Question orale n° 62 :
Situation de la jeunesse calédonienne

15e Législature

Question de : M. Philippe Gomès
Nouvelle-Calédonie (2e circonscription) - UDI, Agir et Indépendants

M. Philippe Gomès attire l'attention de M. le ministre de l'éducation nationale sur la situation de la jeunesse calédonienne. Il rappelle que chaque année, 600 jeunes de moins de 16 ans et 400 de 16 à 18 ans quittent le système scolaire sans formation, sans qualification, sans diplôme et sans emploi et que cette déshérence les conduit inexorablement à la marginalisation, à la dérive, et bien trop souvent à la délinquance. Il souligne qu'en 2016, 2 130 mineurs ont été mis en cause dans des affaires judiciaires et que 43 % d'entre eux avaient entre 13 et 15 ans. Il considère que cette jeunesse calédonienne mérite une main tendue et a droit à une nouvelle chance. Il relève néanmoins que les dispositifs d'insertion et de socialisation adaptés à cette tranche d'âge font cruellement défaut en Nouvelle-Calédonie : pas d'établissement pour l'insertion dans l'emploi (EPIDE) pour les 18-25 ans, alors qu'il en existe 19 en métropole et que ces structures seraient utiles pour accueillir les jeunes dès 16 ans comme elles ont pu le faire par le passé ; pas non plus d'institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP) pour les enfants et adolescents aux comportements déviants, alors qu'il y en a 400 sur le territoire national et 7 répartis dans les départements d'outre-mer ; et pas d'établissements publics locaux d'enseignement (EPLE) tels que les établissements régionaux d'enseignement adapté (EREA) ou lycée d'enseignement adapté (LEA) pour les jeunes en grande difficulté scolaire ou sociale, alors qu'il existe 80 EREA en métropole, 1 à Mayotte, et que la Nouvelle-Calédonie a déjà identifié, en brousse, les locaux pour accueillir le premier EREA calédonien. Il souligne la nécessité de nourrir de grandes ambitions pour la jeunesse du pays et de ne pas faire de la jeunesse calédonienne une génération perdue. Les assises des Outre-mer placent aujourd'hui la jeunesse ultramarine au cœur des priorités. Dans cette perspective, il souhaite savoir si l'État sera aux côtés de la Nouvelle-Calédonie pour mettre en œuvre les dispositifs adaptés d'insertion, de soutien et d'accompagnement qui s'imposent.

Réponse en séance, et publiée le 20 décembre 2017

SITUATION DE LA JEUNESSE CALÉDONIENNE
M. le président. La parole est à M. Philippe Gomès, pour exposer sa question, n°  62, relative à la situation de la jeunesse calédonienne.

M. Philippe Gomès. Monsieur le ministre, comme vous le savez, la Nouvelle-Calédonie est compétente en matière d'enseignement, bien que l'État conserve la compétence concernant la colonne vertébrale : la délivrance des diplômes, les programmes, même si nous avons une capacité d'adaptation, la formation des maîtres, le contrôle pédagogique. L'État continue également à financer l'exercice de la compétence, même si la capacité décisionnelle est désormais dans les mains de la Nouvelle-Calédonie. Le transfert est effectif depuis le 1er janvier 2012 et, dans ce cadre, après plusieurs années de travaux, nous avons adopté ce qu'on appelle le projet éducatif calédonien : faire de l'école de la République une école du pays, une école du destin commun, une école du rétablissement de l'égalité des chances ; et vous savez à quel point cela est nécessaire dans notre pays.

Dans ce projet éducatif, il y a bien sûr un sujet majeur : la lutte contre le décrochage scolaire, qui est un cancer calédonien. Je rappellerai quelques chiffres : 600 jeunes sortent de notre système scolaire avant l'âge de seize ans, sans qualification, sans diplôme ni emploi ; ils sont 400 âgés de seize à dix-huit ans à être dans cette situation. Ce sont donc au total 1 000 décrocheurs scolaires sur 67 000 élèves.

Dans le même temps, faute de structures adaptées, ces jeunes décrocheurs scolaires traînent dans la tribu, le squat, le quartier, le village. Je crois beaucoup aux proverbes de grand-mère ; l'un d'eux disait : « L'oisiveté est mère de tous les vices. » Et, en effet, la délinquance des mineurs est extrêmement importante dans notre pays : pas moins de 2 100 mineurs ont été mis en cause en 2017, et le développement a été exponentiel ces dernières années. Parmi ces mineurs délinquants, 43 % ont moins de quinze ans. En métropole, la délinquance des mineurs représente 20 % de la délinquance de proximité ; chez nous, c'est 60 %. C'est donc un problème majeur en Nouvelle-Calédonie.

Or nous constatons collectivement que nous manquons des outils nécessaires pour le traiter. Parmi ceux-ci, il en est un qui, bien que ne relevant pas de l'éducation nationale, mérite d'être mentionné : l'établissement pour l'insertion dans l'emploi, qui a pu accueillir pendant une période à présent révolue des jeunes dès l'âge de seize ans, leur dispenser une formation en alternance en relation avec des entreprises, avec un encadrement militaire. Ce dispositif a produit certains résultats.

Je pense également à d'autres outils relevant plus particulièrement de l'éducation nationale ou du champ médico-social et éducatif. Les ITEP, instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogiques, ont pour mission d'accueillir des jeunes au comportement déviant, difficile, ayant de graves difficultés de socialisation. Il en existe 400 en métropole, 7 dans les départements d’outre-mer. Or, s'il y a un endroit de la république où un ITEP doit être implanté, c'est bien en Nouvelle-Calédonie. Nous devons absolument pouvoir disposer d'un tel outil.

De la même manière, les EREA, établissements régionaux d'enseignement adapté, accueillent des jeunes en situation de graves difficultés scolaires ou sociales, ou en rupture scolaire, avec des difficultés d'accès aux apprentissages. Là aussi, on trouve 80 EREA en métropole, et 1 en outre-mer, à Mayotte, me semble-t-il. Là encore, un tel outil nous permettrait, pour une part, de reprendre la main, de redonner une chance à cette population scolaire en situation de rupture qui, hélas, à mesure que les années passent, prend le chemin de Camp Est, la prison calédonienne.

Par conséquent, monsieur le ministre, ma question est la suivante : l'État est-il prêt à nous accompagner, même si beaucoup de ces sujets relèvent aujourd'hui de la compétence de la Nouvelle-Calédonie, dans la création d'outils indispensables pour offrir une nouvelle chance à une jeunesse calédonienne en situation de rupture par rapport au système scolaire ?

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale. Monsieur le député, je vous remercie de votre question, qui me donne l'occasion de rappeler que nous sommes véritablement attachés aux mêmes objectifs que vous, en l'occurrence l'insertion réussie de tous les jeunes sur le marché du travail.

Vous l'avez dit, les compétences de l'État en matière d'enseignement primaire et secondaire ont été transférées pour une large part à la Nouvelle-Calédonie, qui s'est dotée d'un projet éducatif par la délibération du congrès du 15 janvier 2016 relative à l'avenir de l'école calédonienne.

L'État demeure néanmoins au côté de la Nouvelle-Calédonie pour l'accompagner dans la mise en œuvre de sa politique éducative, notamment au moyen du dispositif unique de mise à disposition globale et gratuite des personnels de l'État datant du transfert de compétences du 1er janvier 2012.

Un protocole d'accord a été signé le 26 octobre 2016 entre la Nouvelle-Calédonie et l'État qui définit les modalités d'accompagnement de mise en œuvre du projet éducatif sur la période 2017-2019. Bien entendu, nous le respectons. Il précise l'aide et les moyens, à la fois humains et financiers, apportés par l'État.

J'aimerais les énumérer, et établir leur lien avec la question que vous venez de poser. Le premier objectif est de développer l'identité de l'école calédonienne, en étant attentif, notamment, à ce que la définition du socle commun de connaissances, de compétences et de culture soit contextualisée par rapport au territoire tout en contribuant à ce que chaque jeune, à la fin de la scolarité obligatoire, c'est-à-dire à l'âge de seize ans, ait réellement acquis ce socle, qui est le premier des vaccins contre le décrochage scolaire.

Le deuxième objectif est de considérer la diversité des publics pour une école de la réussite, une école de l'égalité des chances, pour reprendre vos propos. À cette fin, trente-cinq postes, dont vingt-huit emplois d'enseignant ont été créés pour quatre nouveaux BTS.

Enfin, pour la première fois à cette session, les épreuves écrites des baccalauréats général et technologique seront corrigées en Nouvelle-Calédonie, ce qui permettra une reconquête du temps scolaire pour les élèves au mois de novembre, ce qui est précieux.

Le troisième objectif est d'ancrer l'école dans son environnement, sur les plans tant culturel qu'écologique, et de l'ouvrir sur son environnement international.

Nous devons bien entendu être également attentifs aux attentes que vous venez de formuler. Un exemple intéressant de l'accompagnement de l'État en Nouvelle-Calédonie est la réalisation de deux nouveaux lycées, Pouembout et Mont-Dore. Ce dernier établissement a d'ailleurs été inauguré en novembre dernier par le Premier ministre, à l'occasion de son déplacement en Nouvelle-Calédonie. Grâce à ces deux constructions, près de 1 500 élèves seront accueillis dans les filières générales, technologiques et professionnelles proposées dans ces deux établissements. Cela doit permettre d'offrir à la jeunesse calédonienne de nouvelles opportunités. Le financement de l'État s'élève pour ces deux projets à 45 millions d'euros.

Cependant, nous pouvons éventuellement aller plus loin, et je serai attentif dans le futur aux préoccupations que vous avez formulées. La politique nationale de lutte contre le décrochage scolaire, en particulier, est aussi pertinente à appliquer, sinon plus, en Nouvelle-Calédonie qu'en métropole. Le système est ouvert pour permettre des transferts de technologie, notamment afin de repérer numériquement les élèves qui ont décroché. Il faut aussi pouvoir développer les dispositifs que vous avez mentionnés, en lien avec l'armée ou avec les administrations sociales, dans le respect des compétences transférées. Nous sommes évidemment prêts à étudier cela avec vous.

M. le président. La parole est à M. Philippe Gomès, pour une réplique très brève.

M. Philippe Gomès. Je serai d'autant plus bref que je suis le dernier orateur, monsieur le président.

M. le président. Cela ne m'a pas échappé ! (Sourires.)

M. Philippe Gomès. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le ministre. Bien évidemment, et même si la compétence nous a été transférée, nous avons besoin du concours de l'État pour l'installation des outils que j'ai mentionnés, notamment l'EREA et l'ITEP. Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie ne manquera donc pas de vous solliciter pour faire de cet accompagnement une réalité afin que soient mis en place ces outils indispensables pour donner une nouvelle chance à notre jeunesse qui décroche.

Données clés

Auteur : M. Philippe Gomès

Type de question : Question orale

Rubrique : Outre-mer

Ministère interrogé : Éducation nationale

Ministère répondant : Éducation nationale

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 12 décembre 2017

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