L'atoll de Moruroa et les conséquences des essais nucléaires
Question de :
M. Moetai Brotherson
Polynésie Française (3e circonscription) - Gauche démocrate et républicaine
M. Moetai Brotherson interroge Mme la ministre des armées sur l'avenir de l'atoll de Moruroa et les conséquences des essais nucléaires pour tous les habitants de la Polynésie. Qu'est-il prévu par ce Gouvernement pour faire face à la catastrophe sanitaire et écologique annoncée ? L'effondrement de Moruroa est inéluctable et on ne peut pas compter sur la chance cette fois-ci. Quel plan est prévu pour sauver les polynésiens de la vague de plusieurs mètres qui va s'abattre sur eux ? Comment la radioactivité contenue par l'anneau corallien de l'atoll va-t-elle être nettoyée ? Quels moyens de contrôle sont mis en place pour mesurer l'impact sanitaire qu'a la libération de cette radioactivité par les failles déjà détectées sous la surface de Moruroa ? Quels dispositifs d'interventions sont mis en place pour protéger la population de cette radioactivité ? L'effondrement complet de l'atoll va-t-il propager la radioactivité contenue dans l'atoll ? Jusqu'où ? Dans quelle proportion ? Autrement dit, il lui demande comment elle compte protéger l'intégrité du territoire de la Polynésie et la vie de ses habitants.
Réponse en séance, et publiée le 24 janvier 2018
ATOLL DE MORUROA ET CONSÉQUENCES DES ESSAIS NUCLÉAIRES
M. le président. La parole est à M. Moetai Brotherson, pour exposer sa question, n° 68, relative à l'atoll de Moruroa et aux conséquences des essais nucléaires.
M. Moetai Brotherson. Madame la secrétaire d'État auprès de la ministre des armées, le 2 juillet 1966 explosait Aldébaran, le premier essai nucléaire français en Polynésie ; 192 autres essais étalés sur trente ans suivront à Fangataufa mais, surtout, Moruroa jusqu’en 1996.
Après 42 ans de mensonge d’État sur les fameux « essais propres », le bon sens a finalement conduit en 2010 à la création du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires. Son budget doit être mis en perspective car, d’une part, il sert aussi à l’indemnisation de victimes du Sahara et, d’autre part, il ne couvre pas les dégâts causés à l’environnement.
Sur 275 000 Polynésiens, 9 705 sont aujourd'hui atteints de l’une des maladies que l'État français admet comme radio-induites. S’y s’ajoutent 9 192 personnes atteintes d’autres pathologies reconnues radio-induites par les autres puissances nucléaires.
Quelques années après Aldébaran, l’État accordait à la Polynésie le statut d’autonomie et la compétence dans le domaine de la santé – un cadeau empoisonné puisqu’il en a résulté la couverture des maladies radio-induites par le système social et de santé de la collectivité et non plus par l’État. Ironie du sort ou cynisme planifié ? Ici, jusqu'à aujourd'hui, ce sont les victimes elles-mêmes qui payent.
Mais revenons au bon sens…
Quelques rappels liminaires s’imposent : 147 essais souterrains ont eu lieu de 1975 à 1996, 62 ont été effectués sous le lagon mais 78 sous la fragile couronne corallienne de l’atoll de Moruroa. Quinze kilos de plutonium et une grande quantité de déchets radioactifs restent enfouis au cœur de Morurua et restent dangereux pour 500 000 ans.
Dès 1979, un bloc de plusieurs millions de mètres cubes se détache de la falaise corallienne. En 1980, 1987 et 1995, plusieurs rapports révèlent des fissures sur des kilomètres et l’existence de risques de fuite de radioactivité. En 2006, le livre publié par le ministère de la défense, La dimension radiologique des essais nucléaires français en Polynésie, atteste qu’au moins 41 essais souterrains sur 147 ont produit des fuites radioactives, soit un essai sur trois. Enfin, en 2011, c'est le délégué à la sûreté nucléaire lui-même qui cite un glissement possible de 670 millions de mètres cubes, provoquant une vague de vingt mètres de haut.
Le bon sens a donc conduit à la mise en place depuis 2015 du projet TELSITE 2 de mise à jour des moyens de surveillance géomécanique de Morurua, opérationnel pour vingt ans. Sismomètres, géophones, balises GPS, base-vie… TELSITE 2 devrait pouvoir prédire avec 90 secondes d’avance l’effondrement de Moruroa !
Peut-être me répondra-t-on aujourd’hui que tout ceci n’est que conjectures et que, comme on le disait à l’époque des essais propres, rien ne permet d’affirmer ou de penser que Moruroa puisse un jour s’effondrer. Fukushima non plus n’était pas censé se produire… Mais alors pourquoi créer un tel dispositif ? Oui, pourquoi investir plus de 100 millions d’euros dans un thermomètre si l’on est sûr que la maladie n’arrivera jamais ? C’est la question qu’on se pose lorsqu’on voit qu’il n’existe pas de plan de l’État pour sauver les habitants de Tureia, atoll le plus proche de Moruroa. C’est la question qu’on se pose après la COP 23 et ses aires marines protégées ou gérées, quand on sait qu’aucun relevé régulier ne présente l’état de la couronne corallienne et de la radioactivité qu’elle contient, qui se libèrera dans l’océan Pacifique au moment de l’effondrement.
Les Polynésiens, les nations du Pacifique sont en droit d’attendre une enquête à ce sujet, qui permettra de révéler l’impact environnemental et sanitaire réel de l’effondrement de Moruroa, mais surtout les mesures d’anticipation, au-delà de la simple prédiction à 90 secondes.
Dans un récent dessin animé plébiscité au box-office, un dieu farceur vole le cœur d’une île du Pacifique, Te Fiti, conduisant ainsi à un désastre dans les îles voisines qui se propage sans limites. En 1977, avec le premier essai nucléaire souterrain, l’État a volé le cœur des deux atolls de Moruroa et Fangataufa. Dans le dessin animé, Maui ramène le cœur de Te Fiti et le désastre est évité. Dans le monde post-One planet summit, l’État français saura-t-il sinon ramener du moins soigner le cœur de Moruroa et Fangataufa avant qu’il ne soit trop tard ? Mäuruuru e Te Aroha Ia rahi.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès de la ministre des armées.
Mme Geneviève Darrieussecq, secrétaire d'État auprès de la ministre des armées. Mesdames et messieurs les députés, monsieur Brotherson, depuis l'arrêt des essais intervenu en janvier 1996, la France a mené et continue de mener des actions concrètes pour assurer la protection de la population de la Polynésie française, via des mesures de surveillance géomécaniques et radiologiques des sites d'expérimentations du Pacifique. C'est une des missions prioritaires du ministère des armées.
Tout d'abord, concernant les aspects géomécaniques, la France a décidé, dès 1980, de mettre en place le système de surveillance TELSITE, comme vous l'avez rappelé. Conforté par les conclusions du rapport de 1998 de la Commission internationale de géomécanique – CIG – ce système permet de suivre en permanence les évolutions de la structure de l'atoll et permet de diffuser une éventuelle alerte aux populations avec suffisamment de préavis.
Il faut noter que l'on observe un net ralentissement du mouvement géomécanique de l'atoll depuis la fin des essais. Cependant, la France a décidé de poursuivre cette surveillance en modernisant son système, vous l'avez également rappelé, pour un montant de 100 millions d'euros, allant ainsi au-delà des recommandations de la CIG, qui préconisait son arrêt en 2018. Malgré tout, pour peu probable qu'il soit, le risque d'un effondrement partiel ou plus important à Moruroa ne peut être écarté et la France a pris des mesures concrètes pour faire face à cette éventualité, notamment en termes d'infrastructures et d'organisation en cas de risque majeur.
Enfin, l'Agence internationale de l'énergie atomique estime que les conséquences radiologiques d'un scénario hypothétique et pessimiste d'effondrement d'un pan de l'atoll seraient extrêmement limitées.
Il convient également de rappeler la surveillance radiologique continue des atolls, toute l'année, à travers une campagne annuelle de prélèvements au niveau terrestre, du lagon et des océans. Les analyses sont effectuées par un laboratoire du CEA-DAM – direction des applications militaires du CEA – accrédité par le comité français d'accréditation et attestent de la stabilité voire de la décroissance de la radioactivité, ce qui montre bien qu'il n'existe pas à l'heure actuelle de dissémination radioactive dans l'environnement. Ces résultats sont disponibles en toute transparence.
Auteur : M. Moetai Brotherson
Type de question : Question orale
Rubrique : Outre-mer
Ministère interrogé : Armées
Ministère répondant : Armées
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 16 janvier 2018