15ème législature

Question N° 733
de M. Christian Jacob (Les Républicains - Seine-et-Marne )
Question au gouvernement
Ministère interrogé > Premier ministre
Ministère attributaire > Premier ministre

Rubrique > terrorisme

Titre > Attentat dans l'Aude

Question publiée au JO le : 28/03/2018
Réponse publiée au JO le : 28/03/2018 page : 2142

Texte de la question

Texte de la réponse

ATTENTATS DANS L'AUDE



M. le président. La parole est à M. Christian Jacob, pour le groupe Les Républicains.

M. Christian Jacob. En trois ans, la France a subi dix attaques terroristes qui ont fait 245 morts. Les noms de quatre innocents vont s'ajouter à la liste de ceux qui sont tombés par la haine d'individus qui exècrent l'héritage judéo-chrétien de la France et les valeurs de la République.

Le sacrifice du lieutenant-colonel Beltrame décuple la colère des Français. Car il est insupportable de penser qu'un officier supérieur de la gendarmerie a été poignardé par un homme, surveillé depuis 2014, fiché S, radicalisé notoire, et que la nation a accueilli en son sein par la naturalisation.

Je ne doute pas, monsieur le Premier ministre, de votre détermination à lutter contre le terrorisme, ni de celle, avant vous, de M. Valls ou M. Cazeneuve. Mais nous pensons que le temps est venu de prendre de nouvelles décisions : l'enfermement ou le bracelet géolocalisable pour les individus français, radicalisés et fichés ; l'expulsion du territoire national pour les individus étrangers, radicalisés et fichés ; la fermeture des lieux de culte dans lesquels est prônée la haine de la France et des Français.

Nous demandons également la déchéance de nationalité des djihadistes qui ont combattu les soldats de la France. François Hollande y avait renoncé ; le Président Macron y est-il prêt ?

Enfin, l'état d'urgence que vous n'auriez pas dû lever, nous vous demandons de le rétablir.

Monsieur le Premier ministre, vous détenez les clés pour que l'union nationale soit forte et durable. Vous nous trouverez toujours à vos côtés si vous prenez les décisions que les Français ont déjà trop attendues. (Applaudissements sur les bancs du groupe LR et parmi les députés non inscrits.)

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre pour répondre à ces sept questions.

M. Edouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le président, madame la députée Hérin, monsieur le président Jacob, monsieur le président Fesneau, monsieur le président Lagarde, monsieur le président Faure, monsieur le président Mélenchon, monsieur le président Chassaigne, je voudrais d'abord m'associer et associer l'ensemble du Gouvernement à l'hommage que vous venez tous de rendre aux victimes de l'attaque terroriste de Carcassonne et de Trèbes.

Nous avons tous appris la nouvelle et, si j'ose dire, pris la nouvelle en plein cœur, parce qu'elle a fait écho à ce que nous sommes : des femmes et des hommes libres, attaqués dans une petite ville, sur un parking, dans un supermarché. Jean Mazières, sur le parking des Aigles, Hervé Sosna, qui faisait ses courses, Christian Medvès, le boucher du supermarché, et le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame y ont perdu la vie.

Nous pensons tous ici à eux, à leur famille et à leurs proches. Nous pensons aussi, bien sûr, aux blessés et à l'ensemble des témoins directs de ce drame. Nous pensons aussi à tous ceux qui, dans leur vie, ont eu à surmonter ou à connaître des événements de cette nature et qui, au moment où l'attentat est commis, revivent dans leur chair ce qu'ils ont déjà vécu. Et il est sur ces bancs des députés, soit à raison des fonctions qu'ils exercent aujourd'hui, soit à raison de celles qu'ils exerçaient hier, qui ont vécu ces moments.

Je pense bien entendu à Manuel Valls, parce qu'il était Premier ministre au moment des premiers attentats et qu'il a vu. Il n'était pas le seul, il y en avait bien d'autres. Je pense à Hubert Wulfranc, député communiste, qui était maire au moment du meurtre du père Hamel. Je pense à Jean-Michel Fauvergue, que ses responsabilités et sa carrière professionnelle ont mis au contact direct de ces événements et de ces attentats. Ils revivent, peut-être encore plus que nous, le drame qui a été éprouvé vendredi dernier.

À l'ensemble des victimes et des témoins directs, je veux dire que le Gouvernement mettra l'ensemble des moyens à sa disposition pour les accompagner dans cette épreuve.

Dans ce temps qui est encore celui du deuil, la mémoire très vive encore de cet attentat et l'image de son auteur abattu par les forces de l'ordre s'effacent derrière celle d'un héros, le lieutenant-colonel Arnaud Beltrame. Il incarne, vous l'avez très bien dit, la République. Il est son image, son corps et il s'inscrit dans une longue histoire de Françaises et de Français civils ou militaires qui se sont tenus droit au moment où le pire survenait. Cette image, ce courage m'impressionnent, nous impressionnent et ils nous renvoient, au fond, à un sentiment non pas paradoxal mais mêlé d'immense fierté et de très grande humilité.

À cet hommage que nous devons au lieutenant-colonel Beltrame, je veux associer l'ensemble de ceux qui nous protègent et qui ont agi vendredi dernier avec une célérité et une compétence admirables. Je pense, bien sûr, aux forces de police et de gendarmerie qui sont intervenues. Je pense aussi, sous l'autorité des préfets, à tous ceux qui, au sein des groupes d'évaluation départementaux, conduisent ce très difficile et ce très peu spectaculaire travail de renseignement, d'appréciation du risque, d'affectation des moyens de surveillance.

Depuis janvier 2015, le travail de ces services de renseignement a permis de déjouer cinquante et un attentats. Dix-sept ont échoué. Onze, nous le savons hélas ! ont abouti.

La menace est protéiforme. Elle est réelle. Ni le ministre d'État, ministre de l'intérieur, ni moi-même ni aucun autre membre du Gouvernement ne l'a jamais mésestimée, ne l'a jamais cachée. Nous vivons une période de menace.

Je voudrais dire à tous ceux qui font face à cette menace, aux citoyens français, bien entendu, mais aussi à l'ensemble des forces de sécurité, que je sais qu'ils accomplissent leur mission avec la même concentration, la même rage de réussir que celle qui était dans le cœur du lieutenant-colonel Beltrame quand il a pris en un instant la décision qui a fait de lui un héros.

Cet hommage que nous portons à la mémoire des morts, il nous oblige. Il nous oblige à la gravité, il nous oblige à la responsabilité. L'enquête judiciaire sur les faits se poursuit sous l'autorité du procureur de la République de Paris. Elle devra évidemment faire toute la lumière sur le processus de radicalisation du terroriste, sur ses éventuelles complicités et sur les circonstances précises de l'attentat.

Mais ceux qui affirment, sans savoir, que cet attentat aurait dû être évité – personne n'a dit cela sur ces bancs –, ceux qui croient pouvoir promettre aux Français un risque zéro prennent, dans leur légèreté, une bien lourde responsabilité. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM, UDI-Agir, NG, GDR et FI.) J'entends les propositions, qui ne sont d'ailleurs pas nouvelles, formulées sur différents bancs ou par les responsables de différents partis. Je veux y répondre sans détours : ces interrogations sont légitimes, ces questions méritent d'être posées. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe LR.)

Un député du groupe LR . Quand même !

M. Edouard Philippe, Premier ministre. Je veux y répondre. D'une manière générale, je ne fais pas partie de ceux qui considèrent que la loi doit intervenir immédiatement après la survenance d'un attentat, au motif qu'elle réglerait par elle-même l'ensemble des questions qui se posent. J'ai toujours pensé cela, je l'ai toujours dit clairement. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Certains affirment, comme vous l'avez fait, monsieur le président Jacob, qu'il faudrait rétablir l'état d'urgence.

M. Thibault Bazin. À raison !

M. Edouard Philippe, Premier ministre. Avec le Président de la République, nous avons assumé d'y mettre fin au moment même où nous renforcions le droit commun avec la loi dite « SILT » – renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM.) Parce que nous sommes confrontés à une menace terroriste qui va durer de longues années, c'est avec des armes de droit commun qu'il nous faut la combattre. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM, ainsi que sur plusieurs bancs du groupe UDI-Agir.) L'état d'urgence était nécessaire, et il était nécessaire d'en sortir en nous dotant d'instruments pérennes : nous l'avons fait avec la loi du 30 octobre 2017.

J'entends aussi le débat sur les fichés S. Certains nous disent : « Expulsez-les tous ! » D'autres nous disent : « Enfermez-les tous ! ». Certains disent même les deux à la fois. (Exclamations sur les bancs du groupe LR.)

M. Pierre Cordier. Caricature !

M. Edouard Philippe, Premier ministre . Dire cela, mesdames, messieurs les députés,…

M. Christian Jacob. Personne ne dit cela !

M. Edouard Philippe, Premier ministre . …c'est méconnaître profondément nos outils de renseignement.

M. Pierre Cordier. Démagogie !

M. Edouard Philippe, Premier ministre. La fiche S est un outil de police, un outil de vigilance qui permet d'accumuler du renseignement sur une personne, précisément pour lever le doute sur l'existence ou non de liens avec le terrorisme ou l'action violente. Elle n'est pas en elle-même un élément de preuve, et elle n'a d'intérêt que si les personnes concernées ne savent pas qu'elles le sont. C'est exactement ce qu'a dit hier un ancien directeur général de la police nationale, bien connu, respecté de tous – et certainement de moi –, Frédéric Péchenard. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir.)

Dire cela, c'est enfin, je le crois, méconnaître l'État de droit. On ne peut pas, en France, être privé de sa liberté sur la base d'un soupçon. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM et UDI-Agir.) Oui, il faut enfermer les terroristes (« Ah ! » sur quelques bancs du groupe LR), mais c'est à la justice qu'il appartient de le décider. Oui, il faut expulser les étrangers qui menacent gravement l'ordre public, et le ministère de l'intérieur le fait régulièrement : depuis 2015, 48 étrangers liés aux mouvances terroristes ou islamistes ont été expulsés (Exclamations sur les bancs du groupe LR) et 361 interdictions administratives du territoire ont été prononcées. Mais cela ne peut se faire qu'au regard d'informations vérifiées et opposables.

Enfin, une troisième question nous est posée : faut-il interdire le salafisme ? Il y a là une vraie question sur le combat de civilisation, sur la contre-insurrection culturelle que nous devons mener pour faire prévaloir les valeurs républicaines. Je vais vous dire ma conviction. Elle s'appuie sur l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi. » On ne peut pas, mesdames, messieurs, interdire une idée. On peut sanctionner les comportements qu'elle entraîne s'ils sont contraires à l'ordre public, aux lois de la République et aux exigences minimales de la vie en société. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM, UDI-Agir, GDR et FI. – Exclamations sur les bancs du groupe LR.) Je veux dire, sur ce point, que le Gouvernement est, et sera, sans faiblesse. Le Gouvernement dissout les associations qui provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence, qui incitent au terrorisme. Le Gouvernement ferme les lieux de culte où sont professées des thèses faisant l'apologie du terrorisme. Le Gouvernement fait respecter le principe de laïcité, et mènera la bataille contre le déferlement de haine qui s'abat sur les réseaux sociaux. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM, UDI-Agir, GDR et sur quelques bancs du groupe FI.)

En effet, la responsabilité du Gouvernement, mesdames, messieurs les députés, c'est l'action. Depuis mai dernier, nous nous sommes engagés, avec Gérard Collomb, Nicole Belloubet et l'ensemble du Gouvernement, sous l'autorité du Président de la République, dans une action déterminée, lucide, résolue. Nous devions, pour sortir de l'état d'urgence, nous doter d'un cadre juridique protecteur des citoyens ; nous l'avons fait, je l'ai dit, avec la loi du 30 octobre 2017. Cette loi nous permet d'imposer des obligations de surveillance aux personnes proches des mouvements terroristes – trente-quatre personnes sont actuellement soumises à de telles obligations. (Exclamations sur quelques bancs du groupe LR.) Elle nous permet de diligenter des visites domiciliaires chez ces mêmes personnes pour lever le doute sur leurs intentions. (Mêmes mouvements.)

M. Christian Jacob. Cela concerne six personnes !

M. Edouard Philippe, Premier ministre. Elle nous permet aussi de décider la fermeture des lieux de culte où sont professées des thèses incitant au terrorisme.

Nous devions renforcer les instruments de suivi des personnes sous surveillance ; nous l'avons fait, en repensant l'utilisation des fichiers de police et de renseignement, dont le fichier de signalement des personnes radicalisées.

Nous devions adapter notre organisation au regard de l'expérience acquise depuis 2015 ; nous l'avons fait, en renforçant la coordination des services de renseignement avec la création de la Coordination nationale du renseignement et de la lutte contre le terrorisme. Nous avons redéfini le dispositif Sentinelle dans le sens d'une meilleure protection des personnes et des lieux de fréquentation les plus vulnérables. Nous avons maintenu le plan Vigipirate au niveau sécurité renforcée, en adaptant tous les trimestres la posture aux menaces. Nous allons le faire en adaptant notre organisation judiciaire avec le renforcement d'un parquet national antiterroriste.

Le parquet de Paris, dirigé par François Molins, a fait la preuve de sa compétence, de sa réactivité, de sa capacité à coordonner l'action judiciaire au travail de renseignement. Nous souhaitons à présent dédier une équipe de magistrats non seulement aux investigations en matière de terrorisme, à la coopération internationale, mais aussi à la lutte contre la radicalisation sur tout le territoire. Le futur procureur en charge du terrorisme pourra s'appuyer sur des magistrats délégués dans les parquets territoriaux, magistrats qui auront compétence, dans toutes les régions, pour diligenter des actes pour le compte du procureur national.

Nous allons le faire enfin, mesdames, messieurs – j'y insiste, car c'est probablement le nœud le plus important – en renforçant nos moyens, avec l'engagement de recruter 10 000 policiers et gendarmes pendant le quinquennat, dont 1 900 bénéficieront directement aux services de renseignement.

Enfin, mesdames, messieurs les députés, nous devons réarmer la République face à la radicalisation islamique qui menace notre société, non pas seulement quand elle conduit à la violence : elle nous défie, en vérité, à chaque fois que les lois de la République sont mises en balance avec des préceptes religieux, à chaque fois que, dans une école, on insiste sur la croyance en résistant à la connaissance (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LaREM), à chaque fois que, dans l'espace public, il est porté atteinte aux exigences de la vie en société.

Mesdames, messieurs, ce combat, ce n'est pas seulement le combat du Gouvernement, ce n'est pas seulement le combat de cette législature, c'est un combat qui, nous le savons tous, sera long et difficile. Tous ceux qui ont été et qui sont aux responsabilités le savent, et je suis sûr qu'au fond d'eux-mêmes, tous ceux qui aspirent aux responsabilités le savent aussi. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.) C'est un combat difficile que nous allons mener, un combat terrible, corps à corps, qui donnera lieu à des succès – il y en a eu – et pourra se traduire par des échecs. À cet égard, je veux saluer l'état d'esprit qui prévaut dans cette assemblée, je veux saluer l'ensemble des présidents de groupe pour le ton qu'ils ont employé, au-delà des désaccords, et le fait que nous partagions tous cette conviction républicaine. À chaque fois, il y aura des moments difficiles, mais nous lutterons pied à pied parce que la France est plus grande et plus forte que ceux qui la mettent en cause, parce qu'elle a montré par son histoire, par sa culture, par sa force, qu'elle était capable d'apporter, année après année, mois après mois, jour après jour, les réponses qui sont les nôtres. (Mmes et MM. les députés des groupes LaREM, MODEM, UDI-Agir, NG, GDR et FI se lèvent et applaudissent longuement. – Quelques députés du groupe LR applaudissent.)