15ème législature

Question N° 789
de M. Guy Bricout (Non inscrit - Nord )
Question orale sans débat
Ministère interrogé > Personnes handicapées
Ministère attributaire > Personnes handicapées

Rubrique > personnes handicapées

Titre > Territoires 100% inclusifs

Question publiée au JO le : 11/06/2019
Réponse publiée au JO le : 19/06/2019 page : 6114

Texte de la question

M. Guy Bricout appelle l'attention de Mme la secrétaire d'État, auprès du Premier ministre, chargée des personnes handicapées, sur l'appel à manifestation d'intérêt intitulé : identification de « territoires 100 % inclusifs » qui inquiète légitimement les personnes handicapées adultes et les familles dont les enfants sont porteurs d'un handicap. L'expression « territoires 100 % inclusifs » évoque une forme de normalisation dans l'accompagnement des personnes différentes. Les associations qui revendiquent une certaine expertise rappellent que l'inclusion ne se décrète pas, elle s'accompagne, s'impulse. Elle ne peut s'envisager que de façon très progressive, eu égard au public concerné, et sans déconstruire avant de reconstruire des alternatives ambitieuses, durables et surtout assises sur une solidarité nationale sans faille. Cette vision stratégique qui génère des inquiétudes, société 100 % inclusive, est corroborée par les propos de la secrétaire d'État, chargée des personnes handicapées, propos tenus dans son rapport d'avril 2019 intitulé : politique du handicap pour une société inclusive. Dans ce rapport la secrétaire d'État affirme que : « la France a longtemps fait le choix d'isoler les personnes en situation de handicap par souci de protection, un bon sentiment qui s'est peu à peu transformé en une mise à l'écart confortable ». Et de surenchérir en posant la question « serions-nous passés du projet noble de protéger l'autre à celui, moins noble, de nous protéger de l'autre ? ». Ces propos culpabilisent les associations de parents qui se sont responsabilisées il y a plus de 60 ans par rapport à une population fragile en revendiquant une solidarité nationale dont cette population était exclue. Les membres de ces associations ont structuré des réponses institutionnelles pour permettre à ces enfants à ces adultes d'accéder à une forme de socialisation, l'école publique obligatoire de Jules Ferry ne voulant pas les accueillir. Ces solutions, les fondateurs des associations ont commencé à les mettre en œuvre en utilisant leurs propres deniers. Dans une note de février 2018, la secrétaire d'État aux personnes handicapées rappelle que la construction d'une société réellement inclusive doit se réaliser par : « une bascule rapide et d'ampleur au profit d'un accompagnement spécialisé si nécessaire en milieu ordinaire ». Pour les familles, l'expression « bascule rapide et d'ampleur » est antinomique d'une nécessaire anticipation raisonnée qui promeut un accompagnement des personnes handicapées mentales sur mesure par rapport à un dispositif standardisé. Alors que le Haut conseil de la famille de l'enfance et de l'âge (HCFEA) dans un rapport adopté le 23 novembre 2018, rappelle que la loi du 11 février 2005 marque une étape majeure « pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ». Mme la secrétaire d'État remet en cause cette loi. Dans son rapport « politique du handicap pour une société inclusive », la secrétaire d'État déclare que : « le recours systématique à la loi ne fonctionne pas, et que notamment 15 ans après cette loi de 2005, les résultats attendus sont en demi-teinte ». Cette affirmation est d'autant plus paradoxale que les associations comptaient sur elle pour faire appliquer cette loi. D'autre part, le fait de réduire le virage inclusif à la fermeture d'établissements sociaux et médico-sociaux, comme l'ont fait certains pays, tend à ne pas mesurer l'impact d'une telle orientation politique alors même que bon nombre de ces pays ont ensuite rouvert les institutions au regard des premiers résultats désastreux d'une telle politique. Dans son rapport, la secrétaire d'État prétend également qu'une des causes de la mise à l'écart des personnes handicapées par la société était son adhésion à des dogmes culturels économiques et politiques, qu'il fallait remettre en question. Elle déclare qu'aujourd'hui la société française serait prête à ce changement. Quelques exemples tirés de l'actualité récente ne confirment pas ce changement. Si la société française est prête à changer comment expliquer que dans le cadre du projet de loi pour une école de la confiance, au Sénat, un amendement a été proposé en ces termes : la scolarisation en milieu ordinaire est un droit dans la mesure où elle favorise les apprentissages et permet de conforter l'enfant, l'adolescent ou l'adulte handicapé dans ses acquis pédagogiques, ce qui consiste à introduire une obligation d'un certain niveau de résultat pour être maintenu en milieu ordinaire de scolarisation. Ceci a conduit la vice-présidente du conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) à demander aux députés de revenir en commission mixte paritaire sur la disposition introduite par les sénateurs. Même si cet amendement n'est pas voté, ne reste-t-il pas néanmoins le signe d'une société normative qui priorise une vision utilitariste et rentable de l'enseignement au risque d'être très discriminatoire vis-à-vis des enfants porteurs d'un handicap mental ? Le 21 mai 2019, la commission d'enquête parlementaire sur l'inclusion scolaire des enfants handicapés s'est intéressée au parcours des enfants atteints de troubles du neurodéveloppement en particulier les troubles du déficit de l'attention TDHA et des troubles du spectre autistique. Ce qui a conduit le rapporteur de cette commission à s'emporter contre l'éducation nationale qui n'a pas été capable de fournir à la commission les chiffres de l'inclusion scolaire. D'autre part, les associations regroupant les familles dont les enfants présentent des troubles du déficit de l'attention sont préoccupées par le coût des rééducations qui ne sont pas prises en charge par la sécurité sociale, alors que, suivant les recommandations de la Haute autorité de santé (HAS), l'accompagnement de leurs enfants passe par des thérapies cognitivo-comportementales, de la psychomotricité et de l'ergothérapie, trois types de prise en charge non remboursés, thérapies qui doivent être mises en place le plus précocement possible. La prise en charge précoce étant une des conditions essentielles à la diminution de la déficience. À noter enfin que la désertification médicale touche en premier lieu les personnes fragilisées. Les associations rappellent que l'inclusion sociale ne dépend pas uniquement du degré d'autonomie, et de la capacité à s'auto-déterminer de la personne différente. L'inclusion sociale dépend largement également de la capacité de la société à accueillir la personne différente pour que sa singularité ne soit plus un handicap, pour reprendre les propos du président initiateur de la loi de février 2005. Aujourd'hui, les associations considèrent que cette vision d'une société 100 % inclusive est irréaliste et risque de provoquer plus d'exclusion de la vie citoyenne que d'inclusion. Il souhaite connaître son analyse à ce sujet.

Texte de la réponse

INCLUSION DES PERSONNES HANDICAPÉES


M. le président. La parole est à M. Guy Bricout, pour exposer sa question, n°  789, relative à l'inclusion des personnes handicapées.

M. Guy Bricout. Alors même que l'accompagnement par les auxiliaires de vie scolaire est jugé insuffisant – le journal La Voix du Nord consacrait hier un nouvel article au phénomène –, le Gouvernement lance un appel à manifestation d'intérêt pour l'identification de « territoires 100 % inclusifs », qui inquiète légitimement les personnes handicapées et les familles dont les enfants sont porteurs d'un handicap.

En effet, l'idée de « territoires 100 % inclusifs » évoque une forme de normalisation de l'accompagnement des personnes différentes. Or, comme le rappellent les associations qui revendiquent une certaine expertise, l'inclusion ne se décrète pas : elle est impulsée, accompagnée. En outre, elle ne peut s'envisager que de façon très progressive, eu égard au public concerné.

Cette vision stratégique d'une société 100 % inclusive est corroborée par le rapport publié en avril 2019 par la secrétaire d'État chargée des personnes handicapées et intitulé « Politique du handicap : pour une société inclusive ». La secrétaire d'État y affirme que « la France a longtemps fait le choix d'isoler les personnes en situation de handicap par souci de protection, un bon sentiment qui s'est peu à peu transformé en une mise à l'écart confortable ». Et elle surenchérit en demandant : « serions-nous passés du projet noble de protéger l'autre à celui, moins noble, de nous protéger de l'autre ? »

Ces propos culpabilisent les associations de parents qui ont pris leurs responsabilités il y a plus de soixante ans vis-à-vis d'une population fragile en revendiquant une solidarité nationale dont cette population était auparavant exclue. Les membres de ces associations ont structuré des réponses institutionnelles pour permettre aux enfants et adultes concernés d'accéder à une forme de socialisation, alors que l'école publique obligatoire de Jules Ferry ne voulait pas les accueillir. Ces solutions, les fondateurs des associations ont commencé à les mettre en œuvre en utilisant leurs propres deniers.

Dans une note de février 2018, la secrétaire d'État aux personnes handicapées rappelle que la construction d'une société réellement inclusive suppose « une bascule rapide et d'ampleur au profit d'un accompagnement, spécialisé si nécessaire, en milieu ordinaire ». Pour les familles, l'expression est antinomique d'une nécessaire anticipation raisonnée qui promeut un accompagnement sur mesure des personnes handicapées mentales, par opposition à un dispositif standardisé.

Alors que le Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge rappelle, dans un rapport adopté le 5 juillet 2018, l'étape majeure qu'a constitué la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, Mme Cluzel la remet en cause. Toujours dans son rapport « Politique du handicap : pour une société inclusive », elle déclare ainsi que le recours systématique à la loi ne fonctionne pas et que les résultats de celle de 2005 sont, quinze ans après sa promulgation, en demi-teinte. L'affirmation est d'autant plus paradoxale que les associations comptaient sur la secrétaire d'État pour faire appliquer cette loi.

En outre, le fait de réduire le virage inclusif à la fermeture d'établissements sociaux et médico-sociaux, sur le modèle de certains pays, montre que l'on n'a pas pris la mesure des conséquences d'une telle orientation politique. Les premiers résultats dans ces pays ont été si désastreux que bon nombre d'entre eux ont rouvert les institutions par la suite.

Dans son rapport, la secrétaire d'État prétend également que l'une des causes de la mise à l'écart des personnes handicapées par notre société était l'adhésion de celle-ci à certains dogmes culturels, économiques et politiques.

Une disposition introduite par le Sénat dans le projet de loi pour une école de la confiance, qui pourrait toutefois ne pas être retenue dans le texte final, témoigne du fait que la société reste normative et privilégie une vision utilitariste de l'enseignement, censé être rentable, au risque d'être discriminatoire envers les enfants porteurs d'un handicap mental.

Le 21 mai 2019, la commission d'enquête parlementaire sur l'inclusion scolaire des enfants handicapés s'est intéressée au parcours des enfants atteints de troubles du neurodéveloppement, en particulier les troubles du déficit de l'attention et les troubles du spectre autistique. Le rapporteur s'est alors emporté contre l'éducation nationale, qui n'avait pas été capable de fournir à la commission les chiffres de l'inclusion scolaire.

M. le président. Mon cher collègue, il faut que vous laissiez au secrétaire d'État le temps de vous répondre.

M. Guy Bricout. J'arrive à ma conclusion.

Les associations rappellent que l'inclusion sociale ne dépend pas uniquement du degré d'autonomie de la personne différente et de sa capacité à s'autodéterminer. Est-ce également l'avis du Gouvernement ? Comment peut-il répondre aux inquiétudes légitimes des familles et des associations ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État auprès de la ministre des solidarités et de la santé. Il y aurait beaucoup à répondre, monsieur le député, à un propos aussi long et riche : je ne pourrai pas tout dire en cinquante secondes.

Peut-être le savez-vous : comme député, il y a quelques mois encore, j'étais particulièrement investi sur ces questions ; je ne peux donc rester insensible ni indifférent à votre intervention.

Il n'y a nulle stigmatisation ni culpabilisation dans la politique inclusive du Gouvernement. Ce qui est en jeu, c'est bien la capacité de notre société à accueillir les personnes différentes en son sein. C'est tout le sens de l'expression « personne en situation de handicap » : il ne s'agit pas d'être politiquement correct, mais bien de signifier que c'est l'environnement qui est susceptible de placer la personne dans cette situation, et que c'est donc à lui d'évoluer pour l'accompagner – je reviendrai sur cette notion – dans le cadre du projet inclusif. Bref, ce n'est pas aux personnes handicapées de s'adapter, de se conformer à la norme...

M. le président. Nous devons tenir l'horaire, monsieur le secrétaire d'État.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État . C'est un peu difficile de répondre dans ces conditions, monsieur le président...

M. le président. Quelques secondes encore, alors.

M. Adrien Taquet, secrétaire d'État. L'enjeu, disais-je, n'est pas de demander aux personnes handicapées de s'adapter, mais bien de garantir le respect de leur singularité et de ne pas les exclure. C'est tout le sens du service public de l'école inclusive, auquel vous avez fait allusion : garantir des solutions de scolarisation adaptées aux enfants ayant des besoins particuliers, pour qu'ils puissent faire leur rentrée scolaire comme les autres.

Le Premier ministre et la secrétaire d'État chargée des personnes handicapées ont visité la semaine dernière une unité d'enseignement en élémentaire autisme. Dans ces structures installées au sein des établissements scolaires, les enfants – les parents le disent eux-mêmes – retrouvent de la sérénité ; ils empruntent à leur rythme les passerelles avec les classes de référence ; ils commencent à apprendre et à raconter leur journée.

Je conclurai en évoquant les territoires 100 % inclusifs – je suis désolé du caractère décousu de mon propos, mais c'est la longueur de votre question qui limite la durée de ma réponse et m'empêche d'être exhaustif. Je citerai simplement l'un des principaux attendus de l'appel à manifestation d'intérêt : « Quel que soit le lieu de vie de la personne, le lien social est préservé et son accès au droit commun, parce qu’il est accompagné, y est garanti. » J'insiste sur la notion d'accompagnement : nous souhaitons rendre les choses possibles en offrant toute la sérénité et la sécurité nécessaires – je sais, croyez-moi, combien elles sont essentielles dans un parcours de vie.

Trente territoires se sont engagés dans la démarche. Naturellement, la transition doit être elle aussi accompagnée : s'agissant de l'école inclusive, par exemple, nous avons prévu un comité national de suivi qui permettra d'échanger avec les parents, de parler avec eux de ce qui fonctionne bien ou moins bien, et d'ajuster ce qui doit l'être le cas échéant. Ce dialogue fertile et cette unité, nous, l'État, les associations et les collectivités, les devons à nos concitoyens en situation de handicap.