Emploi des forces de police pendant les manifestations
Question de : M. Pierre Dharréville (Provence-Alpes-Côte d'Azur - Gauche démocrate et républicaine)
M. Pierre Dharréville interroge M. le ministre d'État, ministre de l'intérieur, sur l'emploi des forces de police dans les opérations de sécurisation et de maintien de l'ordre pendant les manifestations. Le droit de revendiquer ses opinions et ses droits est inhérent au droit à la liberté d'expression. Le droit de manifester pacifiquement est l'une des traductions de l'exercice de ce droit. Dans ce cas, les forces de l'ordre veillent au bon déroulement de la manifestation et au maintien de l'ordre dans l'espace public. Depuis les quelques derniers mois, certaines manifestations sont devenues le théâtre de scènes de violences par des groupes venant utiliser les manifestations pour produire leurs actes de violence. Ainsi, le 1er mai 2018, un millier d'individus cagoulés et masqués, sans rapport avec les manifestants, ont pu se regrouper et s'équiper en avant du cortège du défilé et se livrer à des actes de vandalisme et de violence d'une ampleur rare. Comment expliquer, eu égard au dispositif policier déployé et à la notoriété de ce risque, que de tels événements aient pu se produire ? Certains témoignages tendent à laisser croire que les ordres d'interventions ne sont jamais venus pour empêcher le regroupement lorsque c'était possible. De plus, ce n'est pas la première fois que la présomption d'une utilisation à contre-emploi des forces de police, notamment en civil, se répand. Le dévouement des agents de la force publique est cependant reconnu au service de la République et ce sont donc principalement les instructions données qui sont interrogées. Les citoyens attendent toujours des explications. On voit, en effet, comment ces débordements peuvent être exploités contre le droit de manifester, contre les manifestants et leurs revendications. Au-delà des évidentes questions sécuritaires, l'emploi des forces de l'ordre est aussi une question de démocratie. Il lui demande de bien vouloir l'informer des initiatives qu'il envisage de prendre pour faire la lumière sur l'usage des forces de l'ordre le 1er mai 2018 et de communiquer les explications au développement de ces débordements. Il lui demande d'autre part, comment il escompte à l'avenir garantir aux citoyens le droit de manifester leurs opinions dans l'espace public en toute sérénité.
Réponse publiée le 6 novembre 2018
Le représentant de l'Etat à Paris a pour mission de garantir l'ordre et la sécurité des Parisiens. Il a aussi celle de garantir l'exercice des libertés publiques, en assurant notamment la sécurité des manifestants par un encadrement adapté permettant d'assurer la tenue des manifestations dans de bonnes conditions. La manifestation du 1er mai a été marquée cette année par des dégradations et des violences commises par des individus constitués en Black-bloc, dont la seule intention était de faire déraper le cortège traditionnel. 1 200 individus affiliés à cette mouvance se sont ainsi mêlés aux 20 000 manifestants et ont causé des troubles, essentiellement en marge de la manifestation. À l'issue de cette journée, le bilan dressé par les forces de l'ordre sur le plan humain s'élevait à 4 blessés très légers, dont un parmi les forces de l'ordre. S'agissant du bilan matériel, une trentaine de commerces ont été touchés dont 3 très sérieusement, 6 véhicules détruits et 10 dégradés. Du mobilier urbain a également été fortement dégradé. Un courrier du Préfet de Police indiquant les modalités d'indemnisation a été adressé aux victimes. Sur le plan judiciaire, 283 personnes ont été interpellées donnant lieu à 109 mesures de garde à vue, parmi lesquelles 47 ont été déférées devant l'autorité judiciaire. Le cadre juridique dans lequel cette manifestation s'est déroulée est défini par le code de la sécurité intérieure, aux articles L. 211-1 et suivants. Il repose sur un régime de déclaration préalable. A Paris, le ou les organisateurs doivent déclarer leur projet de manifestation sur la voie publique auprès du Préfet de police trois jours francs au moins avant la date de la manifestation. Le Préfet de police peut interdire une manifestation seulement si celle-ci « est de nature à troubler l'ordre public » et si les moyens dont il dispose sont insuffisants pour les prévenir. Ces conditions sont très strictement vérifiées par le juge administratif. La liberté de manifester est en effet une liberté fondamentale qui ne peut être restreinte que sous de très strictes conditions. Par ailleurs, il est à préciser que la violation de l'arrêté préfectoral interdisant une manifestation n'est sanctionnée que d'une simple contravention de 1ère classe, en vertu de l'article R. 610-5 du code pénal. De manière générale, la préfecture de police constate, ces dernières années, une dégradation de la physionomie des manifestations revendicatives, avec un basculement dans la violence lié à des activistes mobiles et très organisés n'appartenant pas au cortège officiel. Ces derniers utilisent les manifestations comme un vecteur d'opportunité pour commettre des violences et s'en prendre aux forces de l'ordre. Ces fauteurs de trouble se mêlent ainsi à un pré-cortège constitué de diverses composantes, la plupart non violentes, rendant particulièrement complexe leur maîtrise sans risques pour les manifestants pacifiques. Dans ces conditions, le premier facteur stratégique sur lequel repose l'action en matière de maintien de l'ordre est l'anticipation. À cet égard, le rôle joué par le renseignement est déterminant. Il permet notamment d'évaluer l'ampleur des menaces et d'adapter le dispositif opérationnel. De fait, le 1er mai, en raison des débordements pressentis, 1 500 policiers et gendarmes, la brigade de sapeurs-pompiers et des moyens nautiques avaient été mobilisés. Toujours dans une stratégie d'anticipation, la concertation avec les organisateurs permet de nouer une relation de confiance et de déceler une difficulté prévisible des organisateurs à assurer le bon ordre. Il convient à cet égard de rappeler qu'un itinéraire bis avait été proposé aux organisateurs de la manifestation du 1er mai. Le bon déroulement des manifestations passe aussi par le déploiement en amont de l'événement de mesures dites « de prévention situationnelle », c'est-à-dire l'information des commerçants situés sur l'itinéraire de la manifestation, l'enlèvement des véhicules, la neutralisation des conteneurs à verre et des éléments de chantier, la fermeture des stations de métro, etc. Le second aspect stratégique concerne l'aspect opérationnel et la posture des forces de l'ordre. En effet, depuis 2017, la stratégie de maintien de l'ordre public en manifestation a été adaptée avec pour objectif de réduire les tensions et d'éviter au maximum l'exposition des forces de l'ordre aux risques d'actions violentes. En effet, il ne peut être toléré qu'elles puissent représenter des cibles pour des extrémistes ne recherchant que l'affrontement pour exprimer une haine anti-institutionnelle. Dans ce cadre, des opérations de contrôle préventif sont mises en place en amont des manifestations. Elles visent à interpeller tous les possesseurs d'objets pouvant être assimilés à des armes par destination. Elles ont également pour objet de rechercher tous éléments matériels susceptibles d'être utilisés dans le cadre d'actions de type « black-bloc ». Les forces de l'ordre sont mobilisées pour prévenir tout incident et sont employées dans le cadre d'un schéma tactique permettant de contenir, d'orienter et de canaliser les manifestants tout au long de l'itinéraire, tout en disposant d'une capacité d'intervention rapide sur les groupes violents, en cas d'exactions et quand les circonstances le permettent. Sur l'aspect judiciaire, le recueil des preuves revêt une grande importance. Il permet en effet de qualifier les infractions de sorte que les enquêteurs et le parquet puissent disposer de dossiers solides leur permettant de mener des procédures efficaces. Le 1er mai, sur 109 gardes à vue, 47 personnes ont été déférées devant l'autorité judiciaire. Il convient pour conclure de préciser que chaque manifestation comporte ses spécificités. Il n'existe donc pas en matière de maintien de l'ordre de schéma préconçu que l'on puisse systématiser et les forces de l'ordre doivent faire preuve à la fois de facultés d'anticipation et d'adaptation.
Auteur : M. Pierre Dharréville (Provence-Alpes-Côte d'Azur - Gauche démocrate et républicaine)
Type de question : Question écrite
Rubrique : Ordre public
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Dates :
Question publiée le 29 mai 2018
Réponse publiée le 6 novembre 2018