Fonctionnement contentieux administratif en matière d'urbanisme commercial
Question de :
M. Nicolas Dupont-Aignan
Essonne (8e circonscription) - Non inscrit
M. Nicolas Dupont-Aignan appelle l'attention de M. le ministre de la cohésion des territoires sur le fonctionnement du contentieux administratif en matière d'urbanisme commercial. Les requérants qui forment un recours devant la commission nationale d'aménagement commercial (CNAC) pour contester la légalité d'une autorisation d'implantation d'enseigne ou groupement d'enseignes, développent des arguments fondés sur le non-respect des orientations du SCOT ou du PLU, l'impact en matière d'environnement, l'effet sur l'animation de la vie urbaine, l'insertion dans les réseaux de transports collectifs et tous autres moyens tendant à établir le caractère préjudiciable du projet en légalité ou en opportunité. Si la CNAC juge les arguments convaincants, elle émet un avis défavorable sans toutefois reprendre à son compte l'intégralité des motifs invoqués dans le recours administratif préalable obligatoire (RAPO). Cette circonstance conduit souvent la cour administrative d'appel à rejeter la décision de la CNAC, faute d'avoir pu vérifier le bien-fondé de tous les moyens exposés dans le RAPO. Dès lors qu'une substitution de motifs n'est recevable que si elle émane des auteurs de l'acte, la décision du juge ne prend en compte que les motifs exposés par la CNAC, lesquels sont souvent insuffisants pour rendre un jugement éclairé. Il faudra attendre un nouvel examen du dossier par la CNAC pour introduire une nouvelle instance devant la cour. Pour éviter cet alourdissement des procédures et permettre au juge de trancher, dans un sens ou dans l'autre, sur l'ensemble des motifs invoqués, il lui demande s'il serait favorable à l'aménagement des règles de recevabilité de la substitution de motifs.
Réponse publiée le 11 juin 2019
La commission nationale d'aménagement commercial (CNAC), qui n'est pas une juridiction au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CEDH), statue en toute indépendance. Sa saisine constitue un recours administratif préalable obligatoire (RAPO) pour quiconque (maire de la commune d'implantation et préfet du département exceptés) entend contester l'avis ou la décision rendu (e) par la commission départementale d'aménagement commercial (CDAC). Comme tout recours, celui-ci est soumis à des règles de recevabilité, parmi lesquelles l'exigence de motivation. Cela signifie, d'une part, que le requérant doit expliquer en quoi, selon lui, la CDAC s'est trompée, en particulier dans son appréciation des effets du projet d'aménagement commercial, mais, d'autre part, que les motifs d'annulation ainsi invoqués par le requérant ne lient pas la CNAC, laquelle n'est pas davantage tenue de vérifier le bien-fondé ou la recevabilité de ces motifs. En d'autres termes, il faut et il suffit au requérant de critiquer l'avis ou la décision de la CDAC sur le projet faisant l'objet d'un litige pour que son recours soit recevable de ce chef, que le motif invoqué soit avéré, légal, ou pas. Dans les faits, les recours émanent soit du pétitionnaire défait en CDAC, soit quasi exclusivement de tiers concurrents, afin d'empêcher ou de ralentir la réalisation des projets. En droit de l'aménagement commercial, le principe demeure l'autorisation, laquelle, en effet, ne peut, comme l'a consacré le Conseil d'État, être refusée que si les effets du projet compromettent la réalisation des objectifs prévus à l'article 1er de la loi du 27 décembre 1973 et à l'article L. 750-1 du code de commerce. Dans ces conditions, la CNAC vise dans ses avis défavorables et décisions de refus tous les effets négatifs qu'elle a identifiés et qui, selon elle, compromettent la réalisation des objectifs précités et motivent donc son avis ou sa décision défavorable. À l'inverse, lorsqu'elle rend un avis ou une décision favorable au projet, la CNAC n'est pas « tenue de prendre explicitement parti sur le respect, par le projet qui lui est soumis, de chacun des objectifs et critères d'appréciation fixés par les dispositions législatives applicables » (pour reprendre les termes mêmes du Conseil d'État). Les avis et décisions de la CNAC ne sont pas systématiquement déférés à la censure des juges. Le taux de recours ne cesse même de diminuer depuis 2015, pour passer sous la barre des 40 % en 2017. Depuis la loi relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (dite « ACTPE ») de juin 2014, le pétitionnaire peut redéposer une demande d'autorisation d'exploitation commerciale pour son projet précédemment refusé par la CNAC, sans autre condition que « d'avoir pris en compte les motivations de la décision ou de l'avis de la Commission nationale » (article L. 752-21 du code de commerce). Les juges n'annulent pas tous les refus de la CNAC (41 % en 2017) ; et, quand bien même un refus est annulé, il n'est pas pour autant jugé abusif : l'abus suppose une volonté de nuire qui ne peut être attribuée à la CNAC, dont le rôle régulateur et pédagogique vient d'être encore très récemment souligné à l'occasion des débats sur la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Elan). Lorsque la CNAC confirme le refus ou l'avis défavorable de la CDAC, c'est qu'elle a été saisie par le pétitionnaire, susceptible de saisir ensuite la cour administrative d'appel (CAA). Dans ce cas, les motifs invoqués dans le RAPO (saisine de la CNAC) se retrouvent dans le dossier contentieux, recours administratif et recours contentieux ayant le même auteur (le porteur du projet). On retrouve la même identité de requérant et de moyens, quand la CNAC confirme l'autorisation ou l'avis favorable de la CDAC. Si la CNAC annule l'avis ou la décision de la CDAC pour statuer dans le sens opposé, c'est qu'elle statue dans le sens souhaité par l'auteur du RAPO ; dans ce cas, l'auteur du recours contentieux sera différent de l'auteur du RAPO, et soutiendra des moyens contraires à ceux qui ont motivé la saisine de CNAC.
Auteur : M. Nicolas Dupont-Aignan
Type de question : Question écrite
Rubrique : Urbanisme
Ministère interrogé : Cohésion des territoires
Ministère répondant : Cohésion des territoires et relations avec les collectivités territoriales
Dates :
Question publiée le 20 mars 2018
Réponse publiée le 11 juin 2019