Question au Gouvernement n° 55 :
Exploitation des données de connexion

16e Législature

Question de : Mme Laurence Vichnievsky
Puy-de-Dôme (3e circonscription) - Démocrate (MoDem et Indépendants)

Question posée en séance, et publiée le 27 juillet 2022


EXPLOITATION DES DONNÉES DE CONNEXION

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Vichnievsky.

Mme Laurence Vichnievsky. L’accès aux données de connexion et leur exploitation sont devenus, depuis plusieurs années, un facteur majeur d’élucidation des enquêtes pénales. Toutefois, cette technique d’enquête doit s’inscrire dans le respect des libertés individuelles. Or la loi française, parce qu’elle permet au procureur de la République d’accéder à ces données sans contrôle – qu'il soit préalable ou immédiatement ultérieur – d’une juridiction ou d’une entité administrative indépendante, est contraire au droit de l’Union européenne. Cette situation résulte de quatre arrêts de la Cour de cassation du 12 juillet 2022, qui tirent les conséquences de décisions rendues par la Cour de justice de l’Union européenne et qui précisent que l’accès aux données de connexion doit être justifié par un objectif de prévention du terrorisme ou de lutte contre la criminalité grave. Mais qu’est-ce que la « criminalité grave » ? Une loi devrait pour le moins préciser cette notion, afin de sécuriser les procédures en cours et à venir.

Concernant la question principale du contrôle, notre justice n’est pas en mesure de faire face, en l’état, au changement qu’induirait une mise en conformité. Dans le seul département du Puy-de-Dôme, un tel contrôle représenterait environ 5 000 saisines annuelles supplémentaires pour le magistrat qui en serait chargé. La conférence des procureurs de la République s’en est inquiétée auprès de la représentation nationale, car cette situation risque d’entraver sérieusement l’identification des criminels et des délinquants.

Comment comptez-vous répondre à cette situation, monsieur le garde des sceaux ? Envisagez-vous la création d’une entité administrative indépendante dédiée au contrôle préalable, ou pensez-vous plutôt confier ce contrôle au juge des libertés et de la détention - dont il faudrait alors renforcer fortement les effectifs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe RE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. Je ne peux qu'abonder dans votre sens, madame la députée. Les arrêts de la Cour de cassation que vous avez mentionnés sont déterminants ; ils ont d'ailleurs fait l'objet de plusieurs dépêches de mes services au parquet pour expliquer leur portée. Vous l'avez rappelé : la Cour de cassation prend acte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans l'arrêt dit Prokuratuur du 2 mars 2021. Toutefois, la Cour de cassation indique que les données de communication et de localisation ne peuvent être obtenues que dans le cadre d'enquêtes relatives à des infractions d'une certaine gravité – nous avions d'ailleurs déjà défini ce critère, par référence au mandat d'arrêt européen, qui ne vise que les infractions punies d'au moins trois ans d'emprisonnement. Il faudra poursuivre cette réflexion. En outre, la Cour de cassation exige, pour censurer de tels éléments de preuve, que l'irrégularité porte atteinte concrètement aux droits de la personne poursuivie.

M. Thibault Bazin. Cela va nettement limiter l'action des parquets !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. La Cour a ici fait preuve de discernement et de pragmatisme. Cette exigence permettra de sauvegarder la plupart des procédures en cours.

Comme vous le soulignez, madame la députée, que ce soit dans votre beau département du Puy-de-Dôme ou à l'échelle de la France, l'impact de cette décision est significatif. Actuellement, les services d'enquête procèdent à près de 2 millions de réquisitions par an. Nous devons trouver une solution juridiquement robuste – je pense par exemple au problème de constitutionnalité que poserait la possibilité pour une autorité administrative indépendante d'intervenir dans une enquête judiciaire –, mais cette solution devra aussi prendre en considération les conséquences en matière de ressources humaines. Nous menons déjà cette réflexion dans le cadre des états généraux de la justice. En la matière, nous travaillerons bien sûr main dans la main avec le Parlement. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes RE et Dem.)

M. Thibault Bazin. Il y a urgence, monsieur le garde des sceaux !

Données clés

Auteur : Mme Laurence Vichnievsky

Type de question : Question au Gouvernement

Rubrique : Justice

Ministère interrogé : Justice

Ministère répondant : Justice

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 27 juillet 2022

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