État de droit et justice à Mayotte
Question de :
M. Mansour Kamardine
Mayotte (2e circonscription) - Les Républicains
M. Mansour Kamardine alerte Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, sur la situation et les attentes des mahorais en matière d'édification d'un véritable état de droit à Mayotte. Dans le 101ème département français, la justice demeure encore une institution reléguée. En effet, le développement de la société locale et son appétence pour une véritable démocratie justifient amplement, d'une part, la montée en puissance des moyens humains et matériels d'un tribunal administratif capable de faire face au développement exponentiel de l'activité juridictionnelle et d'autre part la création d'une cour d'appel de plein exercice pour rapprocher la justice du justiciable. De plus, à sa connaissance, Mayotte est la seule région de France où la justice n'est pas propriétaire de ses propres locaux. Ces considérations imposent, dans le but de construire un véritable état de droit, l'adoption d'un véritable plan de développement de la justice à Mayotte. C'est pourquoi il lui demande si elle envisage et selon quel calendrier : premièrement d'élever la chambre détachée de la cour d'appel de La Réunion à Mayotte en cour d'appel de plein exercice, deuxièmement de développer les moyens humains et matériels du tribunal administratif, troisièmement de construire un palais de justice à Mayotte et quatrièmement de créer des études d'huissiers et de notaires supplémentaires à Mayotte.
Réponse en séance, et publiée le 5 février 2020
SERVICE PUBLIC DE LA JUSTICE À MAYOTTE
Mme la présidente. La parole est à M. Mansour Kamardine, pour exposer sa question, n° 939, relative au service public de la justice à Mayotte.
M. Mansour Kamardine. Madame la garde des sceaux, la justice demeure, à Mayotte, une institution reléguée. Le développement de la société locale et son appétence pour une véritable démocratie nécessitent en effet amplement, d'une part, la montée en puissance des moyens humains et matériels d'un tribunal administratif capable de faire face au développement exponentiel de l'activité juridictionnelle et, d'autre part, la création d'une cour d'appel de plein exercice pour rapprocher la justice du justiciable. En outre, Mayotte est, à ma connaissance, la seule région de France où la justice n'est pas propriétaire de ses propres locaux.
Ces considérations imposent, dans le but de construire le véritable État de droit auquel tout citoyen aspire, y compris dans les collectivités d'outre-mer, l'adoption d'un véritable plan de développement de la justice à Mayotte, cent unième département français.
C'est pourquoi je vous demande très simplement si vous envisagez, et selon quel calendrier, premièrement de faire de la chambre détachée de la cour d'appel de La Réunion à Mayotte une cour d'appel de plein exercice, deuxièmement de développer les moyens humains et matériels du tribunal administratif par la création d'un tribunal administratif propre à Mayotte, troisièmement de construire un palais de justice sur l'archipel et quatrièmement d'y créer des études d'huissiers et de notaires, de façon à ce que les justiciables aient accès à leur juge, à leur huissier ou à leur notaire, lorsqu'ils ont besoin d'eux.
Vous savez sans doute mieux que moi que le Conseil constitutionnel a déclaré non conforme à la Constitution l'article 706-71 du code de procédure pénale. Vous le maintenez, dans une autre version, à Mayotte et refusez qu'il soit abrogé. Or, là comme partout ailleurs, nous avons besoin d'un État de droit.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. La justice à Mayotte et l'accès à la justice des Mahorais constituent pour nous une réelle préoccupation. Je me rendrai d'ailleurs très prochainement à Mayotte pour dialoguer avec les instances et les élus. Vous m'interrogez non pas sur un, mais sur quatre sujets relatifs à la justice.
M. Mansour Kamardine. C'est une question globale.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. C'est bien ainsi que je l'entends. Concernant tout d'abord la création de la cour d'appel, Mayotte est dotée, depuis 2011, d'une chambre d'appel détachée de la cour d'appel de Saint-Denis de La Réunion, installée à Mamoudzou. Elle a pleine compétence en matière civile et pénale et offre, pour cette raison, aux justiciables mahorais une justice d'appel de proximité et de qualité. Cette organisation me semble satisfaisante puisque le volume des affaires traitées chaque année par la chambre d'appel de Mayotte me paraît trop faible, par rapport aux cours existantes, pour envisager sa transformation en cour d'appel. À titre d'exemple, dans le domaine civil, le volume des affaires traitées en 2018 représente 22 % à 26 % de l'activité civile des plus petites cours d'appel existantes.
S'agissant du développement des moyens humains et matériels du tribunal administratif, à la fin de l'année 2019, seuls quatorze dossiers remontant à plus de deux ans restaient à traiter, soit 1 % du stock global de la juridiction. Le délai moyen constaté de jugement des affaires par le tribunal administratif est d'un peu plus d'un an. Il est inférieur, de près de trois mois, à la moyenne nationale des tribunaux administratifs. Les Mahorais bénéficient donc, me semble-t-il, d'une justice administrative de qualité. Néanmoins, le greffe sera renforcé par la création d'un poste supplémentaire. Un poste de magistrat sera également créé.
Concernant la construction d'un palais de justice à Mayotte, j'ai confié à l'Agence publique pour l'immobilier de la justice la réalisation d'études préalables pour la construction à Mamoudzou d'un nouveau palais de justice qui regroupera la chambre détachée de la cour d'appel, le tribunal judiciaire, le tribunal du travail et le tribunal mixte de commerce. Des recherches foncières pour la bonne réalisation du projet ont déjà été engagées.
Pour ce qui est de la création d'études d'huissiers de justice et de notaires à Mayotte, les bureaux annexes semblent la voie la plus pragmatique pour développer ce service public. Je précise que Mayotte a bénéficié très récemment de l'ouverture d'un bureau annexe attaché à un office de notaire de Saint-Pierre, de l'ouverture d'un bureau annexe attaché à un office d'huissier de justice de Saint-Denis, de l'ouverture d'un office de greffier de tribunal de commerce. Enfin, l'ouverture d'un bureau annexe supplémentaire attaché à un office d'huissier de justice de Saint-Denis est envisagée prochainement.
Mme la présidente. La parole est à M. Mansour Kamardine.
M. Mansour Kamardine. Vous comprendrez que je ne peux pas me satisfaire de votre réponse, madame la ministre. Je ne pense pas, en effet, que nous ayons la même appréhension du terrain. Vous avancez des chiffres alors que je vous parle de ce que je vis. Vous n'êtes pas sans savoir que quand un justiciable de Mayotte fait appel devant la chambre de l'instruction ou doit se rendre devant la cour d'assises d'appel, il est obligé d'aller à La Réunion, à ses frais. Je le vis en tant qu'avocat ; bien sûr, cela ne correspond pas forcément aux notes que l'on vous rédige.
Le temps nous est compté, alors je vous le dis franchement : je m'attendais de votre part à autre chose même si je sais bien que, dans la Macronie, il est très difficile d'obtenir des réponses satisfaisantes aux questions posées par l'opposition.
Les offices de notaires et d'huissiers auxquels vous faites allusion sont à La Réunion et donc, quand on cherche un huissier, il faut souvent attendre, à Mayotte, la semaine suivante car ils viennent par intermittence. Le tribunal administratif de Mayotte a un volume d'affaires à traiter beaucoup plus important que celui de La Réunion. Or les magistrats sont toujours à La Réunion et jamais à Mayotte. En effet, à Mayotte, ils subissent l'insécurité ; on ne peut pas les loger. Et il en va de même pour la cour d'appel. Avant la départementalisation, Mayotte disposait d'un tribunal supérieur d'appel, c'est-à-dire d'une cour d'appel complète. Nous sommes donc en pleine régression ! Et si le nombre de saisines diminue, c'est parce que les gens se découragent : ils n'ont pas de juge sous la main et ne veulent pas aller à La Réunion.
Pourquoi maintenir en vigueur à Mayotte l'article 884 du code de procédure pénale, alors que le Conseil constitutionnel l'a déclaré non conforme à la Constitution pour le reste du territoire national ? Tout simplement parce que vous ne voulez pas engager des moyens supplémentaires et nommer à Mayotte des magistrats au service de l'État de droit. Or, madame la garde des sceaux, nous avons besoin d'un État de droit à Mayotte.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Je répondrai d'autant plus brièvement que je ne souhaite pas vous contredire, monsieur le député. J'entends simplement préciser que la création d'un bureau annexe pour les huissiers comme pour les notaires remplit exactement les mêmes fonctions que la création d'un office. La réponse paraît donc ici tout à fait adaptée. En outre, si, en effet, la chambre de l'instruction est toujours à La Réunion, pour la cour d'appel, la visioconférence est un moyen qui peut toujours être employé pour répondre au souci que vous venez d'exposer. Enfin, je me rendrai moi-même à Mayotte où j'aurai le plaisir d'engager le dialogue avec vous et d'envisager concrètement la manière dont nous pouvons traiter tous ces sujets.
Auteur : M. Mansour Kamardine
Type de question : Question orale
Rubrique : Justice
Ministère interrogé : Justice
Ministère répondant : Justice
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 28 janvier 2020