Question écrite n° 300 :
Lutte contre le trafic et la consommation de drogues en milieu carcéral.

16e Législature

Question de : M. Hubert Wulfranc
Seine-Maritime (3e circonscription) - Gauche démocrate et républicaine - NUPES

M. Hubert Wulfranc interroge M. le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la problématique de l'usage de drogues en milieu carcéral, en particulier de drogues dures pouvant notamment conduire au décès du consommateur. Le 3 avril 2021 un homme de 31 ans est ainsi décédé à la maison d'arrêt d'Evreux, vraisemblablement à la suite d'une overdose survenue dans sa cellule où il était incarcéré avec deux autres détenus. Entré dans la maison d'arrêt d'Evreux en janvier 2022 pour y purger une peine de 5 ans, ce jeune homme, père d'un enfant, y est décédé après moins de quatre mois d'emprisonnement. Ce décès illustre la problématique de la grande perméabilité des établissements pénitentiaires à l'entrée et à la consommation des drogues en leur sein. Selon la note Théma « Usages des drogues en prison. Pratiques, conséquences et réponses » publiée en décembre 2019 par l'observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), la consommation de drogues en milieu carcéral atteint des niveaux bien supérieurs à la moyenne nationale. Ainsi, une enquête réalisée dans les établissements de Lyon, Corbas et de Liancourt témoigne d'une consommation de cannabis avoisinant 40 % (dont 16,3 % d'usage quotidien à Liancourt), une consommation de cocaïne variant entre 7 et 10 % et une consommation d'héroïne autour de 8 %. L'étude portant sur la maison d'arrêt de Lyon et Corbas indique que les consommateurs d'au moins un produit illicite autre que le cannabis, privilégient le sniff à 60 % d'entre eux contre 30 % qui procèdent par injection. Une analyse des eaux usées effectuée par le laboratoire de pharmacologie de Paris-Sud, en partenariat avec l'OFDT, portant sur trois établissements pénitentiaires a démontré une forte présence de THC, marqueur de la consommation de cannabis, correspondant à la consommation de 2,7 joints par jour et par personne soit des niveaux 10 à 20 fois plus élevés qu'en population générale. Les autres produits détectés, en moindres quantités sont la cocaïne, la MDMA, la morphine, l'EDDP marqueur de méthadone et le buprénorphine. Selon cette analyse, les quantités consommées estimées de cocaïne et de MDMA restent comparables aux niveaux de consommation en population générale. L'entrée des produits stupéfiants s'effectue principalement à l'occasion des visites des détenus dans les parloirs, par des projections extérieures de colis, ou encore, via l'aide de professionnels ou d'intervenants extérieurs ou d'agents de l'administration pénitentiaire. La note de l'OFDT indique qu'une certaine permissivité des surveillants, à l'égard de l'usage des stupéfiants par les détenus, est susceptible de s'instaurer dans certaines maisons d'arrêt des grandes agglomérations, du fait de la peur ressentie par les personnels de surveillance au quotidien, pour partie due à la surpopulation. L'ordre en prison pouvant se négocier entre surveillants et détenus, la drogue peut alors jouer un rôle pacificateur. Les réponses sanitaires et disciplinaires introduites ces trente dernières années n'ont pas permis de juguler véritablement l'emploi des produits stupéfiants en milieu carcéral. Les commissions de discipline ne peuvent se réunir, pour des raisons de preuves, que si des détenus sont contrôlés en possession de produits stupéfiants à l'occasion de fouilles des locaux, ou de fouilles corporelles (intégrales ou par palpation). Le renforcement de la sécurité extérieure des établissements via des mesures architecturales et matérielles permettant de sectoriser les espaces et d'isoler davantage les lieux d'activités de l'extérieur n'ont pas permis de lutter efficacement contre l'introduction de substances ou d'objets interdits en détention selon la note de l'OFDT. Selon l'enquête Circé réalisée en 2019 citée par l'OFDT, les directions des établissements interrogées affirment être dans l'incapacité de donner suite à l'ensemble des incidents liés à la drogue (consommation, échanges, trafic etc.) tant ces derniers se sont généralisés à leurs yeux. Néanmoins, celles-ci affirment continuer de privilégier les réponses disciplinaires lorsque des produits stupéfiants sont découverts. La question du rétablissement des fouilles intégrales à l'issue des parloirs est revendiquée de manière constante par les organisations syndicales de surveillants afin de lutter contre l'introduction de produits et de matériels interdits en détention bien qu'elles puissent avoir un impact limité, certains produits pouvant être consommés durant le parloir et d'autres dissimulés in corpore durant celui-ci. Les réponses apportées à la problématique de l'usage des drogues en milieu carcéral oscillent entre une logique pénitentiaire, dans l'objectif de contrôle des comportements et depuis les années 1990, une logique soignante. Néanmoins, l'OFDT indique que les personnes incarcérées usagères de drogues ne bénéficient pas à ce jour, d'un égal accès aux soins et aux mêmes types d'interventions qu'en milieu libre. Face à la persistance à un haut niveau de ce fléau en milieu carcéral, il lui demande quelles initiatives il entend prendre pour tenter de juguler et de traiter plus efficacement cette problématique.

Réponse publiée le 27 décembre 2022

La prise en charge des conduites addictives et la lutte contre la consommation de drogues en milieu carcéral constituent des missions essentiellement dévolues au ministère de la Santé et de la Prévention, conformément à la loi n° 94-43 du 18 janvier 1994 qui a entériné le transfert des compétences liées à la prise en charge sanitaire des personnes placées sous-main de justice (PPSMJ) depuis le service public pénitentiaire vers le service public hospitalier. Le ministère de la justice s'attèle à développer des outils interdisciplinaires permettant un meilleur accompagnement des comportements addictifs des PPSMJ afin d'optimiser leurs chances d'insertion et de réinsertion et de diminuer les risques sanitaires en détention. Tout d'abord, s'agissant de la prise en charge des troubles addictifs de la population pénale, une véritable politique publique pénitentiaire a été élaborée et instaurée à partir de 2018. Elle se matérialise notamment par l'adoption de quatre actions spécifiques à la lutte contre les drogues et la toxicomanie en milieu carcéral, définies dans la feuille de route santé des PPSMJ 2019-2022. La direction de l'administration pénitentiaire (DAP) travaille à l'élaboration d'une stratégie de réduction des risques et des dommages (RdRD) adaptée au milieu pénitentiaire en partenariat avec le ministère de la Santé et de la Prévention. Ces travaux conjoints visent au déploiement d'outils de diminution des risques et d'un socle commun de mesures préventives et à la sensibilisation de tous les publics au contact de personnes dépendantes, tant les personnes détenues elles-mêmes, que les personnes sortantes et leur entourage. De plus, la DAP nourrit une collaboration étroite avec les services de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA) et a ainsi participé à la rédaction du plan gouvernemental de lutte contre les addictions 2018-2022. Ce plan décline treize mesures spécifiques pour diminuer les risques pour les PPSMJ qui s'articulent notamment autour de la prévention, du repérage des comportements addictifs et de l'accompagnement de la population pénale dans sa prise en charge sanitaire. Par ailleurs, de nombreuses actions sont menées conjointement à l'échelle des établissements pénitentiaires, des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) et des réseaux d'associations spécialisées dans les troubles addictifs afin de proposer des solutions durables aux PPSMJ. D'une part, les SPIP coordonnent les entretiens individuels et les accompagnements collectifs en milieux ouvert et fermé dans le cadre d'actions d'information et de sensibilisation à destination de la population pénale. A ce titre, la DAP répond chaque année à l'appel à projets lancé dans le cadre du fonds de concours « drogues » de la MILDECA. En 2022, 1 452 230 euros ont ainsi pu être récoltés afin de permettre la mise en œuvre de 56 projets répartis sur l'ensemble du territoire national. D'autre part, l'administration pénitentiaire s'attache à tisser un réseau diversifié d'acteurs, notamment par le biais de conventions avec les centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA). Un système de CSAPA référents a été mis en place en 2011 pour les établissements pénitentiaires d'une même région. Depuis 2019, ils sont désormais facilement identifiables grâce à la publication d'un guide, destiné aux agences régionales de santé et aux directions interrégionales des services pénitentiaires (DISP). Enfin, une unité de réhabilitation pour usagers de drogues (URUD) a été ouverte, à titre expérimental, au centre de détention de Neuvic (Corrèze) en juin 2017. Cette unité a ainsi pour but de permettre aux personnes détenues souhaitant poursuivre leur travail d'abstinence de conduite addictive, d'accéder à une unité de détention spécifique qui associe différents dispositifs thérapeutiques et sociaux. Copiloté par la DISP de Bordeaux et l'agence régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine, ce projet est majoritairement financé grâce aux fonds alloués par la MILDECA. Il doit prochainement faire l'objet d'une évaluation médico-économique afin de réfléchir aux suites à donner à l'expérimentation en 2023.  Dans le cadre de la lutte contre l'introduction et l'usage des drogues en détention, l'amélioration de la sécurisation des structures pénitentiaires est essentielle. A ce titre, depuis 2020, elle représente une enveloppe budgétaire croissante du ministère de la justice. 70 millions d'euros ont ainsi été alloués au titre de l'année 2021, soit 9 % de plus qu'en 2020. Pour l'année 2022, le budget a été doublé et s'élève à 135,6 millions d'euros. En outre, des palpations de sécurité, des fouilles des locaux ainsi que des fouilles individuelles sont réalisées à l'égard des PPSMJ, de surcroit lorsqu'elles ont eu un contact avec l'extérieur (parloirs, extractions judiciaires ou médicales, transfèrement). Dès lors, les personnes détenues ayant introduit, tenté d'introduire, détenu ou échangé des produits stupéfiants ou des traitements de substitution au sein des établissements pénitentiaires peuvent être poursuivies dans le cadre de procédure disciplinaire. Enfin, le code de déontologie du service public pénitentiaire implique les personnels pénitentiaires à la lutte contre l'entrée et l'usage de drogues en détention. Tout agent témoin d'agissements prohibés doit s'atteler à les faire cesser immédiatement et les porter à la connaissance de sa hiérarchie. Si ces agissements sont constitutifs d'un délit ou d'un crime, un signalement systématique des faits doit être réalisé auprès du parquet compétent. En cas de manquement à cette obligation, les personnels s'exposent à des sanctions disciplinaires. La formation et la sensibilisation des personnels pénitentiaires constituent enfin un maillon important afin d'endiguer l'usage de drogues en détention. A ce titre, des enseignements axés sur la connaissance des produits stupéfiants et sur le cadre législatif qui sanctionne leur usage ont été ajoutés aux formations initiale et continue dispensées à l'Ecole nationale d'administration pénitentiaire (ENAP).

Données clés

Auteur : M. Hubert Wulfranc

Type de question : Question écrite

Rubrique : Lieux de privation de liberté

Ministère interrogé : Justice

Ministère répondant : Justice

Dates :
Question publiée le 26 juillet 2022
Réponse publiée le 27 décembre 2022

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