Rubrique > politique extérieure
Titre > Yémen : exportations françaises d'armes à l'Arabie saoudite et aux EAU
M. Dominique Potier interroge M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur la délivrance de licences d'autorisations d'exportations de matériels militaires à l'Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis (EAU), pays belligérants du conflit au Yémen. Considéré comme « la pire crise humanitaire au monde causée par l'homme », selon l'ancien envoyé spécial des Nations unies pour le Yémen, Ismail Ould Cheikh Ahmed, ce conflit porte d'ores et déjà un lourd bilan : 10 000 morts et 15 000 blessés depuis 2015, selon un bilan de l'ONU. Ce combat entre les rebelles chiites houthistes et le gouvernement sunnite, s'est internationalisé lorsque les Houthis ont pris le contrôle de la capitale Sanaa provoquant la fuite du chef d'Etat yéménite. Depuis, une coalition de 10 pays sunnites, dont l'Arabie saoudite et les EAU interviennent par des frappes aériennes et terrestres. Face à l'ampleur des allégations de crimes de guerre, les Nations Unies ont ouvert en septembre 2017 une enquête internationale sur ces exactions faites aux populations civiles. Les relations commerciales entre la France et l'Arabie saoudite et les EAU en matière de matériel, munitions et assistance technique militaire, laissent à penser que des armes françaises soient effectivement utilisées au Yémen. Si on ne peut contester la légalité de ses exportations lorsqu'elles sont antérieures au début du conflit, la question se pose pour les licences d'autorisations d'exportation signées depuis le début du conflit. Selon Amnesty International et l'Observatoire de l'armement, en 2015 et 2016 la France a en effet accordé des licences à des entreprises françaises pour la fourniture en matériel de guerre pour un montant de plus de 19 milliards d'euros à l'Arabie saoudite, et 25,6 milliards d'euros aux EAU. Des contrats ont nouvellement été signés en novembre 2017 et un autre est encore en cours avec l'Arabie saoudite. Le rapport rendu chaque année devant le Parlement par le ministère des armées ainsi que celui rendu par la France au secrétariat du traité sur le commerce des armes (TCA) ne permettent pas de déterminer avec exactitude l'utilisation des ventes françaises d'armes, munitions, composants et de l'assistance technique militaire française, et donne alors une vision volontairement borne de la politique française de vente d'armement avec des pays en guerre. Toutefois, la France s'est engagée à refuser la délivrance de licences d'autorisations d'exportations d'armes lorsqu'existe un risque que ces armes vendues servent à commettre des crimes de guerre ou des violations graves au droit international humanitaire. C'est le sens de la signature par la France au TCA de 2013 et à la position commune de l'Union européenne de 2008. Publié le 20 mars 2018, le rapport du cabinet d'avocats Ancile commandé par Amnesty International France et l'Association des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT) montre qu'il est possible que « les exportations de matériels militaires françaises se poursuivent sans garantie publique que leur utilisation finale soit strictement encadrée afin de garantir qu'ils ne puissent pas être utilisés au Yemen. » Face au risque élevé de crimes de guerre commis par l'Arabie saoudite et les EAU et à l'opacité entourant l'usage des armes importées par ces pays, plusieurs pays européens ont annoncé qu'ils cessaient de livrer des armes à certains pays de la coalition. Le Parlement européen a par ailleurs rappelé en février 2016 l'interdiction pour les États membres de poursuivre le transfert d'armes vers l'Arabie saoudite, ceci étant alors contraire au contrôle des exportations d'armes convenu lors de la position commune de 2008. En novembre 2017, le Parlement européen a également fait adopter une résolution la mise en œuvre d'un embargo européen sur les armes à l'Arabie saoudite. Outre Atlantique, des propositions de lois au Sénat américain demandent de limiter, voire même de stopper le soutien américain à l'Arabie saoudite. Dans un contexte où la communauté internationale élève la voix pour dénoncer un risque avéré d'utilisation de matériels militaires importés par les belligérants du conflit au Yémen à des fins illégales, il lui demande quels éléments justifient la conformité française à l'article 6 du TCA et à la position commune de l'UE lors de la délivrance de ses licences d'autorisation d'exportation de matériels militaires. Au-delà de la légalité de ces transactions, il l'interroge sur le caractère éthique et moral de la vente d'armes par le pays des droits de l'Homme à des pays engagés dans des conflits où le droit international humanitaire est bafoué.