• M. Luc Carvounas
    Date : jeudi 13 février 2020
    Cible : Sur l'Article 10

    L’article 10 du projet de loi porté par le Gouvernement prévoit la mise en œuvre d’un « âge d’équilibre » à partir duquel les assurés pourront partir à la retraite à taux plein. Autour de cette « référence collective », s’articulera un mécanisme de bonus/malus qui impactera le montant des pensions.

    Le Gouvernement ne cache pas l’objectif de cette disposition : inciter les Françaises et les Français à travailler plus longtemps. Cette mesure centrale du projet de loi entre pourtant en contradiction avec la réalité du monde de l’emploi, et ce à plusieurs égards. 

    Dans un rapport publié en 2018, France Stratégie rappelait que le taux d’emploi des 60-64 ans n’atteignait que 30%en France tandis qu’il grimpait à plus de 42% en moyenne dans l’Union européenne. Pour la tranche d’âge 55-64 ans, ce taux n’était que de 56% contre 63% en moyenne dans les pays de l’OCDE. 

    De multiples causes expliquent le faible taux d’emploi des plus de 55 ans dans notre pays. Bien loin de idées reçues, on constate que seules 29% des personnes de 60 ans en situation de non-emploi touchent une pension de retraite. 

    Les séniors sont ainsi davantage confrontés aux situations de chômage de longue durée que le reste de la population. En 2018, 60,2% des personnes sans emploi de plus de 55 ans l’étaient depuis plus d’un an contre 41,8% pour l’ensemble des catégories actives selon les chiffres du Ministère du Travail.  

    Il apparait aussi clairement que le Gouvernement, dans son projet de loi, a omis une pluralité de facteurs et d’indicateurs qui pèsent sur les capacités d’emploi des plus âgés et, de ce fait, occulté une part substantielle de la réalité du monde du travail. Plus largement, l’idée d’instaurer un « âge d’équilibre » pose la question du modèle de société que nous souhaitons collectivement. 

    Ainsi, alors que France se distingue par un taux d’espérance de vie en bonne santé bien plus faible que dans le reste de l’Europe, il conviendrait davantage de porter un véritable projet progressiste, qui inclurait les plus fragiles au marché du travail plutôt que de les exposer à une précarité toujours plus grande, qui prendrait à bras-le-corps la problématique de la souffrance au travail plutôt que de contraindre les Françaises et les Français à travailler toujours plus longtemps dans des conditions parfois inacceptables.

    Afficher la page de la contribution
  • M. Luc Carvounas
    Date : jeudi 13 février 2020
    Cible : Sur l'Article 44

    Le Gouvernement a inscrit dans son projet de loi de réforme du système de retraite un « objectif de solidarité » passant notamment par la résorption des écarts de pension entre les femmes et les hommes mais également par une meilleure indemnisation des périodes d’interruption de l’activité professionnelle.

    Les inégalités de salaire entre genres continuent d’être importantes en France. Selon l’Observatoire des inégalités, les hommes touchent, pour un temps complet, 22,8% de salaire de plus que les femmes. Ces dernières continuent de gagner 21% de moins que leurs homologues masculins chez les 10% de la population les mieux rémunérés tandis que l’écart reste de 7% chez les 10% les moins bien rémunérés.

    A poste égal, il demeure un écart de salaire d’environ 10,5% entre hommes et femmes. Il convient par ailleurs de rappeler que ces dernières occupent bien plus souvent un emploi à temps partiel (près de 30%) que ne le font les hommes (environ 8%).

    Enfin, les femmes apparaissent davantage sujettes aux carrières hachées : 55% d’entre-elles arrêtent de travailler ou réduisent leur temps de travail au-delà de leur congé de maternité pour s’occuper de leur enfant contre seulement un homme sur dix selon les chiffres publiés en 2013 par l’INSEE. 

    Ces inégalités tout au long de la carrière ont un effet direct sur le niveau de retraite des femmes. De fait, bien que celles-ci cessent leur activité en moyenne un an après les hommes, leur pension de droit direct leur reste inférieure de 42%. On estime ainsi à environ 37% la part de femmes retraitées touchant moins de 1000 euros de pension brute de droit direct contre seulement 15% des hommes. 

    La réforme du système de retraite voulue par le Gouvernement aurait pu être l’occasion de mettre un terme à ces inégalités. Pourtant, il n’en est rien. Pire encore, il semble que les nouvelles modalités de détermination du montant des pensions pénaliseront davantage la plupart des femmes, en particulier les mères.

    Comme l’a démontré l’Institut de la Protection Sociale dans un rapport publié en novembre 2019, l’instauration d’un âge d’équilibre à 64 ans pénalisera durablement les mères d’un ou deux enfants. De fait, si ces dernières souhaitent liquider leur pension, comme actuellement, à l’âge de 62 ans, elles devront subir une décote de 10% qui « annihilera largement la majoration de 5% par enfant ».

    Afficher la page de la contribution
  • M. Luc Carvounas
    Date : jeudi 13 février 2020
    Cible : Sur l'Article 55

    L’article 55 du projet de loi portant réforme du système de retraite instaure une « règle d’or » imposant l’équilibre financier à horizon de cinq ans dès l’année 2025. Cette disposition en apparence anodine aura de lourdes conséquences sur la durée de travail des assurés et impactera durablement le montant de leur pension.

    Le Président de la République lui-même promettait en 2017, à la douzième page de son programme, de ne toucher ni « à l’âge de départ à la retraite » ni « au niveau des pensions ». Une fois au pouvoir, ce dernier rappelait par ailleurs sa préférence pour une réforme systémique – modifiant les modalités du système – à une réforme paramétrique – incluant des éléments purement budgétaires pour réduire à tout prix les coûts.  

    Quelques mois plus tard, alors que le texte gouvernemental a été officiellement remis au Parlement, ces promesses semblent toutes oubliées.

    S’est ainsi révélé un vaste projet de remise en cause des acquis du modèle de retraite existant à la faveur d’un nouveau système uniquement guidé par des préoccupations budgétaires.

    La mise en œuvre d’une « règle d’or » interdisant tout déficit sur une période glissante de cinq ans est l’un des éléments du projet de loi illustrant avec le plus de fidélité la prédominance des intérêts financiers au sein du nouveau système.

    Effet direct de la réforme : la baisse de la part de la dépense publique consacrée aux pensions de retraites attendue dès les premières années de mise en œuvre du nouveau système. Selon l’étude d’impact fournie par le Gouvernement, cette part passerait sous les 13% du produit intérieur brut (PIB) dès 2050 (contre 13,8% aujourd’hui) alors même que le nombre de bénéficiaires d’une pension de retraite est en constante augmentation. 

    Les assurés seront les premières victimes de cette réforme financière. Car tout semble permis pour assurer l’équilibre budgétaire du système. Ainsi, outre l’allongement du temps de travail, le montant des pensions lui-même apparait comme une variable d’ajustement.

    Comme l’illustre l’exemple suédois, il est à craindre que le nouveau système par point, de par la place centrale qu’il accorde aux éléments financiers, entrainera inévitablement une baisse du montant de la retraite des Françaises et des Français.

    Afficher la page de la contribution
  • M. Luc Carvounas
    Date : jeudi 13 février 2020
    Cible : Sur l'ensemble du texte

    Par ce Projet de Loi, le Gouvernement prétend mener une réforme juste et nécessaire. Elle est en réalité injuste et discutable.
    En effet, le Conseil d’Orientation des Retraites a démontré dans un récent rapport que notre système actuel de retraite reviendrait à l’équilibre financier en 2025. De plus, avec ce système, la France demeure le pays européen au plus faible taux de pauvreté des retraités, quand l’Allemagne et la Suède – pourtant tant vantées par le Gouvernement – sont les deux pays où le taux de pauvreté des retraités sont les plus forts. 

    Aussi, comment prétendre que l’universalité du nouveau système proposé irait vers davantage de justice ? La réalité des faits démontre le contraire, notamment lorsque l’on souligne qu’il y’a 13 années d’écart d’espérance de vie entre les 5% des Français les plus riches et les 5% des Français les moins aisés. 

    Relevons aussi la détermination du Gouvernement à faire travailler les Français plus longtemps. En réalité, cette mesure reviendra à baisser les pensions, puisque seule une personne sur deux est employée entre 55 et 64, et seulement 30% des 60-64 ans détiennent un emploi en France. 

    Au sujet des régimes spéciaux, rappelons que cela ne concerne que 9 milliards d’euros sur un budget global retraites de 300 milliards d’euros.

    Malgré cela, le Gouvernement n’a de cesse d’opposer les Français les uns aux autres. Pourtant, il s’agit bien souvent de nos services publics et des conditions de vie digne que nous souhaitons pour leurs agents. 

    Sans réforme paramétrique, le Gouvernement pronostique un déficit supplémentaire de 8 à 17 milliards d’euros. Ces sommes sont pourtant à placer en balance avec les choix politiques budgétaires de la Majorité et du Président de la République depuis 2017 : suppression de l’ISF qui coûte 4 milliards d’euros par an au budget de la Nation, mesures sociales non compensées dans le budget de la Sécurité sociale suite au mouvement des Gilets Jaunes…

    Même la suppression de la Taxe d’habitation – 28 milliards d’euros par an en moins pour le budget de l’État – censée redonner du pouvoir d’achat aux Français risque donc d’être compensée par une baisse des pensions de retraites. 

    On peut d’ailleurs regretter fortement l’absence de simulateur crédible pour permettre aux usagers de calculer leur future retraite sur la base de ce nouveau système à points. Les différents éléments paramétriques de cette réforme apparaissent donc comme un outil permettant d’ajuster à terme le montant des pensions. Sur ce point, on peut s’inquiéter de la possible tentation pour les pouvoirs publics d’utiliser le système de retraite comme une variable d’ajustement pour  lutter contre le déficit public.

    Par ailleurs, cette incertitude permanente sur le niveau des pensions impactera directement les assurés qui ne pourront pas anticiper à l’avance le montant de leur retraite.

    Ces inquiétudes ne sont pas de vaines spéculations. En effet, la Suède, qui a adopté une réforme similaire de son système de retraite il y a vingt ans, est un exemple éclairant pour mettre en lumière les dangers d’un tel modèle de détermination des pensions.

    Ainsi, après la crise financière de 2008, le montant des pensions a fortement baissé : -3% en 2010, -4% en 2011. Plus largement, l’instauration d’objectifs budgétaires a conduit à une baisse du montant des retraites pour 92% des femmes et 72% des hommes. 

    Face à la dureté du système, les séniors doivent travailler toujours plus longtemps pour s’assurer un revenu digne. Aujourd’hui, 38% des Suédois de plus de 67 ans perçoivent toujours un salaire contre 18% en 2000. Le taux de pauvreté des retraités, quant à lui, culminait à 14,7% en 2017.

    Pourtant, une autre réforme des retraites est possible. 

    Avec la Plateforme commune des forces de Gauche et des Écologistes, nous publions des propositions qui garantiraient une réforme juste et efficace : améliorer le système par répartition ; garantir un droit à la retraite en bonne santé pour toutes et tous ; instaurer une règle d’or qui garantisse la parité du niveau de vie entre les retraités et les travailleurs, dans le public comme dans le privé ; prendre en compte plus encore la pénibilité ; assurer une retraite minimum au niveau du SMIC ; réaliser l’égalité salariale entre les femmes et les hommes. 

    Compte tenu de l’ensemble de ces éléments non exhaustifs, je voterai bien évidemment contre cette réforme qui nous est proposée par le Président de la République et sa Majorité.

    Afficher la page de la contribution
  • Malgré l’instauration du dispositif Bloctel, le démarchage téléphonique et les appels frauduleux continuent de toucher très largement les Français. De toute évidence, notre arsenal juridique doit être renforcé et c’est tout l’objet de cette proposition de loi dont je tiens à saluer les avancées.

    I.         Un texte qui répond à des agissements inadmissibles et justement dénoncés par nos territoires

    Dans ma circonscription de Lot-et-Garonne, comme ailleurs en France, nous sommes nombreux à dénoncer ces agissements inacceptables. Je pense, par exemple, à la motion adoptée le 11 décembre 2019 par le conseil municipal de la commune de Grezet Cavagnan, mais aussi à celle de début janvier 2020 du Conseil départemental de Lot-et-Garonne. De plus, nos territoires ruraux (comme le Lot-et-Garonne), où résident de nombreuses personnes âgées, sont les premiers concernés. Selon les chiffres de l’enquête de l’association UFC-Que Choisir de 2017, chaque foyer est démarché téléphoniquement 4 fois par semaine en moyenne (47 % indiquant l’être presque tous les jours). Ce chiffre montre à 4,4 fois par semaine pour les individus âgés de plus de 65 ans.

    Par ailleurs, au-delà de l’exaspération que suscitent ces appels, on fait également face à des cas de fraude. S’il faut bien distinguer le démarchage téléphonique des appels frauduleux, ces derniers sont également concernés par le champ du présent texte. Ainsi, en 2018 en Nouvelle-Aquitaine notamment, des habitants de Poitiers et de ses alentours avaient alerté la région car ils recevaient des appels intempestifs proposant des travaux d’amélioration énergétique pour un euro. Les structures qui les contactaient se faisaient passer pour des agences soutenues par la région.

    II.       Un texte qui renforce le dispositif Bloctel tout en évitant des mesures caricaturales

    Prenant acte des limites du dispositif Bloctel et des normes régulant ces pratiques, la proposition de loi de mon collègue M. Naegelen prévoit notamment d’aggraver les peines prévues en cas de démarchage d’une personne inscrite sur la liste d’opposition au démarchage téléphonique (passage de 15 000 à 75 000 euros d’amende pour une personne physique et de 75 000 à 375 000 euros d’amende pour une personne morale). Cette aggravation permettra indéniablement de mieux faire respecter la volonté du consommateur.

    L’article 6 du texte prévoit aussi des mesures essentielles pour mieux protéger les consommateurs des appels frauduleux. Parmi elles, on peut citer l’aggravation des sanctions mais aussi des mesures relatives aux opérateurs pour la suspension des numéros à valeur ajoutée exploités frauduleusement. Enfin, je salue un amendement du rapporteur adopté en séance et relatif au dépôt de signalement par les victimes : celui-ci vise à renforcer la fiabilité du signalement en l’encadrant, sans imposer des procédures complexes qui décourageraient les victimes ; il permet ainsi de fixer les modalités de signalement par simple arrêté, sans passer par des réglementations excessives (comme c’était prévu dans une version précédente). En outre, cet amendement est représentatif de l’esprit de ce texte : éviter les mesures caricaturales en apportant des réponses souples et efficaces.

    III.     Un texte qui appelle un suivi efficace pour éviter les écueils de la loi de 2014  

    L’instauration du dispositif Bloctel dès 2016 avait des objectifs ambitieux. Pourtant, l’expérience, ainsi qu’une enquête de l’UFC-Que Choisir, ont démontré que les débuts de Bloctel n’avaient pas été concluants. En effet, à la date de l’enquête –huit mois après le lancement - la majorité des sondés (82 %), soulignaient que le nombre d’appels de démarchage reçus n’avait pas ou trop peu baissé. Selon la même enquête, l’échec de Bloctel était dû avant tout à la faiblesse des sanctions et au fait que trop peu de réclamations avaient abouti.

    Ainsi, la simple modification du cadre législatif ne suffit pas : aussi performantes puissent-être les mesures du présent texte, elles ne pourront avoir un impact que si le suivi de cette loi est pleinement assuré. A cet égard, je me félicite de la mesure prévue par l’article 2 modifié ainsi que l’amendement déposé en séance par le groupe LaREM via le responsable de texte M. Nicolas Démoulin. L’article 2 prévoit, en effet, une transmission pour évaluation des données d’activités liées au dispositif Bloctel. L’amendement du groupe LaREM complète cela en ajoutant qu’un rapport d’activité annuel de l’organisme gérant la liste d’opposition sera rendu public sur internet. Cela permettra aux citoyens (comme aux parlementaires) d’être mieux informés et, en cas de non satisfaction des dispositions du présent texte sur Bloctel, de proposer de nouvelles améliorations.

    Afficher la page de la contribution
  •             Raphael GERARD salue le dépôt de la proposition de loi n°2587 visant à protéger les victimes de violences conjugales, qui témoigne du souci porté par le législateur quant à l’amélioration du cadre législatif existant afin de mieux prévenir et mieux sanctionner les violences au sein des couples.

                Pour autant, considérant que la proposition de loi se présente comme le résultat législatif des travaux de concertation engagés dans le cadre du Grenelle des Violences Conjugales, il regrette que celle-ci associe, dans son exposé sommaire, les violences commises au sein des couples à la seule réalité des violences faites aux femmes. Sans remettre en question les statistiques du ministère de l’intérieur - près de 81% des morts violentes au sein du couple concernent des femmes - qui attestent de la nécessité de mieux combattre les féminicides dans la sphère intrafamiliale, il convient de rappeler que 375 000 personnes subissent des violences physiques ou sexuelles au sein du ménage, indépendamment de leur sexe ou de leur orientation sexuelle, d’après l’enquête de victimation « Cadre de vie et Sécurité » publiée chaque année par l’Observatoire de la délinquance et de la réponse pénale

                Les réunions publiques organisées en région, dans le cadre du Grenelle, ont permis d’identifier des défaillances de la part de l’Etat dans la prise en charge des hommes victimes de violences ou des victimes au sein des couples de même sexe. Ce constat est documenté par les études sociologiques de François Bonnet qui montrent comment la théorisation des violences conjugales comme « violences contre les femmes », aussi bien dans la littérature scientifique que dans la statistique publique et dans les politiques publiques en France contribue à freiner la prise en charge adéquate de ces victimes.

                Dans ce contexte, il eût été opportun que le législateur se saisisse du véhicule à sa disposition pour traduire dans le corps de la proposition de loi des recommandations formulées par les groupes de travail du Grenelle des Violences conjugales visant, d’une part, à « sensibiliser l’ensemble des acteurs et identifier des réponses adaptées à la situation des hommes victimes de violences au sein du couple » ou d’autre part, à « mettre en œuvre une formation adaptée des forces de l’ordre pour permettre un accueil bienveillant des victimes et des associations d’aide aux victimes afin de les sensibiliser sur les spécificités dont les personnes LGBT sont victimes ».

                Si les dispositions relatives à la formation de chacune des professions concernées relèvent en grande partie de la compétence du pouvoir réglementaire, l’obligation de formation des professionnels concernés aux violences conjugales relève de la loi. Aussi, il eût été pertinent de garantir la neutralité et l’inclusivité de la loi en réintroduisant à l’article 21 de la n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants la notion de « violences commises au sein des couples » afin de sensibiliser l’ensemble des professions concernées à la pluricontextualité des violences au sein du couple qui ne se superposent toujours aux enjeux de lutte contre les violences faites aux femmes.

     Une demande de rapport, dans une logique d’évaluation des politiques publiques, aurait pu ouvrir un espace de dialogue et de concertation pour que les services de l’Etat et l’ensemble des acteurs impliqués dans la prise en charge des victimes de violences conjugales s’interrogent sur la manière de mettre une œuvre une politique publique plus inclusive de l’ensemble des réalités des violences commises au sein des couples.

        Enfin, la proposition de loi aurait également pu permettre de poser les bases légales à des expérimentations permettant d’adapter les dispositifs d’accompagnement et de prise en charge des victimes qui échappent aujourd’hui à l’imaginaire social sexué autour des violences conjugales.

                En conclusion, Raphael GERARD affirme que la protection de toutes les victimes de violences conjugales passe, en premier lieu, par une libération de l’écoute des institutions.

    Afficher la page de la contribution
  • Membre du groupe de travail parlementaire sur le Grenelle des violences conjugales, je tiens à saluer l’excellent travail mené par ma collègue Mme Bérangère Couillard dans le cadre de l’élaboration de la proposition de loi visant à protéger les victimes de violences conjugales. Je souhaiterais néanmoins apporter plusieurs observations sur ce texte.

     

    I. Un texte nécessaire qui complète l’arsenal juridique pour défendre les victimes

    La présente proposition de loi est un texte à la fois attendu et nécessaire. Elle s’inscrit dans la lignée des préconisations du Grenelle des violences conjugales, lancé par le Gouvernement le 3 septembre 2019. Ce texte fait également écho aux importantes mesures votées dans le cadre de la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences conjugales au sein de la famille dont je salue notamment les dispositions relatives à la suspension de l’exercice de l’autorité parentale en cas de poursuite ou de condamnation pour crime vis-à-vis du conjoint.

    Le texte de ma collègue Mme Bérangère Couillard comporte des avancées tout aussi conséquentes que celles de la loi du 28 décembre 2019. A titre d’exemple, j’en citerai trois :

    - L’interdiction des médiations familiales dans le cadre des articles 255 et 373-2-10 du code civil et des médiations pénales dans le cadre de l’article 41-1 du code de procédure pénale en cas de violences conjugales. De nombreuses associations soutenant les victimes ont souligné les conséquences négatives de ces mécanismes et la proposition de loi vient corriger cela.

    - La décharge d’obligation alimentaire des descendants vis-à-vis du parent coupable de meurtre, d’assassinat, d’empoisonnement, de violences ayant entraîné la mort ou de tentatives de l’un de ces crimes. Rien ne justifie l’existence d’une telle obligation et j’espère voir cette mesure adoptée en lecture définitive.

    - Le renforcement des sanctions en cas de harcèlement moral au sein du couple, à travers la modification de l’article 222-33-2-1 du code pénal, avec une aggravation des peines qui seront notamment portées à 10 ans de prison et 150 000 euros d’amende si les faits ont conduit la victime à se suicider ou à tenter de le faire.

     

    II.  Des mesures sur la prévention des violences par l’éducation qui ne sont pas dans ce texte

    Je soutiens qu’il eut été utile d’inclure dans le texte des mesures sur la prévention des violences par l’éducation. Le monde éducatif a vocation à jouer un rôle clé pour prévenir les futures violences conjugales mais aussi pour les détecter. Cette thématique a d’ailleurs été l’un des volets majeurs des Grenelles des régions qui ont inspiré la proposition de loi (la journée de travail de la Nouvelle-Aquitaine y a ainsi été entièrement consacrée).

    Les règles de recevabilité des amendements à l’Assemblée nationale empêchent d’amender le texte pour y inclure de telles mesures car celles-ci ne présenteraient pas de lien direct avec les articles de la proposition de loi. L’unique partie du texte se rapprochant de cette thématique est le chapitre VIII relatif à la protection des mineurs et contient un article pour protéger les mineurs de la pornographie. Il n’est donc pas possible d’amender le texte pour y ajouter des mesures propres à l’éducation. Dans le même temps, l’existence même de cet article montre l’importance accordée par les auteurs du texte à la prévention des violences conjugales et sexistes chez les plus jeunes.

    En outre, les violences conjugales ont indéniablement un très fort impact sur l’enfant et l’école a un rôle moteur à jouer pour lutter contre ce fléau. Cela appelle, me semble-t-il, à des réponses législatives et réglementaires - par exemple, à travers le renforcement des campagnes de sensibilisation déjà prévues à l’article L 312-17-1 du code de l’éducation ou encore via l’adoption de mesures sur la formation dans les INSPE, visée à l’article L 721-2 du même code, pour toujours mieux armer nos professeurs face aux violences conjugales.

    Afficher la page de la contribution
  • La proposition de loi sur la lutte contre les contenus haineux sur internet constitue un cas d’école de ce que le législateur se doit d’éviter quand il accomplit sa mission.

    C’est en effet l’exemple même d’un projet aux intentions louables, dont il ne viendrait à personne l’idée de contester la finalité, mais dont la mise en œuvre contient en germe un certain nombre d’effets pervers qui, non seulement rendront le dispositif inefficace, mais en plus risquent de porter atteinte à nos libertés fondamentales, et en particulier à celle d’expression.

    Par ailleurs, les conditions dans lesquelles s’est déroulé le travail parlementaire participent d’un déséquilibre malheureusement récurrent entre l’exécutif et le législatif, au détriment évident de ce dernier.

    Mes objections porteront à la fois sur le fond et la forme.

    Sur le fond tout d’abord :

    Ce dispositif confie à des organismes privés étrangers, les GAFA, une mission de « gendarmes de l’internet ». Alors que par ailleurs, le législateur manifeste sa volonté de limiter l’hégémonie des grands réseaux sociaux, il est ici donné à ces derniers le moyen de renforcer leur pouvoir économique, a contrario de nos intérêts nationaux et européens, et de décider seuls, en l’absence du juge, de ce qui peut ou non se dire sur Internet.  

    Le montant des amendes que les GAFA encourent, en cas de défaillances dans leur activité de contrôle, les encourage à une modération excessive, entraînant un risque de sur-censure, notamment de ce que l’on appelle les contenus gris, plus difficiles à caractériser. Le recours à des algorithmes, mis en place afin de permettre une modération plus rapide et moins coûteuse, ne fera qu’accentuer ce risque.

    Sur la forme ensuite :

    Cette PPL prend appui sur un rapport mais n’a été étayée par aucune étude d’impact. Alors que ce dispositif a, dès le départ, suscité une levée de boucliers de la part de parlementaires très au fait des sujets numériques, d’associations du numérique, du CNB, de la CNIL, du Conseil national du Numérique, de l’Union européenne…, le gouvernement est resté sourd à des arguments pourtant convergents.

    Les tâtonnements se sont succédé : sur le harcèlement sexuel par exemple, d’abord taxé de cavalier législatif par le gouvernement puis réintégré à la faveur d’un sous-amendement de la rapporteure, contrairement à l’avis de l’Union européenne, ou sur le harcèlement scolaire, autant de difficultés pour délimiter le champ couvert par le dispositif.  Les réécritures successives aussi, preuves, s’il en était, que la rédaction n’avait pas été mûrement travaillée en amont.

    Pire encore, le recours à la procédure d’urgence a limité de façon drastique le temps et le débat parlementaires sur un sujet pourtant particulièrement complexe.

    Enfin, que dire du dépôt, en catastrophe et en seconde et définitive lecture, d’un amendement du gouvernement, non discuté en commission, portant sur le terrorisme et la pédo-criminalité. S’il est un sujet dont il aurait fallu débattre pendant des mois, en multipliant les auditions, pour prétendre respecter nos principes démocratiques, c’est bien celui du terrorisme. Il avait été abordé lors des discussions au Sénat. Pourquoi attendre le dernier jour pour faire voter un tel amendement, à la sauvette. Amateurisme ou mise de côté délibérée du parlement ? La question mérite d’être posée.

    Pour ces nombreuses raisons, et dans un souci de cohérence avec mes convictions profondes, je ne voterai pas cette proposition de loi. Considérant les débats suscités à l’intérieur et à l’extérieur des deux Chambres, je demande au gouvernement de déférer la loi sur la lutte contre les contenus haineux sur Internet au Conseil constitutionnel, afin que ce dernier puisse en évaluer la constitutionnalité.

    Afficher la page de la contribution
  • La lutte contre les discours haineux sur Internet ne peut être effective sans responsabiliser les plateformes.

    La proposition de loi relative à la lutte contre la haine sur Internet comprend un dispositif complet qui protège les citoyens contre toutes les formes de haine ou de discrimination, notamment en y intégrant la notion « d’atteinte à la dignité de la personne humaine » suite à mon amendement en commission en première lecture.

    Cet amendement a été suggéré par l’Association pour la Recherche et l’Archivage de la Mémoire Arménienne (ARAM). Le concept de « dignité de la personne humaine » est un principe à valeur constitutionnelle suite à la décision dite « Bioéthique » du 27 juillet 1994 formulée par le Conseil constitutionnel.

    Dans une décision d’octobre 1995, le Conseil d’État rappelle que « le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l’ordre public ».

    Une insatisfaction demeure : l’expression du négationnisme sur Internet est encore tolérée par le principe constitutionnel de liberté d’expression.

    La réalité historique du Génocide des Arméniens de 1915 est régulièrement remise en cause sur Internet par des individus profitant de l’anonymat que procure Internet.

    La négation et l’apologie des crimes de guerre et de crimes contre l’humanité est un combat commun pour nos démocraties. Néanmoins, faut-il encore qu’une juridiction internationale ait acté que des crimes de génocide ont bien été commis à une époque donnée. Ce fut le cas pour la reconnaissance de la Shoah, mais pas pour le Génocide des Arméniens.

    Rappelons ce qui a été réalisé par le législateur en France. Le 29 mai 1998, l’Assemblée nationale adoptait le principe suivant : « La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915 ».

    Ce principe devenait officiellement une loi de la République avec la loi n° 2001‑70 du 29 janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide des Arméniens de 1915.

    Or, à l’heure actuelle, il y a une incohérence dans le dispositif juridique français : si la négation de la Shoah est pénalisée, il n’existe aucun moyen pour pénaliser la négation des autres crimes contre l’humanité et des crimes de génocide dont celui des Arméniens.

    -Par une loi du 23 janvier 2012 réprimant la contestation de l’existence de tous les génocides reconnus par la loi, le législateur a prévu des sanctions pénales à l’encontre de ceux qui contesteraient ou minimiseraient de façon outrancière l’existence d’un crime de génocide défini par l’article 211‑1 du code pénal et reconnu comme tel par la loi française. Or, le Conseil constitutionnel, par une décision du 28 janvier 2012 a censuré cette loi qui portait selon lui une atteinte à l’exercice de la liberté d’expression et de communication.

    -Par une loi du 27 janvier 2017, Egalité et citoyenneté, le législateur a voulu élargir une nouvelle fois l’incrimination du négationnisme. Cette loi permettait d’incriminer la négation du génocide arménien à partir de deux hypothèses :

    -d’une part lorsqu’elle a donné lieu à une condamnation prononcée par une juridiction française ou internationale ;

    -d’autre part lorsqu’elle a constitué une incitation à la violence ou à la haine à l’égard d’un groupe de personnes ou d’un membre d’un tel groupe défini par référence à la prétendue race, la couleur, la religion, l’ascendance ou l’origine nationale.

    Même si le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé sur la première hypothèse de négationnisme, il a censuré le texte au motif de la seconde hypothèse.

    Rappelons que la qualification de génocide concernant les crimes subis par la population arménienne en 1915 et 1916 dans l’Empire ottoman et qui conduisit près d’1,5 millions de femmes, d’hommes et d’enfants à la mort ne fait l’objet d’aucune discussion par la communauté historique et scientifique.

    Et pour cause, Raphaël Lemkin, juriste à l’origine du concept juridique de génocide a rappelé dès 1943 que la nécessité de créer une telle qualification juridique était justifiée pour caractériser les massacres des Arméniens de 1915 à 1923.

    L’ouvrage récent de l’historien turc Taner Akçam, Ordres de tuer (CRNS Editions, 2020, 324 p.), établit enfin l’authenticité des ordres des autorités ottomanes pour la déportation et l’annihilation des Arméniens de l’empire dès 1915.

    Afficher la page de la contribution