions individuelles. Seule subsiste, à l'article 30 du code de procédure pénale, la possibilité pour le garde des sceaux d'adresser aux magistrats du ministère public des instructions générales de politique pénale, disposition ayant pour unique but d'assurer l'égalité des citoyens devant la loi sur tout le territoire de la République. Vous voyez donc qu'au titre de cette loi, le Gouvernement ne peut transmettre aucune instruction individuelle à aucun parquet.

Pour ce qui est du statut des magistrats du parquet, la réforme constitutionnelle de 2008 a confié la présidence du Conseil supérieur de la magistrature – CSM –, initialement dévolue au Président de la République, au premier président de la Cour de cassation et au procureur général près cette même cour. Le projet de loi constitutionnelle adopté par les deux assemblées en 2016, mais qui n'a jamais été proposé au Congrès, proposait de modifier les modalités de nomination des magistrats du parquet, en prévoyant un avis conforme du CSM. Il proposait aussi de faire de ce dernier le conseil de discipline de ces magistrats.

Le projet de révision constitutionnelle qui a été présenté au Parlement au printemps dernier, et dont l'examen a débuté à l'Assemblée nationale, reprend ces dispositions, qui renforcent l'indépendance des membres du parquet.

Cependant, conformément à l'article 20 de la Constitution, « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ». À ce titre, il doit orienter la politique pénale par des instructions générales qui ne remettent nullement en cause l'indépendance des magistrats du parquet. Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs confirmé, dans une décision récente du 8 décembre 2017, que ces dispositions assuraient une conciliation équilibrée entre le principe d'indépendance de l'autorité judiciaire et les prérogatives que le Gouvernement tient de l'article 20. Reflet de cette spécificité, l'article 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 relative au statut des magistrats place les magistrats du parquet sous l'autorité du garde des sceaux.

Cette autorité, qui s'exerce donc via des instructions de politique pénale générale, ne remet pas en cause leur indépendance. En effet, les magistrats du parquet disposent seuls du pouvoir de déclencher l'opportunité des poursuites, et leur parole à l'audience est libre.

Cette organisation ne remet donc pas en cause le principe de la séparation des pouvoirs à la française. Vous voyez, monsieur le député, que l'indépendance des magistrats, notamment de ceux du parquet, est assurée.