réforme du mode de scrutin aux élections législatives
Question de :
M. Michel Herbillon
Val-de-Marne (8e circonscription) - Les Républicains
Question posée en séance, et publiée le 21 mars 2018
RÉFORME DU MODE DE SCRUTIN AUX ÉLECTIONS LÉGISLATIVES
M. le président. La parole est à M. Michel Herbillon, pour le groupe Les Républicains.
M. Michel Herbillon. Monsieur le Premier ministre, je souhaite m'adresser à vous avec une certaine gravité au sujet de votre projet d'introduire la proportionnelle dans l'élection des députés.
Vous savez que nous y sommes opposés, non pour défendre je ne sais quelle situation acquise, ni par opposition systématique, mais pour des raisons de fond.
Un député du groupe LaREM . Ah bon ?
M. Ludovic Pajot. Ben voyons !
M. Michel Herbillon. D'abord, parce que vous allez déstabiliser nos institutions et changer la nature de notre régime politique.
M. Éric Straumann. Eh oui !
M. Michel Herbillon. Le fait majoritaire constitue, depuis 1958, la force de la Ve République.
M. Pierre Cordier. Très bien !
M. Erwan Balanant. Avec quelle efficacité !
M. Michel Herbillon. Demain, avec la proportionnelle, vous n'aurez plus de majorité au sein de l'Assemblée. Vous aurez des gouvernements instables, dépendants de majorités de rencontre, qui changeront au gré de circonstances aléatoires et de coalitions éphémères, comme sous la IVe République.
Ce qui vient de se passer en Allemagne et en Italie devrait vous faire réfléchir…
Mme Marine Le Pen. Ça, c'est vrai !
M. Michel Herbillon. …aux dangers de la proportionnelle.
M. Thibault Bazin et M. Jean-Luc Reitzer . Très bien !
M. Pierre Cordier. Bravo !
M. Michel Herbillon. L'autre raison de notre opposition tient à ce que vous introduisez une inégalité dans la représentation de nos territoires. Il y aura demain deux catégories de députés, et ceux élus à la proportionnelle seront choisis par les partis politiques…
M. Éric Straumann. Des pistonnés !
M. Michel Herbillon. …et n'auront plus de lien direct avec un territoire, alors que nos compatriotes demandent de la proximité avec leurs élus.
Monsieur le Premier ministre, comment pouvez-vous revendiquer votre filiation gaulliste et vouloir mettre en place un tel système, rejeté par le général de Gaulle et par tous les chefs d'État de la Ve République dont vous vous réclamez ?
M. Jean-Paul Lecoq. Il est apatride !
M. Fabien Di Filippo. Il a vendu son âme !
M. Michel Herbillon. Il y a dans la vie d'une nation des moments importants où les responsables peuvent se révéler des hommes d'État plutôt qu'agir en politiciens.
M. Sylvain Maillard. Comme on l'a vu tout à l'heure…
M. Michel Herbillon. Nous vous en conjurons donc : prenez de la hauteur, affranchissez-vous des considérations politiciennes.
M. Marc Le Fur. Très bien !
M. Michel Herbillon. Nous vous le demandons solennellement, monsieur le Premier ministre : allez-vous renoncer à instaurer la proportionnelle,…
Un député du groupe LaREM . Non !
M. Michel Herbillon. …au nom de la défense de nos institutions et de l'intérêt de la France et des Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LR et sur certains bancs du groupe UDI-Agir.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le député, vous m'interrogez avec gravité, et en m'encourageant à m'extraire des contingences politiciennes et des appartenances partisanes : je suis heureux de vous l'entendre dire (Sourires sur les bancs du groupe LaREM), et je vais essayer de vous prendre au mot.
Vous m'indiquez que le scrutin majoritaire serait au cœur de la Ve République et qu'y renoncer, introduire ne serait-ce qu'une dose de proportionnelle, reviendrait à méconnaître fondamentalement les institutions de la Ve République.
M. Éric Straumann. Eh oui !
Mme Danièle Obono. Tant mieux !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Je voudrais vous faire quelques remarques préalables, monsieur le député.
Premièrement, comme vous le savez parfaitement, le général de Gaulle, que vous évoquez, n'a jamais placé le mode de scrutin dans le texte constitutionnel. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Un député du groupe LR . Il n'en avait pas besoin !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Dieu sait pourtant qu'il avait introduit dans la Constitution, avec Michel Debré, des dispositions tendant à instaurer un parlementarisme rationalisé – lequel suscite parfois, y compris sur vos bancs, des oppositions ou des remarques dont l'acidité est, du coup, intéressante.
Un député du groupe LR . C'est vous qui le dites !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Deuxièmement, comme vous le savez parfaitement, depuis 1958, il a été recouru une fois à un mode de scrutin instaurant la proportionnelle intégrale.
M. Éric Straumann. Ça s'est mal terminé…
M. Robin Reda. Combien de députés du Front national ?
M. Michel Herbillon. Jacques Chirac a annulé ce mode de scrutin !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. En 1986, les Français ont voté, et ils ont donné une majorité très stable au Premier ministre de l'époque, Jacques Chirac. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LaREM.)
M. Erwan Balanant. Très bien !
M. Edouard Philippe, Premier ministre . En 1988, le scrutin majoritaire, réintroduit par Jacques Chirac et par la majorité de l'époque, a donné lieu à une majorité relative très juste, dirigée cette fois par Michel Rocard.
Cela me permet de vous dire, monsieur le député, que l'idée selon laquelle, par nature, la proportionnelle donnerait des systèmes instables…
M. Éric Straumann. C'est pourtant ce qui se passe en Italie !
M. Edouard Philippe, Premier ministre . …et le scrutin majoritaire des systèmes stables est à mon avis, compte tenu de l'expérience politique française, à regarder avec attention. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes LaREM et MODEM ainsi que parmi les députés non inscrits.)
Plusieurs députés du groupe LR . Debout ! Debout !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Mais plus fondamentalement, monsieur le député, ce à quoi s'est engagé le Président de la République pendant la campagne présidentielle, ce à quoi se sont engagés les candidats de la majorité pendant la campagne législative, c'est introduire une dose de proportionnelle.
M. Thibault Bazin. Homéopathique !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Qu'est-ce que cela veut dire ? Que, dans un scrutin majoritaire qui va rester la norme, il y aura une dose de proportionnelle,…
M. Robin Reda. C'est inutile !
M. Sébastien Jumel. Combien ?
M. Edouard Philippe, Premier ministre. …afin de corriger l'effet du scrutin majoritaire – connu de chacun sur ces bancs – qui conduit, compte tenu du fonctionnement de celui-ci, à écarter de l'Assemblée la représentation politique d'un très grand nombre d'électeurs. Et il se trouve, monsieur le député, qu'instaurer un élément correctif venant compléter la représentation à l'Assemblée nationale m'apparaît plutôt de nature à offrir une garantie démocratique.
M. Claude Goasguen. Pas du tout !
M. Christian Jacob. Le ver sera dans le fruit !
M. Edouard Philippe, Premier ministre . Le projet de loi qui sera soumis à l'examen des parlementaires vise l'introduction d'une dose de proportionnelle pour 10 % à 25 % du nombre de députés. Cela veut dire que le scrutin majoritaire va rester, si j'ose dire, majoritaire, à hauteur de 75 % à 90 % – M. de La Palice n'aurait pas dit mieux.
M. Claude Goasguen. Ça n'a rien à voir !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Pensez-vous vraiment, monsieur le député, que 10 %, 15 % ou même 25 % remettraient en cause la nature de nos institutions,…
Plusieurs députés du groupe LR . Oui !
M. David Habib. Tout à fait !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. …alors que 100 %, en 1986, ne l'ont pas fait ? Moi, je ne le crois pas. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.) Et je pense que c'est vous qui faites ici la preuve d'un engagement, à rebours de l'exhortation que vous formuliez il y a quelques instants.
M. Pierre Cordier. Il reste fidèle à ses convictions, lui !
M. Edouard Philippe, Premier ministre . Enfin, ne vous inquiétez pas, monsieur le député : l'avantage de tels projets de loi, c'est qu'ils sont évidemment discutés devant le Parlement ; vous aurez donc l'occasion de faire valoir tous vos arguments.
M. Thibault Bazin. Si le droit d'amendement existe encore !
M. Éric Diard. Monsieur est trop bon !
M. Edouard Philippe, Premier ministre . N'est-ce pas merveilleux ? Voilà à quoi cela sert ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Et c'est très bien ainsi. C'est d'ailleurs l'intérêt de l'introduction du mode de scrutin dans la loi ordinaire : chacun peut s'exprimer.
M. Thibault Bazin. Vous avez peur du référendum !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. Un dernier mot. Vous soulignez qu'il y aurait alors deux types de députés, et vous y voyez un problème fondamental. Permettez-moi de vous dire qu'au Sénat cela existe depuis longtemps… (Exclamations sur les bancs du groupe LR.)
M. Ian Boucard. Ça n'a rien à voir !
M. Edouard Philippe, Premier ministre. …et qu'il y a des sénateurs qui sont élus au scrutin majoritaire, d'autres au scrutin proportionnel ;…
M. Éric Coquerel. Mais le suffrage universel ?
M. Edouard Philippe, Premier ministre . …je ne crois pas que les institutions de la Ve République aient été mises en cause pour autant. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Auteur : M. Michel Herbillon
Type de question : Question au Gouvernement
Rubrique : Élections et référendums
Ministère interrogé : Premier ministre
Ministère répondant : Premier ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 21 mars 2018