Échec du plan Écophyto et sortie des pesticides
Question de :
Mme Delphine Batho
Deux-Sèvres (2e circonscription) - Non inscrit
Mme Delphine Batho interroge M. le Premier ministre sur l'échec du plan Écophyto et les mesures que le Gouvernement entend prendre pour protéger la santé publique et la biodiversité des pollutions par les pesticides. Les derniers chiffres publiés le 7 janvier 2020 par le ministère de l'agriculture attestent d'une augmentation de 25 % de l'utilisation des pesticides en dix ans et de 24 % pour la seule année 2018. Ces données confirment l'échec des plans Écophyto successifs dont l'objectif était la réduction de l'usage des pesticides de 50 % en 2018, échéance reportée à 2025 malgré l'importante quantité d'argent public (700 millions d'euros) consacrée depuis 2008. Alors que le Président de la République s'était engagé à ce que le glyphosate soit interdit en France au plus tard en novembre 2020, le Gouvernement a refusé d'inscrire l'interdiction du glyphosate dans la loi. À propos de l'échec des plans Écophyto, la ministre de la transition écologique et solidaire a récemment déclaré : « Il faut se rendre à l'évidence : la politique mise en œuvre depuis désormais plus de dix ans ne produit pas les résultats espérés, dans le secteur agricole. Ceci doit nous conduire à réinterroger, en profondeur, cette politique ». Il faut donc changer de stratégie et appliquer ce que demandait le rapport de l'IGAS en décembre 2017 : « Le degré de certitude d'ores et déjà acquis sur les effets des produits phytopharmaceutiques commande de prendre des mesures fortes et rapides sauf à engager la responsabilité des pouvoirs publics. Ces mesures doivent concerner tant la réduction de l'impact, sur les populations et l'environnement, que la réduction de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques, qui sont deux dimensions complémentaires de l'action publique dans ce domaine ». C'est pourquoi elle lui demande si le Gouvernement va, comme le demande l'IGAS, appliquer l'article L. 253-7 du code rural qui permet à l'autorité administrative de suspendre les autorisations de mise sur le marché de substances pouvant nuire de manière grave à la santé humaine, à commencer par les pesticides reconnus ou suspectés d'être cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques ou perturbateurs endocriniens. Elle lui demande également d'indiquer comment va se concrétiser juridiquement l'engagement du Président de la République d'interdire le glyphosate. Elle le prie de préciser également comment va être prise en considération l'alerte scientifique sur les fongicides SDHI. Enfin, plus largement, elle le prie de préciser devant la représentation nationale comment le Gouvernement entend appliquer le principe de précaution inscrit à l'article 5 de la Charte de l'environnement pour mettre fin à l'usage de toutes les substances qui comportent des risques pour la santé humaine et la biodiversité.
Réponse en séance, et publiée le 5 février 2020
RISQUES DES PESTICIDES POUR LA SANTÉ HUMAINE ET LA BIODIVERSITÉ
Mme la présidente. La parole est à Mme Delphine Batho, pour exposer sa question, n° 954, relative aux risques des pesticides pour la santé humaine et la biodiversité.
Mme Delphine Batho. Le ministre de l'agriculture et de l'alimentation n'est pas là. Mais j'espère tout de même obtenir une vraie réponse du Gouvernement.
La Cour des comptes a rendu public ce matin son référé en date du 27 novembre 2019, constatant l'échec total de la politique des plans Écophyto, c'est-à-dire de la politique menée par ce gouvernement comme les précédents pour réguler l'usage des pesticides. Malgré 400 millions injectés dans ces plans, l'utilisation de pesticides est en augmentation de 24 % pour la seule année 2019. S'agissant du glyphosate, le Gouvernement a enterré sa propre promesse de l'interdire ; s'agissant des fongicides SDHI – inhibiteurs de la succinate déshydrogénase –, au sujet desquels 450 scientifiques demandent l'application du principe de précaution, il fait la sourde oreille. Et il renonce à protéger les riverains victimes des épandages. En plus, comble du comble, alors que l'Assemblée nationale a voté, par l'article 83 de la loi du 30 octobre 2018, l'interdiction de la fabrication en France de certains pesticides, le sommet de l'État apporte son soutien au lobby des pesticides pour remettre en cause l'application de cette disposition.
On est aujourd'hui dans une urgence de santé publique, et dans une urgence totale pour la biodiversité et l'ensemble du vivant. Mes questions vont donc être extrêmement simples.
Oui ou non, le glyphosate va-t-il être interdit à la fin de cette année comme le Président de la République s'y était engagé ?
Oui ou non, le Gouvernement, qui en a le pouvoir, va-t-il suspendre l'autorisation de mise sur le marché des SDHI ?
Oui ou non, le Gouvernement va-t-il tirer les conséquences de l'échec complet des plans Écophyto en appliquant, enfin, l'article L. 253-7 du code rural qui permet à l'État de suspendre immédiatement l'utilisation de toute substance dangereuse ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur.
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État auprès du ministre de l'intérieur. Madame la députée, je vous prie d'excuser le ministre de l'agriculture et de l'alimentation, que je représente en l'occurrence pour répondre à vos questions sur le sujet crucial qu'est celui de la réduction des produits phytosanitaires.
Je tiens à rappeler que la politique du Gouvernement est claire : les enjeux de santé publique sont non négociables ; dès qu'un produit présente un risque pour l'homme, il est retiré du marché – nous avons ainsi décidé unilatéralement, en 2018 et en 2019, d'interdire le métam-sodium, l'époxiconazole, les néonicotinoïdes et les substances apparentées alors même que nos voisins européens continuent à les utiliser ; notre objectif est de réduire de 50 % les quantités de produits phytosanitaires en 2025 et de sortir du glyphosate pour une majorité d'usages d'ici la fin 2020.
Deux principes guident notre action : celui du respect de la science et celui de la transparence.
En ce qui concerne la science, je tiens à dire dans cet hémicycle qu'il est hautement regrettable que des parlementaires s'en prennent à l'ANSES, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, alors que son expertise et son niveau d'indépendance ne sont plus à prouver. Si les parlementaires ne font plus confiance à la science, ne savent plus distinguer les notions de risque et de danger, où allons-nous ?
Quant à la transparence, le Gouvernement s'est engagé à communiquer les données de vente pour 2019 dès le printemps 2020.
Pour ce qui est spécifiquement de vos questions, je vous informe que l'ANSES rendra prochainement, à la demande du Gouvernement, un avis concernant les substances les plus préoccupantes, et il sera évidemment étudié avec attention. S'agissant du glyphosate, les ministres Élisabeth Borne et Didier Guillaume sont mobilisés, aux côtés de l'ANSES et de l'INRAE – l'Institut national de recherche en agriculture, alimentation et environnement – pour procéder à une évaluation comparative, objectivée et robuste. L'ANSES précisera sur ce fondement, d'ici fin juin, les usages pour lesquels le glyphosate pourrait être interdit, en veillant à ne pas mettre les agriculteurs dans l'impasse, ni techniquement ni économiquement.
En conclusion, je sais que, pour certains, tous les moyens sont bons pour interdire tous les produits phytosanitaires – c'est le cas lorsque des maires imposent des zones de non-traitement de 150 mètres autour des habitations, mais aussi s'agissant du SDHI ou du glyphosate. Il ne s'agit pas d'aller du jour au lendemain vers le zéro pesticide : faut-il rappeler que près de 25 % de la quantité totale de substances actives est constituée de produits dits naturels, utilisables en agriculture biologique ? Le Président de la République a dit que notre agriculture était une agriculture d'excellence, qui doit certes bouger, mais également être défendue haut et fort.
Mme la présidente. La parole est à Mme Delphine Batho.
Mme Delphine Batho. Les agriculteurs sont eux aussi victimes de ces produits, qui affectent leur santé. À écouter votre réponse, on peut se dire que, malheureusement, le lobby des pesticides a de beaux jours devant lui ! Vous direz au ministre de l'agriculture de réviser ses fiches puisque, par exemple, en ce qui concerne les néonicotinoïdes, ce n'est pas ce gouvernement qui les a interdits mais le Parlement, à l'encontre d'un exécutif qui ne voulait rien faire. Il en est de même s'agissant de la science : je rappelle que le Centre international de recherche sur le cancer, dépendant de l'Organisation mondiale de la santé, a classé le glyphosate comme cancérogène probable, et qu'il n'appartient ni au gouvernement français ni à l'ANSES de s'asseoir sur une décision du CIRC et de l'OMS. En tout cas, hélas, chacun aura compris le sens de votre réponse : tout continue comme avant et la santé publique demeure secondaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe FI.)
M. Laurent Nunez, secrétaire d'État. Mais non !
Auteur : Mme Delphine Batho
Type de question : Question orale
Rubrique : Produits dangereux
Ministère interrogé : Premier ministre
Ministère répondant : Agriculture et alimentation
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 28 janvier 2020