Mensonges délibérés dans les écritures en justice
Question de :
Mme Émilie Guerel
Var (7e circonscription) - La République en Marche
Mme Émilie Guerel attire l'attention de Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur les mensonges avérés dans les écritures en justice. Certaines associations citoyennes telles que « En quête de justice » souhaitent une action déterminée et résolue dans ce domaine. En effet, la loi dans sa forme actuelle ne responsabilise ni les avocats, ni les magistrats. Le rôle premier de la justice étant la quête de vérité, de nouvelles mesures pourraient être envisagées afin d'engager clairement la responsabilité de ceux qui se taisent alors même qu'ils sont informés de faits graves et constitutifs de délits réprimés par la loi. Dans ce cas, le silence n'est pas autre chose qu'un mensonge par omission, plus grave encore que le mensonge avéré qui, étant constaté, peut au moins être contesté. Elle souhaite connaître précisément la position du Gouvernement à ce sujet.
Réponse publiée le 4 septembre 2018
La procédure pénale est régie par des principes directeurs qui déterminent les obligations et les droits du justiciable. Ces principes directeurs délimitent également l'office du magistrat. Parmi les droits de la défense, il convient de rappeler que le droit de ne pas s'auto-incriminer ainsi que le droit de se taire sont garantis par la Constitution. Le droit de se taire a été consacré par la loi du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du 22 mai 2012 du Parlement européen et du Conseil, dans les articles 61-1 et 63-1 du code de procédure pénale. Le droit au silence revêt au demeurant, depuis longtemps, une valeur supra-législative. La Cour européenne des droits de l'homme considère, en effet, que tout accusé au sens de l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales a le droit de se taire (CEDH, 25 févr. 1993, Funke c/ France, § 44). Le Parlement européen et le Conseil ont, en outre, adopté une directive portant renforcement de certains aspects de la présomption d'innocence (2016/343, 9 mars 2016) qui prévoit en son article 7 un « droit de garder le silence et (…) de ne pas s'incriminer soi-même ». Aux termes de cet article, « les États membres veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies aient le droit de garder le silence en ce qui concerne l'infraction pénale qu'ils sont soupçonnés d'avoir commise ou au titre de laquelle ils sont poursuivis (…). L'exercice par les suspects et les personnes poursuivies du droit de garder le silence et du droit de ne pas s'incriminer soi-même ne saurait être retenu contre eux, ni considéré comme une preuve qu'ils ont commis l'infraction pénale concernée ». Dans sa décision no 2016-594 QPC du 4 novembre 2016, le Conseil constitutionnel a affirmé que le droit au silence dans le cadre d'une procédure pénale avait valeur constitutionnelle : « Selon l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. Il en résulte le principe selon lequel nul n'est tenu de s'accuser, dont découle le droit de se taire ». Le Conseil constitutionnel (1) a ainsi estimé que faire prêter serment à une personne entendue en garde à vue de « dire toute la vérité, rien que la vérité » portait une atteinte disproportionnée au droit de se taire de la personne soupçonnée, constitutionnellement garanti. Le droit de se taire et celui de ne pas s'auto-incriminer imposent à l'autorité de poursuite d'établir la réalité des faits répréhensibles et non aux personnes mises en cause, qui ne sont pas réputées « concourir » conformément aux dispositions de l'article préliminaire du code de procédure pénale. Ainsi, les déclarations faites par les parties n'engagent qu'elles et ne lient par le magistrat qui tient compte des éléments de preuves objectifs et matériels portés à sa connaissance et tire les conséquences de toute déclaration contradictoire des parties ou de leur silence. Par ailleurs, si le législateur n'impose pas au prévenu d'établir sa culpabilité, certaines omissions constituent toutefois des infractions, telles que la non-dénonciation de crime (article 434-1 du code pénal), ou de mauvais traitement (article 434-3 du code pénal). Plus largement, le mensonge est également réprimé par le délit de déclarations calomnieuses (article 226-10 du code pénal), de dénonciations de crime ou délit imaginaire (article 434-26 du code pénal) ou encore de faux témoignage sous serment (article 434-13 du code pénal). S'agissant des magistrats, ils sont soumis à un devoir d'impartialité et de loyauté ainsi qu'à des règles déontologiques. Les magistrats avec le concours des greffiers se doivent de retranscrire fidèlement et sans interprétation les déclarations faites par les mis en cause ou les témoins à l'occasion de leurs auditions sous peine de sanctions pénales et disciplinaires en cas de faux et usage de faux en écriture publique de leur part (article 441-4 du code pénal). (1) Décision no 2016-594 QPC du 4 novembre 2016, dans laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution la seconde phrase du dernier alinéa de l'article 153 du Code de procédure pénale, ainsi rédigé : « […] L'obligation de prêter serment et de déposer n'est pas applicable aux personnes gardées à vue en application des dispositions de l'article 154. Le fait que les personnes gardées à vue aient été entendues après avoir prêté serment ne constitue toutefois pas une cause de nullité de la procédure ».
Auteur : Mme Émilie Guerel
Type de question : Question écrite
Rubrique : Justice
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Dates :
Question publiée le 6 mars 2018
Réponse publiée le 4 septembre 2018