15ème législature

Question N° 7310
de M. Dominique Potier (Nouvelle Gauche - Meurthe-et-Moselle )
Question écrite
Ministère interrogé > Europe et affaires étrangères
Ministère attributaire > Europe et affaires étrangères

Rubrique > politique extérieure

Titre > Yémen : exportations françaises d'armes à l'Arabie saoudite et aux EAU

Question publiée au JO le : 10/04/2018 page : 2931
Réponse publiée au JO le : 05/02/2019 page : 1132
Date de renouvellement: 24/07/2018
Date de renouvellement: 27/11/2018

Texte de la question

M. Dominique Potier interroge M. le ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur la délivrance de licences d'autorisations d'exportations de matériels militaires à l'Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis (EAU), pays belligérants du conflit au Yémen. Considéré comme « la pire crise humanitaire au monde causée par l'homme », selon l'ancien envoyé spécial des Nations unies pour le Yémen, Ismail Ould Cheikh Ahmed, ce conflit porte d'ores et déjà un lourd bilan : 10 000 morts et 15 000 blessés depuis 2015, selon un bilan de l'ONU. Ce combat entre les rebelles chiites houthistes et le gouvernement sunnite, s'est internationalisé lorsque les Houthis ont pris le contrôle de la capitale Sanaa provoquant la fuite du chef d'Etat yéménite. Depuis, une coalition de 10 pays sunnites, dont l'Arabie saoudite et les EAU interviennent par des frappes aériennes et terrestres. Face à l'ampleur des allégations de crimes de guerre, les Nations Unies ont ouvert en septembre 2017 une enquête internationale sur ces exactions faites aux populations civiles. Les relations commerciales entre la France et l'Arabie saoudite et les EAU en matière de matériel, munitions et assistance technique militaire, laissent à penser que des armes françaises soient effectivement utilisées au Yémen. Si on ne peut contester la légalité de ses exportations lorsqu'elles sont antérieures au début du conflit, la question se pose pour les licences d'autorisations d'exportation signées depuis le début du conflit. Selon Amnesty International et l'Observatoire de l'armement, en 2015 et 2016 la France a en effet accordé des licences à des entreprises françaises pour la fourniture en matériel de guerre pour un montant de plus de 19 milliards d'euros à l'Arabie saoudite, et 25,6 milliards d'euros aux EAU. Des contrats ont nouvellement été signés en novembre 2017 et un autre est encore en cours avec l'Arabie saoudite. Le rapport rendu chaque année devant le Parlement par le ministère des armées ainsi que celui rendu par la France au secrétariat du traité sur le commerce des armes (TCA) ne permettent pas de déterminer avec exactitude l'utilisation des ventes françaises d'armes, munitions, composants et de l'assistance technique militaire française, et donne alors une vision volontairement borne de la politique française de vente d'armement avec des pays en guerre. Toutefois, la France s'est engagée à refuser la délivrance de licences d'autorisations d'exportations d'armes lorsqu'existe un risque que ces armes vendues servent à commettre des crimes de guerre ou des violations graves au droit international humanitaire. C'est le sens de la signature par la France au TCA de 2013 et à la position commune de l'Union européenne de 2008. Publié le 20 mars 2018, le rapport du cabinet d'avocats Ancile commandé par Amnesty International France et l'Association des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT) montre qu'il est possible que « les exportations de matériels militaires françaises se poursuivent sans garantie publique que leur utilisation finale soit strictement encadrée afin de garantir qu'ils ne puissent pas être utilisés au Yemen. » Face au risque élevé de crimes de guerre commis par l'Arabie saoudite et les EAU et à l'opacité entourant l'usage des armes importées par ces pays, plusieurs pays européens ont annoncé qu'ils cessaient de livrer des armes à certains pays de la coalition. Le Parlement européen a par ailleurs rappelé en février 2016 l'interdiction pour les États membres de poursuivre le transfert d'armes vers l'Arabie saoudite, ceci étant alors contraire au contrôle des exportations d'armes convenu lors de la position commune de 2008. En novembre 2017, le Parlement européen a également fait adopter une résolution la mise en œuvre d'un embargo européen sur les armes à l'Arabie saoudite. Outre Atlantique, des propositions de lois au Sénat américain demandent de limiter, voire même de stopper le soutien américain à l'Arabie saoudite. Dans un contexte où la communauté internationale élève la voix pour dénoncer un risque avéré d'utilisation de matériels militaires importés par les belligérants du conflit au Yémen à des fins illégales, il lui demande quels éléments justifient la conformité française à l'article 6 du TCA et à la position commune de l'UE lors de la délivrance de ses licences d'autorisation d'exportation de matériels militaires. Au-delà de la légalité de ces transactions, il l'interroge sur le caractère éthique et moral de la vente d'armes par le pays des droits de l'Homme à des pays engagés dans des conflits où le droit international humanitaire est bafoué.

Texte de la réponse

La France applique une politique de contrôle des exportations reposant sur une analyse rigoureuse et au cas par cas dans le cadre de la Commission interministérielle pour l'exportation de matériels de guerre (CIEEMG). La décision est prise par le Premier ministre, après avis de la CIEEMG, dans le strict respect des engagements internationaux de la France, notamment les dispositions du Traité sur le commerce des armes (TCA) et la position commune 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008. Cette dernière, de même que l'article 7 du TCA, précise les critères d'évaluation des demandes de transferts. Dans ce cadre, chaque licence fait l'objet d'un débat contradictoire particulièrement complet. Dans leurs échanges, les administrations compétentes tiennent compte de la nature des matériels, de l'utilisateur final, des questions de respect des droits de l'Homme et du droit international humanitaire. Elles prennent également en compte la stabilité régionale et les objectifs de la France en matière de soutien à la lutte contre le terrorisme. La sécurité des civils et le respect des engagements internationaux de la France en matière de droits de l'Homme sont bien entendu pris en compte. C'est là une préoccupation constante des autorités françaises. Le respect des principes du droit international humanitaire dans la conduite des hostilités est fondamental. La France le rappelle aux parties impliquées au Yémen. Ces messages ont été passés au plus haut niveau par le Président de la République et le ministre de l'Europe et des affaires étrangères, à leurs interlocuteurs saoudien et émirien. Devant la dégradation de la situation humanitaire, la France a rehaussé le niveau de vigilance de sa procédure d'examen des demandes de licences d'exportation vers la coalition arabe. La France reste par ailleurs très impliquée dans le cadre du TCA et soutient les efforts en faveur de son universalisation. Enfin, la France se mobilise activement pour obtenir un cessez-le-feu qui permette un accès humanitaire complet, sûr et sans entrave aux populations affectées pour favoriser le retour des parties à la table des négociations en vue d'un accord politique global et inclusif, dans le respect de l'intégrité territoriale du pays. La dégradation de la situation sécuritaire et l'affaiblissement de l'Etat yéménite font le jeu des groupes terroristes présents dans le pays, notamment Daech et AQPA (Al Qaida dans la Péninsule arabique). Cependant, il n'y aura pas de paix durable, pas de soulagement de la situation humanitaire, pas de sécurité pour les voisins du Yémen sans solution politique. Les pourparlers inter-yéménites qui se sont tenus au mois de décembre dernier en Suède sous l'autorité des Nations unies ont ouvert, pour la première fois depuis des années, une perspective de paix. La France, aux côtés de ses alliés et en lien avec ses différents interlocuteurs dans la région, mobilise l'ensemble de ses capacités pour consolider ces premières avancées et mettre un terme à ce conflit qui n'a que trop duré.