Séance du mercredi 20 novembre 2024
- Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
- 1. Questions au gouvernement
- Crise agricole
- Vie chère en outre-mer
- Filières nucléaire et éolienne
- Augmentation des droits de mutation
- Insertion professionnelle des personnes en situation de handicap
- Situation des enfants sans domicile
- Difficultés de la filière noix
- Votes intervenus lors des débats budgétaires
- Budget des collectivités territoriales
- Refondation de la politique de protection de l’enfance
- Baisse du financement des missions locales
- 2. Réforme du financement de l’audiovisuel public
- Rappel au règlement
- Discussion des articles
- Explications de vote
- Vote sur l’ensemble
- 3. Sécurisation du mécanisme de purge des nullités
- 4. Prolongation de la dérogation d’usage des titres-restaurant pour tout produit alimentaire
- Présentation
- Discussion générale
- M. Alexandre Allegret-Pilot
- M. Frédéric Weber
- M. Thomas Lam
- Mme Françoise Buffet
- M. Hadrien Clouet
- M. Karim Benbrahim
- M. Jean-Luc Bourgeaux
- M. Boris Tavernier
- M. Richard Ramos
- M. Stéphane Peu
- M. Christophe Naegelen
- Mme Anne-Laure Blin, rapporteure
- Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
- Mme Laurence Garnier, secrétaire d’État
- Discussion des articles
- Article 1er
- M. Boris Tavernier
- M. Hadrien Clouet
- M. Karim Benbrahim
- Amendements nos 30, 1, 19, 24, 33, 31, 13 et 34
- Article 2
- M. Boris Tavernier
- Amendement no 26
- Titre
- Amendement no 10
- Article 1er
- Vote sur l’ensemble
- 5. Ordre du jour de la prochaine séance
Présidence de Mme Yaël Braun-Pivet
Mme la présidente
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quatorze heures.)
1. Questions au gouvernement
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle les questions au gouvernement.
Crise agricole
Mme la présidente
La parole est à M. David Guerin.
M. David Guerin
Comme mes collègues du groupe Horizons & indépendants et comme l’ensemble des Français, je suis particulièrement inquiet de la situation dans laquelle se trouvent les agriculteurs. Depuis ce week-end, beaucoup se mobilisent pour faire part de leur désarroi et de leur colère. La plus immédiate de leur crainte est de voir aboutir le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur : les agriculteurs ont le sentiment de servir de variable d’ajustement dans de trop nombreux traités. Monsieur le premier ministre, alors que l’Union européenne se trouve divisée sur la question, vous avez de nouveau rencontré la présidente de la Commission européenne pour lui faire part de la position de la France concernant ce dossier vital pour l’avenir de la première agriculture d’Europe. Face à la juste inquiétude des exploitants concernant ce traité de libre-échange, mais aussi à la suite d’une année de récoltes catastrophiques et d’une crise sanitaire qui décime les élevages, vous avez déclaré faire tout ce que vous pouvez pour que le gouvernement tienne ses engagements et ceux de votre prédécesseur.
Cependant, les agriculteurs estiment que leur profession n’est pas reconnue à sa juste valeur. Le fossé se creuse chaque jour un peu plus entre le monde urbain et les campagnes. La plupart des agriculteurs souffrent également d’un manque de perspectives dans leurs activités et dans les choix à opérer : ils sont sans cesse les victimes des crises et des aléas de toutes sortes et, pour consolider leurs productions ou les adapter à un monde en changement perpétuel, ils ont un besoin urgent de planification. Ils en viennent même à se demander si le pays a encore besoin d’eux. Pouvez-vous faire le point sur la situation et réaffirmer votre soutien aux agriculteurs et votre souhait de mieux reconnaître leur place dans la société ? (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt
Le premier ministre, avec qui j’échange constamment à propos de la question agricole, est pleinement mobilisé à mes côtés pour résoudre les problèmes que vous évoquez. Vous avez raison de souligner le désarroi, la colère, l’inquiétude des agriculteurs et leur interrogation fondamentale quant à leur place dans notre pays : au-delà des difficultés conjoncturelles – les crises sanitaire et météorologique, la baisse des rendements à surmonter –, il s’agit d’une crise de sens très profonde.
C’est pourquoi nous devons réaffirmer la considération que nous avons pour le monde agricole, la reconnaissance pour le travail difficile que les agriculteurs accomplissent pour nous nourrir, et la volonté de construire avec eux l’agriculture de demain, dans un contexte de changement climatique et d’exposition accrue aux accidents météorologiques – le gel, la grêle, le manque ou l’excès d’eau. La place que nous voulons donner aux agriculteurs doit être redéfinie, avec eux. L’agriculture, c’est le drapeau français,…
M. Antoine Léaument
Non !
Mme Annie Genevard, ministre
…une part considérable de notre identité, de nos territoires, de notre économie. Il faut également offrir des perspectives aux jeunes qui souhaitent s’installer. Certains agriculteurs – heureusement pas tous – se trouvent dans un grand état de souffrance, de stress,…
Mme la présidente
Merci, madame la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
…d’interrogation.
Vie chère en outre-mer
Mme la présidente
La parole est à Mme Émeline K/Bidi.
Mme Émeline K/Bidi
Monsieur le ministre des outre-mer, alors que les fêtes de fin d’année approchent, les familles ultramarines se trouvent étranglées par le coût de la vie, douze mois par an. Chez moi, à La Réunion, le coût des produits alimentaires est 37 % plus élevé que dans l’Hexagone et le taux de chômage – qui s’élève à 18 % – deux fois plus important. C’est la double peine : voilà ce que signifie la vie chère que doivent affronter les Réunionnais.
Depuis quelques semaines, notre quotidien est devenu votre actualité. La lutte entamée par les Martiniquais vous a forcé à agir et à consentir quelques annonces, à défaut de grande révolution. Vous vouliez vous contenter d’un comité interministériel mais, sous la pression des manifestations, vous avez finalement annoncé une exonération de la TVA sur les produits de première nécessité. La mesure, insuffisante, laisse pendante plusieurs questions. Lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2025, le gouvernement a introduit par voie d’amendement une différence de traitement entre la Martinique et la Guadeloupe d’une part, La Réunion d’autre part, s’agissant de la liste des produits de première nécessité soumis à l’exonération de la TVA. Cette liste sera-t-elle moins avantageuse pour les Réunionnaises et les Réunionnais ?
Par ailleurs, exonération ne signifiant pas nécessairement suppression, pouvez-vous confirmer que le taux de la TVA sur les produits de première nécessité sera bien abaissé à zéro ? Quand cette exonération sera-t-elle effective ? Pouvez-vous vous engager à ce qu’elle le soit dès le 1er janvier 2025 ? Il y a urgence ! Le gouvernement a-t-il prévu des mécanismes afin qu’elle ne se perde pas dans les poches des distributeurs ?
Enfin, concernant l’augmentation de la taxe de solidarité sur les billets d’avion, dont les outre-mer ont pu être exonérés grâce à un amendement salvateur adopté à l’Assemblée, confirmez-vous qu’elle ne s’appliquera pas aux vols à destination et en provenance des outre-mer ? Nous n’attendons pas de cadeaux au pied du sapin, mais des réponses claires à ces questions simples. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR. – M. Gérard Leseul applaudit aussi.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre des outre-mer.
M. François-Noël Buffet, ministre des outre-mer
Vous l’aurez noté, je ne suis pas le père Noël, mais nous avons parfaitement conscience de la situation. L’accord pour lutter contre la vie chère qui vient d’être trouvé en Martinique a permis de mettre l’ensemble des acteurs autour de la table : 6 000 produits, couvrant soixante-neuf familles de produits, verront leur prix baisser de 20 % le 1er janvier. Vous avez rappelé que le projet de loi de finances pour 2025 prévoit que le taux de la TVA pourra être ajusté pour la Martinique et pour La Réunion ; des mesures pourront donc être prises le moment venu si elles se révèlent nécessaires.
Au-delà des difficultés immédiates, nous allons rapidement lancer un travail approfondi sur la vie chère, au sens large, dans l’ensemble des territoires ultramarins, qui connaissent des situations différentes. Je l’ai dit publiquement et je le redis devant la représentation nationale : nous devons aborder avec vérité l’ensemble des problèmes, de façon à tordre le cou à ce qui est faux et à tenir compte de ce qui est vrai ; nous pourrons ainsi procéder aux ajustements nécessaires et trouver une solution pérenne.
Enfin, s’agissant des transports aériens, nous nous sommes engagés à ce que les publics particuliers – en Martinique et ailleurs –, qui bénéficient de réductions, obtiennent une compensation en cas d’augmentation de la TSBA. L’examen du texte par le Parlement est en cours.
Mme la présidente
La parole est à Mme Émeline K/Bidi.
Mme Émeline K/Bidi
Vous n’avez pas répondu à toutes les questions,…
M. François-Noël Buffet, ministre
Je n’ai que deux minutes !
M. Pierre Cordier
Il faudra lui faire un courrier !
Mme Émeline K/Bidi
…notamment concernant les mécanismes régulateurs : où ira l’argent, dans la poche des distributeurs ou dans celle des consommateurs ? Je suis particulièrement inquiète et je me permets de vous mettre en garde : les Réunionnais ne sont ni dociles ni résignés. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR et sur plusieurs bancs des groupes LFI-NFP et SOC.)
Filières nucléaire et éolienne
Mme la présidente
La parole est à M. Éric Michoux.
M. Éric Michoux
Monsieur le Premier ministre, après le massacre idéologique de la filière nucléaire par le président Macron, vous accélérez notre déclin.
M. Antoine Léaument
Vous dites toujours du mal de la France !
M. Éric Michoux
Votre ministre de l’énergie vient d’annoncer un programme massif de construction d’éoliennes, qui conduira à la faillite financière et à une explosion de la fiscalité. En effet, la filière éolienne française n’est pas viable sans perfusion d’argent public : les quarante-cinq parcs éoliens prévus jusqu’en 2050 coûteront 18 milliards d’euros chaque année.
M. Matthias Tavel
C’est à peine le prix d’un EPR !
M. Éric Michoux
Vous renoncez au développement du nucléaire au profit d’une énergie trop chère et intermittente, sans mentionner la défiguration de nos paysages par l’éolien, les nuisances qu’il impose aux particuliers et son impact négatif sur la faune sauvage. Pour favoriser l’éolien, l’État offre aux investisseurs une rémunération supérieure au prix du marché de l’électricité. Ces dépenses seront financées par une hausse des taxes sur l’électricité, ce qui provoquera une nouvelle explosion du prix de l’énergie pour les familles et les entreprises, déjà matraquées fiscalement par votre budget.
Renoncez à cette politique idéologique ; investissez massivement dans ce qui constitue un trésor national et local – notamment en Saône-et-Loire ; rénovez et développez le parc nucléaire ; réparez les erreurs funestes de vos prédécesseurs ; refaites de la France la grande puissance nucléaire voulue par le général de Gaulle ! (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
M. Pierre Cordier
Il n’a pas tort !
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de l’énergie.
Mme Olga Givernet, ministre déléguée chargée de l’énergie
Notre politique énergétique est volontariste et s’appuie sur deux jambes : le nucléaire et les énergies renouvelables.
M. Thibault Bazin
La jambe nucléaire a plus de puissance ! L’autre boite !
Mme Olga Givernet, ministre déléguée
Ces deux sources d’énergie, dont nous sommes très fiers, sont les seules capables de décarboner la France, à des prix les plus bas possible. Cela permettra, comme nous nous y sommes engagés, de baisser la facture des Français.
M. Fabien Di Filippo
On paye les erreurs de Nicolas Hulot !
Mme Olga Givernet, ministre déléguée
Le paysage de l’énergie s’inscrit dans les territoires et se dessine avec les élus locaux. Nous en discutons avec les maires à l’occasion du Salon des maires. La politique énergétique ne se fera pas non plus sans concertation. La loi Aper de 2023 offre la possibilité de définir des zones d’accélération de la production d’énergie renouvelable et plus de 10 000 communes ont candidaté en ce sens.
Par ailleurs, de nouveaux parcs nucléaires seront ouverts : six réacteurs EPR 2 sont en projet sur trois nouveaux parcs déjà identifiés ; huit EPR 2 supplémentaires sont à l’étude ; plusieurs communes ont émis le souhait de renouveler leurs centrales avec ces nouveaux réacteurs. La politique française de l’énergie est sur de bons rails. Nous sommes bien une nation énergétique. Nous avons besoin de compétences, de filières qui se structurent et de la transition énergétique de l’industrie, du logement et des transports, afin qu’ils consomment une énergie décarbonée.
M. Antoine Léaument et M. Matthias Tavel
On vous attend, à Saint-Denis !
Mme la présidente
La parole est à M. Éric Michoux.
M. Éric Michoux
Nous ne devons pas avoir assisté au même Salon des maires : je ne crois pas que ces derniers aient envie d’avoir des éoliennes dans leurs territoires. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
Mme Olga Givernet, ministre déléguée
Mais si !
Augmentation des droits de mutation
Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Falcon.
M. Frédéric Falcon
Le 15 novembre, vous affirmiez, monsieur le premier ministre, que le projet de loi de finances, en cours d’examen au Sénat, allait augmenter de 0,5 point, à partir du 1er janvier 2025, les droits de mutation à titre onéreux.
Les frais de notaire représentent 8 % du prix de vente d’un bien immobilier – un record en Europe, quand ils s’élèvent à seulement 2 % au Royaume-Uni, aux Pays-Bas ou en Autriche.
Alors que le secteur de l’immobilier est sinistré et que l’accès à la propriété devient progressivement un rêve lointain pour les primo-accédants, cette mesure, si elle était confirmée, dégraderait encore un peu plus le pouvoir d’achat des Français. Rappelons que les banques, extrêmement frileuses dans un contexte de hausse des taux, subordonnent le plus souvent leurs offres de prêt au paiement des frais de notaire par un apport personnel de l’acquéreur.
Alors que s’ouvre le Salon des maires, votre gouvernement a discrètement évoqué la création d’une contribution territoriale universelle – soit le retour de la taxe d’habitation qu’Emmanuel Macron avait pourtant supprimée.
Seul le Rassemblement national refuse toute hausse de la fiscalité qui viendrait peser sur les Français.
M. Pierre Cordier
C’est faux !
M. Frédéric Falcon
Nous proposons un plan d’économies de plusieurs dizaines de milliards d’euros, avec notamment la fin de la prise en charge des mineurs non accompagnés,…
M. Matthias Tavel
Mais arrêtez !
M. Frédéric Falcon
…qui coûte chaque année 2 milliards d’euros aux départements, lesquels sont justement les bénéficiaires de ces droits que vous vous apprêtez à augmenter. La France est le pays le plus taxé au monde, avec un taux de prélèvements obligatoires qui devrait atteindre un nouveau record en 2025. Quand allez-vous mettre fin à ce matraquage fiscal, alors que votre gouvernement est incapable de réduire les dépenses les plus injustifiées, tout comme le poids de cette bureaucratie qui asphyxie toujours davantage les Français ? Allez-vous confirmer devant cette assemblée que vous allez augmenter les droits de mutation à titre onéreux, et que vous allez instaurer une nouvelle taxe d’habitation ? (Applaudissements sur les bancs du groupe RN et sur quelques bancs du groupe UDR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation.
Mme Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation
Je pense que nous avons des points d’accord (« Oh ! » sur les bancs du groupe LFI-NFP), à commencer par la nécessité de chercher à faire des économies. Oui, notre pays a besoin de baisser ses dépenses publiques, qui représentent 57 % de la richesse nationale, contre seulement 49 % ailleurs en Europe. Limiter la dépense publique est, dans ce budget, notre préoccupation principale.
Nous pensons également qu’il nous faut travailler avec l’ensemble des collectivités et tous les élus – de la région, du département et du bloc communal. Les départements ont une particularité : les allocations individuelles de solidarité, dépense qu’ils assument pour le compte de l’État, qu’ils ne peuvent pas piloter et qui représente pour eux une charge très importante. C’est la raison pour laquelle ils souhaitent pouvoir augmenter un des rares taux sur lequel ils sont encore compétents : les droits de mutation à titre onéreux, ces frais de notaire que nos concitoyens supportent au moment de réaliser un achat.
M. Thibault Bazin
Ça ne va pas aider le logement : il faut arrêter d’augmenter les taxes !
Mme Catherine Vautrin, ministre
Aujourd’hui 98 % des départements sont au taux maximal de 4,5 %. Ils demandent de pouvoir augmenter ce taux de 0,5 % – cela représente en moyenne, pour un bien vendu 200 000 euros, entre 500 et 1 000 euros, selon les territoires.
M. Thibault Bazin
Ce n’est pas rien pour le primo-accédant !
Mme Catherine Vautrin, ministre
Il n’est enfin absolument pas question de revenir sur la suppression de la taxe d’habitation, le premier ministre l’a déjà dit.
M. Julien Rancoule
On ne le fait pas, mais cela revient au même !
Mme Catherine Vautrin, ministre
Nos concitoyens doivent prendre la mesure de la charge que représente l’action publique sur le territoire : oui, rien n’est gratuit, et quelqu’un doit bien payer. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Falcon.
M. Frédéric Falcon
Vous allez donc augmenter les frais de notaire et réintroduire une nouvelle taxe d’habitation,…
Mme Catherine Vautrin, ministre
J’ai dit le contraire !
M. Frédéric Falcon
…la contribution territoriale universelle. Assez de taxes, assez de normes : persistez dans cette voie, et vous aurez la censure ! (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Insertion professionnelle des personnes en situation de handicap
Mme la présidente
La parole est à Mme Joséphine Missoffe.
Mme Joséphine Missoffe
Ma question s’adresse à Mme la ministre déléguée chargée des personnes en situation de handicap.
En cette vingt-huitième semaine européenne pour l’emploi des personnes handicapées, nous sommes toutes et tous invités à réfléchir à la thématique suivante : « Handicap et parcours professionnel : comment assurer une vraie égalité des chances ? »
Je me suis rendue lundi dans un Esat de ma circonscription, où j’ai pu observer le travail remarquable de ceux qui sont auprès des travailleurs handicapés ainsi que des équipes d’accompagnement. Leur engagement, qu’il est crucial de valoriser et de protéger, nous oblige.
Je salue les orientations du volet handicap de la loi « plein emploi », que notre collègue Christine Le Nabour a défendu l’année dernière avec conviction. La transformation de l’offre d’accompagnement, l’ouverture renforcée vers le milieu ordinaire ou encore la création d’un sac à dos numérique sont des mesures essentielles à la poursuite de nos efforts vers une société inclusive – mais nous pouvons, et nous devons, aller plus loin.
Si le taux de chômage des personnes en situation de handicap a considérablement baissé, il demeure presque deux fois plus élevé que dans la population générale, et de nombreuses entreprises peinent encore à remplir leur obligation d’emploi de travailleurs handicapés.
Au-delà des politiques d’insertion, c’est le regard que nous portons sur le handicap qui doit changer – pas seulement pendant les Jeux paralympiques, mais au quotidien. C’est ce que nous rappellent des initiatives comme celle du DuoDay, qui aura lieu demain.
Je sais, madame la ministre, que nous partageons ces convictions. (Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée, acquiesce.) Pouvez-vous nous préciser les priorités de votre ministère quant à l’insertion professionnelle, durable, des personnes en situation de handicap ? (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR et sur quelques bancs du groupe Dem.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des personnes en situation de handicap.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée des personnes en situation de handicap
Je vous remercie de mettre l’accent sur l’enjeu de l’emploi des personnes en situation de handicap. Leur taux de chômage a reculé depuis 2017 mais reste néanmoins supérieur à celui de l’ensemble de la population active : il nous faut donc rester pleinement mobilisés. Le temps du DuoDay sera très important pour continuer à casser les stéréotypes, créer du lien entre les employeurs et les personnes en situation de handicap. Le gouvernement sera pleinement mobilisé au cours de cette opération : tous les ministres seront réunis demain avec leur Duo, afin de continuer à montrer que les personnes en situation de handicap ont toute leur place au travail et dans toutes les activités.
L’enjeu, vous l’avez dit, est de continuer à apporter des réponses ciblées, précises, pour permettre à ces personnes de passer la barrière de l’emploi et pouvoir ensuite s’y maintenir. Plusieurs mesures sont déployées en ce sens, dont la loi « plein emploi » que vous avez mentionnée. France Travail, avec les caps emplois et les missions locales, est maintenant pleinement engagé pour se tourner vers les entreprises, identifier leurs besoins et leur proposer les profils adaptés, en lien avec l’Agefiph ou le FIPHFP, afin de pourvoir aux aménagements de postes qui permettront l’accueil des personnes en situation de handicap.
Mais nous commençons à aller plus loin dans la transformation, notamment celle de l’offre médico-sociale, en rapprochant de l’entreprise les Esat et l’ensemble des dispositifs comme l’emploi accompagné ou les entreprises adaptées, afin qu’une personne en situation de handicap puisse entrer dans une entreprise ordinaire, et revenir en arrière si elle en a besoin. Nous restons mobilisés et nous continuons le combat. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EPR.)
Situation des enfants sans domicile
Mme la présidente
La parole est à Mme Ségolène Amiot.
Mme Ségolène Amiot
Lundi dernier, madame la ministre du logement, une famille s’est retrouvée à la rue en Loire-Atlantique, rallongeant la trop longue liste des personnes sans domicile. Dans cette famille, quatre enfants, dont un bébé de 15 mois.
En 2017, le candidat Macron promettait que plus personne ne serait à la rue avant la fin de l’année.
Mme Sophia Chikirou
C’est un menteur !
Mme Ségolène Amiot
Sept ans après, le constat est déchirant. Le nombre de personnes sans abri a plus que doublé, et les enfants sont les premiers touchés : + 120 % au cours des quatre dernières années. Partout, particulièrement en Île-de-France et dans le Nord, les situations se tendent. Le 115 n’apporte plus de solution suffisante aux familles. Faute de place, ses cellules départementales en viennent à les orienter directement vers des squats. Certains enfants naissent et vivent leurs premières années dans la rue, ou d’hôtel en hôtel.
Mme Marie Mesmeur et M. Sébastien Delogu
Eh oui !
Mme Ségolène Amiot
Ces enfants, comme leurs mères, sont bien plus souvent que les autres victimes et témoins de violences et de viols. Ils ont deux fois plus de risques d’avoir des problèmes de santé mentale ; mais, sans domicile fixe, le suivi des soins est impossible.
Un député du groupe LFI-NFP
Merci Macron !
Mme Ségolène Amiot
Les mineurs non accompagnés sont les plus touchés par le sans-abrisme et l’impossibilité d’accéder à l’éducation comme à la santé.
M. Pierre Cordier
Les départements, avec leurs faibles moyens, s’en occupent pourtant bien !
Mme Ségolène Amiot
Ils subissent, plus encore que les autres enfants, des violations de leurs droits fondamentaux. Le racisme systémique actuel, encouragé par la droite de cet hémicycle, fait primer la lutte contre l’immigration irrégulière sur la protection de l’enfance : honte à vous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Selon l’Unicef, il faudrait créer plus de 10 000 places d’hébergement d’urgence supplémentaires. Mais, en opposition avec ces besoins, vous votez pourtant des budgets toujours plus austéritaires, poussant les départements à supprimer des places d’hébergement d’urgence : 600 pour la seule Loire-Atlantique.
Votre prédécesseur, M. Kasbarian,…
Un député du groupe EPR
Excellent ministre !
Mme Ségolène Amiot
…était bien plus le ministre des expulsions que celui du logement. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Thibault Bazin
C’est caricatural !
Mme Ségolène Amiot
Serez-vous pour votre part la ministre du sans-abrisme ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre du logement et de la rénovation urbaine.
Mme Valérie Létard, ministre du logement et de la rénovation urbaine
À l’heure où les températures chutent, mon ministère est en vigilance permanente, singulièrement au sujet des enfants à la rue, auquel on ne peut être qu’extrêmement sensible.
Pour 2024, le gouvernement vient de compléter le financement du secteur de l’hébergement à hauteur de 250 millions d’euros, afin de répondre aux besoins et en intégrant la question du Ségur.
Mme Sarah Legrain
Pour quels résultats ?
Mme Marie Mesmeur
Vous ne voyez pas que ça ne marche pas ?
Mme Valérie Létard, ministre
En 2025, 203 000 places seront maintenues, ce qui portera à 2,8 milliards d’euros l’effort consenti pour accompagner l’hébergement – soit un doublement de l’enveloppe en dix ans.
J’ai demandé aux préfets de renforcer les maraudes et de mettre en place, sur chaque territoire, une cellule de résolution des situations – il en existe une depuis 2022 dans votre département de Loire-Atlantique.
Mme Ségolène Amiot
Six cents places en moins !
Mme Valérie Létard, ministre
J’ai également décidé d’assurer un suivi global, au moyen d’une cellule miroir à l’échelle nationale. Dans votre département, toutes les familles avec enfant sont prioritaires à l’entrée au 115, et le conseil départemental assure la prise en charge des femmes isolées avec des enfants de moins de 3 ans. (Exclamations sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Marie Mesmeur
Venez voir sur le terrain !
Mme Valérie Létard, ministre
Si vous voulez bien me laisser finir…
Afin d’améliorer structurellement cette politique d’hébergement, nous avons trois priorités. (Mêmes mouvements.)
M. Pierre Cordier
Mais laissez-la parler !
Mme Valérie Létard, ministre
D’abord, un soutien plus intense au logement : 29 millions supplémentaires seront destinés à accélérer la construction de pensions de famille et de résidences sociales. Ensuite, un plan interministériel de lutte contre le sans-abrisme et sa déclinaison dans les métiers en tension, avec l’objectif d’accompagner au moins 1 000 sorties vers l’emploi, ce qui libérera aussi des places d’hébergement.
Mme Marie Mesmeur
Et le 115 ?
Mme Valérie Létard, ministre
Enfin, une amélioration de la performance sociale de l’hébergement, incluant de manière plus partenariale les collectivités, les opérateurs et les bailleurs, autour du préfet.
Mme Anaïs Belouassa-Cherifi
Les collectivités n’ont plus les moyens !
Mme Valérie Létard, ministre
Nous continuerons l’effort. Je sais que ce n’est pas satisfaisant, mais nous faisons tout ce que nous pouvons, financièrement, pour rencontrer les attentes des professionnels, notamment en réajustant les financements. (Le temps de parole étant écoulé, Mme la présidente coupe le micro de l’oratrice. – Quelques députés du groupe EPR applaudissent cette dernière.)
Mme Marie Mesmeur
Venez voir les bébés à la rue !
Mme la présidente
La parole est à Mme Ségolène Amiot.
Mme Ségolène Amiot
Vous avez une obligation de résultat : vous serez rendue comptable de chaque vie perdue dans la rue. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Pierre Cordier
C’est scandaleux ! Quelle honte !
Difficultés de la filière noix
Mme la présidente
La parole est à M. Christophe Proença.
M. Christophe Proença
Madame la ministre de l’agriculture, la colère des agriculteurs ne cesse de s’intensifier, partout en France, depuis des semaines. Ils dénoncent des politiques trop souvent inadaptées à leur réalité, une précarité croissante et ressentent un sentiment d’abandon face aux crises qui s’accumulent. Dans le Sud-Ouest – Lot, Corrèze, Dordogne – comme dans le Dauphiné – Isère, Drôme – ou encore en Charente, la filière noix illustre parfaitement ces difficultés. Maladies fongiques, dérèglement climatique, concurrence internationale, notamment du Chili : autant de facteurs qui ont entraîné des récoltes calamiteuses et mettent en péril les exploitations.
Si le gouvernement a bien proposé un plan de soutien en 2023, ses critères d’éligibilité excluaient alors, dans le Lot, neuf exploitations sur dix : ce plan n’était donc que de la communication politique. Comme souvent, ces agriculteurs qui font l’effort de la polyculture, essentielle à leur survie autant qu’à la préservation de l’environnement, ne sont pas récompensés et font face à des règles qui semblent ignorer toute réalité. Un même constat pourrait être dressé pour plusieurs filières, parmi lesquelles la viticulture – souvent touchée par des faits similaires –, mais aussi l’élevage.
Il est urgent et vital de prévoir des mesures fortes et adaptées. Ces femmes et ces hommes qui nous nourrissent méritent bien plus que des effets d’annonce.
Quelle solution allez-vous leur proposer pour sauver notre agriculture et sa souveraineté mais aussi et surtout pour protéger nos agriculteurs et les filières en danger ? (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt
J’ai bien reçu votre courrier. Avec vos collègues Sébastien Peytavie, Aurélien Pradié, Fabrice Brun ou Frédérique Meunier, vous m’alertez sur la situation particulière de la filière noix, emblématique des difficultés que peuvent connaître certaines de nos productions très identitaires.
Vous avez tout mon soutien. C’est vrai, la filière a connu d’importantes difficultés : après une période de surproduction, les rendements diminuent. En 2024, ils ont été inférieurs à la moyenne dans le Lot, en Corrèze et en Dordogne.
L’enjeu, c’est la structuration de cette filière – elle est en cours, avec la création d’une appellation d’origine protégée Noix de France, incluant notamment la noix du Périgord et celle de Grenoble. Je suivrai avec attention cette structuration, mais je n’arbitrerai pas entre les deux noix, car l’une comme l’autre sont excellentes. (Sourires.)
Dans le cadre de notre planification écologique, il convient également de rénover les vergers, avec le soutien du plan France 2030.
Ne doutez pas de mon attention à ce dossier, qui disposera de moyens dans le prochain budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Christophe Proença.
M. Christophe Proença
Les agriculteurs sont sensibles aux paroles positives mais ils ont besoin d’actes concrets et forts.
Vous n’avez pas cité la recherche, qui doit disposer de moyens puissants pour aider la filière à développer des solutions durables. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre
Vous avez raison : jamais l’agriculture n’a eu autant besoin des ressources de la recherche pour limiter les effets du changement climatique et pour mieux résister aux agresseurs qui déciment les productions. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
M. Fabien Di Filippo
Le progrès, c’est la science, pas des droits individuels !
Mme Annie Genevard, ministre
Nous y travaillons avec tous les organismes chargés de la recherche, qui disposent de budgets à cet effet. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. – M. Antoine Léaument s’exclame.)
Votes intervenus lors des débats budgétaires
Mme la présidente
La parole est à M. Pierre Cordier.
M. Pierre Cordier
Monsieur le premier ministre, cher Michel Barnier, comme beaucoup de Français, nous avons apprécié vos propos devant les présidents de conseils départementaux il y a quelques jours : « Je ne me suis pas roulé par terre pour devenir premier ministre. »
Être élu ou ministre, c’est servir, c’est se dévouer pour les autres, sa collectivité ou la France, avec conviction, en défendant ses idées.
M. Ian Boucard
Très bien !
M. Vincent Jeanbrun
Bravo !
M. Pierre Cordier
Je le dis souvent à mes compatriotes ardennais : « Ne comptez pas sur moi pour trahir mes convictions. » (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme Émilie Bonnivard
Très bien !
M. Pierre Cordier
Je sais que nous partageons cette vision des choses. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe DR.)
Avoir des convictions, parlons-en ! Il y a quelques jours, nous avons assisté à des alliances contre-nature entre le Rassemblement national et la gauche. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
M. Ian Boucard
Quelle honte !
M. Sébastien Delogu
Et vous, vous êtes déjà coalisé avec l’extrême droite !
M. Pierre Cordier
Choix politique sans doute, mais il a profondément choqué les Français : vote commun pour taxer l’intéressement, les primes et la participation des salariés ; vote commun pour taxer les compléments de retraite ; vote commun pour créer un nouvel impôt universel ; vote commun pour limiter les aides à la transmission d’entreprises familiales. (« Eh oui ! » sur quelques bancs du groupe DR.)
M. Kévin Mauvieux
Vous n’étiez pas là !
M. Pierre Cordier
À l’inverse, la démarche de la Droite républicaine est claire : nous voulons que le travail paie, que l’assistanat ne l’emporte pas sur le social.
Mme Émilie Bonnivard et M. Ian Boucard
Excellent !
M. Pierre Cordier
Jeudi dernier à Bogny-sur-Meuse dans les Ardennes, les ouvriers de l’usine Walor sur le point d’être licenciés me le disaient encore : « Finalement, pourquoi s’emmerder à se lever le matin pour aller bosser ? Ceux qui ne foutent rien gagnent autant que nous ! »
M. Fabien Di Filippo
Il faut l’entendre !
M. Nicolas Thierry
Il n’y a pas de question !
M. Pierre Cordier
Au-delà de ces alliances contre-nature entre le Rassemblement national, La France insoumise et les autres groupes de la gauche à l’Assemblée nationale, pouvez-vous nous confirmer votre engagement, monsieur le premier ministre ? Quelles solutions allez-vous retenir pour encourager le mérite et redresser notre pays, en récompensant ceux qui travaillent ? (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
Mme la présidente
La parole est à M. le ministre du budget et des comptes publics.
M. Laurent Saint-Martin, ministre du budget et des comptes publics
La première des réponses, c’est de prévoir un budget courageux, de redressement des comptes publics. En France, aucun travailleur ne pourra bien gagner sa vie grâce à son travail si nous n’assainissons pas nos comptes publics. Il s’agit de protéger la nation entière et de donner la possibilité à nos entreprises d’être compétitives.
C’est pourquoi le budget proposé à la représentation nationale était d’abord un budget de baisse de la dépense publique. Or, à l’issue de la première lecture à l’Assemblée nationale, une coalition favorable à toutes les taxes et à toutes les fiscalités possibles a émergé !
Je vous rejoins : ni le gouvernement ni le socle commun ne peuvent partager une telle vision. Je remercie donc les députés du socle commun d’avoir refusé cette copie, digne de Frankenstein. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR.)
M. Antoine Léaument
Le RN a voté avec vous !
M. Laurent Saint-Martin, ministre
Vous plaidez pour la nécessité de mieux vivre de son travail. Je partage votre avis : nous devons faire en sorte qu’en France, le travail paie toujours plus que les aides.
M. Arnaud Le Gall
C’est pour ça que vous avez cassé le droit du travail ?
M. Laurent Saint-Martin, ministre
C’est l’objectif de la réforme annoncée par le premier ministre, avec la création de l’allocation sociale unique. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe DR.)
Un député du groupe DR
On le demande depuis longtemps !
M. Laurent Saint-Martin, ministre
En outre, il faut être vigilants : nos entreprises doivent pouvoir mieux payer leurs salariés car l’État ne peut ni tout, ni tout seul.
Avec l’ensemble des parlementaires du socle commun, des discussions sont engagées depuis plusieurs semaines sur des allégements généraux de cotisations patronales. Il faut aboutir grâce à une politique de l’offre audacieuse.
M. Antoine Léaument
Ce n’est pas vrai !
M. Laurent Saint-Martin, ministre
Les travailleurs vivront alors mieux de leur travail. Si, en parallèle, nous engageons des réformes structurelles, comme celle de l’allocation sociale unique, alors, dans notre pays, travailler paiera mieux et être aidé ne pourra plus rapporter plus. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR, DR et Dem.)
M. Thibault Bazin
Bonne question, bonne réponse !
Budget des collectivités territoriales
Mme la présidente
La parole est à M. Tristan Lahais.
M. Tristan Lahais
J’étais ce matin au Salon des maires. Je tiens à partager leur colère quant aux efforts injustes et disproportionnés que vous demandez aux collectivités – 10 milliards d’euros d’économies.
Ces dernières paient le prix d’une politique fiscale injuste et laxiste, comme la suppression de la taxe d’habitation.
M. Laurent Croizier
Vous vous y connaissez en matière de laxisme !
M. Tristan Lahais
Depuis des semaines, les élus nous alertent. Ils sont stupéfaits par la méthode, archaïque : vous coupez brutalement les moyens de l’action publique sans désigner les services publics auxquels il faudra renoncer.
Ainsi, en Bretagne, l’effort attendu au seul titre du fonds de réserve revient soit à fermer les lycées publics pendant un an, soit à ne plus faire rouler les TER durant quatre mois.
M. Sébastien Delogu
Eh oui !
M. Tristan Lahais
En Ille-et-Vilaine, les élus devraient fermer cantines et internats pendant neuf ans.
M. Laurent Croizier
Mais bien sûr… N’importe quoi !
M. Tristan Lahais
Dans nos communes, les élus préparent leur budget dans l’incertitude et dans l’angoisse de devoir renoncer à des services publics pourtant indispensables : police municipale, prévention dans les quartiers populaires, places en crèches, accès au sport, à la culture – j’en passe.
En outre, et alors que le chômage remonte, l’effet récessif de ce budget ne manquera pas d’affecter le bâtiment, les travaux publics et l’artisanat.
Un vaste plan social est déjà annoncé dans l’économie sociale et solidaire et au sein des associations. Selon la chambre régionale de l’économie sociale et solidaire, 12 000 emplois sont ainsi directement menacés en Bretagne.
Quelle est votre crédibilité ? Comment vous faire confiance ? Les élus sont fatigués et en colère : ils doivent tantôt financer des mesures auxquelles ils n’ont pas été associés, tantôt répondre à vos injonctions désinvoltes – il faudrait toujours faire mieux avec moins.
Ce n’est pas sérieux ! Et cela explique en partie les 2 400 démissions de maires intervenues depuis 2020.
Qu’allez-vous répondre à cette colère qui menace l’engagement même des milliers de femmes et d’hommes qui font vivre la démocratie de notre pays ? (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et SOC.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation.
Mme Catherine Vautrin, ministre du partenariat avec les territoires et de la décentralisation
Vous étiez au Salon des maires ce matin ; moi aussi. Nous rencontrons tous des maires, tous les jours, parce que nous travaillons avec eux.
Premier point – le gouvernement a déjà eu l’occasion de le dire : incontestablement, les collectivités ne sont pas responsables du déficit. Il n’est donc pas question de les pointer du doigt. (« Ah ! sur quelques bancs du groupe EcoS.)
Deuxième élément de réponse : vous connaissez le contexte dans lequel le projet de loi de finances a été préparé.
M. Antoine Léaument
Non !
Mme Catherine Vautrin, ministre
C’est la raison pour laquelle la copie doit être amendée, le premier ministre lui-même l’a confirmé, et c’est ce à quoi nous nous attelons.
Vous évoquez 10 milliards d’économies, je vous répondrai 5 puisque tout dépend de ce qu’on met dans cette enveloppe.
Ce n’est pas le plus important. Nous devons surtout travailler avec les régions, les départements et le bloc local afin d’analyser les sources d’économies et de maintenir les dotations pour les collectivités.
En outre, vous avez omis de préciser que la dotation globale de fonctionnement est maintenue, comme d’autres dotations.
Mme Marie-Charlotte Garin
Ce n’est pas un argument !
Mme Catherine Vautrin, ministre
Ces crédits de fonctionnement du quotidien existent, et vont perdurer pour les collectivités.
Mme Marie-Charlotte Garin
Et l’inflation ?
Mme Catherine Vautrin, ministre
Avec les associations d’élus, nous recherchons des sources d’économies afin que les collectivités retrouvent une capacité à investir, vitale, car l’investissement, c’est la capacité à créer de l’emploi sur le territoire.
C’est pourquoi, la semaine dernière à Angers, le premier ministre est revenu sur la rétroactivité du fonds de compensation pour la TVA.
Nous cheminons, et c’est dans le dialogue que nous continuerons à progresser afin que notre budget nous permette de revenir à 5 % de déficit. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
Refondation de la politique de protection de l’enfance
Mme la présidente
La parole est à Mme Perine Goulet.
Mme Perrine Goulet
« Nous devons à nos enfants – les citoyens les plus vulnérables de toute société – une vie à l’abri de la violence et de la peur. » Ces propos de Nelson Mandela doivent guider notre action.
Mais, scandale après scandale, fait divers après fait divers, rapport après rapport, il s’avère que nous n’accompagnons pas correctement ceux qui en ont le plus besoin : les enfants sous la protection de l’aide sociale à l’enfance.
Ces enfants sont sous la responsabilité des départements depuis quarante ans, mais l’État a le devoir de ne pas détourner le regard de leur situation.
Un enfant de la République doit bénéficier de tout ce que la nation peut offrir pour grandir. Force est de constater que ce n’est pas le cas pour ces enfants.
La délégation aux droits des enfants vous a fait parvenir le fruit de quinze mois de travaux et de réflexions. Nous souhaitons que l’État reprenne sa place aux côtés des départements. Justice, santé, solidarité, éducation nationale, territoires, enseignement supérieur, autant de ministères qui doivent être impliqués mais dont le fonctionnement, en silo, nuit à l’efficacité de cette politique au service des enfants, pour qu’ils se construisent et deviennent des adultes épanouis.
La semaine passée, à Angers, lors des assises des départements de France, le premier ministre a annoncé vouloir lancer sans attendre la refondation de la politique de l’enfance.
Nous saluons votre volonté car nous savons tout ce qui doit être entrepris pour améliorer la protection de l’enfance – les travaux sont nombreux.
Mais, surtout, il y a urgence à agir. Qu’entendez-vous par une telle refondation ? Quelles mesures prendrez-vous et dans quel délai ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe EPR. – M. Romain Eskenazi applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la famille et de la petite enfance.
Mme Agnès Canayer, ministre déléguée chargée de la famille et de la petite enfance
Je le sais, la protection de l’enfance vous tient à cœur. Actuellement, 380 000 enfants et jeunes majeurs sont protégés.
Face aux inégalités de destin, ces enfants doivent pouvoir compter sur l’engagement des pouvoirs publics.
Le premier ministre l’a annoncé lors des assises des départements de France : il est essentiel de refonder la politique de protection de l’enfance.
Les difficultés sont connues : hausse du nombre de placements, manque d’attractivité des métiers, et de coordination des acteurs.
Il faut repenser le parcours de l’enfant et réfléchir ensemble à ses meilleures conditions de prise en charge – chaque fois que c’est possible, chez des proches, des tiers de confiance ou en famille d’accueil – afin que son parcours et son accompagnement soient plus individualisés et sécurisés.
Sous l’égide de M. le premier ministre et en lien avec Paul Christophe, ministre des solidarités, nous fixons les lignes directrices en nous concertant avec toutes les parties prenantes, à commencer par les départements. Voilà plus d’un an que nous travaillons avec eux pour donner des bases solides à la refonte de la protection de l’enfance. Nous consultons aussi les associations car on ne peut aboutir à une politique de l’enfance efficace sans se concerter et se coordonner avec tous les acteurs. Nous voulons agir rapidement, dès 2025, pour désinstitutionnaliser la protection de l’enfance. Atteindre cet objectif majeur exige de l’engagement et de la responsabilité – vous pouvez compter sur moi.
Mme la présidente
La parole est à Mme Perrine Goulet.
Mme Perrine Goulet
Nous serons à vos côtés, mais il y a vraiment urgence à agir. (Applaudissements sur les bancs du groupe Dem.)
Baisse du financement des missions locales
Mme la présidente
La parole est à Mme Martine Froger.
Mme Martine Froger
Acteurs indispensables de l’insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté, les missions locales sont une réussite depuis leur création. Elles jouent un rôle crucial pour accompagner les jeunes vers l’emploi. Isolement, difficultés de mobilité, méconnaissance des mécanismes et souffrance mentale : les besoins sont aigus.
Alors que le taux de chômage des jeunes est en hausse, ces structures devront subir les conséquences d’une nouvelle cure d’austérité. En février 2024, la baisse de 1,1 milliard d’euros des crédits alloués à la mission Travail et emploi a déjà lourdement affecté les dispositifs d’accompagnement tels que le parcours contractualisé d’accompagnement vers l’emploi et l’autonomie ou le contrat d’engagement jeune. Les réformes successives de l’assurance chômage pénalisent aussi particulièrement les jeunes demandeurs d’emploi et ceux récemment entrés sur le marché du travail. Premiers concernés par les contrats courts, ces jeunes seront également touchés par le durcissement des conditions d’ouverture des droits et la réduction de la durée d’indemnisation.
Vous avez intégré à la loi de finances pour 2025 une réduction de 22,22 % des crédits alloués aux missions locales. L’ensemble du réseau tire la sonnette d’alarme, car le constat est le même partout : dégradation de la trésorerie, licenciements en cours ou à prévoir, alors que la charge de travail ne cesse de croître. En Ariège, la baisse du financement s’établit à 86 000 euros, ce qui représente deux postes de travail sur les trente existants. Ces annonces pèsent lourdement sur le moral des salariés.
Madame la ministre du travail de l’emploi, alors que le taux de chômage des 15-24 ans a augmenté de 1,8 point au troisième trimestre de l’année 2024, trouvez-vous le moment bien choisi pour réduire les crédits affectés aux dispositifs s’adressant aux jeunes ? Comptez-vous revenir sur ces baisses de crédits pour calmer les fortes inquiétudes qu’elles suscitent et permettre aux missions locales de poursuivre leur travail auprès des jeunes ? (Applaudissements sur les bancs des groupes LIOT et SOC.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre du travail et de l’emploi.
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre du travail et de l’emploi
Vous me donnez l’occasion de rappeler notre attachement aux missions locales.
M. Ian Boucard
Elles sont essentielles !
Mme Astrid Panosyan-Bouvet, ministre
Malgré les progrès accomplis ces dernières années en la matière, le taux d’activité des jeunes Français reste inférieur à la moyenne de l’Union européenne, et le taux de chômage de cette catégorie augmente. Il faut donc saluer l’accord auquel sont récemment parvenus les partenaires sociaux ; il permettra de renforcer la protection de ceux qui se retrouvent au chômage pour la première fois, en particulier les jeunes. La loi sur le plein emploi a conforté la place des missions locales au sein du réseau de l’emploi, au côté de France Travail, de Cap Emploi et des conseils départementaux.
Vous avez rappelé l’historique des crédits de financement des missions locales, mais il faut mettre ces chiffres en perspective : ces crédits ont augmenté de 80 % entre 2019 et aujourd’hui. Par ailleurs, nous maintenons l’objectif de 200 000 contrats d’engagement jeune. Il faut changer de logique en considérant moins les volumes d’entrées dans les dispositifs que la qualité de l’insertion dans l’emploi : que fait-on à l’issue d’un contrat d’engagement jeune ? Les centres de formation d’apprentis, les écoles de production, les écoles de la deuxième chance, les établissements pour l’insertion dans l’emploi, dont les crédits seront maintenus, doivent aussi être mobilisés.
Il est vrai que les crédits affectés aux missions locales baisseront de 6 % – des efforts sont demandés à tous –, mais nous serons à leur côté, comme je l’ai rappelé au Havre lors de la réunion nationale des missions locales. Nous devons moins nous préoccuper du volume d’entrées dans les dispositifs que de la qualité de l’insertion des jeunes. Je sais que nous serons tous au rendez-vous. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR. – M. Xavier Breton applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Martine Froger.
Mme Martine Froger
Vous évoquez un effort mesuré, mais il est ici question d’un effort considérable de 22,2 % !
Mme la présidente
Nous avons terminé les questions au gouvernement.
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quatorze heures cinquante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de Mme Nadège Abomangoli.)
Présidence de Mme Nadège Abomangoli
vice-présidente
Mme la présidente
La séance est reprise.
2. Réforme du financement de l’audiovisuel public
Suite de la discussion d’une proposition de loi organique
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi organique portant réforme du financement de l’audiovisuel public (nos 482, 556).
Hier soir, l’Assemblée a entendu les orateurs inscrits dans la discussion générale.
Rappel au règlement
Mme la présidente
La parole est à M. Aurélien Saintoul, pour un rappel au règlement.
M. Aurélien Saintoul
Mon intervention se fonde sur les articles 70 et 100 du règlement et concerne la bonne tenue des débats.
Hier, nous avons terminé la séance par une admonestation et une mise en cause personnelle caractérisée de la part de la ministre.
Mme Rachida Dati, ministre de la culture
Oh, pauvre chou ! Petite chose fragile…
M. Aurélien Saintoul
Nous nous abstenons entre nous de toute mise en cause personnelle et la ministre devrait s’y tenir elle aussi. Je comprends que mon intervention d’un quart d’heure l’ait gênée,…
M. Thibault Bazin
Et tout ça pour finalement retirer votre motion de rejet préalable…
M. Aurélien Saintoul
…puisque très critique de l’action du gouvernement. Il lui revenait néanmoins de répondre sur le fond, ce qu’elle n’a pas fait. (M. Jean-François Coulomme applaudit.)
M. Laurent Croizier
Donc il ne s’agissait pas d’une mise en cause personnelle…
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre de la culture.
Mme Rachida Dati, ministre de la culture
Il ne s’agissait pas d’une admonestation. Êtes-vous donc si fragile, monsieur le député ?
M. Jean-François Coulomme
Oui, il est fragile ! (Sourires.)
Mme Rachida Dati, ministre
Vous ai-je fait tant de peine ? Franchement, vous n’êtes pas au bout de votre vie politique… Bon courage. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
Discussion des articles
Mme la présidente
J’appelle maintenant dans le texte de la commission spéciale les articles de la proposition de loi organique.
Article 1er
Mme la présidente
Sur l’amendement n° 5, je suis saisie par le groupe Rassemblement national d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Aurélien Saintoul, pour soutenir l’amendement no 5.
M. Aurélien Saintoul
Non, madame la ministre, je ne suis pas fragile : je suis capable d’entendre les critiques. Seulement, le règlement vaut pour tout le monde, donc aussi pour les ministres.
M. Thibault Bazin
Ça se saurait, si votre groupe respectait les règles !
M. Aurélien Saintoul
Sachez que notre rôle est de contrôler l’action du gouvernement – or la réciproque n’est pas vraie. La Constitution mériterait d’être respectée.
Mme Rachida Dati, ministre
Ne faites pas la morale !
M. Aurélien Saintoul
Conçu comme un amendement de repli à l’amendement no 4, qui sera appelé après l’article 1er, le présent amendement fixe le principe d’une redevance dans le cadre de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). En effet, l’affectation à l’audiovisuel public d’une partie de la TVA n’est pas une bonne idée pour deux raisons que j’ai déjà évoquées hier. D’abord, quand nous préconisons la gratuité, vous faites valoir qu’il faut que nos concitoyens sachent ce que coûtent les services dont ils bénéficient ; or le principe de l’affectation d’une fraction de la TVA ne garantit pas une telle lisibilité. Ensuite, la TVA est une taxe particulièrement injuste.
Le mieux est donc de créer dès à présent une redevance positive, progressive, vertueuse.
Charles de Courson, qui n’est pas là, nous avait fait remarquer que le terme « redevance » était impropre. Nous avons tenu compte de la leçon et évoquons bien des « impositions de toute nature ».
Mme la présidente
La parole est à M. Denis Masséglia, rapporteur de la commission spéciale, pour donner l’avis de la commission.
M. Denis Masséglia, rapporteur de la commission spéciale
J’imagine le groupe LFI-NFP pourvu d’une belle bibliothèque dans laquelle on trouverait un livre énorme, une encyclopédie…
M. Florent Boudié
L’encyclopédie des taxes !
M. Denis Masséglia, rapporteur
…intitulée Les synonymes des taxes. Vous êtes en effet incroyablement inventifs dès qu’il s’agit de créer une taxe. À chaque problème sa solution : une taxe. Aussi proposez-vous, ici, le retour de la contribution à l’audiovisuel public, une CAP progressive et universelle.
M. Arnaud Le Gall
Vous préférez la TVA sans dire qu’elle est la taxe la plus injuste !
M. Denis Masséglia, rapporteur
J’ai une question à vous poser, monsieur Saintoul : combien coûtera cette taxe à un couple de ma circonscription qui travaille chez Brioche Pasquier, chacun gagnant un peu plus que le Smic, soit, pour les deux, 4 000 ou 4 500 euros brut ? Quelle somme, quel impôt supplémentaire demandez-vous à nos concitoyens ? Plus que de faire des phrases générales, il importe de donner des chiffres. En attendant, j’émets un avis défavorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Rachida Dati, ministre
Pour créer une redevance, il n’est pas nécessaire de modifier la loi. Ensuite, supprimer la CAP a donné plus de pouvoir d’achat aux Français. Ils ne sont donc pas favorables au retour de la redevance.
En ce qui concerne la gratuité, je n’ai pas compris ce que vous vouliez dire. Reste que tout ce que vous proposez, c’est d’instaurer des taxes, taxer tout le monde.
M. Jean-François Coulomme
Non, pas tout le monde !
M. Arnaud Le Gall
Nous sommes pour le tri sélectif.
Mme Rachida Dati, ministre
Or le texte ne prévoit ni une redevance ni une taxe. Avis défavorable.
Mme la présidente
Sur les amendements nos 1, 2 et 9, je suis saisie par le groupe Rassemblement national d’une demande de scrutins publics.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Bruno Clavet.
M. Bruno Clavet
Le collègue Louis Boyard, absent, auteur de l’amendement, propose de rétablir, sous un autre nom mais avec le même objectif, la redevance télé supprimée en 2022. Il s’agit de demander aux Français de financer un audiovisuel public qu’ils ne regardent même plus. Les Français ne sont pas contre les impôts par principe, mais ils veulent, à juste raison, savoir où va leur argent et s’assurer qu’il est bien dépensé.
Or l’audiovisuel public coûte plus de 3,2 milliards d’euros par an – une somme colossale qui ne se reflète ni dans la qualité ni dans la pluralité des programmes. Alors non, le groupe Rassemblement national ne cautionnera jamais le retour de cette taxe totalement inutile. Nous allons donc voter contre cet amendement. Sachez que vous nous trouverez toujours face à vous pour défendre le portefeuille des Français, et cela à chaque étape de votre œuvre de matraquage fiscal. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. Aurélien Saintoul.
M. Aurélien Saintoul
Le grand avantage, quand on écoute le groupe Rassemblement national, c’est que ses propos sont si caricaturals (Sourires et exclamations sur les bancs du groupe RN)…
Mme Catherine Rimbert
Vous avez un problème avec le pluriel !
M. Emeric Salmon
Dès qu’on dépasse deux syllabes, c’est trop compliqué !
M. Aurélien Saintoul
…que la réponse vient d’elle-même.
Vous avancez que les Français ne regardent pas, n’écoutent pas l’audiovisuel public. Or tous les baromètres indiquent très clairement que France Info ou France Inter, par exemple, sont les radios les plus écoutées. Vous avez l’habitude des infox, c’est votre problème.
Quant à l’affirmation du rapporteur selon laquelle nous voudrions inventer une nouvelle taxe, je ne vois pas en quoi ce serait le cas si l’on recréait une redevance qui existait déjà. Je ne vois donc pas où sont vos arguments, en quoi vous répondez à ce que j’ai proposé.
Ensuite, à votre place, je me sentirais un peu honteux d’arguer que la suppression de la CAP aurait permis un gain de pouvoir d’achat si colossal que vous ne pouvez le compenser dans un projet de loi de finances (PLF) que vous allez par ailleurs faire adopter en utilisant l’article 49.3 de la Constitution.
Lors de l’examen du PLF pour 2025, nous avions en effet proposé une redevance nulle pour la tranche allant de zéro à 15 000 euros de revenu fiscal annuel. Ce modèle, comportant plusieurs paliers, aurait permis un financement à hauteur de 3,5 milliards d’euros. Vous voyez, ce n’est pas très difficile.
Bien sûr, si vous estimez que ces barèmes sont difficiles à instaurer en un mois et demi, que les services de Bercy n’en sont pas capables, il est toujours possible, encore une fois, de demander à ces services, dont le ministre Laurent Saint-Martin nous a assuré qu’ils étaient compétents et, je le crois, à raison, de rétablir l’ancienne formule. Mais ne venez pas nous dire que 138 euros de gain de pouvoir d’achat sur une année pour un foyer, c’est si extraordinaire (Exclamations sur les bancs des groupes RN et UDR)…
Mme Hanane Mansouri
Ça l’est, pour certains !
M. Emeric Salmon
Il y a des ouvriers qui sont au centime près !
M. Aurélien Saintoul
…quand vous êtes capables de faire la réforme des retraites, la réforme de l’assurance chômage, de faire payer des médicaments, d’ajouter des journées de carence, de désindexer les retraites etc. Ces arguments sont vraiment d’une mauvaise foi assez sidérante. (M. Sébastien Delogu applaudit.)
Mme Hanane Mansouri
La mauvaise foi vient de vous !
M. Arnaud Sanvert
Surréaliste !
Mme la présidente
La parole est à M. Jérémie Patrier-Leitus.
M. Jérémie Patrier-Leitus
Le moment que vous venez de nous faire vivre, monsieur Saintoul, est assez extraordinaire.
Mme Rachida Dati, ministre
Ça, c’est sûr !
M. Jérémie Patrier-Leitus
Vous venez de nous expliquer que 138 euros de pouvoir d’achat, ce n’était pas grand-chose, que, finalement, les Français pouvaient s’en passer, alors que vous faites un scandale – vous en avez parlé pendant un an – pour 5 euros d’aide personnalisée au logement (APL). Donc, j’y insiste, pour vous, donner 138 euros, demain, aux Français qui travaillent, n’a pas d’importance.
M. Sylvain Maillard
Eh oui !
M. Jérémie Patrier-Leitus
Remarquable cohérence du groupe La France insoumise.
Par ailleurs, dans l’exposé sommaire de votre amendement, il est question de « bricolage gouvernemental ». Le bricolage, c’est plutôt votre proposition de retour à la redevance. Qui la paiera ? Vous venez de nous dire qui ne la paiera pas : les ménages déclarant entre zéro et 15 000 euros. Mais ensuite, qui, comment, combien ? M. Boyard, en commission, nous a expliqué qu’un député, qui gagne en gros 5 000 euros mensuels, paierait 200 euros de redevance. Dès lors, je ne sais pas comment vous parvenez à 4 milliards de recettes. La vérité, c’est que votre redevance, je le répète, c’est du bricolage.
M. Sylvain Maillard
Il a raison.
Mme la présidente
La parole est à M. Erwan Balanant.
M. Erwan Balanant
Tout le monde ramène la suppression de la CAP au gain de pouvoir d’achat que cela aurait permis. Il y avait d’autres raisons à cette suppression et que vous ne prenez pas du tout en compte. Ainsi de l’usage de l’audiovisuel. On payait la redevance parce qu’on avait un poste de télévision à son domicile ou dans sa résidence secondaire. Or on sait que la « consommation » d’audiovisuel public n’est plus tributaire de la télé. Nous sommes nombreux à ne pas en posséder et pourtant à fortement consommer de l’audiovisuel public.
Vous nous accusez de bricolage, M. Patrier-Leitus y faisait allusion à l’instant, mais vous proposez un dispositif érigeant le rétablissement de la redevance en totem – assumez-le. Encore faudrait-il savoir sur quoi la calculer : sur la télé, comme c’était le cas auparavant, ou bien sur la possession d’une tablette, d’un téléphone ou, pourquoi pas, puisque vous êtes très inventifs, d’une radio ?
Le dispositif prévu est sûr, fonctionnel et pérenne. Grâce à lui, nous pourrons disposer d’un audiovisuel puissant. Or, contrairement au groupe RN, nous pensons qu’il faut, dans une démocratie, un audiovisuel public fort.
Cessez donc de nous traiter de bricoleurs – alors que vous-mêmes vous adonnez à un bricolage idéologique. Vous voulez à tout prix faire penser que nous nous sommes trompés en supprimant la CAP…
Mme la présidente
Il faut conclure, cher collègue.
M. Erwan Balanant
Si l’on interrogeait tous les Français, ils répondraient tous qu’ils sont très contents de ne plus payer la redevance.
Mme la présidente
La parole est à M. Emmanuel Grégoire.
M. Emmanuel Grégoire
L’adoption du moindre amendement porterait un coup dur à l’audiovisuel public. En effet, en empêchant, ainsi, un vote conforme, du fait du délai de la navette parlementaire et, quand bien même nous serions d’accord avec nos collègues sénateurs, de celui de l’examen du texte par le Conseil constitutionnel puis de celui de la promulgation, il serait impossible que la loi organique entre en vigueur à temps pour éviter la budgétisation de l’audiovisuel public. Or, à part le groupe RN, nous sommes tous d’accord pour refuser cette dernière.
Ensuite, nous avons de très fortes critiques à formuler sur la trajectoire budgétaire de l’audiovisuel public, puisque même si nous évitons la budgétisation, les acteurs ne seront pas protégés contre une baisse des moyens – la preuve, celle-ci a été décidée à deux reprises en 2024. Les perspectives sont d’ailleurs telles, pour 2025, qu’elles ne pourront se traduire que par une dégradation du service public de l’audiovisuel.
Enfin, nul n’est besoin d’une proposition de loi organique pour réfléchir collectivement à des formes plus intéressantes. Je veux bien que vous balayiez la CAP d’un revers de la main mais, si elle était certes obsolète sous certains aspects, vous avez, en la supprimant, accompagné de facto la baisse structurelle des moyens accordés au service public de l’audiovisuel.
M. Jérémie Patrier-Leitus
Ce n’est pas vrai !
M. Emmanuel Grégoire
Nous reviendrons sur le financement mais, je le répète, nous nous opposerons à tout amendement, afin que le texte soit adopté conforme. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
Sur les amendements nos 4, 6, 7, 8 et 3, je suis saisie par le groupe Rassemblement national d’une demande de scrutins publics.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme la présidente de la commission spéciale.
Mme Sophie Taillé-Polian, présidente de la commission spéciale
Au sein du Nouveau Front populaire, nous assumons toutes et tous de réinstaurer une redevance, non pas parce que nous sommes des fous de l’impôt (« Si, si ! » sur les bancs du groupe RN),…
M. Philippe Ballard
C’est un peu comme une drogue !
Mme Sophie Taillé-Polian, présidente de la commission spéciale
…ni parce que nous sommes un danger pour le pouvoir d’achat. Nous avons un grand nombre de propositions pour venir en aide à celles et ceux qui, dans notre pays, ont du mal à boucler les fins de mois.
Bien qu’ils soient nombreux, vous ne faites rien pour eux. Vous leur faites payer plus cher leurs médicaments, vous leur réduisez leurs indemnités chômage, etc.
Nous sommes favorables au principe de la redevance,…
M. Gérault Verny
Parce que vous aimez les taxes !
Mme Sophie Taillé-Polian, présidente de la commission spéciale
…parce qu’il s’agit d’une somme, que les foyers en mesure de payer verseraient en connaissance de cause pour le financement de l’audiovisuel public. Cela protégerait de fait son financement. On ne pourrait pas se servir de l’argent récolté pour financer un autre service public. C’est toute la différence.
Nous sommes favorables à une taxe affectée, après avoir travaillé différentes possibilités. Nos amendements déposés sur la première partie du PLF ont été rejetés, et le recours au 49.3 n’y changera rien. Nous en prenons acte.
Nous considérons qu’il faut adopter la proposition de loi organique conforme, raison pour laquelle je ne voterai pas cet amendement, quand bien même j’en soutiens la philosophie.
Le Sénat a eu la sagesse de nous transmettre un texte qui ne nous empêchera pas de réinstaurer une redevance. C’est pourquoi il faut le soutenir. Nous restons donc profondément convaincus qu’il faudra remettre en place un financement affecté à l’audiovisuel public.
Le Sénat a aussi eu la sagesse de ne pas se limiter à une réaffectation d’une partie de la TVA : parce que celle-ci est l’impôt le plus injuste, nous nous sommes élevés avec force contre une telle mesure.
Jusqu’à ce que le Nouveau Front populaire arrive au pouvoir, le plus rapidement je l’espère (Sourires sur les bancs du groupe RN et sur plusieurs bancs du groupe UDR),…
M. Christophe Bentz
Non merci !
M. Gérault Verny
Vous n’avez pas été élus !
Mme Sophie Taillé-Polian, présidente de la commission spéciale
…et que nous remettions en place une redevance, par souci de justice fiscale, il appartient au gouvernement de choisir l’imposition de toute nature qui lui semblera la meilleure.
M. Sylvain Maillard
Vous ne la réinstaurerez jamais !
Mme la présidente
La parole est à M. le rapporteur.
M. Denis Masséglia, rapporteur
« Un montant déterminé d’une imposition de toute nature peut, sous les mêmes réserves, être directement affecté aux organismes du secteur public de la communication audiovisuelle. » C’est le contenu du texte. Il n’y est pas fait mention de la TVA, mais de toute forme d’imposition susceptible de financer l’audiovisuel.
Mme la présidente de la commission spéciale l’a justement souligné : rien n’empêche le retour d’une CAP universelle et progressive.
À l’Assemblée, les mathématiques font loi : il faut une majorité de 289 députés. Or l’augmentation d’impôt que vous avez proposée n’a pas récolté de majorité suffisante. Libre à vous d’en proposer de nouvelles.
Monsieur Saintoul, vous n’avez pas répondu à ma question : combien cela coûterait-il pour un couple d’ouvriers, rémunéré 4 500 euros par mois ?
Vous dites, d’une part, que cet impôt sera universel et progressif et, d’autre part, que certains ne le paieront pas. Mais comment prétendre qu’il sera universel alors qu’il ne concerna pas tout le monde ?
Si pour vous, à La France insoumise, 138 euros de pouvoir d’achat en moins pour une famille qui travaille et qui a du mal à boucler les fins de mois, ce n’est rien, alors je vous invite à rencontrer les habitants de ma circonscription. Beaucoup d’entre eux connaissent des fins de mois difficiles.
M. Arnaud Le Gall
On l’attendait, celle-là !
M. Denis Masséglia, rapporteur
Emmanuel Macron a été élu sur un programme, dont la suppression de la redevance fait partie.
Mme Virginie Duby-Muller
Nous sommes les défenseurs de la classe moyenne !
M. Denis Masséglia, rapporteur
Notre majorité présidentielle tient ses engagements.
M. Christophe Bentz
Mais de quelle majorité parlez-vous ?
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 5.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 116
Nombre de suffrages exprimés 114
Majorité absolue 58
Pour l’adoption 7
Contre 107
(L’amendement no 5 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Soumya Bourouaha, pour soutenir l’amendement no 1.
Mme Soumya Bourouaha
Nous sommes obligés de poursuivre la discussion, parce que l’on nous demande de voter un texte que nous jugeons insuffisant pour garantir un financement stable et pérenne de l’audiovisuel public. Or, étant responsables, nous voterons la proposition de loi organique, afin d’éviter la budgétisation, laquelle mettrait en danger ce service public.
Je remets une couche sur la TVA, car je suis en total désaccord avec vous : elle est un impôt injuste, parce que ce sont les foyers les plus modestes qui en assument le plus la charge.
Je remets aussi une couche sur la contribution affectée universelle et progressive : les députés du groupe GDR sont convaincus qu’elle est la solution. Je déposerai d’ailleurs une proposition de loi, que je souhaite la plus transpartisane possible, pour relancer le débat sur le financement de l’audiovisuel public.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
M. Denis Masséglia, rapporteur
L’avis est défavorable, pour les raisons que j’ai déjà mentionnées.
Je souligne néanmoins votre engagement. Vous croyez à cette CAP universelle qui toucherait tous les Français, quels que soient leurs revenus.
Le rôle de l’Assemblée est de débattre – c’est le principe de la démocratie – non seulement de la CAP, mais aussi de la réaffectation d’une partie de la TVA. Ces sujets seront discutés chaque année par l’Assemblée, et il dépendra de sa sagesse de décider d’un mode de financement et de son montant.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Rachida Dati, ministre
Je m’associe totalement aux arguments du rapporteur.
Permettez-moi aussi, madame la députée, de saluer votre esprit de responsabilité. Si je vous rejoins dans la première partie de votre argumentation, c’est moins le cas pour la fin. Avis défavorable.
Mme la présidente
La parole est à M. Aurélien Saintoul.
M. Aurélien Saintoul
Nous avons l’occasion de poursuivre la discussion sur le pouvoir d’achat. Monsieur le rapporteur, vous évoquez un couple d’ouvriers rémunéré 4 600 euros par mois.
Il s’agit sans doute d’ouvriers très qualifiés, puisque le salaire médian est de 1 850 euros. C’est-à-dire que 50 % de la population touche moins que cette somme. Le couple que vous connaissez gagne donc 900 euros de plus que 50 % de la population.
De tels cas existent, tant mieux, mais votre connaissance de la réalité se fonde sur une image embellie du niveau de vie des Français.
Vous rappelez, à juste titre, qu’il n’y a pas eu de majorité à l’occasion de l’examen du PLF pour instaurer une nouvelle CAP. Il n’y a pas non plus eu de majorité pour la plupart des dispositions du PLF et vous serez obligés de recourir au 49.3.
Quand cela vous arrange, vous balayez d’un revers de main la démocratie ou bien vous vous en réclamez ; personne n’est dupe.
M. Jérémie Patrier-Leitus, ami des chiffres, souhaiterait connaître le barème exact que nous utiliserions en cas d’instauration d’une redevance progressive. Aucun des deux amendements examinés jusqu’à présent ne permettait de créer une redevance progressive stricto sensu ; ils permettraient seulement d’en adopter le principe. Je vous le donne quand même.
Pour un revenu fiscal de référence compris entre 0 et 15 000 euros, la contribution serait de 0 euro – elle demeure néanmoins universelle. Entre 15 000 et 20 000 euros, la contribution serait de 50 euros ; entre 20 000 et 30 000 euros, elle serait de 100 euros ; entre 30 000 et 50 000 euros, elle serait de 120 euros. Pour tous ces cas, ce serait toujours moins que l’ancienne redevance.
Entre 50 000 et 100 000 euros, la contribution serait de 200 euros. Enfin, au-delà de 100 000 euros, elle serait de 500 euros.
Leximpact, qui fait partie des outils dont l’Assemblée se dote pour évaluer l’impact des mesures qu’elle adopte, prévoit un rendement de 3,5 milliards d’euros.
Pour renforcer le financement de l’audiovisuel public, nous pourrions créer une redevance dont s’acquitteraient les chaînes TNT pour… (Mme la présidente coupe le micro de l’orateur.)
Mme la présidente
Pardonnez-moi, monsieur le député, mais vous avez largement dépassé votre temps.
La parole est à M. Philippe Ballard.
M. Philippe Ballard
Je ne comprends pas comment vous calculerez le montant de la contribution que vous voulez créer. En commission, il était question de l’asseoir à la fois sur le revenu et le patrimoine. Selon quel mode d’emploi ? C’est une usine à gaz, car qui sera en mesure de fixer le montant de la redevance si on intègre le patrimoine dans son assiette ?
M. Aurélien Saintoul
Elle sera assise sur le revenu fiscal de référence !
M. Philippe Ballard
Vous venez d’expliquer que les foyers contribueraient à partir d’un revenu fiscal de référence de 15 000 euros et à hauteur de 20 euros pour cette tranche ; or 20 euros font une différence pour ces foyers.
Vous nous parlez sans cesse de pouvoir d’achat, mais que faites-vous, sinon créer un nouvel impôt ?
Vous soulignez le caractère injuste de la TVA. On pourrait en disserter des heures durant, mais la redevance que vous recréeriez ne permettrait pas aux classes populaires de payer moins de TVA. Elles en paieront toujours. Ce que vous dites est complètement bidon.
Vous êtes des fous de la taxe et de l’impôt. C’est peut-être une drogue dure. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Soumya Bourouaha.
Mme Soumya Bourouaha
J’ai défendu cet amendement pour que nous puissions avoir ce débat, mais je le retire, par esprit de responsabilité, afin que nous votions ce texte et que nous évitions la budgétisation au 1er janvier 2025.
(L’amendement no 1 est retiré.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la présidente de la commission spéciale, pour soutenir l’amendement no 2.
Mme Sophie Taillé-Polian, présidente de la commission spéciale
C’est un amendement d’appel et je le retirerai. Quand bien même nous voterons, par esprit de responsabilité, ce texte conforme, je souhaitais faire part de nos graves inquiétudes quant au financement de l’audiovisuel public.
J’en veux pour preuve le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2024 (PLFG), dont nous avons certes rejeté la première partie, mais dans lequel le gouvernement proposait de retrancher 50 millions d’euros au budget de l’audiovisuel public, qui avait déjà subi des coupes dès février 2024.
Nous proposons que les crédits alloués au financement de l’audiovisuel public soient versés intégralement en début d’exercice, afin d’éviter les coupes budgétaires en cours d’année. En effet, ces coupes, qui mettent à mal la trésorerie des entreprises audiovisuelles, parfois au point de les rendre déficitaires, les empêchent d’engager les investissements nécessaires, notamment pour la transformation numérique, exigeante financièrement.
Madame la ministre, je sais que votre engagement ne pourra excéder la durée de votre gouvernement, par nature incertaine en ces temps de crise politique, mais nous avons besoin que vous vous engagiez pour que l’audiovisuel public ne souffre plus de coupes en cours d’année.
Bien sûr, nous souhaiterions aussi que l’État respecte ses engagements quant aux montants prévus pour 2025, mais il faut déjà que cessent les coupes en cours d’année, car elles sont dévastatrices pour ces entreprises et démobilisent leurs salariés.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
M. Denis Masséglia, rapporteur
Madame la présidente de la commission spéciale, nous avons eu l’occasion d’échanger sur le versement intégral, en début d’année, des crédits alloués et vous savez que j’y suis favorable.
Lors de l’examen du PLF, j’ai déposé un amendement qui avait été voté par la commission des finances.
Si ce sujet mérite d’être intégré au budget, je pense que l’échelon de la Lolf n’est pas le bon.
Je vous encourage donc à retirer votre amendement, comme vous l’avez annoncé, et surtout à inviter vos collègues du Sénat à reprendre l’amendement voté il y a quelques semaines en commission des finances.
Rappelez-leur aussi de ne pas reprendre l’amendement de M. Caron, favorable à la budgétisation, alors que nous souhaitons, par opposition à celle-ci, assurer, autant que possible, un financement par l’allocation d’un montant issu d’un impôt.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Rachida Dati, ministre
J’entends les arguments de la présidente de la commission spéciale sur le montant des crédits dédiés à l’audiovisuel public, mais puisque celui-ci a été fixé, aucune régulation ne pourra lui être appliquée. Par ailleurs, la redevance était auparavant versée par douzièmes. Le versement intégral des crédits pourrait déstabiliser la trésorerie de l’État.
Ainsi, il est possible d’inscrire dans le PLF pour 2025 le versement en douze échéances de ces crédits, mais il est déjà acté que le montant affecté sera sanctuarisé et intégralement versé.
Mme la présidente
La parole est à M. Emmanuel Grégoire.
M. Emmanuel Grégoire
Je rappelle que cet amendement ne sera pas soumis au vote, afin de garantir l’adoption de la proposition de loi organique.
M. Thibault Bazin
Quelle est l’utilité de ces amendements s’ils sont finalement retirés ?
M. Emmanuel Grégoire
La visibilité financière annuelle, voire pluriannuelle, est un enjeu important pour des acteurs industriels procédant à d’importants investissements, réalisant des réorganisations et soumis à différentes servitudes et obligations de service public. Elle est insuffisante et nous devrions travailler à son amélioration.
Monsieur le rapporteur, je sais que vous êtes sensible à ce problème, qui n’a pas pu être abordé lors de l’examen des dépenses prévues par le PLF pour 2025. Veillez à ce qu’il soit réglé par le texte qui sera finalement adopté par application de l’article 49.3 de la Constitution.
Mme la présidente
La parole est à M. Aurélien Saintoul.
M. Sylvain Berrios
L’amendement a été retiré. À quoi ça sert de discuter ?
M. Aurélien Saintoul
Vous êtes manifestement de fervents partisans de la TVA, dont vous voulez affecter une partie au financement de l’audiovisuel public. Vous faites comme si cette affectation était neutre pour les Français, alors que la TVA sert déjà à financer le service public.
M. Thibault Bazin
L’amendement n’a-t-il pas été retiré ?
M. Aurélien Saintoul
Les crédits de l’audiovisuel public seront donc autant de revenus disponibles en moins pour les ménages, ce que vous ne précisez jamais.
Qu’est ce qui sera sacrifié, l’argent capté par l’audiovisuel public manquant nécessairement quelque part ? Vous êtes bien en peine de nous l’expliquer ! Parler de gains de pouvoir d’achat est en fait un tour de passe-passe : le revenu disponible des Français – en particulier de ceux qui dépendent le plus du service public – sera touché, s’il ne l’est pas déjà par le choix d’affecter une part des recettes de TVA à l’audiovisuel public. Vous jouez au bonneteau, mais nous avons de bons yeux !
M. Sylvain Berrios
Vous parlez d’un amendement qui n’existe plus !
M. Aurélien Saintoul
Le versement intégral des crédits est le cœur du problème, puisque ce qui est en jeu, c’est bien la capacité du gouvernement à mettre la pression sur les sociétés de l’audiovisuel public. Sinon, la préoccupation exprimée par nos collègues Taillé-Polian et Calvez aurait déjà été prise en compte par le gouvernement, qui aurait pu faire adopter un amendement ad hoc au Sénat.
L’exécutif a souhaité conserver son moyen de pression. Il amuse aujourd’hui la galerie en nous assurant que tout ira bien, alors qu’il aurait pu, s’il avait été de bonne foi, répondre aux préoccupations de ces entreprises. Nous ne croyons donc pas un mot de ce qu’il dit !
Mme la présidente
Au motif que l’amendement sera retiré, certains manifestent leur humeur, mais je rappelle qu’il a été conçu pour appeler le débat. Je laisse donc celui-ci se poursuivre.
M. Sylvain Berrios
Ah ça, on voit bien qu’il se poursuit, le débat !
Mme la présidente
La parole est à Mme Céline Calvez.
Mme Céline Calvez
Rappelons que notre vote conforme doit apporter à l’audiovisuel public la garantie d’être financé et de conserver ainsi son indépendance. La présidente de la commission spéciale suggère de verser les crédits en une seule échéance, prévue en début d’exercice, et le projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour 2022 comprenait, dès la suppression de la CAP, une telle disposition.
Il me paraît donc possible d’engager le Sénat à inscrire ce versement unique dans le PLF pour 2025 qui, même s’il exigera d’adapter la gestion de la trésorerie de l’État, permettra certainement de mieux garantir l’indépendance de l’audiovisuel public.
Mme la présidente
Je vous informe que nous entendrons des explications de vote à l’issue de la discussion des articles. Vous pouvez donc être plus brefs.
La parole est à Mme la présidente de la commission spéciale.
Mme Sophie Taillé-Polian, présidente de la commission spéciale
Avant d’en venir au fond de mon amendement, je m’adresserai à vous toutes et tous en tant que présidente de la commission spéciale. Mes chers collègues, nous sommes très contraints et nous nous empêchons d’approfondir le débat des amendements, bien conscients que nous sommes de la nécessité d’une adoption conforme.
Cependant, par pitié, ne nous empêchons pas de débattre des sujets importants que soulève ce texte. Nos échanges seront consignés au compte rendu et l’Assemblée nationale ne doit pas se priver elle-même de sa capacité d’action.
M. Sylvain Berrios
Mais nous n’avons pas décidé de retirer cet amendement !
Mme Sophie Taillé-Polian, présidente de la commission spéciale
Débattre de sujets importants n’implique pas d’aller jusqu’au vote.
M. Gérault Verny
Mais le sujet n’est pas important ! Ce qu’il faut, c’est privatiser l’audiovisuel public !
Mme Sophie Taillé-Polian, présidente de la commission spéciale
En l’occurrence, il est de notre responsabilité de ne pas soumettre cet amendement au vote, mais également de discuter de tous les problèmes qu’affronte l’audiovisuel public.
Revenons-en à l’amendement. L’an dernier, un montant a été voté – qui déterminait notamment les crédits de transformation –, mais il a fait l’objet d’une régulation en cours d’année. Ainsi, la fixation d’un montant n’a rien d’une garantie.
Je dois cependant m’avouer rassurée par le fait que vous ayez décidé de réintégrer les crédits de transformation, sujets à débat, dans le socle.
Le problème du nombre d’échéances de versement demeure entier, mais nous faisons en sorte qu’un amendement comparable au nôtre soit déposé au Sénat et qu’il y soit adopté. Les entreprises de l’audiovisuel public pourront ainsi aborder l’année 2025 en comptant sur des financements sécurisés.
Mme la présidente
La parole est à Mme Soumya Bourouaha.
Mme Soumya Bourouaha
Je souhaitais apporter mon soutien à cet amendement. (Protestations sur les bancs des groupes RN, EPR, HOR et UDR.)
M. Ian Boucard
C’est un pour et un contre, pas plus ! On ne fait pas une table ronde !
M. Gérault Verny
On n’est pas dans une réunion de l’Unef !
Mme Soumya Bourouaha
Puis-je m’exprimer ?
Mme la présidente
Mme Bourouaha peut s’exprimer dans le débat d’un amendement, enfin ! J’ai laissé tous les groupes s’exprimer et le financement de l’audiovisuel public est important : nos débats sont attendus.
M. Sylvain Berrios
Mais l’amendement n’existe plus !
Mme Soumya Bourouaha
Mme la présidente vient de dire que ce débat était important et vous me coupez la parole ! J’ai pourtant bien le droit de m’exprimer, comme vous !
M. Sylvain Maillard
Vous confondez la présidente de la commission spéciale et la présidente de séance !
Mme Soumya Bourouaha
J’ai donc bien le droit de donner mon avis sur cet amendement. Il ne fera pas l’objet d’un vote,…
M. Gérault Verny
Justement, vous parlez de quelque chose de virtuel !
Mme Soumya Bourouaha
…mais il me paraissait important de dire que nous le soutenions : il vise en effet à sécuriser l’audiovisuel public par le versement intégral de ses crédits. Chacun ici sait qu’un budget reçu en tout début d’année permet de se projeter sans sentir la menace d’une épée de Damoclès. Je tenais à le dire : merci de me laisser la parole et de ne pas m’empêcher de parler !
Mme la présidente
Madame la présidente de la commission spéciale, retirez-vous votre amendement ?
Mme Sophie Taillé-Polian, présidente de la commission spéciale
Oui. (« Ah ! » sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Gérault Verny
Comment voulez-vous être crédible ? Taisez-vous un peu !
(L’amendement no 2 est retiré.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Constance de Pélichy, pour soutenir l’amendement no 9.
Mme Constance de Pélichy
Il tendait à garantir l’indépendance de l’audiovisuel public grâce à un financement suffisant, quelle que soit l’année ou le contexte budgétaire. Je le retire, compte tenu de l’importance d’un vote conforme et des débats qui ont eu lieu à l’occasion de la discussion générale, ont lieu à l’occasion de la discussion des articles et auront encore lieu à l’occasion des explications de vote.
(L’amendement no 9 est retiré.)
(L’article 1er est adopté.)
Après l’article 1er
Mme la présidente
Nous en venons à des amendements portant article additionnel après l’article 1er.
Je suis saisie de trois amendements, nos 4, 6 et 7, pouvant être soumis à une discussion commune.
La parole est à M. Aurélien Saintoul, pour les soutenir.
M. Aurélien Saintoul
Je note tout d’abord que la manœuvre de nos collègues macronistes, qui ont cherché à empêcher notre collègue Bourouaha de prendre la parole, est tout à fait caractéristique de leur volonté de tordre le bras de l’Assemblée nationale et d’empêcher la tenue du débat.
M. Gérault Verny
Arrêtez votre cinéma !
M. Laurent Jacobelli
Ouin ouin !
M. Aurélien Saintoul
Votre pression systématique pour obtenir un vote conforme dans l’urgence est antidémocratique, chacun doit en avoir conscience.
M. Laurent Jacobelli
Un député qui fait fermer des chaînes de télévision se plaint d’attaques à la liberté d’expression, on aura tout vu !
M. Philippe Ballard
On peut donc fermer des chaînes et faire la morale à ses collègues…
M. Aurélien Saintoul
L’amendement no 4 vise à acter le principe d’une contribution progressive à l’audiovisuel public, inscrite dans la Lolf.
Les amendements nos 6 et 7 sont deux amendements d’appel. Mme la ministre insiste pour qu’existe un lien entre financement et réforme de la gouvernance, en dépit de toute nécessité organique, mais nous souhaitons lui signaler le cas particulier de deux sociétés d’audiovisuel public qui doivent être protégées de la fusion projetée.
L’amendement no 6 aborde ainsi la situation d’Arte, chaîne instituée par un traité disposant que sa gouvernance la distingue des autres chaînes de télévision. L’amendement no 7 traite de France Médias Monde, dont la fonction particulière doit s’adosser à une gouvernance originale, en tout cas distincte de celle de la holding de l’audiovisuel public.
Nous craignons qu’en cas de fusion, France Médias Monde devienne une variable d’ajustement, notamment en cas de réduction budgétaire. Nous comprenons également que l’intégration de France Médias Monde à la holding de l’audiovisuel public est d’ores et déjà présentée comme une monnaie d’échange alors que cette chaîne était censée être épargnée il y a encore quelques mois. Nous souhaitons donc être assurés de sa protection.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
M. Denis Masséglia, rapporteur
Je remercie d’abord M. Saintoul d’avoir pris en considération les remarques que j’ai formulées en commission spéciale et modifié la rédaction de ses amendements, en substituant l’acronyme « CAP » au terme de « redevance ».
Nous discutons aujourd’hui du financement de l’audiovisuel public et d’une proposition de loi organique qu’il faudrait, à mes yeux et à ceux de nombreux autres députés, voter à l’identique pour éviter la budgétisation.
Vous parlez aujourd’hui de telle ou telle fusion et d’hypothétiques changements de gouvernance ; ce n’est pas ce dont nous devons discuter aujourd’hui. Avis défavorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Rachida Dati, ministre
Ne voulant pas vous faire de la peine ni heurter votre sensibilité, monsieur Saintoul, je vous répondrai lentement et doucement. Vous craignez que l’affectation d’une partie de la TVA ne permette pas le bon financement du service public. En fait, vous déniez à l’audiovisuel public sa nature de service public,…
M. Aurélien Saintoul
C’est très pénible.
Mme Rachida Dati, ministre
…puisque ce sont les services publics qui sont financés par la TVA.
Vous avez un petit côté M. Je-Sais-Tout.
M. Sylvain Maillard
Ah non, pas du tout !
M. Aurélien Saintoul
Auriez-vous un complexe, madame la ministre ?
Mme Rachida Dati, ministre
Je ne vous connaissais pas, mais je plains maintenant vos collègues. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN, EPR et UDR.)
Le rapporteur a raison : vous êtes totalement hors sujet.
Mme la présidente
La parole est à Mme Violette Spillebout.
Mme Violette Spillebout
Avec ces amendements, vous proposez de nouvelles modalités de financement de l’audiovisuel public, de nouvelles taxes, et vous remettez en cause, d’une façon quelque peu dogmatique, des rapprochements qui sont pourtant déjà bien engagés, par exemple entre France Bleu et France 3, dans beaucoup de nos régions. Ce n’est pas le débat et vous savez qu’il importe d’adopter ce texte conforme si nous voulons sanctuariser et pérenniser le financement de l’audiovisuel public. Ne prenons aucun risque.
À la fin de votre exposé sommaire, vous évoquez le Syndicat national des journalistes – SNJ. Or, dans un communiqué de presse publié il y a deux jours, celui-ci nous appelait à voter ce texte conforme et à ne pas prendre le risque de la budgétisation.
M. Philippe Ballard
Si c’est le SNJ qui le dit !
Mme Violette Spillebout
J’ai entendu tout à l’heure à ma gauche…
M. Gérault Verny
À votre droite ! (Sourires.)
Mme Violette Spillebout
…dans les rangs de mes collègues du Rassemblement national, un appel à la privatisation de l’audiovisuel public. (« Oui ! » sur plusieurs bancs du groupe RN.) Voilà le danger auquel nous nous opposons collectivement ! Pour protéger la liberté, l’indépendance et le pluralisme de l’audiovisuel public, pour protéger tout ce qui nous tient à cœur, il faut absolument voter ce texte conforme et rejeter ces amendements. Nous aurons d’autres occasions de débattre de l’évolution des chaînes.
Comme l’a dit la présidente de la commission spéciale, nous veillerons à ce que le gouvernement ne décide pas d’infliger un coup de rabot budgétaire visant l’audiovisuel public. Nous nous sommes unanimement élevés contre cela en commission et nous resterons vigilants, car il y va de notre crédibilité.
Mme la présidente
La parole est à M. Aurélien Saintoul.
M. Aurélien Saintoul
Madame la ministre, je vous remercie de vous inquiéter pour ma sensibilité, mais je veux vous rassurer : je vais bien.
M. Ian Boucard
Nous voilà rassurés !
M. Aurélien Saintoul
En revanche, je vois que vous nourrissez une forme de complexe à mon égard : peut-être trouvez-vous que je sais trop de choses (Rires et exclamation sur les bancs du groupe RN) ou que je vous donne des leçons ? Je ne sais pas, mais je m’inquiète pour vous.
M. Laurent Jacobelli
Quelle modestie !
M. Erwan Balanant
Élargissez les portes pour qu’il puisse sortir !
M. Jean-Philippe Tanguy
Vous êtes agrégé de lettres, pas prix Nobel !
M. Aurélien Saintoul
Vous dites, monsieur le rapporteur, que la question de la fusion est hors sujet, mais c’est Mme la ministre qui en a parlé elle-même hier soir, au moment de la présentation du texte. Pourquoi ne pas lui avoir dit qu’elle était hors sujet ?
En réalité, je crois qu’on est tout à fait dans le sujet. D’ailleurs, vous ne répondez pas à mes préoccupations concernant Arte et France Médias Monde. Or si vous voulez éviter la budgétisation, c’est en particulier pour ces deux entreprises de l’audiovisuel public.
Votre argument selon lequel je dénierais le caractère de service public à l’audiovisuel public est risible, madame la ministre, je suis désolé de vous le dire. Je parle d’effet d’éviction. Si vous captez des ressources de la TVA pour financer l’audiovisuel public, ce sont autant de ressources qui ne seront pas affectées à d’autres services publics. Je conçois que ce raisonnement puisse être difficile à comprendre au moment de la digestion, mais je pense que vous allez y arriver.
M. Laurent Jacobelli
Toujours élégant !
M. Philippe Ballard
La grande classe !
M. Aurélien Saintoul
Pourquoi n’apportez-vous aucune réponse aux arguments de Mmes Roselyne Bachelot et Rima Abdul-Malak, qui ont été cités hier, alors que vous jugez vous-même qu’il existe un lien fort entre réforme du financement et réforme de la gouvernance ?
Enfin, vous ne répondez pas non plus à cette autre question : que ferait le gouvernement si nous rejetions cette proposition de loi organique ? Laisseriez-vous la budgétisation se faire, ou bien dans le texte que le premier ministre s’apprête à faire adopter par 49.3, serait-il prêt à recréer une redevance ? C’est la solution qui s’impose, à Lolf constante.
M. Thibault Bazin
Et à la fin, il va retirer ses amendements et on aura parlé pour rien !
Mme la présidente
La parole est à M. Jérémie Patrier-Leitus.
M. Jérémie Patrier-Leitus
Je ne suis pas certain que Mme la ministre ait besoin qu’on la défende, mais je trouve que vous lui manquez de respect et c’est assez lamentable. Ce que je constate, c’est que même au moment de la digestion, vous nous parlez encore et toujours de taxes : voilà une chose qui ne change pas.
Vous demandez un débat démocratique sur le financement de l’audiovisuel public : c’est un débat que nous essayons de mener le plus sérieusement possible, afin de garantir aux acteurs de l’audiovisuel public un financement pérenne et dynamique. La ministre s’est engagée à ouvrir prochainement avec les parlementaires la discussion sur d’autres questions importantes que vous évoquez, à savoir la holding, la fusion et ce que nous voulons demander aux acteurs de l’audiovisuel public. Mais ce n’est pas le sujet du jour.
Nous lier les mains en disant que France Médias Monde ne doit pas faire partie d’un projet de holding, ce serait priver l’Assemblée nationale d’un débat stratégique sur l’avenir de notre audiovisuel public, qui doit être fort et embarquer l’ensemble des acteurs concernés. Ne nous lions pas les mains et travaillons ensemble, dans quelques semaines ou dans quelques mois, à la définition d’une vision stratégique pour notre audiovisuel public.
M. Aurélien Saintoul
Pourquoi ne devrions-nous pas parler aujourd’hui du financement ?
Mme la présidente
La parole est à M. Laurent Jacobelli.
M. Laurent Jacobelli
Monsieur le commissaire politique Saintoul (Applaudissements sur plusieurs membres du groupe RN), je sais que vous avez une vision particulière de l’audiovisuel.
M. Sylvain Maillard
Vous aussi !
M. Laurent Jacobelli
Pour vous, le pluralisme consiste à fermer les chaînes qui ne pensent pas comme vous. Il consiste à rester dans le confort du service public radiophonique, qui surreprésente La France insoumise et sous-représente le premier parti d’opposition.
M. Emmanuel Duplessy
C’est faux !
M. Laurent Jacobelli
Mais on parle de l’argent des Français et certains d’entre eux en ont marre de payer, hier une redevance, aujourd’hui une TVA, pour se faire insulter par un service public dont la gestion relève d’une véritable gabegie ! Pourquoi le service public assure-t-il des marges confortables à certains producteurs privés ? Le service public de Pierre Desgraupes, celui qui informait et qui divertissait, n’existe plus. À la place, il y a désormais un service public militant, qui gère mal l’argent public. Alors privatisons, pour moins d’impôts, pour plus de pluralisme et pour moins de Saintoul ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RN et sur plusieurs bancs du groupe UDR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre.
Mme Rachida Dati, ministre
Ce n’est pas la première fois que vous me manquez de respect, monsieur Saintoul, et ce n’est pas grave. Je ne nourris aucun complexe vis-à-vis d’un personnage comme vous, je vous rassure. (Applaudissements sur les bancs des groupes EPR et DR.) Vous savez sans doute trop de choses, mais pas forcément les bonnes, et encore moins les meilleures.
Premièrement, je suis contre un alourdissement de la fiscalité des ménages. Deuxièmement, le débat sur la redevance a été largement tranché. Troisièmement, vous savez très bien que depuis que j’ai été nommée ministre de la culture au mois de janvier, et même avant cela, je me suis battue pour sanctuariser le financement de l’audiovisuel public. Vous ne pouvez pas dire le contraire. Je sais que ce n’est pas votre combat, mais c’est le mien. Il n’y a aucune raison de traiter Arte ou France Médias Monde différemment du reste de l’audiovisuel public : toutes les chaînes sont traitées de la même manière et je n’ai pas compris le sens de votre propos. Vous voulez savoir ce qui se passera si la proposition de loi organique n’est pas adoptée ? Eh bien, nous reviendrons à la budgétisation.
M. Aurélien Saintoul
Voilà !
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 4.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 138
Nombre de suffrages exprimés 136
Majorité absolue 69
Pour l’adoption 6
Contre 130
(L’amendement no 4 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 6.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 137
Nombre de suffrages exprimés 136
Majorité absolue 69
Pour l’adoption 7
Contre 129
(L’amendement no 6 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 7.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 140
Nombre de suffrages exprimés 139
Majorité absolue 70
Pour l’adoption 8
Contre 131
(L’amendement no 7 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
L’amendement no 8 de M. Aurélien Saintoul est défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Denis Masséglia, rapporteur
Avis défavorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Rachida Dati, ministre
Avis défavorable.
Mme la présidente
La parole est à M. Ian Boucard.
M. Ian Boucard
Notre collègue Laurent Jacobelli vient de faire un vibrant plaidoyer pour la privatisation globale du service public. Lors de la campagne des législatives, au mois de juin, à chaque fois que, sur les antennes régionales de France 3 et de France Bleu, la question de la privatisation des antennes régionales était posée à des candidats du Rassemblement national ou de l’UDR, ils ne savaient pas quoi répondre.
M. Olivier Falorni
C’était très intéressant, ces débats régionaux !
M. Ian Boucard
Ils ne savaient pas ce qu’ils devaient dire, et la candidate qui était face à moi a répondu qu’elle ne savait pas, que M. Bardella n’avait pas donné de consigne. Puisque nous débattons de l’audiovisuel public et que vous êtes, pour beaucoup, des représentants de circonscriptions rurales, peut-être pourriez-vous enfin nous répondre et nous dire si vous avez prévu de privatiser prochainement les antennes régionales de France 3 et de France Bleu.
M. Philippe Ballard
Nous avons répondu hier !
Mme la présidente
La parole est à M. Richard Ramos.
M. Richard Ramos
Monsieur Jacobelli, vous n’allez pas dans le sens des Français. Les audiences de l’audiovisuel public, notamment de France Bleu et de France 3, sont en constante augmentation. Cela signifie que de plus en plus de Français ont besoin d’un service public audiovisuel de proximité. Privatiser, c’est aller à l’encontre de la volonté des Français.
Mme la présidente
La parole est à Mme la présidente de la commission spéciale.
Mme Sophie Taillé-Polian, présidente de la commission spéciale
Monsieur Ballard, je vous ai entendu hier traiter certaines des entreprises de l’audiovisuel public – que vous n’avez pas clairement identifiées – de canards boiteux.
M. Philippe Ballard
C’est faux !
Mme Sophie Taillé-Polian, présidente de la commission spéciale
À vous et à ceux de vos collègues du Rassemblement national qui souhaitent privatiser l’audiovisuel public, je veux rappeler que c’est en ses chaînes que les Françaises et les Français ont le plus confiance. Leurs audiences sont très importantes et ne cessent de progresser et, en dépit de leur sous-financement chronique, ce sont des entreprises très dynamiques et innovantes, qui rassemblent autour d’elles, qui font du lien et créent du commun dans notre pays. C’est peut-être ce qui vous gêne, vous qui ne cherchez qu’à diviser les gens. C’est aussi la raison pour laquelle nous défendons les entreprises de l’audiovisuel public et leur travail. (Applaudissements sur quelques bancs des groupes EcoS, LFI-NFP et SOC.)
Collègues du Rassemblement national, ne pensez-vous pas que France Télévisions a réalisé un travail exceptionnel au moment des Jeux olympiques ?
M. Gérault Verny
TF1 aussi !
Mme Sophie Taillé-Polian, présidente de la commission spéciale
Les Françaises et des Français ont presque tous regardé la cérémonie d’ouverture ou de clôture. Quel travail exceptionnel ! Vous ne supportez pas ce qui réunit les Françaises et les Français, car vous préférez ce qui les divise. On connaît votre pluralisme à la C8 ou à la CNews : à force de se faire insulter quand on y va, on n’y va plus. (Exclamations sur les bancs du groupe RN.) Mais je vous rappelle qu’ensemble, ces deux chaînes ne font même pas 6 % d’audience, alors que le service public, lui, en fait plus de 30.
M. Thibault Bazin
On n’est pas près d’examiner les deux autres textes !
Rappel au règlement
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Ballard, pour un rappel au règlement.
M. Philippe Ballard
Il se fonde sur l’article 70.
Madame la présidente de la commission spéciale, vous m’avez prêté des propos qui ne sont pas les miens et je crois que vous ne m’avez pas bien écouté hier. Lorsque j’ai parlé de canards boiteux, je citais M. Francis Balle, professeur émérite à l’université d’Assas et ancien membre du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). J’ai exposé sa position, qui est aussi la nôtre : il vaut mieux que la France dispose d’un groupe puissant que d’une multitude de canards boiteux. Nous pourrons avoir ce grand groupe d’ici trois ou quatre ans, lorsque les fusions auront été réalisées et que nous aurons bazardé toutes les règles anticoncentration qui datent de 1986, donc d’une époque où il n’y avait que six chaînes et où internet et les plateformes n’existaient pas. Face aux Gafam, que peuvent TF1, M6 et France Télévisions ? Vous avez trente ans de retard et je maintiens que M. Francis Balle a raison.
M. Gabriel Attal
Ce n’est pas un rappel au règlement !
Mme la présidente
Monsieur Ballard, vous avez commencé avec un rappel au règlement et vous finissez avec une explication de vote. Essayons de rester disciplinés !
M. Erwan Balanant
Il n’aime pas la discipline !
Après l’article 1er (suite)
Mme la présidente
La parole est à M. Guillaume Bigot.
M. Guillaume Bigot
Je tenais à répondre à notre collègue Ian Boucard pour défendre l’honneur de notre candidate dans l’autre circonscription du Territoire de Belfort, qui nous est cher à tous les deux. Le groupe DR, qui n’est plus à droite, fait preuve d’une forme de racisme social. Notre candidate savait, cela va de soi, que notre programme consiste à privatiser l’audiovisuel public.
M. Ian Boucard
Ce n’était pas dirigé contre elle !
M. Guillaume Bigot
Mais vous l’avez citée. La privatisation, c’est aussi la vox populi. TF1 a été privatisée et c’est devenu le premier groupe d’Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jérémie Patrier-Leitus.
M. Jérémie Patrier-Leitus
Monsieur Jacobelli, vos propos sont graves. Vous voulez privatiser l’audiovisuel public ? C’est votre choix et vous vous expliquerez devant les Français.
J’ai été administrateur de Radio France ; je suis actuellement administrateur de France Médias Monde. Vous ne pouvez pas remettre en cause le travail des agents et des salariés de l’audiovisuel public qui nous ont permis de vivre des Jeux olympiques exceptionnels.
M. Laurent Jacobelli
Je ne l’ai jamais fait !
M. Jérémie Patrier-Leitus
Si, vous vous êtes emporté, monsieur Jacobelli ! Vous avez remis en cause le travail de ces salariés qui font aussi notre fierté. Je rends également hommage aux agents de France Bleu, qui font la fierté des territoires ruraux. (Applaudissements sur plusieurs bancs des groupes HOR, EPR, SOC et DR.) Vous devriez le savoir, vous qui êtes élu dans un territoire rural ! On a la chance d’avoir France 3, France Bleu, des chaînes qui mettent en valeur des événements dans les petites communes rurales, qui contribuent au lien social, qui font la fierté des habitants. Les employés de France Médias Monde font aussi la fierté de la France et participent au rayonnement culturel du pays – pensez à RFI. Que vous souhaitiez privatiser l’audiovisuel public ne doit pas vous conduire à remettre en cause le travail remarquable de l’audiovisuel public ! (Applaudissements sur les bancs des groupes HOR et SOC.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Danielle Brulebois.
Mme Danielle Brulebois
En 2022, avec la suppression de la taxe d’habitation et de la redevance audiovisuelle, le principal sujet était le pouvoir d’achat des ménages. (M. Gabriel Attal applaudit.) En l’occurrence, la suppression de la redevance a représenté 138 euros supplémentaires pour 20 millions de foyers fiscaux ; ce n’est pas rien !
Un député du groupe LFI-NFP
Vous les avez appauvris !
Mme Danielle Brulebois
Garantir un audiovisuel public fonctionnel suppose un financement solide, sanctuarisé, comme l’a dit Mme la ministre. La proposition de loi organique permet d’éviter la budgétisation pure et simple, susceptible de fluctuer en fonction des priorités de l’État. Un financement durable, connu et verrouillé dès le vote du PLF, garantit à l’audiovisuel public une certaine indépendance ; ses acteurs ont d’ailleurs tous salué le texte et appelé à le voter conforme.
La pérennité et la modernisation de ce service public auquel nous sommes tant attachés représentent des défis à surmonter, face à la concurrence féroce de Netflix, Amazon ou Disney. Ces questions continuent de nous préoccuper, mais il s’agit aujourd’hui, en adoptant ce texte, de franchir une première marche, décisive. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
Rappel au règlement
Mme la présidente
La parole est à M. Laurent Jacobelli, pour un rappel au règlement.
M. Erwan Balanant
Qu’ils sont susceptibles !
M. Laurent Jacobelli
Cher collègue Patrier-Leitus, ne me prêtez pas des propos que je n’ai pas tenus !
M. Gabriel Attal
Sur quel article se fonde ce rappel au règlement ?
M. Laurent Jacobelli
Tournez sept fois la langue dans la bouche avant de parler !
Mme la présidente
Quel est le fondement de ce rappel au règlement, monsieur Jacobelli ?
M. Laurent Jacobelli
L’article 70, madame la présidente. Je connais bien France Médias Monde : j’ai eu la chance de diriger les programmes de TV5 Monde.
M. Hervé Saulignac
Il n’y a que des conflits d’intérêts, ici !
M. Laurent Jacobelli
Lisez notre programme, vous constaterez que nous ne voulons pas privatiser France Médias Monde !
Mme la présidente
Venez-en au fond du rappel au règlement !
M. Laurent Jacobelli
Vous insultez les salariés du privé, une fois encore, en imaginant qu’une bonne télévision, éthique, pluraliste, de qualité… (Mme la présidente coupe le micro de l’orateur.)
Mme la présidente
Monsieur le député, vous ne répondez pas à une mise en cause personnelle mais sur le fond de l’amendement.
M. Erwan Balanant
Merci, madame la présidente.
Après l’article 1er (suite)
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 8.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 160
Nombre de suffrages exprimés 158
Majorité absolue 80
Pour l’adoption 8
Contre 150
(L’amendement no 8 n’est pas adopté.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour soutenir l’amendement no 3.
Mme Sophie Taillé-Polian, présidente de la commission spéciale
Quelle est la meilleure manière d’évaluer les montants destinés à l’audiovisuel public ? Actuellement, des discussions poussées ont lieu entre les entreprises du secteur, le ministère de la culture et le ministère des finances. Si nous cherchions véritablement à garantir l’indépendance de ces entreprises, à les préserver de toute velléité d’ingérence politique, nous devrions non reproduire le modèle allemand, car nos histoires sont différentes, mais nous en inspirer. En Allemagne, une commission indépendante définit le montant de la redevance en vérifiant que concordent les missions de service public – établies par la représentation nationale –, les objectifs affichés et les montants alloués. Dans notre rapport d’information sur les projets de contrats d’objectifs et de moyens (COM) 2024-2028 des entreprises de l’audiovisuel public, nous avons relevé, ma collègue Céline Calvez et moi-même, la dichotomie entre les missions et les objectifs, qui sont les bons, et les moyens, qui sont insuffisants. Il convient de corriger ce hiatus : on ne peut plus demander l’impossible à des entreprises où les employés font déjà tout ce qu’ils peuvent. Un regard indépendant serait extrêmement utile, dans le cadre d’une mission naturellement confiée à l’Arcom, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, afin d’ajuster les moyens aux missions.
Nous appelons également de nos vœux une loi de programmation pluriannuelle pour l’audiovisuel public, qui serait l’occasion d’un grand débat sur les missions et les moyens alloués. Le secteur a peut-être un peu plus besoin que d’autres de prévisibilité.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
M. Denis Masséglia, rapporteur
Vous avez raison : l’histoire allemande est différente de l’histoire française ; il n’est donc pas forcément judicieux de tenter de ressembler à l’Allemagne. Quant à l’évaluation que vous proposez, il entre déjà dans les attributions de l’Arcom de formuler des avis relatifs aux COM. Des améliorations sont possibles, mais l’agence indépendante – l’Arcom – comme les outils – les COM – existent déjà. Avis défavorable.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Rachida Dati, ministre
L’amendement est satisfait : l’Arcom formule un avis non seulement sur les COM, mais également sur la trajectoire financière pluriannuelle de l’audiovisuel public.
Mme la présidente
La parole est à Mme Céline Calvez.
Mme Céline Calvez
Bien que la question du renforcement du suivi assuré par l’Arcom mérite d’être posée, j’insisterai plutôt sur la question du pouvoir du Parlement. J’invite les parlementaires à se saisir de toutes leurs prérogatives. Actuellement, ils ne sont consultés qu’en bout de course : certes, nous évaluons les COM, mais ils nous parviennent trop tardivement, nous participons trop peu à leur élaboration et nous ne disposons pas des bons indicateurs de suivi. J’invite l’État et le gouvernement à associer davantage le Parlement. Je ne voterai pas l’amendement, mais j’en retiens cette idée de mieux associer le Parlement à la définition de la stratégie de l’audiovisuel public, dont l’indépendance doit être assurée. (M. Aurélien Saintoul applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à Mme la présidente de la commission spéciale.
Mme Sophie Taillé-Polian, présidente de la commission spéciale
Je vais retirer l’amendement, bien que votre réponse, madame la ministre, ne me satisfasse pas. L’Arcom a beau donner des avis sur les COM, elle ne le fait qu’en amont, avant même la signature des conventions pluriannuelles d’objectifs et de moyens. Rendre des avis a priori, sur des trajectoires financières aussi larges et peu précises, sans possibilité d’y revenir au fil de l’eau, n’est pas satisfaisant. Nous devons empêcher qu’à l’avenir un gouvernement malveillant puisse soumettre l’audiovisuel public – ô combien important pour la démocratie – à des injonctions contradictoires, ni lui assigner des missions impossibles.
(L’amendement no 3 est retiré.)
Explications de vote
Mme la présidente
La parole est à M. Jérémie Patrier-Leitus.
M. Jérémie Patrier-Leitus (HOR)
Nous voterons la proposition de loi organique car il faut donner de la visibilité aux acteurs de l’audiovisuel public, assurer un financement pérenne, réaffirmer notre attachement à ce garant d’une information fiable, plurielle, indépendante, de proximité. Je salue de nouveau le rôle joué par France 3 et France Bleu, dont les missions ne sauraient être assurées par des acteurs privés. Si nous avons pu débattre démocratiquement lors des élections législatives, c’est aussi grâce à ces chaînes ; elles font vivre le débat démocratique. J’espère un vote conforme, qui marque le début d’un travail approfondi sur l’avenir de l’audiovisuel public : nous attendons en effet que soit mis à l’ordre du jour un débat sur le projet de holding – la gouvernance de cette dernière et de ses filiales –, au cours duquel seraient définis les objectifs stratégiques du secteur. Il y va de l’argent des Français et du rôle du Parlement.
Mme la présidente
La parole est à Mme Soumya Bourouaha.
Mme Soumya Bourouaha (GDR)
Nous voterons conforme le texte pour protéger l’audiovisuel public qui, sans cela, serait financé à la discrétion des gouvernements. Nous lui réaffirmons notre attachement : il est le cœur de notre démocratie, nous y tenons très fort.
Mme la présidente
La parole est à Mme Hanane Mansouri.
Mme Hanane Mansouri (UDR)
Sans suspense, le groupe UDR votera contre ce texte : nous refusons de pérenniser le financement de l’audiovisuel public, en allouant une fraction de la TVA ou au moyen de tout autre impôt.
Je me réjouis uniquement que cette discussion ait permis, une fois de plus, de montrer le vrai visage de la gauche, laquelle tente de nous faire croire, comme Sandrine Rousseau hier dans un grand numéro d’actrice, qu’elle se tient aux côtés des pauvres, et qui nous explique à présent que 138 euros de pouvoir d’achat ne représentent rien.
M. Arthur Delaporte
Ceux qui ne payent pas l’impôt sur le revenu ne payent pas la redevance !
Mme Hanane Mansouri
Vous n’avez jamais rencontré de vrais Français, manifestement. Une telle somme représente un plein et demi d’essence, à peine un panier de courses pour une semaine, une facture moyenne d’électricité : ce n’est pas rien !
Voter le texte dans le délai très court qui nous est imparti ne permet pas de poser les bonnes questions, notamment sur le coût faramineux de l’audiovisuel public compte tenu des nouveaux modes de communication, et sur son utilité au regard de l’offre variée du secteur privé, qui répond parfaitement aux besoins d’information des Français. La gauche le sait mais tente de protéger à tout prix son outil de propagande en demandant aux contribuables de le financer, avec la complicité des LR, apparemment habitués à trahir ! (Rires sur les bancs des groupes UDR et RN.)
M. Thibault Bazin
Il n’y a plus de LR ! D’ailleurs, vous aussi en étiez : vous étiez la présidente des Jeunes Républicains de l’Isère !
Mme Hanane Mansouri
Le groupe UDR défend la privatisation de l’audiovisuel public et s’oppose donc à ce texte. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
M. Thibault Bazin
C’est Judas au féminin !
Mme la présidente
La parole est à M. Bruno Clavet.
M. Bruno Clavet (RN)
Le groupe RN a toujours soutenu la suppression de la redevance : il s’agissait d’une taxe absurde, d’un impôt archaïque destiné à financer un audiovisuel éloigné des vraies préoccupations des Français. Aussi sommes-nous opposés à son rétablissement, qu’il soit direct ou camouflé sous un autre nom : il s’agirait d’une nouvelle agression fiscale contre des Français déjà pressés de toute part. Ceux qui œuvrent à ce retour – les députés écologistes et ceux de la France insoumise – défendent la vision d’un État glouton considérant l’argent des Français comme une ressource inépuisable. Nous rejetons catégoriquement cette vision : nos concitoyens ne sont pas des tirelires que l’on pourrait briser à volonté.
Le financement par une fraction de la TVA est certes un moindre mal, car il évite que les ménages soient directement ponctionnés.
M. Denis Masséglia, rapporteur
Vous devriez travailler un peu le sujet, quand même…
M. Bruno Clavet
Il n’en s’agit pas moins, soyons honnêtes, d’un bricolage budgétaire, d’une solution temporaire qui ne fait que repousser la nécessité d’une réforme profonde et courageuse de l’audiovisuel public. Tant que France Télévisions et Radio France resteront sous perfusion publique, elles continueront de réclamer toujours plus d’argent, sans jamais prouver leur capacité à bien le dépenser. Les deux entités coûtent aux contribuables 3,2 milliards d’euros par an. Avec cette somme, nous pourrions embaucher…
Mme Sophie Taillé-Polian, présidente de la commission spéciale
Des assistants parlementaires ?
M. Bruno Clavet
…60 000 policiers, construire 3 000 nouvelles écoles, rénover 6 400 kilomètres de route. Bref, il est possible et nécessaire de mieux dépenser l’argent des Français. Le Rassemblement national s’abstiendra de voter la proposition de loi organique, car nous refusons de soutenir une demi-mesure qui ne traite pas le fond du problème. Nous plaidons depuis longtemps pour la privatisation progressive de l’audiovisuel public, tout en conservant dans le giron public TV5 Monde, Arte, l’INA et les chaînes régionales.
Permettez-moi enfin d’évoquer un sujet absent de nos débats : la neutralité. L’audiovisuel public ne peut être légitime que s’il est parfaitement neutre ; il n’est démocratiquement légitime et budgétairement admissible qu’à cette condition. Quand il prend parti une fois, deux fois, il s’écarte de son rôle, il n’est plus le carrefour du débat public qu’il est censé être. Un journaliste du service public ne doit pas être un militant ou un activiste, il doit être – au mieux – un sceptique, obéissant à des devoirs et à une méthode. C’est pourquoi nous restons cohérents et réaffirmons notre volonté de mettre un terme à l’ensemble des financements publics, ce qui permettra de rendre directement cet argent…
M. Nicolas Thierry
Aux milliardaires !
M. Bruno Clavet
…aux Français. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Céline Calvez.
Mme Céline Calvez (EPR)
Cette année, il a souvent été question d’audiovisuel public, que ce soit pour le critiquer, le privatiser, le figer ou, encore, pour le défendre – je fais partie de cette dernière catégorie. En effet, le groupe Ensemble pour la République défend l’idée d’un audiovisuel public fort et indépendant.
Au fil de nos discussions, nous avons évoqué, outre les modalités de financement de ce secteur, ses missions et ses orientations stratégiques, qui sont fondamentales pour garantir la démocratie et promouvoir la culture française. Nous avons parlé des coopérations, de son mode d’organisation et de gouvernance, ainsi que du niveau de son financement.
Dans quelques instants, nous nous prononcerons en faveur de son indépendance en adoptant, par un vote conforme, la proposition de loi organique du Sénat qui vise à affecter à l’audiovisuel public un montant déterminé d’imposition. Nous pouvons au moins nous accorder sur ce point. Nous sommes parvenus à éviter l’adoption d’amendements qui auraient empêché un vote conforme.
M. Erwan Balanant
Eh oui !
Mme Céline Calvez
C’est pourquoi les membres du groupe EPR – et j’espère bien d’autres sur ces bancs –, voteront la proposition de loi organique qui, certes, modifie le droit organique mais renforce considérablement l’audiovisuel public. (Applaudissements sur les bancs du groupe EPR.)
M. Denis Masséglia, rapporteur
Excellent !
Mme la présidente
Sur la proposition de loi organique portant réforme du financement de l’audiovisuel public, je suis saisie par le groupe Ensemble pour la République d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Aurélien Saintoul.
M. Aurélien Saintoul (LFI-NFP)
Je me réjouis que nous ayons pu débattre de ce sujet, alors que la volonté du gouvernement et des macronistes était de passer outre cette étape et d’en venir directement au vote ; en définitive, la discussion a pu avoir lieu.
M. Sylvain Maillard
On t’a écouté ! Tout le temps !
M. Aurélien Saintoul
Mon intervention me donne l’occasion non seulement de réaffirmer notre attachement au service public de l’audiovisuel, mais aussi de rappeler que les macronistes n’ont pas toujours été gentils avec lui ! En tant que député de la 11e circonscription des Hauts-de-Seine, qui comprend la ville de Malakoff dans laquelle se situait le siège de France Ô, je peux vous dire que, dans les outre-mer, on sourit amèrement lorsqu’on entend les macronistes affirmer qu’ils ont tant à cœur l’avenir de l’audiovisuel public, alors que cette chaîne a cessé d’être diffusée !
Quant aux protestations d’amitié à l’égard de l’audiovisuel public, nous savons désormais ce qu’elles valent ! Nous venons en effet de vivre un moment de vérité, puisque Mme la ministre a fini par reconnaître au cours du débat qu’en l’absence d’un vote conforme, le gouvernement ne prendrait aucune initiative en vue d’éviter la budgétisation. Ainsi, celles et ceux qui œuvrent au bon fonctionnement de l’audiovisuel public et qui nous écoutent, sauront – lorsque le gouvernement viendra leur expliquer, la bouche pleine de paroles sucrées, que la réforme de la gouvernance est un bien et qu’ils en sortiront grandis face à l’avenir – que sa parole ne vaut rien ! En réalité, le gouvernement n’est pas prêt à empêcher la budgétisation du financement de l’audiovisuel – ce que tout le monde souhaite pourtant éviter –, en rétablissant simplement la redevance. Les engagements pris ici par le gouvernement ne sont donc que des faux-semblants. Nous ne l’oublierons pas lorsqu’il s’agira de débattre de la fusion. Nous vous donnons donc rendez-vous.
Sachant que le présent texte doit être adopté, puisque le gouvernement n’est pas dans de bonnes dispositions à l’égard de l’audiovisuel public, nous nous abstiendrons, afin de permettre son adoption.
M. Sylvain Berrios
Ça, c’est courageux ! (Sourires.)
M. Aurélien Saintoul
Néanmoins, la bataille ne fait que commencer !
M. Jérémie Patrier-Leitus
Qui a augmenté le budget de l’audiovisuel public ?
Mme la présidente
La parole est à M. Emmanuel Grégoire.
M. Emmanuel Grégoire (SOC)
Nous nous sommes déjà exprimés sur plusieurs sujets, mais leur cohérence invite à les rappeler. Tout d’abord, nous voterons la proposition de loi organique dans une version conforme à celle du Sénat – il nous est demandé une forme de vote impérieux –, puisqu’en raison de l’impéritie et de l’impréparation du gouvernement, c’est le seul moyen d’éviter une budgétisation qui ferait peser une grande menace non seulement financière mais aussi juridique sur la poursuite des activités de plusieurs acteurs de l’audiovisuel public. À ce titre, j’appelle chacun à la cohérence : si vous considérez que la budgétisation est une menace et si vous vous apprêtez à voter le texte, ce qui, à l’exception du RN, semble s’esquisser compte tenu de l’abstention de La France insoumise, il faudra en tirer les conséquences budgétaires : nous ne pouvons laisser dire, d’un côté, que la budgétisation de l’audiovisuel public constitue une forme d’insécurité budgétaire et, de l’autre, ne pas adapter les moyens permettant au service public de remplir ses missions.
Ensuite, il y a la question de la gouvernance – c’est l’une des raisons pour lesquelles nous nous trouvons dans cette situation. Une forme de chantage avait été exercée, selon laquelle on empêcherait la budgétisation, à condition de bien accompagner la réforme de la gouvernance. Ce sont deux sujets certes importants, disjoints techniquement et philosophiquement. Nous devrons approfondir la réflexion sur l’évolution de la gouvernance – il n’y a rien d’acquis en la matière. La ligne qui devra nous guider est celle de la défense non des acteurs mais des missions et de la singularité de l’audiovisuel, qui fait que c’est un véritable service public.
Enfin, en cohérence avec ce qui a été évoqué, nous devrons également accompagner les acteurs de l’audiovisuel public dans leurs missions d’éducation populaire, d’égalité territoriale, d’accès à la culture, d’accès à la formation, et renouer avec un peu moins de logistique et un peu plus de service public pour l’audiovisuel. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Virginie Duby-Muller.
Mme Virginie Duby-Muller (DR)
Je tiens à remercier le rapporteur Denis Masséglia et l’ensemble des collègues pour la qualité de ce débat, même si nous regrettons les amendements démagogiques déposés par les membres du groupe LFI-NFP…
M. Ian Boucard
Comme d’habitude !
Mme Virginie Duby-Muller
…en faveur d’un retour de la redevance audiovisuelle. Au moins, ils ont le mérite de la constance, pour rétablir des taxes et des impôts au détriment des ménages et de nos concitoyens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur quelques bancs du groupe EPR.)
Nous voici donc au terme de l’examen de cette proposition de loi organique qui vise à pérenniser le financement de l’audiovisuel public. Le groupe Droite républicaine a déjà largement exprimé son soutien à ce texte, issu des travaux du rapport de nos anciens collègues Jean-Jacques Gaultier et Quentin Bataillon…
M. Thibault Bazin
Très bon député des Vosges, Jean-Jacques Gaultier ! Il nous manque !
Mme Virginie Duby-Muller
…et d’une initiative des sénateurs membres de notre famille politique. Il permet de sanctuariser le financement de l’audiovisuel public et d’éviter sa budgétisation. Rappelons que cette solution est soutenue et attendue par les dirigeants de toutes les entités de l’audiovisuel public. Permettez-moi de saluer, à cet égard, l’ensemble des salariés de ce groupe, en particulier ceux de France 3 et de France Bleu qui travaillent dans nos territoires.
Le texte doit être adopté conforme pour que la loi soit promulguée avant la fin de l’année ; ce qui est sur le point d’advenir – c’est d’ailleurs assez rare au sein de cette assemblée, a fortiori compte tenu de sa configuration actuelle. C’est la preuve d’un esprit de responsabilité, qui signe notre attachement à pérenniser le modèle français. C’est un engagement en faveur de la démocratie, de la diversité culturelle et d’une information de qualité, auxquelles nous sommes tous attachés. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR et sur quelques bancs du groupe EPR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Emmanuel Duplessy.
M. Emmanuel Duplessy (EcoS)
Comme nous l’avons indiqué au cours de la discussion générale, nous voterons la proposition de loi organique, afin de préserver l’indépendance des médias publics. Je ne m’étendrai pas sur le rôle déterminant du droit à l’information dans l’exercice des libertés démocratiques, pas plus que sur les phénomènes de concentration des médias aux mains de quelques fortunes, les ingérences étrangères, la désinformation, la qualité de l’information, les moyens dévolus à l’enquête et à l’investigation, la diffusion des arts et de la culture ou encore la vulgarisation des sciences. Néanmoins, ces questions essentielles restent entières et le resteront après l’adoption de la proposition de loi organique. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe EcoS et sur quelques bancs du groupe SOC.)
Mme la présidente
La parole est à M. Erwan Balanant.
M. Erwan Balanant (Dem)
Nous avons constaté, au cours de nos débats, l’importance que nous accordons presque tous à l’audiovisuel public, secteur agile et indépendant qui crée des contenus largement plébiscités, la plupart du temps, par les Français.
Permettez-moi, au moment où nous nous apprêtons à pérenniser le financement de l’audiovisuel public, de saluer tous les salariés de ce secteur, qui accomplissent un travail remarquable. Nous l’avons observé durant la campagne pour les élections législatives : ils étaient sur le terrain pour organiser les débats, rendre compte de la situation et, tout simplement, faire vivre la démocratie. L’audiovisuel public est donc bien un service public.
Nous avons également noté que le nouveau mantra du Rassemblement national est de privatiser le service public ! Durant la campagne pour les élections législatives, M. Tanguy déclarait vouloir privatiser La Poste. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe RN.)
M. Emeric Salmon
Mensonge !
M. Erwan Balanant
Aujourd’hui, M. Ballard veut privatiser l’audiovisuel public ! Peut-être, pour la prochaine étape, Marine Le Pen aura-t-elle envie de privatiser la justice ? Affaire à suivre. (Les exclamations se poursuivent sur plusieurs bancs du groupe RN.)
M. Emeric Salmon
Il raconte n’importe quoi !
M. Erwan Balanant
En tout cas, grâce à ce texte, nous pérennisons le financement de l’audiovisuel public et c’est tant mieux. Il n’existe pas de démocratie puissante sans des médias indépendants, sans un audiovisuel public qui soit capable de faire vivre la démocratie, de lutter contre les fake news,…
M. Emeric Salmon
Vous venez d’en inventer une, de fake news !
M. Erwan Balanant
…d’informer les citoyens ou encore de créer des programmes pédagogiques pour les enfants. C’est pourquoi le groupe Les Démocrates votera ce texte et nous ne pouvons que nous féliciter d’un tel vote conforme. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe Dem et sur quelques bancs du groupe EPR.)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi organique.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 189
Nombre de suffrages exprimés 125
Majorité absolue 63
Pour l’adoption 119
Contre 6
(La proposition de loi organique est adoptée.)
Suspension et reprise de la séance
Mme la présidente
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures trente.)
Mme la présidente
La séance est reprise.
3. Sécurisation du mécanisme de purge des nullités
Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’une proposition de loi adoptée par le Sénat
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités (nos 465, 550).
Présentation
Mme la présidente
La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice
La proposition de loi qui nous réunit aujourd’hui fait suite à la décision du Conseil constitutionnel du 28 septembre 2023, qui a censuré une partie de l’article 385 du code de procédure pénale. Dans sa décision, le Conseil a jugé que le mécanisme de purge des nullités devant le tribunal correctionnel n’était pas conforme au droit à un recours juridictionnel effectif, ainsi qu’aux droits de la défense. Ce mécanisme encadre le droit, pour les parties, de soulever des nullités au cours de l’information judiciaire, puis devant le tribunal correctionnel. En application de ce principe, aucune nullité relative aux actes de procédure réalisés durant l’information judiciaire ne peut être soulevée à l’audience dès lors que le tribunal a été saisi à l’issue de cette même information judiciaire.
Il s’agit de la contrepartie logique de la possibilité donnée aux parties de soulever des nullités au cours de l’information judiciaire : devant le tribunal, elles ne sont plus recevables à le faire puisqu’elles en ont la faculté tout au long de la procédure d’instruction. Le Conseil constitutionnel a toutefois censuré l’article 385 du code de procédure pénale, au motif qu’il ne permettait pas à une partie de soulever une nullité devant le tribunal alors même qu’elle n’en avait eu connaissance que postérieurement à la clôture de l’information.
Les effets de l’abrogation ont été reportés au 1er octobre 2024. Depuis cette date, le mécanisme de purge des nullités devant le tribunal correctionnel n’est donc plus applicable. Il apparaît indispensable de le rétablir au plus vite et c’est précisément l’objet de cette proposition de loi. Je remercie votre assemblée, votre rapporteure et la commission des lois pour la qualité et la rapidité du travail mené, compte tenu de l’échéance prévue par le Conseil constitutionnel.
Le mécanisme de purge des nullités est essentiel pour sécuriser les procédures en cours et limiter les recours dilatoires. Il évite la remise en cause tardive des procédures, alors même que les parties disposent du droit de saisir la chambre de l’instruction tout au long de ces dernières, et que la chambre de l’instruction peut également relever d’office tout moyen de nullité à l’occasion de l’examen de leur régularité. Ce dispositif est d’autant plus nécessaire que, lorsqu’un acte procédural est annulé, tous les actes subséquents le sont également, ce qui peut parfois conduire à l’annulation de pans entiers de dossiers de procédures longues et complexes.
Ce mécanisme, qui contribue à la bonne administration de la justice et constitue l’une des spécificités de la procédure d’information judiciaire, est le corollaire d’un cadre procédural qui accorde une place renforcée au principe du contradictoire et sécurise davantage les procédures d’instruction que les enquêtes préliminaires ou de flagrance, pour lesquelles le contrôle des nullités ne s’exerce qu’au stade de l’audience de jugement.
La proposition de loi rétablit donc le mécanisme de purge des nullités devant le tribunal correctionnel, tout en ajoutant l’exception résultant de la décision du Conseil constitutionnel – elle permet qu’une nullité puisse toujours être soulevée si la partie n’a pas pu en avoir connaissance avant la clôture de l’instruction. Les travaux de Mme la rapporteure ont identifié une redondance dans la rédaction de l’article 1er, à son alinéa 12, qui vise à la fois la période précédant la clôture de l’instruction et celle précédant l’expiration des délais prévus par l’article 175 du code de procédure pénale, nécessairement incluse dans la première.
Toutefois, cette précision ne nous semble pas faire obstacle à une adoption conforme du texte, dès lors que l’intention du législateur est claire – nous sommes précisément en train de la clarifier –, et que nous pourrons le doubler d’instructions aux juridictions. Le délai qu’entraînerait une poursuite de la navette emporterait trop de risques, tant de fragilisation des procédures que de surcharge des temps d’audience, dans un temps où, vous le savez, l’audiencement est déjà tendu. Je vous remercie, madame la rapporteure, d’avoir entendu cet argument.
Par cohérence, alors que la décision du Conseil constitutionnel ne porte que sur la matière délictuelle, la proposition de loi prévoit cette possibilité devant l’ensemble des juridictions répressives : cour d’assises, cour criminelle départementale et tribunal de police. La commission des lois du Sénat a par ailleurs simplifié les règles relatives à l’examen des moyens de nullité qui n’auraient pas pu être invoqués avant l’expiration des délais, faute d’avoir été connus, en confiant cet examen à la juridiction correctionnelle ou criminelle compétente sur le fond de l’affaire concernée. Cette modification simplifie le dispositif tout en assurant au justiciable la possibilité de soulever la nullité d’un acte non couvert par les purges, conformément aux exigences du Conseil constitutionnel.
Pour toutes ces raisons, le gouvernement est bien sûr favorable à l’adoption conforme de cette proposition de loi. Je salue l’esprit de responsabilité dont votre commission et votre rapporteure ont fait preuve devant l’urgence à légiférer.
Mme la présidente
La parole est à Mme Colette Capdevielle, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.
Mme Colette Capdevielle, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Notre assemblée est saisie d’un texte en apparence technique mais dont la portée pratique est importante pour les juridictions chargées de l’instruction des dossiers les plus complexes. La procédure d’instruction concerne un nombre limité de dossiers – mais ce sont les plus importants. Obligatoire en matière criminelle, facultative en matière correctionnelle et contraventionnelle, la procédure d’information est précieuse pour faire la lumière sur les faits relevant de la criminalité organisée – notamment la délinquance économique et financière ainsi que le narcotrafic –, dont le traitement demande des investigations poussées. L’instruction préparatoire suit une procédure précisément détaillée par le code de procédure pénale, qu’il s’agisse de son ouverture, de son déroulement ou de sa clôture.
Le contrôle du respect de la procédure repose sur un équilibre construit dans les années 1990. Le code de procédure pénale permet aux parties de veiller, tout au long de l’instruction, au respect de la procédure. Cette dernière peut être entachée de nullités, que les parties peuvent contester devant la chambre de l’instruction, pendant la durée de l’instruction. Comme l’indique l’article 171 du code de procédure pénale, il y a nullité lorsque la méconnaissance d’une formalité substantielle prévue par toute disposition de procédure pénale a porté atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne. Cette garantie procédurale est essentielle pour assurer le respect du principe du contradictoire et des droits de la défense.
Les conséquences du prononcé d’une nullité sont potentiellement majeures, M. le ministre l’a souligné. Si la chambre de l’instruction constate une cause de nullité, elle prononce la nullité de l’acte qui en est entaché mais aussi, le cas échéant, celle de tout ou partie de la procédure ultérieure. La découverte d’une nullité peut fragiliser considérablement un dossier d’instruction et avoir pour incidence la remise en liberté d’une personne détenue. En contrepartie, la clôture de l’information judiciaire entraîne la purge des nullités, qui ne peuvent plus être invoquées par la suite, que ce soit devant la chambre de l’instruction ou la juridiction de jugement.
La purge des nullités est un élément essentiel de sécurisation des procédures d’instruction, qui permet de concentrer les débats devant le tribunal correctionnel, la cour d’assises et la cour criminelle départementale sur les questions de fond – la culpabilité et le prononcé de la peine. Elle est d’autant plus importante que, dans la quasi-totalité des cas, les nullités sont soulevées dans des dossiers de criminalité organisée – des gros dossiers, si vous me permettez l’expression. Or elles le sont devant des chambres de l’instruction déjà encombrées et très sollicitées, ce qui ralentit l’avancée des procédures.
Le principe de la purge des nullités, introduit en 1993, a été validé par la jurisprudence constitutionnelle, mais certaines décisions récentes l’ont fragilisé. À la suite d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) transmise par la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel a censuré la purge des nullités en matière correctionnelle, dans la mesure où elle ne prévoyait pas d’exception lorsqu’une partie ne pouvait avoir connaissance de l’existence de cette nullité et ne pouvait, dès lors, en contester la légalité devant la chambre de l’instruction.
Cette QPC a été posée à l’occasion d’une affaire correctionnelle concernant l’ancien premier ministre François Fillon. Le moyen de nullité invoqué provenait de déclarations de l’ancienne procureure de la République financière lors des auditions de la commission d’enquête sur les obstacles à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Alors que ces déclarations avaient causé un certain émoi à l’époque, la partie concernée n’avait pas pu faire étudier cette cause éventuelle de nullité.
Le Conseil constitutionnel a considéré que l’impossibilité de faire examiner une cause de nullité postérieurement à la clôture de l’instruction, pour le seul cas d’une nullité que les parties n’avaient pas pu connaître avant, méconnaissait le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense. Le délai prévu par le Conseil constitutionnel est désormais échu. Je regrette, monsieur le ministre, que le Parlement n’ait pas pu se prononcer plus tôt. Ce calendrier est d’autant plus problématique qu’une QPC est en instance – une audience publique du Conseil constitutionnel était prévue hier, la QPC est mise en délibéré et le prononcé ne devrait pas tarder.
Face aux inquiétudes légitimes exprimées en commission des lois, je précise que cette proposition de loi n’est en aucun cas attentatoire aux droits de la défense : elle vise précisément à les étendre de manière encadrée. Mes travaux ont permis d’identifier des problèmes de rédaction, notamment pour ce qui concerne la fin de la procédure et le respect de l’article 175. J’aurais souhaité également que nous puissions avoir une réflexion sur la manière d’encadrer l’exception à la purge des nullités prévue par ce texte, en excluant les cas de manœuvre et de négligence des parties. Cette nouvelle fenêtre de procédure donnera lieu au développement d’un contentieux – j’aurai l’occasion d’y revenir, un amendement à ce sujet ayant été déposé.
Je le répète, nous sommes pris par l’urgence d’adopter un texte pour combler le vide juridique existant depuis le 1er octobre. En dépit de notre insatisfaction quant aux conditions dans lesquelles le gouvernement nous demande de nous prononcer, nous sommes bien conscients de l’urgence à légiférer. Nous avons retiré les amendements que j’avais déposés en commission des lois au profit d’une adoption conforme du texte – ce dossier reviendra probablement devant notre assemblée en début d’année prochaine.
Conformément à mes préconisations, la commission des lois a adopté le texte issu du Sénat. Je vous propose aujourd’hui de voter son adoption conforme. Le sujet n’est pas forcément glamour (Sourires) ni très porteur politiquement, mais il est essentiel car plusieurs affaires importantes sont concernées par le texte que nous examinons aujourd’hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Discussion générale
Mme la présidente
La parole est à Mme Martine Froger.
Mme Martine Froger
Cela fait plus d’un an que le Conseil constitutionnel a censuré le mécanisme de purge des nullités dans le cadre de la QPC soulevée par François Fillon, le 28 septembre 2023. L’apparente technicité du sujet de la proposition de loi ne doit pas en atténuer les enjeux : l’activité quotidienne des juridictions pénales nous montre à quel point les nullités peuvent avoir des effets dévastateurs sur une procédure, rendant indispensable un mécanisme de purge. Pour éviter les effets disproportionnés d’une censure brutale, le Conseil avait pourtant fait le choix judicieux de laisser au gouvernement du temps pour réagir : ce dernier avait en effet jusqu’au 1er octobre 2024 pour modifier le code de procédure pénale. Seulement, voilà : le délai n’a pas été tenu, le gouvernement ayant laissé passer un an sans jamais faire preuve d’initiative en la matière ! Il a donc fallu que le Sénat dépose la présente proposition de loi pour faire bouger les choses.
Au fond, personne ici ne remet en doute l’utilité du mécanisme de purge qui permet de sécuriser l’instruction judiciaire dans les dossiers les plus complexes. La purge vise essentiellement à limiter les recours dilatoires ; elle traduit le devoir de loyauté de la défense en empêchant qu’une partie n’invoque au dernier moment une nullité qu’elle aurait pu soulever à une étape antérieure. Cela dit, les deux censures du Conseil constitutionnel, tant en matière criminelle qu’en matière correctionnelle, étaient justifiées. Dans un État de droit, le droit à un recours effectif et les droits de la défense doivent toujours être préservés. Or dans quelques cas, la purge intervenait avant même que les parties n’aient eu connaissance de la nullité et n’aient pu la soulever. En somme, sans remettre en cause tout le régime de purge, le Conseil a légitimement demandé au législateur de prévoir des exceptions.
En réponse à cette demande, le Sénat a fait le travail que le gouvernement n’a pas voulu faire. Le présent texte permet de modifier le mécanisme de purge, conformément à la jurisprudence constitutionnelle. Il prévoit une exception permettant qu’une nullité puisse être soulevée si la partie n’a pu en avoir connaissance avant la clôture de l’instruction. Notre groupe salue le choix de rénover et d’harmoniser l’ensemble des procédures en matière contraventionnelle, correctionnelle et criminelle, afin d’éviter une nouvelle censure. L’équilibre du texte devrait assurer la bonne administration du service public de la justice, tout en garantissant les droits de la défense. Notre seule réserve porte sur le calendrier : le manque d’anticipation du gouvernement nous oblige à légiférer sur un sujet sensible dans des délais contraints. De plus, l’examen de ce texte survient alors qu’une nouvelle QPC est en cours d’instance devant le Conseil constitutionnel. Au-delà de ces réserves de forme, notre groupe est favorable à l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SOC. – M. Emmanuel Duplessy applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Émeline K/Bidi.
Mme Émeline K/Bidi
Considérées par quelques-uns comme d’insupportables manœuvres employées par les avocats pour empêcher que justice soit rendue, les nullités de procédure sont en réalité la juste sanction du non-respect de la procédure pénale et des droits de la défense. Elles sont la garantie du respect des principes à valeur constitutionnelle sur lesquels reposent notre système judiciaire et notre société démocratique. C’est au regard de ces droits fondamentaux que le mécanisme de purge des nullités qui existait jusqu’alors a été invalidé par une décision du Conseil constitutionnel du 28 septembre 2023. Les sages l’ont censuré devant le tribunal correctionnel, dans la mesure où aucune exception à ce mécanisme n’existait dans le cas où le prévenu n’aurait pu avoir connaissance de l’irrégularité éventuelle d’un acte ou d’un élément de la procédure que postérieurement à la clôture de l’instruction. Toutefois, afin de prévenir des conséquences manifestement excessives, les sages ont également décidé de reporter au 1er octobre 2024 l’abrogation de cette disposition. Il ne vous aura pas échappé que cette date est largement dépassée : il y a donc urgence à légiférer.
En effet, depuis le 1er octobre, un risque pèse sur les procédures pénales examinées devant le tribunal correctionnel ayant fait l’objet d’une instruction préparatoire. Il n’existe désormais plus de purge des nullités devant ces juridictions, alors que ce mécanisme constitue un dispositif essentiel : il sécurise les procédures en cours et limite les abus dilatoires, afin d’éviter une remise en cause tardive de la procédure, alors même que les parties disposent du droit de saisir la chambre de l’instruction tout au long de la procédure et que cette chambre peut également relever d’office tout moyen de nullité à l’occasion de l’examen de la régularité de la procédure. Conformément à ce principe, aucune nullité relative aux actes de procédure accomplis durant l’information judiciaire ne peut être soulevée à l’audience, dès lors que le tribunal a été saisi à l’issue de cette même information judiciaire. Il fallait donc rétablir un équilibre entre la protection des droits de la défense et la réintroduction d’un mécanisme efficace de purge des nullités.
Cet équilibre nous semble avoir été trouvé avec le texte que nous examinons et qui a déjà été adopté au Sénat. Il intègre l’exception posée par la décision du Conseil constitutionnel, qui permet qu’une nullité puisse toujours être soulevée si la partie concernée n’a pas pu en prendre connaissance avant la clôture de l’instruction. Dans un souci de cohérence et au-delà de ce que la décision du Conseil constitutionnel impose – puisqu’elle ne concerne que les matières délictuelles –, la proposition de loi harmonise et simplifie le dispositif, en étendant son application aux matières contraventionnelle et criminelle. Dans l’ensemble, ce texte constitue donc une réponse pertinente et équilibrée à la censure prononcée par le Conseil constitutionnel, car il est à la fois nécessaire et urgent de rétablir ce mécanisme.
Toutefois, j’ai été alertée par mes collègues du groupe La France insoumise sur une subtilité ajoutée dans le texte qui introduit les notions de manœuvre et de négligence de la part de la partie qui soulèverait les nullités. Certes, ces notions existaient déjà en matière criminelle mais dans une rédaction différente, c’est pourquoi des soucis d’interprétation pourraient se poser à l’avenir. Selon un principe constitutionnel, la loi pénale doit être claire – en l’occurrence, elle ne l’est manifestement pas. Le groupe GDR votera ce texte parce qu’il y a urgence, mais je crains que cette nouvelle rédaction n’ouvre la voie à de nouveaux recours devant le Conseil constitutionnel : nous y serons attentifs. Un dernier regret : que le gouvernement précédent ne se soit pas saisi de ce problème, malgré le délai d’un an que les sages lui avaient accordé pour y remédier. Vous nous direz sans doute que c’est la faute de la dissolution : celle-là non plus, nous ne l’avions pas décidée ! (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Emmanuel Duplessy applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Sophie Ricourt Vaginay.
Mme Sophie Ricourt Vaginay
Le groupe UDR votera en faveur de ce texte. Cette proposition de loi s’impose en raison de la décision du Conseil constitutionnel du 28 septembre 2023 motivée par les exigences relatives au respect des droits de la défense. Le texte permettra au mis en cause, tant en matière contraventionnelle que délictuelle et criminelle, de soulever, après l’instruction, la nullité d’un acte dont il n’a pu avoir connaissance antérieurement. Cette modification relève d’une véritable urgence. En effet, depuis le 1er octobre, l’abrogation des dispositions délictuelles censurées par le Conseil constitutionnel est devenue définitive, ce qui fait courir un risque de nullité aux dossiers les plus lourds et les plus complexes, s’agissant notamment de la criminalité organisée ou du trafic de stupéfiants – domaines dans lesquels la défense est particulièrement aguerrie à ces procédures.
En effet, ces dossiers encourent la nullité de tous les actes intervenus au cours de l’instruction, sans que puisse être opposé le mécanisme de purge des nullités, ce qui vient directement fragiliser le bon traitement des procédures. Cette urgence objective explique la position favorable transpartisane des groupes de l’Assemblée. Après le temps de l’urgence, viendra sans doute celui d’une réflexion de fond à propos des nullités – comme l’a rappelé ma collègue Brigitte Barèges en commission des lois –, dans l’objectif de sécuriser encore plus les procédures pour éviter de voir le travail, parfois de plusieurs années, des enquêteurs et des magistrats, trop souvent anéanti pour un défaut procédural. En tout état de cause, je tiens à saluer le travail parlementaire transpartisan : il est rassurant de constater que sur certains sujets, nous pouvons travailler ensemble et faire œuvre utile. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDR. – M. Emeric Salmon applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Schreck.
M. Philippe Schreck
En procédure pénale, un acte n’est annulable que s’il méconnaît une formalité substantielle et qu’il porte atteinte aux droits de la partie – notamment la défense – qui soulève son irrégularité. Le législateur a créé un mécanisme dit de purge des nullités, afin que ces dernières ne soient pas soulevées de façon dilatoire, voire pour la première fois le jour même de l’audience, alors que les actes d’enquête se sont poursuivis depuis l’acte vicié et s’avèrent donc inutilisables. Ainsi, l’ordonnance de renvoi, une fois rendue, rend les parties irrecevables à soulever la nullité des actes antérieurs à celle-ci. Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 28 septembre 2023, a censuré ce dispositif dans la mesure où il ne contient pas une exception en faveur des personnes qui n’auraient pu avoir connaissance des irrégularités éventuelles. Les conséquences de cette décision font courir le risque de voir des nullités soulevées très tardivement dans la procédure, perturbant l’audiencement des affaires, déjà chaotique et à flux tendu dans toutes les juridictions.
Il était donc important d’adapter notre régime de purge des nullités à la décision du Conseil constitutionnel. Il s’agit certes d’une nouvelle preuve que ce dernier devient de plus en plus un colégislateur – mais convenons que cela relève d’un autre débat. Sur le fond, le groupe Rassemblement national est favorable à cette proposition de loi qui sauve un mécanisme cohérent. Il est en effet logique qu’une partie ne soulève une nullité que lorsque celle-ci lui cause un grief et affecte ses droits, et dès qu’elle en a connaissance, non pas quand elle le souhaite, voire le jour même de l’audience. Le mécanisme de purge connaîtra donc désormais une exception, lorsque la partie n’était pas en mesure de connaître la nullité et que sa défaillance ne procède pas d’une manœuvre ou de sa négligence.
Les juridictions ne seront pas forcément épargnées par les contestations et les stratagèmes judiciaires : la jurisprudence devra préciser, au cas par cas, quelles sont les situations recoupant l’exception au principe de la purge des nullités. À ce propos, il eût été préférable d’exclure de l’exception les parties en fuite ou qui ne répondent pas aux convocations du magistrat instructeur ou des enquêteurs munis d’une commission rogatoire. En l’état et compte tenu de l’urgence, le groupe Rassemblement national votera en faveur de cette proposition de loi qui pour n’être pas glamour – pour reprendre vos termes, madame la rapporteure –, n’en demeure pas moins très utile. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Ludovic Mendes.
M. Ludovic Mendes
En traitant du mécanisme de la purge des nullités, cette proposition de loi est cruciale pour améliorer le système de justice pénale. Il s’agit de clarifier la possibilité de contester des actes judiciaires en cas d’irrégularité, même après la fin de l’enquête. Pourquoi en parler maintenant ? La nullité constitue une sécurité dans le système judiciaire : lorsqu’un acte est jugé illégal, son annulation signifie qu’il ne peut plus être utilisé contre une personne accusée, ni pendant l’enquête ni lors du procès. Cette possibilité protège les droits de la défense mais soyons clairs : si on en abuse, elle peut aussi ralentir toute la procédure.
Comment trouver le bon équilibre entre l’impératif de garantir les droits des accusés et celui d’éviter que la justice soit paralysée par des recours incessants ? La proposition de loi relève ces défis essentiels.
Voici six raisons pour lesquelles cette réforme est indispensable. Premièrement, elle vise à respecter les droits de la défense tout en assurant l’efficacité de la justice. Nous devons absolument protéger les droits des prévenus, c’est notre devoir ; mais attention, la justice ne peut devenir un terrain où les irrégularités de procédure seraient utilisées pour gagner du temps ou pour bloquer une affaire. Cette réforme constitue un choix équilibré : elle protège les droits des accusés, mais évite que des erreurs mineures ne ralentissent le travail des juridictions.
Deuxièmement, il s’agit d’appliquer la décision du Conseil constitutionnel. En 2023, le Conseil a annulé une partie des dispositions alors en vigueur, estimant qu’un prévenu devait pouvoir soulever une nullité même après la fin de l’enquête si l’irrégularité n’était apparue que plus tard. Le texte s’inscrit dans cette logique en réintroduisant une solution qui respecte les principes fondamentaux de notre Constitution.
Troisièmement, le texte permettra de gagner en efficacité sans sacrifier les droits de la défense. Il sera possible de soulever une nullité si elle est découverte après la clôture de l’instruction, mais dans un cadre précisément défini, pour éviter les abus. Imaginez l’effet qu’aurait le mécanisme si, à l’inverse, nous laissions n’importe qui soulever des nullités à tout moment ! Les tribunaux seraient submergés, les procédures bloquées et la justice n’avancerait plus. Cette réforme permet donc de garantir des délais raisonnables et une procédure judiciaire efficace.
Quatrièmement, elle vise à lutter contre les abus procéduraux. Nous avons tous été témoins de cas où un recours en nullité a été employé comme outil dilatoire pour ralentir un procès. Le texte y mettra un coup d’arrêt. Il impose des règles strictes pour éviter que la contestation des actes judiciaires ne devienne un moyen d’entraver la justice, tout en protégeant ceux qui en ont réellement besoin. C’est une solution plus juste, plus transparente et plus rapide.
Cinquièmement, cette réforme répond aux réalités du terrain. Elle constitue une solution pragmatique aux défis du système judiciaire. En effet, elle permet de prendre en considération les cas où une erreur n’est découverte qu’après la fin de l’instruction. En outre, elle s’applique à toutes les juridictions pénales, ce qui assure la cohérence d’ensemble du système judiciaire, du tribunal correctionnel au tribunal de police.
Sixièmement, cette réforme est aussi une manière de garantir que notre justice restera conforme aux normes internationales et européennes. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) nous rappelle sans cesse qu’il faut respecter les droits de la défense tout en s’assurant que la justice n’est pas paralysée par des recours abusifs. Le texte répond à cet impératif.
Étant donné toutes les raisons que je viens d’évoquer, j’affirme que cette proposition de loi est un compromis intelligent. Elle protège les droits des justiciables tout en assurant la réactivité et l’efficacité de la justice. En introduisant la possibilité de soulever une nullité après l’instruction et en l’encadrant précisément, elle permet d’éviter les abus tout en garantissant que personne ne sera privé de la possibilité de défendre ses droits lorsqu’une irrégularité est réellement découverte. Nous avons l’occasion de voter un texte qui permettra à la justice de fonctionner plus vite et plus juste, c’est pourquoi je vous invite à l’adopter en l’état, tel qu’il a été voté par la commission des lois et par le Sénat. Ensemble, faisons en sorte que la justice pénale soit équitable, réactive et protégée contre les recours dilatoires. (Applaudissements sur les bancs des commissions.)
Mme la présidente
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
Je précise d’emblée que, s’agissant de la purge des nullités, il faut nous en tenir à la matière pénale. Évitons donc les jeux de mots dilatoires, car ils pourraient nous mener un peu trop loin.
Nous sommes réunis pour corriger une inconstitutionnalité censurée par le Conseil constitutionnel à la suite d’une QPC soulevée en 2021, à laquelle je ne suis d’ailleurs pas complètement étranger. Pour rectifier cette inconstitutionnalité, le texte vise à insérer en plusieurs endroits du code de procédure pénale les mots : « hors le cas où les parties n’auraient pu les connaître ». Ainsi, une partie n’ayant pas eu connaissance d’une irrégularité avant la clôture de l’instruction pourra, par exemple, contester une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel.
Il y a là, déjà, quelque chose qui me chagrine. Le texte n’est accompagné d’aucune étude d’impact, puisqu’il s’agit d’une proposition de loi, et nous l’examinons dans des délais resserrés. J’estime qu’il aurait été plus protecteur et plus rigoureux d’énumérer plusieurs cas de figure, sans en faire une liste exhaustive – en ajoutant, par exemple, un joli « notamment » –, auxquels cette disposition s’appliquerait sans conteste. Cela empêcherait un juge de s’opposer à une nullité en affirmant que la partie en avait préalablement connaissance ou qu’elle cherche à manœuvrer – je reviendrai sur la notion de manœuvre. J’ai discuté avec des avocats pour recenser les cas de figure possibles, hors celui qui a motivé la QPC. Ils m’ont cité par exemple le cas où une personne visée par un mandat d’arrêt est en cavale ; si une ordonnance de renvoi est émise pendant sa fuite et que le fugitif se fait ensuite attraper, il ne peut pas connaître les éventuelles nullités, puisqu’il n’a pas suivi l’instruction. Un tel cas aurait pu faire partie d’une liste visant à sécuriser la procédure.
C’est le premier bémol : même les mots « hors les cas où les parties n’auraient pu les connaître » sont sujets à interprétation. Le justiciable n’aurait-il vraiment pas pu connaître une nullité ? La connaît-il ? La connaîtra-t-il ? On peut aller très loin, mais je ne vais pas préjuger des interprétations fantaisistes que pourraient faire les juges.
Le deuxième aspect qui nous dérange, comme nous l’avons déjà souligné en commission, est la modification du deuxième alinéa de l’article 385 du code de procédure pénale pour introduire la notion de « manœuvre [ou négligence] de la partie concernée ». Laissons la négligence de côté, car nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, surtout en matière pénale ; le justiciable ne peut pas dire : « Je n’ai pas reçu le courrier, je n’étais pas chez moi ce week-end-là. » Cela ne marche pas, et cela est d’ailleurs déjà couvert par le droit existant. Le terme de manœuvre, par contre, est nouveau.
Ayant malheureusement été absent en commission, j’ai écouté votre réponse a posteriori, madame la rapporteure ; vous avez expliqué que cette notion était déjà présente dans l’article 269-1, relatif à l’ordonnance de mise en accusation en matière criminelle, et que, puisque nous allions aussi modifier cet article, il fallait, par coordination, introduire les mêmes termes dans l’article 385. Cela m’a paru bizarre, car le terme de manœuvre ne me disait rien. J’ai fait une petite recherche, et j’ai vu qu’il avait été introduit dans le code de procédure pénale par la loi de 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire. Zut ! J’étais pourtant là lorsque nous avons examiné ce texte ; comment la notion de manœuvre a-t-elle pu m’échapper ? – Je retrace mon cheminement intellectuel pour vous le faire partager. – Je me rends alors compte que l’Assemblée nationale n’a pas examiné cette disposition, qui a été introduite par le Sénat et retenue dans le texte de la commission mixte paritaire (CMP). Lors de la lecture définitive, nous n’avons pas débattu le texte alinéa par alinéa, et la disposition est passée inaperçue. J’ai voté contre, même si c’était pour d’autres raisons, donc mon honneur est sauf. Il n’empêche qu’une modification introduite par le Sénat en cours de route, entrée dans la loi sans même avoir été expertisée ni évaluée, sert désormais d’argument pour modifier de la même façon un autre article du code de procédure pénale !
Il se trouve qu’un texte sur les narcotrafics est en préparation. L’ambiance générale est à la contestation des manœuvres dilatoires des avocats, comme M. Mendes vient d’en donner l’exemple. On parle donc de « manœuvre » dans un article, de « manœuvre » dans l’autre, et maintenant de « manœuvres dilatoires »… Ces trois points suffisent largement à tracer une ligne. Je soupçonne qu’on veuille profiter de ce texte pour introduire la notion de manœuvre dans le droit pénal. Je suis fermement en désaccord avec cela.
D’ailleurs, cette notion n’est définie nulle part et est sujette à interprétation ; par conséquent, dès qu’un juge l’emploiera pour rejeter le recours d’un avocat contre une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, cela déclenchera une QPC. Voter cette disposition ne sécurise donc rien et ne fera qu’augmenter le contentieux. J’en profite pour faire passer un message aux avocats concernés : soulevez des QPC, s’il vous plaît. Cela sera plus efficace qu’une éventuelle saisine parlementaire du Conseil constitutionnel.
Je tenais à vous alerter sur ce point car, pour le coup, il s’agit peut-être d’une manœuvre du Sénat. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Marie-José Allemand.
Mme Marie-José Allemand
La proposition de loi visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités, adoptée le 17 octobre par le Sénat, est rendue nécessaire par une décision du Conseil constitutionnel en date du 28 septembre 2023. Le Conseil, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a censuré les dispositions du code de procédure pénale organisant le mécanisme de purge des nullités en matière correctionnelle.
Nonobstant son apparente technicité, la purge des nullités constitue un mécanisme essentiel de sécurisation de l’instruction judiciaire. En effet, dans notre État de droit, les parties ont la possibilité d’invoquer la nullité d’un acte ou d’une pièce qui méconnaîtrait une règle de procédure. Lorsqu’une telle irrégularité est constatée, l’acte incriminé peut être annulé par le juge si cette irrégularité concerne une règle d’ordre public, l’exercice des droits de la défense ou une formalité substantielle ayant porté atteinte aux intérêts de la partie qu’elle concerne. Les nullités recouvrent des situations très variées comme, par exemple, l’illégalité d’un acte d’enquête ordonné par le juge d’instruction. L’acte annulé ne peut alors plus être retenu contre la personne mise en cause ou mise en examen.
Le prononcé d’une nullité a donc des conséquences lourdes sur le devenir d’un dossier pénal, et par là même sur la répression des infractions. C’est notamment le cas, comme l’a rappelé la rapporteure, dont je salue le travail, en matière de criminalité organisée, où avocats et magistrats se livrent une véritable guérilla judiciaire sur des questions de procédure.
La question des nullités constitue donc un enjeu essentiel de notre dispositif de lutte contre la criminalité organisée. C’est pourquoi, afin de sécuriser les procédures, le législateur a encadré les conditions dans lesquelles l’annulation d’un acte peut être demandée. À cet effet, il a prévu un mécanisme de purge des nullités, à l’issue duquel la nullité ne peut plus être invoquée. C’est ce mécanisme que le Conseil constitutionnel a jugé contraire à la Constitution, en ce qu’il ne prévoyait aucune exception à la purge des nullités dans le cas où le prévenu n’aurait pu avoir connaissance de l’irrégularité d’un acte ou d’un élément de la procédure que postérieurement à la clôture de l’instruction.
Face au vide juridique laissé par cette décision, il y avait donc urgence à agir pour repenser l’équilibre du mécanisme de purge des nullités, en conciliant deux impératifs essentiels : les droits de la défense d’une part, l’efficacité de la justice d’autre part.
Toutefois, nous regrettons que cette urgence n’ait, semble-t-il, pas été ressentie par le gouvernement précédent. Eu égard aux effets majeurs qu’aurait sa décision, le Conseil constitutionnel avait pourtant choisi, comme l’y autorise l’article 62 de la Constitution, de différer son entrée en vigueur jusqu’au 1er octobre 2024, laissant ainsi un temps d’adaptation au gouvernement et au législateur. Or il a fallu attendre l’initiative du Sénat, en juillet, pour qu’une proposition de loi visant à remédier aux effets de cette censure soit déposée. Ce texte n’a pu être adopté par le Sénat que le 17 octobre, c’est-à-dire après la date d’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité, fragilisant ainsi un pan entier du système judiciaire. Nous pouvons donc légitimement nous étonner que le gouvernement n’ait pas souhaité s’emparer de ce sujet dès la décision d’inconstitutionnalité du 28 septembre 2023, ce qui aurait permis d’examiner ces dispositions dans des conditions plus sereines.
Sur le fond, la proposition de loi tend, par son article 1er, à sécuriser le mécanisme de purge des nullités, en ouvrant la possibilité de soulever un moyen de nullité devant les juridictions de jugement dans le seul cas où la nullité n’aurait pu être connue des parties avant la clôture de l’instruction.
La rapporteure a rappelé les quelques difficultés que pose la rédaction du texte, s’agissant notamment des conséquences pratiques qu’auront pour les juridictions les exceptions à la purge des nullités. Celles-ci ne doivent pas devenir une porte ouverte aux procédés dilatoires. Nous partageons cette vigilance. Toutefois, nous sommes également conscients de la nécessité de faire preuve de pragmatisme pour sécuriser au plus vite le mécanisme de purge des nullités, ce qui implique d’adopter ce texte dans les plus brefs délais. En conséquence, le groupe Socialistes et apparentés votera pour cette proposition de loi dans une version conforme à celle adoptée au Sénat. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, EcoS et LIOT. – M. Philippe Bonnecarrère applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Thibault Bazin.
M. Thibault Bazin
Nous examinons une proposition de loi dont la nécessité, comme l’a rappelé le garde des sceaux, a été mise en lumière par deux décisions importantes du Conseil constitutionnel.
Le mécanisme de purge des nullités permet, sous certaines conditions, de déclarer irrecevables les exceptions tirées d’irrégularités de procédure antérieures à la saisine de la juridiction de jugement. Ce processus, essentiel au bon déroulement des procédures, joue un rôle crucial en stabilisant les dossiers à l’approche du procès, tout en évitant les recours dilatoires ou tardifs. En d’autres termes, il assure que les vices de procédure survenus avant une ordonnance de mise en accusation ne paralysent pas inutilement la suite de l’instruction.
Toutefois, ce dispositif, pourtant indispensable pour gérer des affaires particulièrement complexes, a été jugé partiellement contraire à la Constitution à deux reprises. En 2021, le Conseil constitutionnel a censuré plusieurs dispositions des articles 181 et 305-1 du code de procédure pénale, considérant que l’absence d’information suffisante sur la procédure en cours portait atteinte aux droits de la défense et au droit au recours juridictionnel. Pour y remédier, le législateur a introduit la même année une procédure ajustée permettant, dans certains cas spécifiques, de soulever des nullités après le délai habituel.
Cependant, la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 28 septembre 2023, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, a révélé que ces ajustements ne répondaient pas entièrement aux exigences constitutionnelles. En particulier, cette censure a concerné les dispositions de l’article 385 du code de procédure pénale, relatives à la purge des nullités devant le tribunal correctionnel. Selon le Conseil, les garanties prévues ne couvraient pas les situations où une personne se trouvait dans l’impossibilité de prendre connaissance, avant la clôture de l’instruction, des éléments affectant la régularité des actes.
La proposition de loi que nous examinons vise donc à tirer les enseignements de ces censures, en réintroduisant le mécanisme de purge des nullités dans une version conforme à la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Le texte, dans sa rédaction actuelle, a été conçu pour s’adapter à la diversité des juridictions concernées, afin d’offrir une réponse solide et durable à ces problèmes. Son entrée en vigueur rapide est une priorité, d’autant plus que le Conseil constitutionnel avait suspendu les effets de sa censure jusqu’au 1er octobre 2024 – nous sommes le 20 novembre. Malheureusement, les circonstances politiques, en particulier la dissolution imposée par le président de la République, n’ont pas permis l’adoption de ce texte avant cette échéance, laissant planer un risque sérieux pour de nombreuses procédures en cours. Si nous n’agissons pas rapidement, d’autres QPC pourraient affaiblir davantage le régime des nullités et fragiliser des dossiers sensibles.
Le groupe de la Droite républicaine, conscient des enjeux, apportera son soutien à cette proposition de loi pour sécuriser le mécanisme de purge des nullités, un mécanisme essentiel pour limiter les recours dilatoires et indispensable pour la bonne administration de la justice. Il y va de notre responsabilité à l’égard de tous les justiciables de France.
Mme la présidente
La parole est à M. Emmanuel Duplessy.
M. Emmanuel Duplessy
Nous examinons cette proposition de loi suite à la décision du Conseil constitutionnel datée de septembre 2023, de censurer une partie de l’article 385 du code de procédure pénale, car il a considéré qu’il n’était pas conforme à la Constitution de ne pas permettre à la défense de soulever un vice de procédure qu’elle ne pouvait connaître au moment de l’instruction.
Je veux tout d’abord saluer cette décision du Conseil constitutionnel, qui œuvre ainsi au respect de l’État de droit. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, socle de l’État de droit, dispose en effet en son article 16 que « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution. » De ce principe fondateur découlent le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit à un procès équitable, droits sur lesquels s’est appuyé le Conseil constitutionnel pour rendre la décision qui nous pousse à légiférer.
Cette décision va donc dans le bon sens. Elle fait suite à une QPC déposée par l’ancien premier ministre et candidat à la présidentielle François Fillon, condamné à près de 700 000 euros d’amende dans l’affaire des emplois fictifs. Je déplore que certains de nos collègues ne reconnaissent la pertinence, pour les uns, du droit à un procès équitable et aux droits de la défense et, pour les autres, de la justesse démocratique du principe de personnalisation de la peine pénale, que lorsque l’un ou l’une des leurs est sur le banc des accusés. (Mme Delphine Batho et M. Ugo Bernalicis applaudissent.) Ces postures à géométrie variable nourrissent l’idée fausse et déjà trop populaire d’une justice à deux vitesses : une pour les puissants et une pour tous les autres.
Mme Delphine Batho
Très bien !
M. Emmanuel Duplessy
Cela étant, je tiens à souligner le retard avec lequel nous examinons ce dossier. C’est d’ailleurs la deuxième fois dans la même journée que nous sommes forcés de voter conforme une proposition de loi qui nous est soumise. S’il est urgent d’agir pour rétablir le mécanisme de purge des nullités pour des raisons de sécurité juridique et de rapidité des procédures,…
Mme Delphine Batho
C’est la faute à la dissolution !
M. Emmanuel Duplessy
…c’est notamment parce que le précédent gouvernement ne s’est jamais saisi de ce sujet, alors même que l’abrogation décidée par le Conseil constitutionnel ne devait prendre effet qu’à partir du 1er octobre 2024, c’est-à-dire un an après la décision, ce qui laissait un temps raisonnable pour agir. Nous sommes donc confrontés à une situation d’urgence, avec la nécessité de voter un texte conforme pour pallier un vide juridique qui n’est pas acceptable.
Ainsi, même si les travaux de notre rapporteure Colette Capdevielle ont permis d’identifier quelques faiblesses de rédaction qui devraient être corrigées, elle a dû, faisant acte de responsabilité, retirer ses amendements en commission.
Concernant l’amendement de La France insoumise visant à supprimer la deuxième partie du dispositif, la rapporteure a également rappelé en commission que le texte ne prévoyait pas qu’il appartenait à la partie qui soulève la nullité de prouver qu’il n’y a eu ni manœuvre, ni négligence de sa part ; la charge de la preuve n’est donc pas modifiée. Je partage cependant les questionnements de M. Bernalicis sur la notion de « manœuvre » qu’il serait effectivement nécessaire d’encadrer.
Une fois ce principe rappelé, sur le fond, cette proposition de loi nous semble être adaptée pour répondre à la décision du Conseil constitutionnel. Elle vise à trouver un équilibre entre le droit à un recours juridictionnel effectif, en permettant à la défense de soulever une nullité inconnue lors de l’instruction, et la nécessité de renforcer la sécurité juridique ainsi que l’efficacité des procédures. Le dispositif prévu a vocation à s’appliquer en matière correctionnelle, contraventionnelle et criminelle.
Elle doit donc permettre de limiter les abus procéduraux, de mieux encadrer les délais pour invoquer les nullités, et de contrôler l’existence d’irrégularités sans compromettre les droits fondamentaux des justiciables. Il est essentiel de sécuriser les décisions de justice et de protéger les droits des victimes, tout en assurant des procédures à la fois rapides et respectueuses des droits de la défense.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, le groupe Écologiste et social votera pour ce texte, certes imparfait, dans un esprit de responsabilité et d’efficacité. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS, SOC et LIOT. – M. Ugo Bernalicis applaudit également.)
M. Karim Ben Cheikh
Bravo !
Mme la présidente
La parole est à Mme Delphine Lingemann.
Mme Delphine Lingemann
Le groupe Démocrates est particulièrement attaché à l’État de droit, or le régime des nullités en est une illustration. Il s’agit d’un mécanisme par lequel, en raison d’une violation manifeste de règles procédurales, un acte est neutralisé dès lors qu’on établit qu’il ne répond pas sur le fond ou la forme aux conditions de sa validité. Bien que cette question paraisse aride, ce mécanisme est néanmoins essentiel dans notre procédure pénale. Il participe à la protection légitime des droits des justiciables ; nous y sommes donc fortement attachés. Nous sommes en effet soucieux de la sécurité juridique, gage d’un État de droit.
La proposition de loi que nous examinons fait suite à une question prioritaire de constitutionnalité ; plus exactement, elle vise à répondre à la censure prononcée par le Conseil constitutionnel sur le régime de purge des nullités en matière correctionnelle. Le Conseil a estimé que le mécanisme n’était pas conforme au droit à un recours juridictionnel effectif et aux droits de la défense. À raison, le Conseil constitutionnel a retenu la censure d’une partie de l’article 385 du code de procédure pénale et décidé que cette abrogation porterait ses effets au 1er octobre 2024. Faute de modification depuis cette date, le mécanisme des purges des nullités soumet actuellement les procédures pendantes et à venir devant le tribunal correctionnel à une insécurité juridique qu’il est urgent de résoudre.
La commission des lois a donc répondu à cette urgence en adoptant dans sa version conforme au Sénat un texte qui vise à rétablir le mécanisme des purges de nullités devant le tribunal correctionnel tout en prenant en compte les dérogations résultant de la décision du Conseil constitutionnel, autrement dit, en permettant qu’une nullité puisse toujours être soulevée si le requérant n’a pas pu en avoir connaissance avant la clôture de l’instruction. En outre, la proposition de loi est mieux-disante, puisqu’elle ouvre ce mécanisme devant les juridictions répressives. Nous considérons que les simplifications proposées par le Sénat vont dans le bon sens.
À l’issue des débats en commission, nous ne pouvons que saluer le retrait des amendements de Mme la rapporteure qui, comme nous, reconnaît l’opérationnalité du dispositif et l’importance d’une adoption conforme de la proposition de loi. En effet, il nous semble impératif de l’adopter dans les plus brefs délais. Le dispositif proposé nous paraît équilibré et lisible ; il participe à une bonne administration de la justice.
Toutefois, le chemin devra se poursuivre. Madame la ministre, vous le savez, des dispositions du code pénal portant sur le régime des réquisitions de données de connexion dans le cadre d’une enquête préliminaire ont, elles aussi, fait l’objet d’une censure par le Conseil constitutionnel. L’abrogation de ces dispositions a, elle aussi, été reportée au 31 décembre 2022. Comme pour le mécanisme de purge des nullités, alors que cette date est dépassée, aucune modification législative n’est intervenue. Étant donné l’urgence et l’insécurité juridique induites par cette censure, nous nous réjouissons que les débats en commission portant sur le régime de purge des nullités aient permis au président de la commission des lois d’en prendre la mesure. C’est pourquoi, en lien avec le président de la commission des lois, une proposition de loi sera déposée au cours des prochaines semaines par M. Philippe Latombe, pour assurer, comme pour le texte que nous examinons à présent, la protection des droits des justiciables. Nous pensons en effet qu’il est plus que nécessaire d’avancer rapidement pour supprimer ce vide juridique. Il ne faudrait pas que le travail d’investigation, dont nous connaissons l’importance, soit mis à mal, ou qu’il soit impossible de rendre manifeste la vérité.
En réalité, c’est dans ce même esprit que le législateur a fait le choix d’instaurer le mécanisme des purges des nullités dans les années 1990. (M. Emmanuel Mandon applaudit.)
Mme la présidente
La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo.
Mme Agnès Firmin Le Bodo
La proposition de loi visant à sécuriser le mécanisme de purge des nullités est nécessaire pour sauvegarder un mécanisme utile, suite à une décision de censure du Conseil constitutionnel, même si, comme d’autres orateurs l’ont dit avant moi, cette question paraît très technique. Je salue donc l’initiative du Sénat.
Le groupe Horizons & indépendants votera pour ce texte.
En effet, en visant à réintégrer le mécanisme de purge des nullités dans notre procédure pénale, il représente l’équilibre français et républicain entre les exigences liées au respect des droits de la défense et le souci de bonne administration de la justice.
La possibilité de faire reconnaître la nullité d’un acte est un principe majeur pour le respect des droits des parties. La méconnaissance de formalités substantielles, qui n’est autre qu’une méconnaissance de la loi, ne peut être que condamnée par notre procédure pénale. Par exemple, comment assurer que la justice soit rendue, et que l’arbitraire soit écarté, alors qu’une garde à vue serait poursuivie malgré un avis défavorable d’un médecin ayant décrété que l’état de santé de la personne gardée à vue était incompatible avec la mesure ? Ces exigences sont celles, constitutionnelles, des droits de la défense.
Il est toutefois tout aussi important d’éviter que les motifs de nullité ne deviennent source de manœuvres dilatoires. Il est en effet inconcevable que les parties fassent volontairement usage des nullités afin qu’elles deviennent des obstacles pour les enquêteurs, qui seraient alors empêchés de traduire en justice des personnes mises en cause après de longs mois d’enquête. C’est l’objectif du mécanisme de purge des nullités, dont nous nous apprêtons à décider de la réintroduction dans notre procédure pénale, et qui permet de préserver l’efficacité et la rapidité des procédures.
Cet objectif d’efficacité et de rapidité doit toutefois être concilié avec la pleine garantie des droits des parties, sous peine de censure du Conseil constitutionnel ; c’était précisément l’objet de la décision du 28 septembre 2023. Le juge constitutionnel a en effet estimé que le mécanisme de purge des nullités, dans la mesure où il ne prévoit aucune exception lorsque la partie n’avait pu avoir connaissance de l’irrégularité éventuelle d’un élément de la procédure que postérieurement à la clôture de l’instruction, méconnaît le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense.
Notre groupe émet donc le souhait que cette proposition de loi soit adoptée conforme par l’Assemblée nationale, comme l’a fait la commission des lois. Je salue la rapporteure qui a retiré ses amendements dans ce but. Un tel consensus permettra de répondre à l’urgence qui prévaut depuis 1er octobre, à savoir une suppression pure et simple du mécanisme de nullités à compter de la date d’entrée en vigueur de la décision du juge constitutionnel.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Horizons & indépendants votera en faveur de cette proposition de loi. (M. le président de la commission des lois et Mme Anne-Cécile Violland applaudissent.)
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère
Les députés qui se sont exprimés avant moi ont largement exposé les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 28 septembre 2023, fondée sur les droits de la défense. Je reviendrai simplement sur les deux problèmes pratiques qui résultent de cette décision. Le premier concerne le rôle des juges d’instruction qui, comme chacun sait, ont à instruire à charge et à décharge, mais qui doivent également assurer ce que j’appellerais la sécurité juridique ou procédurale, en examinant les contestations qui peuvent être formulées au cours de l’instruction. Ce rôle des juges d’instruction en matière pénale correspond à ce que nous appelons la mise en état en matière civile.
Au cours de l’instruction, le juge a examiné les nullités, sous le contrôle de la chambre de l’instruction et de la chambre criminelle de la Cour de cassation. Repartir de zéro après la clôture de l’instruction, ce serait remettre en cause son rôle.
Le second problème, évoqué à plusieurs reprises, est le risque de renvoi systématique de l’affaire, parfois à une date lointaine. Il se posera très certainement dans les dossiers importants, en particulier les affaires liées au narcotrafic. Si l’on peut présenter des nullités après la clôture de l’instruction, cela veut dire qu’il suffira de les invoquer pour rouvrir le débat, revenir à la chambre de l’instruction de la cour d’appel, puis à la chambre criminelle. On ne pourra plus juger les gros dossiers sans qu’ils prennent une ampleur démesurée, sans compter le risque d’engorgement pour les chambres de l’instruction.
C’est pour cette raison que j’ai proposé, avec François-Noël Buffet, de compléter l’article 385 du code de procédure pénale en créant une exception à la purge lorsque les parties n’ont pas pu avoir connaissance d’une nullité avant la clôture de l’instruction. Nous avions également prévu que les cas de nullité partant d’un fait nouveau pourraient être soulevés devant la juridiction du fond et la chambre de l’instruction. Notre collègue Isabelle Florennes, rapporteure de la commission des lois du Sénat, a eu raison de supprimer cette double compétence au profit du seul juge du fond.
Madame Capdevielle, vous aviez proposé par amendement de circonscrire l’exception prévue à la purge des nullités aux seuls cas où il n’y a pas eu manœuvre ou négligence de la partie concernée. Votre approche était bonne et le retrait de l’amendement ne contrarie pas la mise en avant de cette exigence. Chacun sait que les tribunaux interprètent les dispositions législatives en fonction de la volonté du législateur. Sous le contrôle de M. le président de la commission des lois et par la voix de Mme la rapporteure, il apparaît normal que l’Assemblée insiste sur l’exception de ces situations.
Monsieur Bernalicis, en droit, la notion de manœuvre est parfaitement connue – il y a même des thèses sur les manœuvres dilatoires. Tous les juristes connaissent et utilisent sans difficulté les termes « manœuvre », « turpitude », « négligence » ou « fraude ».
M. Ugo Bernalicis
Non !
M. Philippe Bonnecarrère
M. le garde des sceaux n’étant plus au banc, je remercie Mme la ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement d’avoir la courtoisie d’appeler son attention sur le fait que ce texte s’inscrit dans le cadre plus global d’une révision du code pénal et du code de procédure pénale. Le précédent garde des sceaux avait été autorisé à proposer, par ordonnance, une réécriture du code pénal à droit constant mais nous avions obtenu qu’il s’engage à travailler, en parallèle, à une révision du code pénal. Lorsque j’occupais d’autres responsabilités, j’ai eu l’honneur de participer au comité de suivi parlementaire en charge de vérifier cette réécriture. Aujourd’hui, ma situation de député non inscrit ne me permet pas de rejoindre la commission des lois. Si vous acceptiez d’être mon interprète pour continuer le travail commencé, je vous en saurais gré. (M. Laurent Wauquiez applaudit.)
Mme la présidente
La discussion générale est close.
Discussion des articles
Mme la présidente
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
Article 1er
Mme la présidente
La parole est à M. Ugo Bernalicis, pour soutenir les amendements nos 2 et 1, qui peuvent faire l’objet d’une présentation groupée.
M. Ugo Bernalicis
L’amendement no 2 tend à supprimer du texte les termes « manœuvre » et « négligence ». Par conséquent, l’amendement no 1 vise à supprimer leur autre occurrence dans le code de procédure pénale. Cette dernière est calquée sur l’article 269-1 introduit par le Sénat et nos travaux.
Nous avons fait remarquer en commission, je l’ai rappelé, qu’il s’agissait d’un cavalier législatif. L’objet du texte est seulement de répondre à la QPC de 2023, laquelle est sans rapport direct avec ce que vous proposez. Ce qui explique que nous nous soyons permis ce trait d’humour : soit François Fillon était un narcotrafiquant et nous n’avions pas bien compris la QPC, soit il y avait bel et bien de la cavalerie dans l’air !
Je maintiens qu’une telle mesure est dangereuse et j’ajoute qu’elle n’est pas urgente – le délai étant dépassé, nous ne sommes plus à une semaine près. En cas de rejet du texte conforme, une CMP et une lecture définitive pourront se tenir dès la semaine prochaine. Il suffira de retirer la mention des manœuvres dilatoires. De surcroît, l’agenda parlementaire n’est pas très rempli, puisque les budgets ont été rejetés.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Colette Capdevielle, rapporteure
Je donne un avis défavorable, sachant que vous ne retirerez pas vos amendements. Vous proposez de supprimer les mentions de manœuvre et de négligence, en insistant sur le premier terme. En commission des lois, j’ai expliqué que si, par dérogation, nous appliquons un filtre en matière de procédure criminelle, nous devons aussi le faire en matière correctionnelle. Contrairement à ce que vous avez indiqué, ce syllogisme ne vient pas du Sénat.
M. Florent Boudié, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République
Elle a raison !
Mme Colette Capdevielle, rapporteure
Lisez bien les motivations du Conseil constitutionnel. Cette restriction figure textuellement dans sa jurisprudence, qui a donné la possibilité de rouvrir les débats, dans le respect des droits de la défense. La capacité de soulever les moyens de nullité pendant l’instruction, puis de faire appel de l’ordonnance du juge d’instruction elle-même, compense la rigueur de la purge des nullités. Dès lors, selon le Conseil, restreindre l’exception de la purge des nullités aux cas où il n’y a pas eu de manœuvre ou de négligence n’est pas contraire aux garanties constitutionnelles accordées à la défense. Ces termes figurent exactement dans la décision du Conseil constitutionnel, que le Sénat n’a fait que reprendre.
Je sais, pour en avoir parlé encore ce matin avec vous en commission des lois, que vous êtes aussi très attaché aux droits des victimes. Vous serez donc sensible au cas que je vais vous relater. Il s’agit d’une affaire rapportée dans la presse quotidienne de ma région. Un sexologue qui violait ses patientes, en fuite pendant des années, a été condamné par la cour d’assises de la Dordogne. Il n’a pas hésité à soulever des moyens de nullité contre des actes de la procédure d’instruction et à demander le renvoi de l’affaire et sa mise en liberté, alors que les victimes attendaient leur procès.
Sur le terrain des libertés, vous conviendrez donc qu’il y a urgence : alors qu’il y a des victimes, une personne déjà condamnée par contumace à six ans de prison peut s’infiltrer en toute mauvaise foi dans une procédure et profiter du vide juridique pour manœuvrer. La cour d’assises n’a pas fait droit aux demandes de nullité et de mise en liberté,…
M. Ugo Bernalicis
Eh bien voilà, tout va bien !
Mme Colette Capdevielle, rapporteure
…mais elle aurait pu être contrainte de renvoyer le dossier si le moyen de nullité invoqué – relatif aux scellés, si je me souviens bien – avait été recevable. C’est souvent ce qui arrive, hélas, et les victimes attendent. En tant que législateurs, il nous appartient de préserver les droits de toutes les parties dans un procès pénal.
Enfin, j’ai expliqué en commission – vous n’y étiez pas – qu’il n’appartenait pas à la personne poursuivie d’apporter la preuve qu’il n’y avait eu ni manœuvre ni négligence. Si quelqu’un estime qu’un moyen n’a pas été porté à sa connaissance, il peut le signaler à la juridiction, à n’importe quel moment après la clôture de l’information. Ce filtre posé par le législateur n’est pas contesté en matière criminelle. Cela doit aussi être le cas en matière correctionnelle et contraventionnelle – c’est une question d’égalité. Pardon pour la longueur des explications ; nous aurons de nouveau ce débat quand la question du narcotrafic et des nullités de procédure se posera. S’agissant de cette proposition de loi, il serait de bonne administration et de bonne gouvernance de voter le texte conforme.
M. Hervé Berville
Excellent !
M. Ludovic Mendes
C’était clair, net et précis !
Mme la présidente
La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement, pour donner l’avis du gouvernement.
Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée des relations avec le Parlement
Même avis.
Mme la présidente
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis
C’est bien la loi de 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire qui a introduit cette restriction dans le code de procédure pénale. Que le terme de manœuvres dilatoires existe dans le débat ou dans d’autres documents – analyses, mémoires, thèses et explications de la décision du Conseil constitutionnel –, c’est autre chose. Il suffit de suivre un débat juridique pour se rendre compte qu’on ne s’exprime pas de la même manière selon que l’on rédige la loi pénale ou que l’on se livre à une analyse scientifique ! Les conséquences ne sont pas les mêmes. Je maintiens donc mes propos.
Ce n’est pas à la personne qui soulève la nullité d’apporter la preuve qu’il n’y a eu ni négligence ni manœuvre, certes, mais pour éviter le rejet de sa demande, il faut bien qu’elle anticipe que cet argument pourra lui être opposé, ce qui modifie forcément les pratiques et le comportement. Quand elle se trouve devant la chambre de l’instruction, elle ne peut pas former un nouvel appel de la décision, à moins de passer par une QPC au motif d’inconstitutionnalité, pour contester le fait que la notion manœuvre ait été retenue, ce qui créera un nouveau contentieux !
Ce terme est donc trop piégeux et problématique pour être laissé tel quel, même s’il est utilisé par le Conseil constitutionnel. Ses avis peuvent nous aider à légiférer mais nous pouvons aussi prendre du recul car, à mon avis du moins, le Conseil constitutionnel ne détient pas la vérité absolue en matière de droit. Et ce ne serait pas la première fois que nous contesterions son interprétation – je pense à la réforme des retraites.
Ce ne sont que des exemples mais j’espère qu’ils vous auront convaincus. Je voterai pour l’amendement et contre le texte s’il n’est pas modifié.
Mme la présidente
La parole est à M. Philippe Bonnecarrère.
M. Philippe Bonnecarrère
Je ne pensais pas en arriver à ces discussions. La notion de manœuvre est connue de tous les juristes, en particulier de ceux qui sont spécialisés en droit pénal. Vous semblez découvrir qu’elle ne figure pas dans le code pénal. Prenez l’infraction la plus banale qui soit, l’escroquerie, et vous verrez la définition des manœuvres frauduleuses.
M. Ugo Bernalicis
Le code pénal et le code de procédure pénale, ce n’est pas pareil !
Mme la présidente
Sur l’ensemble de la proposition de loi, je suis saisie par les groupes Rassemblement national et Ensemble pour la République d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
(Les amendements nos 2 et 1, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés.)
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
(L’article 2 est adopté.)
Mme la présidente
Nous avons achevé l’examen des articles de la proposition de loi.
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 64
Nombre de suffrages exprimés 64
Majorité absolue 33
Pour l’adoption 57
Contre 7
(La proposition de loi est adoptée.)
(Applaudissements sur quelques bancs du groupe EPR.)
Rappel au règlement
Mme la présidente
La parole est à Mme Anne-Laure Blin, pour un rappel au règlement.
Mme Anne-Laure Blin
Madame la présidente, la commission des affaires économiques, qui a été saisie au fond du texte consacré aux titres-restaurant, auditionne en ce moment même la ministre de l’agriculture. Ne faudrait-il pas suspendre la séance ?
Mme la présidente
L’ordre du jour de la séance publique est prioritaire : nous poursuivons donc.
4. Prolongation de la dérogation d’usage des titres-restaurant pour tout produit alimentaire
Discussion, après engagement de la procédure accélérée, d’une proposition de loi
Mme la présidente
L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de Mme Anne-Laure Blin et plusieurs de ses collègues visant à prolonger la dérogation d’usage des titres-restaurant pour tout produit alimentaire (nos 532, 552).
Présentation
Mme la présidente
La parole est à Mme Anne-Laure Blin, rapporteure de la commission des affaires économiques.
Mme Anne-Laure Blin, rapporteure de la commission des affaires économiques
Cette proposition de loi, déposée avec Jean-Pierre Taite et Pierre Cordier, vise de manière pragmatique à prolonger la dérogation instaurée par la loi du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat et consistant, dans un contexte dominé par une importante inflation, en la possibilité d’employer les titres-restaurant à l’achat de produits alimentaires non directement consommables.
Entré en vigueur le 1er octobre 2022, en même temps que le plafond d’utilisation de ces titres passait de 19 à 25 euros par jour, ce dispositif a vu l’an dernier son échéance reportée du 31 décembre 2023 au 31 décembre 2024 ; nos discussions ont alors mis en évidence la forte attente d’une réforme d’ensemble des titres-restaurant, promise par les précédents gouvernements depuis 2019 et toujours inaboutie. C’est la raison pour laquelle nous sommes de nouveau confrontés à ce sujet, où la question du pouvoir d’achat rencontre celle du soutien que nous devons à nos artisans et commerçants du secteur de la restauration. Si les débats en commission, parfois vifs, ont à l’évidence fait apparaître des divergences, ils ont également démontré que nous pouvions nous retrouver sur certains points.
D’une part, les 5,4 millions de salariés qui bénéficient de titres-restaurant comprendraient sans doute mal pourquoi, à compter du 1er janvier, il leur deviendrait soudain impossible d’utiliser ceux-ci pour faire leurs courses. Or tel est bien l’enjeu : leur permettre de continuer à confectionner leurs repas à partir de titres-restaurant. Bien que l’inflation ait quelque peu ralenti ces derniers mois – en octobre, 1,5 % sur un an –, le niveau des prix à la consommation reste élevé et pèse toujours sur le pouvoir d’achat des ménages ; dans un tel contexte, la contribution de ces titres n’est pas à négliger. Attribués par plus de 180 000 entreprises, ils sont acceptés par 235 000 commerçants agréés auprès de la Commission nationale des titres-restaurant (CNTR) : restaurateurs, grandes et moyennes surfaces, détaillants en fruits et légumes. D’un point de vue macroéconomique, le marché de ces titres représentait au premier semestre 2024 un chiffre d’affaires de près de 10 milliards, et leur utilisation croît de manière continue, notamment en raison de l’élargissement progressif du champ des produits qu’ils peuvent servir à payer, associé à la hausse du plafond journalier.
D’autre part, en commission, plusieurs d’entre nous ont estimé qu’il n’était pas convenable que le Parlement doive débattre chaque année de la prolongation de la dérogation créée en 2022.
M. Richard Ramos
Exactement !
Mme Anne-Laure Blin, rapporteure
Je les rejoins à ce sujet : pour des raisons de lisibilité (M. Laurent Wauquiez applaudit), il importe d’en finir avec les mesures d’appoint. Par conséquent, nous avons élaboré ce dispositif d’équilibre, qui consiste à laisser un an au gouvernement pour discuter avec les acteurs du système d’une réforme de fond :…
M. Laurent Wauquiez
C’est la sagesse même !
Mme Anne-Laure Blin, rapporteure
…Mme la ministre portera certainement à notre connaissance les pistes de travail qu’elle compte suivre dans les prochains mois. Telle est également la raison pour laquelle je n’approuve pas le texte adopté par la commission, qui prévoit la pérennisation de la mesure provisoire, sans mention d’une refonte pourtant maintes fois évoquée par le passé.
Comme son nom l’indique, le titre-restaurant permet en principe aux salariés d’acquitter tout ou partie du prix d’un repas consommé au restaurant. Force est de constater que c’est de moins en moins le cas : depuis 2022, les parts de marché de la restauration et des commerces de bouche n’ont cessé de reculer au profit de la grande distribution, qui capte désormais le tiers des titres, contre 40 % pour la restauration. En moins de deux ans, les grandes et moyennes surfaces ont gagné plus de 8 points de ces parts, soit plus de 700 millions d’euros, pendant que la restauration en perdait près de 550 millions. Il y a fort à parier que la pérennisation ne fera qu’accentuer cette tendance due non seulement à la baisse du pouvoir d’achat, mais aussi à des changements durables dans les habitudes : nombreux sont les salariés qui télétravaillent, donc mangent chez eux, ou qui emportent au travail un déjeuner préparé à la maison. Ces évolutions réclament une réflexion collective et, je le répète, une refonte du dispositif, que tous les acteurs appellent également de leurs vœux.
Les choses sont simples : si une partie importante – voire, dans quelques années, la majorité – des titres-restaurant est consacrée aux courses, pourquoi conserver son nom actuel à ce qui sera devenu un chèque alimentaire partiellement financé par l’employeur ? Si nous avons pour but d’aider les salariés à subvenir à leurs besoins alimentaires, y compris les dimanches et jours fériés, le titre-restaurant constitue-t-il l’instrument le plus adapté ? La réponse se trouve dans la question. Notre combat pour l’amélioration du pouvoir d’achat et des conditions de vie des Français doit passer avant tout par une politique économique volontariste qui, tout en veillant au rétablissement des finances publiques, assure le dynamisme, la pérennité et le développement des entreprises. Je ne crains pas de le dire : il faut que nous acceptions de baisser les charges et les taxes qui pèsent sur les salaires, de laisser respirer salariés et entrepreneurs, de permettre à ceux-ci d’augmenter ceux-là. Nos entreprises sont les véritables créateurs de richesses qui assurent une juste répartition de la valeur. Il serait naturel et normal que cet argent aille directement dans la poche des salariés, de ceux qui font preuve de courage, de mérite, qui se lèvent tôt, afin qu’ils puissent vivre du fruit de leurs efforts.
Le Parlement a conçu en 2022 un dispositif circonscrit, destiné à répondre de manière proportionnée et circonstanciée aux besoins identifiés dans un contexte d’inflation alimentaire : ne transformons pas cet assouplissement en un dévoiement qui provoquerait la mort du titre-restaurant. Quelque forme que prenne celui-ci, son objet doit rester la prise en charge partielle du déjeuner des salariés dont l’entreprise ne fournit pas ou ne peut offrir une solution de restauration collective ; il fait partie intégrante d’un écosystème qui irrigue l’économie de nos territoires, puisqu’une place essentielle y revient depuis toujours aux restaurants, à l’hôtellerie-restauration et aux commerces de bouche.
M. Laurent Wauquiez
Bien !
Mme Anne-Laure Blin, rapporteure
Encore une fois, une refonte profonde et durable est nécessaire en vue d’adapter le titre-restaurant aux changements de notre société. Aussi, je défendrai à nouveau le rétablissement du texte tel qu’il a été déposé (M. Laurent Wauquiez applaudit), c’est-à-dire la prolongation jusqu’au 31 décembre 2025, tout en restant attentive aux initiatives gouvernementales touchant les aspects évoqués par tous les acteurs et partenaires sociaux. Nous ne devrons d’ailleurs pas nous priver d’une réflexion d’ensemble sur les usages, sur les bénéficiaires. Dans l’esprit des propositions de loi que j’ai déposées le 9 février 2021, puis le 21 février 2023, visant à créer un titre-restaurant étudiant, il nous faudra veiller à la situation des milliers d’étudiants dépourvus de solution relevant du centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) ; je pense à ceux qui vivent dans des « zones blanches », c’est-à-dire loin des sites de restauration pratiquant les tarifs social et très social – les repas à 1 euro pour les boursiers. Il s’agit d’une question d’équité : c’est pourquoi, parallèlement à l’examen de ce texte, j’y travaille avec le ministère de l’enseignement supérieur, afin que des pistes concrètes apparaissent au plus vite.
Il convient de ne pas se tromper de combat : l’enjeu réside dans la possibilité pour des millions de salariés de continuer à disposer d’un outil de défense du pouvoir d’achat, sans que cela remette en cause l’essence même du titre-restaurant. Au-delà des appréciations que peut susciter ce texte, l’évidence du calendrier s’impose : afin de prolonger à temps le dispositif au-delà du 31 décembre, l’Assemblée et le Sénat devront adopter la proposition de loi en termes identiques, et nous n’avons pour cela que très peu de temps. Nous ferions donc œuvre utile si, sans renoncer à nos positions respectives concernant le devenir à long terme des titres-restaurant, nous posions aujourd’hui les bases d’un accord pragmatique au sujet d’une mesure ciblée et très attendue. (Applaudissements sur les bancs du groupe DR. – M. Richard Ramos applaudit également.)
M. Laurent Wauquiez
Très bonne intervention !
Mme la présidente
La parole est à Mme la secrétaire d’État chargée de la consommation.
Mme Laurence Garnier, secrétaire d’État chargée de la consommation
Je suis heureuse d’être parmi vous pour parler d’un sujet qui concerne très directement la vie quotidienne des Français, dont le titre-restaurant, profitant à près de 6 millions de salariés, constitue l’avantage social préféré ; c’est pourquoi je remercie Anne-Laure Blin, Jean-Pierre Taite et Pierre Cordier d’avoir déposé ce texte particulièrement attendu.
M. Laurent Wauquiez
Merci !
Mme Laurence Garnier, secrétaire d’État
Comme l’a souligné Mme la rapporteure, il s’agit d’éviter que nos concitoyens n’aient une mauvaise surprise lorsque, le 2 janvier, ils iront faire leurs courses dans un supermarché. Rappelons l’objectif du titre-restaurant : permettre au salarié qui ne dispose ni d’une cantine, ni d’un espace aménagé sur son lieu de travail, de s’alimenter lors de la pause déjeuner. À la création du dispositif, en 1967, ce repas pouvait être pris au restaurant mais aussi acheté chez un commerçant, un boulanger, ou encore en grande surface dans la limite de certains produits. Le tout repose sur un cofinancement : entre 40 % et 50 % de la valeur faciale du titre est à la charge du salarié, le reste à celle de l’entreprise, et l’État prend sa part en exonérant de cotisations sociales, dans la limite de 7,18 euros, cette contribution de l’employeur. Évalué à près de 9 milliards, le marché se porte bien ; sa croissance témoigne des attentes des Français, d’un succès encore accru ces dernières années par la dématérialisation progressive du titre – j’y reviendrai –, mais surtout par son adaptation aux crises – le covid en 2020, l’inflation depuis.
En 2020, le plafond quotidien d’utilisation du titre-restaurant a été doublé, de 19 à 38 euros ; les salariés ont pu ainsi écouler le stock de titres accumulés pendant le confinement. Cela a également permis de soutenir les restaurateurs, dont l’activité était mise à mal, et de favoriser le lien social après une période éprouvante pour beaucoup de Français.
La seconde crise, inflationniste, a touché l’alimentaire à partir de 2022. Deux actions ont alors été entreprises pour permettre aux salariés bénéficiant de titres-restaurant de faire face à l’augmentation soudaine des prix. D’une part, le plafond d’exonération de la participation patronale au financement des titres-restaurant a été augmenté de 4 % ; d’autre part, une dérogation a été instaurée pour que les usagers puissent échanger leurs titres contre des produits alimentaires non directement consommables.
On entend parfois, dans le débat public, que cette dérogation aurait soudainement permis aux salariés d’utiliser leurs titres-restaurant dans les grandes surfaces. Or l’usage du titre-restaurant y était possible bien avant 2022 ; simplement, il était limité aux produits directement consommables. La dérogation, à l’initiative du Parlement, a levé cette limitation et les Français peuvent désormais se procurer des produits alimentaires non directement consommables, comme des pâtes, du riz, du beurre ou de la viande.
Fin 2023, cette mesure a été prolongée d’un an pour faire face à une inflation encore très marquée – rappelons qu’en deux ans, l’inflation alimentaire a atteint environ 20 %. Il s’agissait d’une demande forte de la part des salariés ; nous pouvons nous réjouir d’avoir su y répondre collectivement.
Si la question de prolonger cette dérogation se pose de nouveau, c’est dans des circonstances différentes. Je veux rassurer l’Assemblée : il ne s’agit pas de se retrouver, chaque fin d’année, avec ce sujet sur la table.
M. Laurent Wauquiez
C’est le risque !
Mme Laurence Garnier, secrétaire d’État
L’an dernier, ma prédécesseure, Olivia Grégoire, avait annoncé le lancement en 2024 de concertations avec les acteurs du secteur – les restaurateurs, les émetteurs, les syndicats de salariés et d’employeurs –, avec pour objectif de moderniser le titre-restaurant. Tous ces travaux ont eu lieu et les professionnels ont pu y participer. Le chantier était parvenu à son terme lorsque l’activité législative a été interrompue, chacun s’en souvient, en juin.
Vous connaissez le calendrier contraint du nouveau gouvernement, installé il y a tout juste deux mois. Si nous débattons de nouveau de ce sujet, c’est pour éviter aux Français la mauvaise surprise de constater, le 1er janvier, qu’une partie de leurs courses d’alimentation ne pourront plus être payées avec leurs titres-restaurant.
Le gouvernement est favorable à une prolongation de la dérogation, d’une année ou deux, selon ce que vous déciderez avant que le Sénat ne se prononce à son tour. En revanche, le gouvernement est défavorable à une pérennisation : elle empêcherait la réforme du titre-restaurant d’aboutir, à la suite des travaux que je souhaite conduire ces prochains mois.
Pour que cette réforme réussisse, il faut que les acteurs puissent s’exprimer, que nous discutions avec eux et que nous identifiions ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Les discussions débuteront dès janvier 2025 et je souhaite qu’il n’y ait aucun sujet tabou : la dématérialisation du titre, la mise en place d’un double plafond ou encore les moyens de renforcer les dons aux associations feront partie des questions abordées, tout comme le panier de produits éligibles. Veillons à ne pas anticiper les conclusions de ces échanges indispensables.
La position du gouvernement est donc claire : il faut prolonger cette dérogation, réclamée par 96 % des Français, afin de préserver leur pouvoir d’achat. Je remercie la rapporteure pour ses travaux visant à la prolonger d’un an.
M. Laurent Wauquiez
Excellente rapporteure !
Mme Laurence Garnier, secrétaire d’État
Je comprends que certains d’entre vous souhaitent prolonger la dérogation de deux ans, afin de se donner un peu plus de temps. Le gouvernement est ouvert à la discussion et s’en remettra à la sagesse de l’Assemblée nationale. Cependant, je rappelle que nous sommes confrontés à un calendrier contraint : la dérogation expirera le 31 décembre, le texte doit donc achever son parcours législatif rapidement. Je me tiens à la disposition des parlementaires qui souhaiteront s’engager dans les discussions à venir pour moderniser le titre-restaurant – c’est un enjeu essentiel pour nos concitoyens. (Mme Françoise Buffet et M. Laurent Wauquiez applaudissent.)
Discussion générale
Mme la présidente
Dans la discussion générale, la parole est à M. Alexandre Allegret-Pilot.
M. Alexandre Allegret-Pilot
Cette mesure soutiendra, durant une année supplémentaire, le pouvoir d’achat des salariés en matière de produits alimentaires non directement consommables. Comment s’y opposer, alors que le niveau de vie constitue la première préoccupation de nos concitoyens ? C’est par ailleurs un geste en retour à l’égard de ceux qui portent le poids de notre économie et de notre modèle social : les travailleurs. Rappelons-le, ils ne sont que 24 millions pour porter à bout de bras un pays surendetté de 68 millions d’habitants. Libérer un peu de leur pouvoir d’achat et tenir compte des évolutions de la société est la moindre des choses. Fin du suspense, nous voterons pour la proposition de la rapporteure.
Mme Anne-Laure Blin, rapporteure
Merci !
M. Alexandre Allegret-Pilot
Cependant, n’appliquons pas un pansement sur une jambe de bois et envisageons une refonte complète du système. À cette fin, je vous soumets les réflexions suivantes. Le coût des titres-restaurant pour les finances publiques, c’est-à-dire pour le contribuable, actif ou non, s’élève à 1,5 milliard d’euros. En effet, ce titre repose sur une exonération de cotisations sociales et d’impôt sur le revenu. Il est d’autant plus attractif que la ponction socialo-fiscale est élevée, puisqu’il améliore la rémunération nette du travailleur à un moindre coût pour l’employeur : le bénéficiaire ne paye directement que 40 % à 50 % du titre. Ainsi, plus nous prolongerons notre modèle économique sans réduire sa lourdeur sociale et fiscale, plus les dispositifs dérogatoires seront nécessaires.
N’ignorons pas que la mesure proposée pénalise indirectement le secteur de la restauration, qui repose notamment sur les titres-restaurant pour son activité du midi, largement affectée par le télétravail, et qui sort d’une crise de l’énergie aux effets ravageurs. Les chiffres ne sont pas négligeables : 9 milliards d’euros alimentent, chaque année, 234 000 commerçants, soit près de 40 000 euros par commerçant et par an. Nous sommes donc confrontés à un conflit d’usage dans un jeu à somme nulle, entre la grande et moyenne distribution d’une part, la restauration d’autre part, toutes deux destinataires de ces titres-restaurant qui sont en réalité des titres-alimentation.
Rappelons également que le dispositif actuel ne profite qu’à certains travailleurs – 5,4 millions de personnes tout de même – et exclut les chômeurs, les étudiants en zone blanche et les retraités, qui rencontrent pourtant les mêmes difficultés de pouvoir d’achat. Le dispositif ne tient pas compte de la richesse du bénéficiaire, sinon à travers l’exonération de l’impôt sur le revenu, ce qui en fait une niche fiscale dite régressive.
Il ne faut pas oublier l’objectif initial du titre-restaurant : pallier l’absence de cantine pour se sustenter sur le lieu de travail. Il est le pendant quotidien du chèque-vacances, qui repose sur un mécanisme similaire. Le contexte actuel, à en écouter certains, pourrait nous conduire à inventer d’autres catégories de titres : à destination de la grande et moyenne distribution, pour les produits de première nécessité et l’énergie, pour les produits bio, pour les produits français, ou encore à destination de l’activité sportive – le tout indexé sur l’inflation. La liste est potentiellement infinie et laisse poindre le risque de transformation du titre-restaurant en un équivalent contemporain du ticket de rationnement, dans un exercice acrobatique de suradministration de l’économie française. Je vous alerte donc quant à cette passion française qui consiste à créer des usines à gaz plutôt qu’à simplifier, à administrer plutôt qu’à libérer.
Comme souvent, ce dispositif réglementé semble enrichir des intermédiaires en situation oligopolistique, puisque quatre acteurs se partagent 99 % du marché et privent les commerçants d’une part non négligeable de leur marge. L’Autorité de la concurrence (ADLC), saisie par le gouvernement, a rappelé l’opportunité de rééquilibrer le rapport de force sur le marché, en mettant un terme au monopole exercé par chaque émetteur de titres à l’égard des commerçants. Elle a aussi souligné la nécessité d’améliorer la transparence et la lisibilité des tarifs.
Nous prolongeons donc une exception à l’exception, parce que le bon sens et l’urgence l’imposent, en faveur de nos concitoyens, dans un contexte économique morose. Cela ne doit pas nous exonérer d’une réflexion globale sur notre modèle social et fiscal, pour davantage de justice et d’efficacité, ainsi que sur la façon dont nous devons rendre du pouvoir d’achat et de la liberté aux travailleurs, sur lesquels repose la société tout entière.
Le groupe UDR votera pour la proposition initiale, car elle contribue à décorseter les choix d’alimentation des ménages tout en récompensant le travail et en limitant la fiscalité infernale qui pèse sur les entreprises. Surtout, mon groupe se tient à la disposition des bonnes volontés pour travailler à la refonte globale du dispositif. L’une des pistes prioritaires demeure la réduction du coin socialo-fiscal, qui pénalise les entreprises et les ménages. Nous avons une année devant nous pour cela. (Applaudissements sur les bancs des groupes UDR et RN.)
Mme la présidente
La parole est à M. Frédéric Weber.
M. Frédéric Weber
Nous examinons un texte qui, dans sa version initiale, visait à prolonger d’une année supplémentaire l’utilisation des titres-restaurant pour l’achat de produits non directement consommables tels que la farine, les pâtes, le riz, les œufs, la viande ou le poisson. Cette proposition de loi n’a rien de nouveau, puisque c’est la troisième fois que nous débattons de ce dispositif : la loi du 16 août 2022 l’avait instauré pour une durée limitée, avant qu’il ne soit prolongé en 2023. À chaque fois, les députés du groupe Rassemblement national ont soutenu ces prolongations temporaires, qui répondaient à l’urgence et apportaient un répit, certes partiel, aux travailleurs frappés de plein fouet par l’inflation galopante et la flambée des prix de l’énergie.
Cependant, ces renouvellements successifs sont le symptôme d’une incapacité chronique à prendre de la hauteur. Gouverner, ce n’est pas courir après l’urgence, c’est anticiper. Ces rafistolages témoignent de l’absence totale d’une vision économique de long terme et d’une politique de restauration du pouvoir d’achat. Il est temps de reconnaître que les solutions temporaires visant à résoudre des problèmes chroniques ne suffisent plus.
En commission, la logique du texte initial a disparu. Le groupe EPR et ceux du NFP, soutenus par les groupes Horizons et LIOT, ont transformé cette prolongation en une pérennisation pure et simple.
Mme Anne-Laure Blin, rapporteure
Exactement !
M. Frédéric Weber
Soyons clairs : la pérennisation du dispositif mérite d’être discutée, mais certainement pas dans l’improvisation. On ne bâtit pas une politique solide sur des amendements de circonstance, adoptés à la hâte et sans consultation des parties prenantes. Nous devons garder à l’esprit qu’un dispositif pérenne ne peut être efficace que s’il garantit un équilibre entre les différents acteurs : restaurateurs, commerces de proximité, grande et moyenne distribution ne doivent pas être mis en concurrence de manière déséquilibrée. Au contraire, c’est par une négociation apaisée que l’on construira un dispositif solide, qui ne fragilise pas les uns au profit des autres mais respecte les intérêts de chacun.
Par ailleurs, le contexte économique est alarmant : les défaillances d’entreprises dans le secteur de la restauration ont bondi au troisième trimestre de 20 % par rapport à 2023 ! Ce chiffre inquiétant souligne l’urgence à travailler avec ces acteurs pour évaluer les effets d’une telle réforme et éviter d’aggraver leur situation. À ce sujet, permettez-moi, madame la ministre, de revenir sur les propos tenus par votre prédécesseure, Olivia Grégoire. Elle appelait, dans cette assemblée, il y a tout juste un an, à « un travail et une concertation plus approfondis » pour « moderniser » et « dépoussiérer » le dispositif, plaidait pour une réforme élaborée avec les acteurs concernés et s’opposait à toute décision précipitée.
C’est pourtant la même qui, par un amendement adopté en commission, a balayé toute concertation et toute réflexion approfondie. Le dispositif qu’elle prétendait vouloir moderniser avec sérieux se retrouve pérennisé, sans aucun dialogue social avec les restaurateurs, les commerçants et les syndicats de salariés. Un appel à la rigueur et à la réflexion s’est transformé, en moins d’un an, en la plus flagrante des improvisations législatives.
Au-delà de cette contradiction, ce texte amendé est révélateur d’un problème plus profond. Il ne propose qu’une réponse partielle à une crise qui touche pourtant tous les Français. Les artisans, les agriculteurs, les travailleurs indépendants qui n’ont pas, eux, accès au titre-restaurant, sont les grands oubliés de cette mesure. Ce texte, dans sa version actuelle, ne concerne donc que 5,4 millions de salariés, faible portion des près de 28 millions de travailleurs que compte notre pays.
Il est grand temps d’arrêter ces bricolages législatifs. Nous devons nous attaquer aux racines du problème et proposer des mesures concrètes de restauration du pouvoir d’achat.
C’est avec cette ambition que le Rassemblement national propose, par exemple, de baisser la TVA à 0 % sur un panier de 100 produits de première nécessité, pour aider les Français à accéder aux produits essentiels. Nous préconisons également une exonération des charges patronales de 10 % sur les augmentations de salaire, afin de permettre une revalorisation immédiate et significative des salaires nets, sans alourdir le coût du travail pour les entreprises.
Nous sommes prêts à soutenir le texte s’il est rétabli dans sa rédaction initiale ou si la prolongation envisagée est limitée dans le temps. Il est fondamental de ne pas céder à la précipitation. Une concertation sérieuse est la condition sine qua non pour élaborer un dispositif solide, capable de durer.
Fidèle à ses principes, le Rassemblement national votera dans l’intérêt des Français, comme il l’a toujours fait chaque fois qu’il s’est agi de défendre leur pouvoir d’achat. (Applaudissements sur les bancs des groupes RN et UDR.)
M. Guillaume Florquin
Bravo !
Mme la présidente
La parole est à M. Thomas Lam.
M. Thomas Lam
Plus de 5 millions de salariés, en France, ont recours aux titres-restaurant : dispositif essentiel permettant, quand leur entreprise ne dispose pas de cantine, de financer un repas quotidien. Bien que sa vocation première ne soit pas de soutenir directement le pouvoir d’achat, il s’est révélé être un levier efficace face à la crise inflationniste qui a suivi l’épidémie de covid – avec un pic de 6,8 % en juillet 2022. Les parlementaires avaient alors, à juste titre, assoupli provisoirement l’utilisation des titres-restaurant, lesquels pouvaient dès lors être échangés non seulement contre des produits prêts à consommer, mais également contre des denrées alimentaires, comme des pâtes ou du riz. Cette mesure, qui devait initialement prendre fin en juin 2023, a été prolongée d’un an.
Dans un contexte économique marqué par des incertitudes croissantes, il est impératif d’envisager une nouvelle prolongation. La France risque de traverser, dans les mois à venir, des turbulences économiques : fermetures d’usines, menaces de licenciements massifs, ralentissement des investissements, tensions commerciales à l’extérieur. Autant de facteurs susceptibles d’aggraver encore l’inflation et de peser sur la capacité de consommation de nombreux Français. Si les chiffres de l’Insee indiquent un ralentissement de l’inflation, ce répit intervient après plusieurs années de hausse des prix qui ont lourdement grevé le pouvoir d’achat des Français. En 2023, en raison d’une inflation encore élevée et en dépit d’une augmentation moyenne de 4 % des salaires nets dans le secteur privé, le pouvoir d’achat a encore reculé. Ces données montrent que la pression économique sur les ménages, notamment les plus modestes, reste forte.
La prolongation de l’assouplissement de l’usage des titres-restaurant est une réponse concrète et attendue à cette situation. En mars 2024, 96 % des salariés qui en bénéficiaient se déclaraient favorables à cette mesure, témoignant ainsi de son utilité dans leur quotidien.
Cette mesure ne saurait toutefois être que temporaire. La priorité est de revaloriser les salaires, pour renforcer durablement le pouvoir d’achat des Français.
Cette situation soulève, d’autre part, des difficultés pour les restaurateurs. Ils voient leur part dans les volumes financiers des titres-restaurant diminuer : de 46,5 % au dernier trimestre de 2022, elle est tombée à 40 % au deuxième trimestre de 2024. Cette diminution invite à une réforme équilibrée, qui devra concilier les attentes des salariés en matière de flexibilité avec les besoins des restaurateurs désireux de maintenir leur activité.
Afin de protéger le pouvoir d’achat des Français, le groupe Horizons & indépendants soutient la prolongation immédiate de l’assouplissement de l’usage des titres-restaurant. Mais il appelle aussi à une réforme en profondeur de ce dispositif, dès 2025, dans le but de mieux cibler les produits éligibles tout en répondant aux besoins spécifiques des restaurateurs et des salariés.
Cette prolongation est une mesure pragmatique et temporaire, dans une période marquée par des incertitudes économiques et sociales. Mais elle ne doit pas occulter l’urgence de réformes structurelles, afin que le travail soit mieux rémunéré et que les Français retrouvent une stabilité économique durable. Le groupe Horizons & indépendants votera en faveur de cette mesure, tout en œuvrant pour une réforme ambitieuse et équitable à court terme. (Applaudissements sur les bancs du groupe HOR.)
M. Jérémie Patrier-Leitus
Très bien !
Mme la présidente
La parole est à Mme Françoise Buffet.
Mme Françoise Buffet
La proposition de loi vise à prolonger la dérogation, effective depuis l’été 2022, qui permet aux salariés d’utiliser leurs titres-restaurant pour l’achat de tous types de produits alimentaires, qu’ils soient ou non directement consommables. Nous avions pris cette mesure afin de préserver le pouvoir d’achat des salariés, alors que l’inflation du prix des produits alimentaires atteignait presque les 8 % en glissement annuel, et allait monter jusqu’à 17 % au début de l’année 2023, avant que de commencer à décroître pour atteindre aujourd’hui un niveau normal. Pour autant, les prix continuent d’être élevés : depuis le début de l’année 2022, ils ont augmenté d’un cinquième.
La prolongation de cette mesure pour l’année 2025 est donc indispensable à la préservation du pouvoir d’achat de millions de salariés que nous laisserions sinon sans solution au 31 décembre. Ils soutiennent largement cette mesure : 96 % d’entre eux se sont déclarés favorables à sa prolongation.
Une telle prolongation ne doit pas nous dispenser de nous interroger sur la transformation des titres-restaurant. Si cette mesure est plébiscitée, ce n’est pas seulement parce qu’elle soutient le pouvoir d’achat, c’est aussi parce qu’elle répond à une évolution des usages, que nous nous devons de prendre en compte. Les nouveaux rythmes de vie, liés notamment au développement du télétravail lors de la pandémie, ont modifié les pratiques alimentaires : les déjeuners se prennent moins au restaurant et davantage à domicile, avec des repas constitués, de plus en plus souvent, d’aliments transformés.
Ce glissement s’est traduit par une redistribution des dépenses effectuées avec les titres-restaurant. Leur usage a augmenté dans les grandes surfaces alimentaires et diminué dans les commerces de bouche et les restaurants. Les titres-restaurant, vieux de plus de soixante ans, doivent être réformés : ce point fait consensus entre les parties prenantes ainsi qu’entre les députés de tous bords politiques.
Au fil des décennies, ce dispositif s’est imposé non seulement comme un avantage pour les travailleurs, mais aussi comme un soutien pour de nombreux acteurs économiques, notamment les restaurateurs et les commerçants de proximité, tout comme les producteurs qui les fournissent.
Cela dessine les contours d’une réforme, indispensable, des titres-restaurant. La dématérialisation, déjà amorcée, doit être accélérée. Si environ 70 % des titres sont désormais sous forme numérique, cette transition soulève des questions, notamment en matière de coût. Les commissions appliquées aux commerçants restent trop élevées, ce qui empêche certains acteurs – les petits restaurateurs en particulier – d’adopter les titres-restaurant. Une meilleure régulation des frais de gestion et une ouverture accrue à la concurrence sont nécessaires pour rendre ce dispositif plus équitable et plus accessible.
L’utilisation des titres-restaurant doit également répondre davantage à des critères de qualité et de durabilité. Leur utilité ne doit pas être seulement économique : ils doivent devenir un levier de promotion d’une alimentation saine, durable et locale. Nous devrions pouvoir orienter leur usage vers des produits issus de circuits courts, qu’ils soient bruts ou transformés, favorisant ainsi les pratiques agricoles responsables et soutenant nos producteurs locaux à l’aide de la création – pourquoi pas – d’un label. Cela permettra de limiter notre dépendance aux produits importés, de renforcer la résilience de notre agriculture. Nous œuvrerons ainsi à la défense de notre souveraineté alimentaire. Un fléchage de l’utilisation des titres-restaurant vers une consommation locale, plus respectueuse de l’environnement, sera, à l’évidence, bénéfique à notre société.
Il nous faut enfin préserver les équilibres entre les différents acteurs. La forte hausse de la part de marché des grandes surfaces dans l’utilisation des titres-restaurant ne doit pas se faire au détriment des commerces de bouche et des restaurants, qui sont autant de maillons essentiels de notre économie de proximité. Il nous faut donc concevoir un encadrement plus strict de leur usage, afin de garantir une répartition équilibrée des bénéfices entre ces différents secteurs.
Pour tenir compte de l’ensemble de ces enjeux, la réforme doit être ambitieuse et faire l’objet d’une concertation. Au sortir des travaux de la commission, le texte tend à pérenniser la dérogation en faisant l’économie de toutes ces questions : c’est, peut-être, mettre la charrue avant les bœufs.
Le groupe Ensemble pour la République pense qu’une voie médiane peut être trouvée. Nous présenterons un amendement visant à prolonger le dispositif actuel pour deux ans, dans la perspective d’une réforme. La balle, madame la ministre, sera alors dans votre camp.
Mme la présidente
La parole est à M. Hadrien Clouet.
M. Hadrien Clouet
Collègues,…
M. Jérémie Patrier-Leitus
Chers collègues !
M. Hadrien Clouet
Chers collègues – si vous voulez –, la France a faim. Selon l’Unicef, 20 % des enfants, dans notre pays, ne mangent pas trois repas par jour, un Français sur trois saute des repas pour des raisons économiques et plus de 50 % des salariés – des gens qui touchent une rémunération – ont déclaré avoir diminué les rations ces derniers semestres. Or la France produit assez pour nourrir toute sa population ; la faim est donc un choix politique. (M. Pierre-Yves Cadalen applaudit.) L’agriculture a été inventée il y a dix millénaires pour échapper à la peur de manquer. Aujourd’hui, alors que nous produisons assez, des ventres sont vides. Comme quoi la civilisation néolithique pouvait avoir des ambitions plus avancées que le macronisme.
Au-delà de la faim, c’est le spectre de la privation qui rôde en France. La baisse des salaires réels, depuis 2022, a conduit des millions de personnes à se priver et à renoncer, notamment, à aller au restaurant. D’après le baromètre du groupe Edenred, 94 % des Français envisagent de réduire leurs dépenses dans les restaurants. Votre austérité salariale est donc contagieuse : après avoir vidé le compte en banque des salariés, elle vide les caisses des restaurateurs à la clientèle déclinante. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Face à cette situation, les affameurs en col blanc nous convoquent pour la même discussion qu’en 2022 et en 2023 : pourra-t-on utiliser un an de plus les titres-restaurant pour acheter des produits alimentaires à cuisiner ? Collègues, ce n’est pas que votre compagnie me soit désagréable, mais c’est une question à laquelle nous avons déjà, à deux reprises, répondu par l’affirmative. Cette affaire a été réglée la semaine dernière en commission, en autorisant l’usage ad vitam æternam des titres-restaurant pour acheter des produits transformables – épicerie, légumes surgelés, etc.
Depuis, une partie de la droite hurle à la mort, et consacre toutes ses forces, du haut des 5 % qu’elle a obtenus aux dernières élections, à interdire aux salariés d’acheter du riz ou des pâtes, de cuisiner chez eux et d’apporter leur déjeuner au travail.
Tant que vous n’agirez pas contre la faim, tant que vous ne donnerez pas aux salariés le moyen d’aller au restaurant – par la hausse des salaires ou la révision des conventions collectives –, nous saisirons toutes les occasions qui se présentent pour permettre à nos compatriotes de s’alimenter correctement. (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.) Ce débat en est une : nous pouvons y poser – certes mal, de façon boiteuse – la question du droit à l’alimentation et du droit à avoir l’alimentation de son choix.
Nous avons entendu la semaine dernière deux prétextes, qu’il s’agit maintenant de dégonfler.
Il a été dit, d’abord, que l’inflation étant moins importante en 2024 qu’en 2023, il ne serait pas nécessaire de prolonger la possibilité d’utiliser les titres-restaurant pour faire des courses. Mais, collègues, les salaires ont-ils pour autant rattrapé l’inflation des deux années passées ?
M. Maxime Laisney
Non !
M. Hadrien Clouet
Votre argument est donc invalide. À moins que vous ne prépariez en secret un texte de loi visant à faire verser des salaires rectificatifs pour les deux dernières années, nous voulons maintenir la possibilité de faire ses courses avec les titres-restaurant.
Vous avez ensuite accompli le tour de passe-passe – très classique à droite – qui consiste à se cacher derrière les petits pour défendre les très grands. Vous en avez appelé aux restaurateurs et aux restauratrices. Mais qui a créé cet énorme cartel capitaliste qui les ponctionne depuis 2023 avec des commissions exorbitantes sur les titres-restaurant ? C’est vous, et le gouvernement. (Mêmes mouvements.)
C’est le gouvernement qui, malgré les recommandations de l’Autorité de la concurrence, a continué de faire comme si de rien n’était, laissant quatre sociétés privées – Natixis, Up, Sodexo et Edenred – se gaver.
Elles se gavent car elles prélèvent désormais plus de 5 % de commission sur les restaurateurs ! Sur 5 000 euros de titres-restaurant, un restaurateur peut payer jusqu’à 300 euros de frais divers, sans parler des clauses écrites en petits caractères dans le contrat. Ceux qui plument les restaurateurs, ce sont les grands groupes, pas leurs clients !
Une solution éviterait la division du pays : permettre aux salariés d’employer leurs titres-restaurant pour faire leurs courses alimentaires, tout en libérant les restaurateurs des puissances financières qui viennent sabrer leurs marges. Il faut plafonner les taux extravagants des commissions. (Mêmes mouvements.) Je le répète, il faut arrêter de plumer la restauration !
Il faut lutter contre l’ubérisation qui détourne une partie des flux financiers, les titres-restaurant servant à financer des plateformes qui recrutent des individus – salariés déguisés –, tout en s’affranchissant du paiement des impôts et des cotisations, pourtant utiles à notre pays.
À la fin, c’est vrai, il faut que quelqu’un paie. Le groupe DR entend faire payer les salariés, en les privant de l’usage des titres-restaurant.
Mme Anne-Laure Blin, rapporteure
C’est faux !
M. Hadrien Clouet
La droite macroniste veut faire payer les restaurateurs, en leur imposant des commissions extravagantes. À La France insoumise, nous préférons faire payer les puissances de l’argent, cette fois-ci comme les autres ! (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP. – M. Boris Tavernier applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Karim Benbrahim.
M. Karim Benbrahim
Depuis 2021, les Français font face à une inflation historique qui a de lourdes conséquences sur la vie des classes moyennes et populaires. Les factures énergétiques ont explosé, les prix des matières premières se sont envolés, entraînant une hausse des prix des produits et des biens de consommation courants. Entre décembre 2020 et décembre 2023, l’inflation sur les produits alimentaires a atteint 23 %. Les files d’attente dans les banques alimentaires se sont allongées et le taux de pauvreté a augmenté, quand il diminuait dans les autres pays européens.
La crise du pouvoir d’achat ne touche pas uniquement les plus précaires, mais aussi les classes moyennes et populaires. Le ruissellement promis par Emmanuel Macron ne s’est jamais produit. Alors que les avantages fiscaux étaient accordés aux foyers les plus aisés, les classes moyennes et populaires ont vu leur pouvoir d’achat reculer.
Si les prix augmentent désormais à un rythme moindre qu’en 2022 et en 2023, l’inflation continue sa progression. Et les difficultés d’une grande partie de nos concitoyens restent réelles. Pourtant, lors de l’examen du projet de loi de finances (PLF), la droite et l’extrême droite ont continué à refuser de soutenir les classes moyennes et populaires, en rejetant les mesures de justice que nous avions défendues.
Mme Anne-Laure Blin, rapporteure
Et le pouvoir d’achat des retraités ?
M. Karim Benbrahim
La justice sociale et le pouvoir d’achat des Français attendront…
La mesure dont nous débattons est une rustine, quand la crise nécessite des mesures d’un autre ordre. Cependant, elle constitue un soutien au pouvoir d’achat des ménages qui bénéficient de titres-restaurant. Elle répond à une nécessité sociale quand un tiers des Françaises et des Français sont, parfois ou régulièrement, contraints de sauter un repas.
Nous y apporterons donc notre soutien. L’an dernier, nous avions d’ailleurs demandé une prolongation du dispositif jusqu’à fin 2025, mais le gouvernement s’y était opposé.
Le texte dont nous débattons n’est pas celui que la droite aurait souhaité. Elle proposait une simple prolongation d’un an, mais la commission des affaires économiques a tenu à pérenniser le dispositif. Madame la rapporteure, vous avez affirmé que cette pérennisation n’était souhaitée par aucun acteur.
Mme Anne-Laure Blin, rapporteure
Exactement !
M. Karim Benbrahim
Vous vous trompez puisque 96 % des bénéficiaires – les premiers concernés – y sont favorables ! Lorsqu’il s’agit d’adopter une mesure de soutien au pouvoir d’achat des classes moyennes et populaires, on peut compter sur la droite pour y faire obstacle.
Avec 460 000 salariés et 170 000 restaurants, la restauration est un secteur cher aux Français et un marqueur fort de notre culture nationale. Elle est aussi un élément essentiel du paysage économique. Elle fait cependant face à plusieurs difficultés : crise des recrutements, hausse des prix des matières premières et des factures énergétiques.
Pour le groupe Socialistes et apparentés, l’évolution des titres-restaurant et de leur usage doit se construire avec les restaurateurs. Le gouvernement doit entendre leurs difficultés et y apporter des solutions.
Les habitudes de consommation et d’alimentation changent. Il faut que le dispositif des titres-restaurant soit actualisé pour répondre aux attentes des parties prenantes et aux objectifs sociaux et environnementaux que nous souhaitons tous atteindre.
Mme Anne-Laure Blin, rapporteure
Ce n’est pourtant pas ce que vous avez voté en commission…
M. Karim Benbrahim
Il faut engager la concertation avec les parties prenantes – restaurateurs, salariés, employeurs, émetteurs de titres-restaurant et commerçants – sur le niveau des commissions, la dématérialisation, l’ouverture à de nouveaux bénéficiaires et les conditions de soutien aux différentes filières de production et de distribution.
La prolongation d’un an, madame la rapporteure, ne garantit pas de pouvoir mener à bien cette réforme pourtant attendue. Et l’instabilité politique créée par le président de la République ne garantit pas, non plus, que nous pourrons nous retrouver dans un an pour voter une nouvelle prolongation.
Nous regrettons votre refus de tout compromis. Bien que nous soyons favorables à la pérennisation du dispositif, et parce que nous pensons qu’une prolongation de deux ans est préférable à celle que vous proposez, le groupe Socialistes et apparentés a déposé, comme en commission, un amendement en ce sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC. – M. Boris Tavernier applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Luc Bourgeaux.
M. Jean-Luc Bourgeaux
Le texte issu de la commission des affaires économiques s’écarte de la version initiale défendue par la rapporteure, Anne-Laure Blin. La proposition de loi prévoyait une prolongation de la dérogation d’un an et avait le mérite de concilier deux priorités : soutenir le pouvoir d’achat des salariés face à l’inflation et préserver l’activité des restaurateurs.
Plus de 5,4 millions de salariés en France, notamment ceux qui n’ont pas accès à un point de restauration collective, bénéficient de titres-restaurant. Le dispositif a démontré son utilité pour soutenir le pouvoir d’achat, alors que les prix des produits alimentaires continuent de peser sur le budget de nombreuses familles. Entre août 2021 et août 2023, les prix alimentaires ont bondi de 20 %. Même si l’inflation a ralenti pour s’établir à 1,5 % en 2024, ses effets restent lourds pour de nombreuses familles.
Cependant, les titres-restaurant ne peuvent, à eux seuls, protéger le pouvoir d’achat des Français, puisque plus de 20 millions de salariés n’y ont pas accès.
Les usagers de titres-restaurant ont modifié leurs habitudes de consommation, au profit des grandes surfaces et au détriment des restaurants : entre fin 2022 et mi-2024, la part de marché des grandes surfaces est passée de 22 à 31 %, tandis que celle de la restauration a diminué de 46 à 40 %, ce qui a entraîné un transfert de 550 millions d’euros de chiffre d’affaires vers les grandes surfaces.
Cette tendance soulève des questions légitimes sur l’objet social initial, l’équilibre du dispositif et son impact sur les différents acteurs économiques.
Nous devons rester attentifs à la situation des restaurateurs, qui traversent une période difficile. Rappelons que les restaurants sont majoritairement des très petites, petites et moyennes entreprises (TPE et PME). Le dispositif ne doit donc pas être pérennisé, d’autant qu’aucun des acteurs n’y est favorable, y compris la CNTR.
Mme Anne-Laure Blin, rapporteure
Tout à fait.
M. Jean-Luc Bourgeaux
Nous plaidons pour une mesure temporaire, qui doit s’inscrire dans une perspective pragmatique : dans les prochains mois, il faut que le travail paie mieux, afin que les métiers de la restauration bénéficient d’un regain d’activité.
Tout en reconnaissant l’utilité indéniable de cette mesure pour le pouvoir d’achat des Français, nous devons envisager sa prolongation avec prudence. Il faut trouver un équilibre entre le soutien aux consommateurs et la protection des restaurants, et mesurer l’impact économique de cette dérogation sur les restaurateurs et les autres commerces.
Le groupe Droite républicaine défendra d’ailleurs un amendement prévoyant la remise d’un rapport, car nous ne pouvons légiférer à l’aveugle.
Initialement, il s’agissait de prolonger temporairement la mesure jusqu’à la fin de l’année 2025, afin de laisser le temps aux parties prenantes de se réunir pour évaluer le dispositif et élaborer ensemble une réforme durable, adaptée aux évolutions de la société.
Nous plaidons pour un élargissement des bénéficiaires des titres-restaurant – la rapporteure défend une extension aux étudiants depuis 2021. Nous souhaitons également évaluer l’opportunité de plafonner les commissions facturées aux commerçants.
Le groupe Droite républicaine votera contre la proposition de loi en l’état car la pérennisation du dispositif risque de dévoyer le principe même des titres-restaurant. Nous souhaitons une simple prolongation de la dérogation pour un an, afin de ne pas pénaliser les restaurateurs, dont la situation économique est fragile dans de nombreux territoires.
Mme la présidente
La parole est à M. Boris Tavernier.
M. Boris Tavernier
Un complément nécessaire pour faire ses courses : voilà ce que sont devenus les tickets-resto pour beaucoup de Français. La priorité, pour le groupe Écologiste et social, c’est donc que les Français puissent encore les utiliser à la caisse du supermarché le 2 janvier. C’est autant une attente qu’un besoin pour beaucoup de nos concitoyens.
Néanmoins, cette situation n’est pas satisfaisante. C’est une évidence : les salariés devraient pouvoir payer leurs courses grâce à leurs salaires – des salaires suffisants, décents – et non avec des titres-restaurant exonérés de cotisations sociales.
En outre, nous entendons le manque à gagner que cette dérogation représente pour les restaurateurs, qui font pourtant vivre nos villes et nos quartiers. Ce texte, élaboré à la va-vite, ne leur propose rien de concret. C’est un acte manqué.
J’ai travaillé pendant dix ans en restauration. J’ai vécu les contraintes qui pèsent sur ceux qui acceptent les titres-restaurant – la lourdeur dans la gestion et, surtout, le poids des commissions. Ces commissions, qui ne cessent d’augmenter de manière injustifiée, rognent des marges déjà difficiles à dégager. Elles s’ajoutent à d’autres coûts : les factures d’électricité ont explosé l’an passé et les loyers commerciaux, notamment à Lyon, sont de plus en plus élevés.
Nous avons évoqué les consommateurs et les restaurateurs ; n’oublions pas un acteur central, qui se fait plutôt discret : les émetteurs.
Émetteur de titres-restaurant, voilà une activité des plus étonnantes, qui n’existe que grâce à une niche fiscale ! Une activité très lucrative aussi, surtout lorsque les entreprises qui dominent le marché se constituent en oligopole et magouillent, au point d’être condamnées à payer 415 millions d’euros d’amende. Un jour, il faudra s’interroger sur la raison d’être de ces opérateurs privés et lucratifs.
Je le répète, notre priorité, c’est que les Français puissent encore utiliser leurs tickets-resto dans deux mois pour faire leurs courses. Mais doit-on prolonger le dispositif d’un an, de deux ans, de trois ans ? Ou doit-on pérenniser une pratique en vigueur depuis 2022 ?
Notre groupe n’est pas opposé à la pérennisation puisque les Français souhaitent pouvoir continuer de faire leurs courses avec leurs titres-restaurant. En outre, l’évolution des modes de consommation et de travail plaide en ce sens.
Permettez-moi une digression pour décrire ce que recouvre l’expression un peu froide d’« évolution des modes de consommation et de travail ». Entre 1975 et 2021, le temps de pause déjeuner des salariés a été divisé par deux ! Sans même parler des prix, les salariés n’ont tout simplement plus le temps d’aller au restaurant. Il est important de le rappeler à ceux qui répètent à l’envi que les Français ne travaillent pas assez.
Revenons à notre sujet : avant de parler de la durée – prolongation d’un an, de deux ans ou pérennisation –, il faut évoquer le contenu. Le groupe Écologiste et social appelle à une réforme structurelle du titre-restaurant.
Mme Anne-Laure Blin, rapporteure
La rapporteure aussi !
M. Boris Tavernier
Entre les changements de mode de vie – nous ne consommons plus, nous ne travaillons plus comme avant –, les commissions trop lourdes, la dématérialisation qui se fait attendre et les difficultés d’utilisation, le titre-restaurant ne donne pas satisfaction et devrait être amélioré. C’est d’autant plus vrai que de nouveaux enjeux se sont imposés, comme la précarité alimentaire et la nécessaire transition vers une alimentation plus durable. Le dispositif des titres-restaurant bénéficie d’une participation de l’État de 1,5 milliard d’euros ; il pourrait donc jouer un rôle pour mieux prendre en compte ces aspects. Si une pérennisation est souhaitable à terme, elle risque de faire oublier qu’il faut réformer le titre-restaurant.
Il ne faut pas non plus négliger les alertes des restaurateurs, qui seront les grands perdants de cette transformation.
Le groupe Écologiste et social plaide pour une prolongation de quelques années de la mesure, le temps de réformer le dispositif. Ce n’est qu’ensuite que nous pourrons la pérenniser.
Parce que nous souhaitons une réforme structurelle du titre-restaurant, nous avons fait adopter en commission ce qui est devenu l’article 2, aux termes duquel le gouvernement remettra un rapport. Il s’agit d’esquisser des pistes pour améliorer le dispositif, qui doit devenir un outil de transition vers une alimentation plus durable, un outil au service de la solidarité alimentaire, un outil dont les usagers seront plus nombreux.
Les possibilités sont légion. Avant-hier, j’étais aux côtés d’agriculteurs pour les soutenir dans leur lutte contre l’accord de libre-échange avec le Mercosur. Si celui-ci devait par malheur s’appliquer, les titres-restaurant, en partie financés par des fonds publics, pourraient être échangés contre de la viande brésilienne. Est-ce ce que nous souhaitons ? Ne vaut-il pas mieux que ce dispositif soutienne une production française et durable ? C’est l’une des raisons pour lesquelles nous devons réformer les titres-restaurant.
Mais ne nous y trompons pas : pour améliorer l’accès à l’alimentation, améliorer ce dispositif ne suffira pas. Il faut des réformes structurelles, qui fassent reculer la pauvreté et transforment notre système alimentaire. Le groupe Écologiste et social défend la proposition de loi visant à instaurer une sécurité sociale de l’alimentation, que je vous invite à soutenir, afin qu’advienne un jour où tous les Français pourront choisir leur alimentation, et même, pourquoi pas, aller au restaurant. (Applaudissements sur les bancs des groupes EcoS et SOC.)
Mme la présidente
La parole est à M. Richard Ramos.
M. Richard Ramos
Notre cher pays est mondialement reconnu pour sa gastronomie. Le repas est un moment fondamental de notre vie quotidienne ; l’Unesco en a souligné toute l’importance en inscrivant le repas gastronomique des Français au patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Besoin vital, l’alimentation permet aussi le lien social. Le repas a toujours été l’occasion d’échanges en famille, que ce soit à Noël où on s’engueule à propos de politique ou de religion, après une cérémonie ou lors d’un simple goûter avec les enfants à la sortie de l’école.
La nourriture évoque la chasse, la pêche et la cueillette d’il y a 40 000 ans, la sédentarisation des humains grâce à la culture et à l’élevage, puis ces auberges qui proposaient des plats et des boissons que les humbles devaient emporter – manger à l’intérieur était alors le privilège des riches. En 1765, Mathurin Roze de Chantoiseau inventa le restaurant moderne – cet homme des Lumières entendait abolir les privilèges d’Ancien Régime en permettant aux pauvres de manger mieux, et de manger assis. La nourriture évoque aussi l’industrialisation, le développement des plats cuisinés, la naissance de la restauration collective et l’importation de produits exotiques. Notre époque est marquée par l’expansion néfaste des fast-foods, qui apportent leur lot de maladies cardiovasculaires, le diabète, l’obésité et contribuent à la standardisation des goûts.
Nos restaurateurs, les vrais, ceux qui se lèvent tôt et transforment le produit brut, luttent chaque jour contre ces dérives en préparant des plats qui s’inspirent à la fois des savoirs traditionnels et de la vie moderne. Ils permettent aux collègues de travail de se retrouver autour de la table du midi, sas de décompression où il est possible de manger ce que l’on n’a parfois pas le temps de préparer chez soi.
L’invention du titre-restaurant au XXe siècle a garanti aux restaurateurs une abondance de convives. En réaction à la très forte inflation, la loi du 16 août 2022 a autorisé l’utilisation de ce moyen de paiement pour l’achat de produits alimentaires non directement consommables comme le riz, les pâtes ou la farine.
Le titre-restaurant est un sujet complexe et sensible.
M. Philippe Vigier
Absolument !
M. Richard Ramos
En changeant quelque peu la destination du dispositif, nous pourrions donner l’impression qu’on peut le réduire à un chèque alimentation. Les restaurateurs ont le droit d’exiger qu’il retrouve sa fonction première : financer un repas au restaurant.
Le groupe Les Démocrates partage les louables intentions des restaurateurs et comprend leur demande. Mais force est de constater que nos concitoyens souffrent toujours de l’inflation : il nous faut encore les aider quelque temps. Aussi, au nom des députés du groupe Les Démocrates, et bien que nous soutenions les restaurateurs, j’approuve cette excellente proposition de loi. Il nous faut prendre le temps d’étudier le dispositif en profondeur pour en revoir les contours avec l’ensemble des parties prenantes. Les débats nous permettront à coup sûr de trouver la durée idéale de la prolongation.
Je salue le travail de la rapporteure et de la ministre. Le sujet est complexe et il a fallu travailler dans l’urgence, la prolongation arrivant à échéance à la fin de l’année. Je sais tous les groupes politiques mobilisés pour faire aboutir ce texte.
Je salue aussi le travail des syndicats hôteliers et des artisans. Nous devons défendre une alimentation composée des produits issus de l’agriculture française.
M. Philippe Vigier
Très bien !
M. Richard Ramos
Je préfère manger un sandwich composé de pain artisanal et d’une tranche de jambon sans nitrites ou de foie gras de Lectoure, plutôt qu’un mauvais plat préparé, fût-il servi au restaurant, décongelé ou sorti d’une boîte.
Les fast-foods industriels ne devraient pas bénéficier des titres-restaurant. Il faudra aussi se pencher sur les frais parfois prohibitifs facturés par certains acteurs qui gèrent le flux financier des transactions – ces commissions ruinent la restauration rurale.
Vive la gastronomie française, vive les restaurants, et vive la République du goût ! (Applaudissements sur les bancs des groupes Dem, RN, EPR, SOC, EcoS et HOR.)
Mme la présidente
La parole est à M. Stéphane Peu.
M. Stéphane Peu
Il y a un an, dans un contexte de forte inflation, notre assemblée a choisi de prolonger la possibilité d’utiliser les titres-restaurant pour l’achat de denrées alimentaires non directement consommables. Cette dérogation a été inscrite en 2022 dans la loi sur le pouvoir d’achat. Nous avons pleinement soutenu cette mesure et la soutiendrons encore car, en deux ans, la situation sociale n’a malheureusement guère changé.
L’UFC-Que choisir a dressé un constat implacable : non seulement l’inflation des prix des produits de grande consommation est bien supérieure aux données officielles, mais elle ne s’explique pas complètement par la conjoncture économique. Depuis janvier 2022, les prix de la viande ont augmenté de plus de 20 %, ceux du poisson de plus de 10 %, ceux des produits laitiers de plus de 26 %. Globalement, les prix des produits non directement consommables visés par la proposition de loi ont augmenté de plus de 24 %.
Cette hausse des prix, conjuguée à la stagnation des salaires, contraint près du tiers de nos concitoyens à sauter parfois un repas. Plus de la moitié d’entre eux déclarent avoir accès à une nourriture suffisante, mais pas aussi saine qu’ils le souhaiteraient.
Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que l’immense majorité des salariés bénéficiaires des titres-restaurant souhaitent pouvoir continuer de les utiliser pour leurs achats alimentaires. Il va donc de soi que nous voterons le texte proposé.
Il n’en reste pas moins que le système des titres-restaurant est discutable à plusieurs égards. Si 5,4 millions de Français bénéficient quotidiennement de cet avantage social, il ne profite pas à l’ensemble des salariés. Il ne devrait pas non plus se substituer à la nécessaire augmentation des salaires. Depuis 2019, le salaire minimum a progressé de 33 % au Royaume-Uni, de 31 % en Allemagne, de 20 % en Espagne mais seulement de 15 % en France – une hausse très loin de compenser l’inflation.
Alors que des études récentes ont montré que l’inflation a contribué à dégrader la qualité des denrées alimentaires consommées par les Français et donc leur santé, nous ne pouvons nous satisfaire d’un bricolage législatif. Pérenniser la dérogation mise en place en 2022 ne suffit pas : nous ne pouvons faire l’économie d’une réflexion sur une alimentation de qualité, accessible à tous. Surtout, il ne faut pas laisser le dispositif actuel dériver vers un système de bons alimentaires.
Enfin, nous ne pouvons ignorer que les conditions d’émission des titres-restaurant soulèvent des questions, ce que la rapporteure a rappelé. Quatre prestataires se partagent un marché de quelque 9 milliards d’euros. Ils se rémunèrent sur le dos des salariés, des employeurs et des établissements qui acceptent ces titres, en touchant une commission. L’Autorité de la concurrence leur a d’ailleurs infligé une amende de 415 millions d’euros en 2019 pour sanctionner des pratiques anticoncurrentielles, qui relevaient de la collusion.
De toute évidence, le dispositif des titres-restaurant doit être réformé en profondeur. Nous saluons à cet égard l’adoption en commission de l’amendement du groupe Écologiste et social : le gouvernement doit se saisir de cet enjeu et proposer une réforme structurelle du dispositif. La pérennisation, en l’état, ne peut être que provisoire.
Sous le bénéfice de ces observations, et dans l’attente de la présentation d’un texte plus ambitieux, nous voterons en faveur de la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC et EcoS. – Mme Annaïg Le Meur applaudit également.)
Mme la présidente
La parole est à M. Christophe Naegelen.
M. Christophe Naegelen
L’inflation que nous connaissons depuis plusieurs années n’a pas été sans conséquence sur le pouvoir d’achat des Français, qui sont nombreux à avoir changé leurs habitudes alimentaires. La hausse des prix a poussé certains à espacer leurs sorties au restaurant ; d’autres, plus malchanceux, remplissent moins leur caddie, renoncent à certains produits, sautent des repas.
En raison de ce contexte difficile, les parlementaires ont voté une mesure de soutien au pouvoir d’achat en autorisant – à titre dérogatoire – l’utilisation de titres-restaurant pour l’achat de denrées périssables.
Alors que l’inflation a ralenti et que nous revenons à un semblant de normalité, les courses restent plus chères qu’avant la crise. Les prix en rayon sont en moyenne 17,6 % plus élevés qu’en 2022. De nombreux ménages ne ressentent pas la détente des prix et continuent de se priver. C’est pourquoi nous sommes favorables à ce que nous permettions pendant encore un an à ceux qui en ont besoin d’utiliser leurs titres-restaurant au supermarché.
Nous considérons en revanche qu’il ne faut pas prolonger cette dérogation au-delà de cette année supplémentaire.
Mme Anne-Laure Blin, rapporteure et M. Laurent Wauquiez
Très bien !
M. Christophe Naegelen
Pourquoi ? D’abord parce que c’est ce que Mme la rapporteure a proposé, et que nous l’écoutons. (Sourires.) C’est aussi parce que cette proposition de loi, que nous examinons dans l’urgence et sous la pression, fait abstraction d’une question sensible : l’impact de la mesure sur le secteur de la restauration et des métiers de bouche.
Nous savons pourtant que la grande distribution entre en concurrence avec les restaurateurs et les artisans. Depuis 2022, la part des titres-restaurant utilisés dans les rayons a augmenté de 7 %, pour atteindre une part de marché de 30 %, soit 576 millions d’euros de recettes en moins pour nos petits artisans. Ce n’est pas une question anodine puisqu’il y va de leur capacité à maintenir leur activité. Les titres-restaurant sont la garantie pour les restaurateurs de conserver un service à midi et de maintenir l’emploi, une baisse d’activité se traduisant mécaniquement par une diminution du nombre de salariés. Bref, pérenniser l’utilisation des titres-restaurant dans la grande distribution, c’est assurer le déclin des petits commerçants et, avec eux, des centres-villes.
Il y a un autre problème avec la méthode adoptée : en légiférant dans l’urgence, nous nous privons d’une réflexion plus globale sur la nécessaire réforme du titre-restaurant. Celle-ci est sur la table depuis 2019 et tarde à se concrétiser. La première question est celle de la dématérialisation et de l’ouverture à la concurrence de l’émission de titres. Le secteur reste aujourd’hui trop concentré, avec les déviances que nous connaissons. Les commissions appliquées sont bien trop élevées, la pratique des rétrocommissions encore répandue, les tickets papiers encore bien présents. Les premières victimes sont, une fois de plus, les petits commerces de bouche, les artisans et les restaurateurs auxquels on applique les frais les plus élevés. C’est sur eux que repose la quasi-totalité du financement du dispositif.
Loin d’inverser la tendance, la possibilité d’utiliser les titres-restaurant dans les supermarchés pourrait au contraire aggraver la situation. La grande distribution dispose d’un pouvoir de négociation important. Elle est en mesure d’imposer des commissions réduites. Au contraire, les restaurateurs, plus petits et nombreux, doivent négocier individuellement avec les émetteurs de titres ; ils risquent de disposer d’un régime moins favorable et d’être les financeurs principaux du système, tout en en bénéficiant de moins en moins.
C’est pourquoi la pérennisation de l’utilisation des titres-restaurant dans les grandes surfaces doit se faire en même temps qu’une réforme plus globale. Les pouvoirs publics ne sauraient accepter un combat à la David contre Goliath – déloyal – entre grande distribution et petits commerçants. Surtout lorsqu’on sait que les arbitres seront les émetteurs. Il faut trouver un moyen de soutenir les plus petits.
Vous l’aurez compris, nous voterons cette proposition de loi, en appelant à faire évoluer le dispositif des titres-restaurant. Nous pensons qu’il existe une voie permettant de soutenir à la fois le pouvoir d’achat et nos artisans et restaurateurs, qui font la richesse des territoires.
Mme la présidente
La discussion générale est close.
Mme la présidente
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Anne-Laure Blin, rapporteure
Je vous remercie pour vos interventions. Je ne peux pas vous laisser dire, monsieur Benbrahim, que la droite ne s’occupe pas du pouvoir d’achat des Français. Vous interprétez mal le sondage mentionné dans l’exposé des motifs, dont le résultat même a suscité le dépôt de cette proposition de loi – par une députée de la Droite républicaine. En effet, 96 % des salariés souhaitent la prolongation de ce dispositif. Seulement, avec les autres composantes du Nouveau Front populaire et un certain nombre de députés du groupe EPR, notamment, vous avez voté sa pérennisation. Vous êtes de la sorte en totale contradiction : vous voulez à la fois graver dans le marbre ce dispositif et appeler à la refonte globale du système, décrit comme imparfait.
Avec plusieurs collègues, j’ai fait une proposition équilibrée : prolonger d’un an la mesure et travailler avec le gouvernement pour que la refonte, Mme la ministre l’a évoqué, avance rapidement.
En ce qui concerne le pouvoir d’achat, nous avons obtenu, notamment lors de l’examen du PLF, des mesures très fortes : la revalorisation des retraites, c’est le groupe Droite républicaine qui l’a défendue auprès du gouvernement, et qui l’a obtenue ! (M. Laurent Wauquiez applaudit.) Je me préoccupe en outre depuis longtemps de l’amélioration de la situation des étudiants dans les territoires et je note que vous me rejoignez.
Ce que nous proposons aujourd’hui est très concret : assurer la prolongation d’une mesure utile aux salariés mais réformer le dispositif. Mme la ministre a donné des pistes de réflexion ; nous les explorerons dans les prochaines semaines.
Mme la présidente
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires économiques.
Mme Aurélie Trouvé, présidente de la commission des affaires économiques
La majorité de la commission des affaires économiques a approuvé la prolongation de la possibilité d’utiliser ses tickets-restaurant pour ses courses alimentaires ; elle a même pérennisé la mesure, pour deux motifs.
Le premier est l’urgence sociale : les chiffres augmentent dramatiquement depuis plusieurs années ; le pouvoir d’achat de trop nombreux Français a diminué, au point que certains ne mangent pas à leur faim. Selon le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (Credoc), 16 % des Français, soit une personne sur six, déclarent ne pas manger assez. Or manger suffisamment, voire sainement, est la condition d’une vie digne. De nombreuses personnes déclarent utiliser les tickets-restaurant pour faire leurs courses alimentaires – revenir sur cette possibilité serait s’attaquer directement à leur pouvoir d’achat.
Le second motif est l’évolution des façons de consommer. Nombreux sont ceux à avoir souligné, en commission, les répercussions économiques du dispositif pour les restaurateurs. Nous avons d’ailleurs voté la remise d’un rapport sur la question, étant entendu que de nouvelles initiatives législatives devraient compléter la présente proposition de loi.
Certains amendements concernent les commissions prélevées par les émetteurs de tickets-restaurant, en situation d’oligopole – les amendements recevables iront dans un sens favorable aux restaurateurs.
Les députés se sont accordés en commission sur la nécessité d’une réforme beaucoup plus large, qui permettrait à toutes et tous d’accéder à une alimentation suffisante et saine. Je rappelle qu’il fut un temps où le président Macron évoquait la création d’un chèque alimentaire – nous n’en avons plus entendu parler.
Reste la question de renforcer ou non l’aide alimentaire alors que les organismes – je pense aux banques alimentaires –, doivent faire face à une demande de plus en plus forte. Je crois savoir que la commission des affaires économiques souhaite plancher sur le sujet de façon bien plus approfondie.
Mme la présidente
La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Laurence Garnier, secrétaire d’État
J’ai écouté les différentes interventions avec une grande attention et ai noté de nombreuses convergences. Vous êtes ainsi d’accord sur la nécessité de permettre aux Français de continuer à bénéficier de l’utilisation dérogatoire des titres-restaurant après le 31 décembre 2024. Beaucoup d’entre vous ont souligné la fragilité de Français touchés par la crise inflationniste que nous venons de traverser.
Vous êtes ensuite nombreux, voire unanimes, à vouloir réformer en profondeur le titre-restaurant, un dispositif ancien – depuis 1967, le monde a changé.
Je suis pour ma part déterminée à mener cette réforme et dans les délais les plus courts. J’ai déclaré, au cours de la discussion générale, que les engagements pris commenceraient d’être réalisés dès le mois de janvier.
À cet égard, une pérennisation n’aiderait pas à remettre autour de la table l’ensemble des acteurs. Je crois sincèrement qu’elle risquerait, au contraire, de figer la situation – M. Tavernier l’a dit – et de crisper les acteurs avant même le début d’échanges que je souhaite les plus ouverts, les plus sincères possibles.
Dernier point : tout le monde considère le titre-restaurant comme un dispositif imparfait. Il ne serait pas bon de pérenniser un dispositif imparfait. Les Français attendent des mesures d’ampleur ; je serai à votre disposition pour conduire la réforme dès le début de 2025.
Discussion des articles
Mme la présidente
J’appelle maintenant, dans le texte de la commission, les articles de la proposition de loi.
Article 1er
Mme la présidente
La parole est à M. Boris Tavernier, premier inscrit sur l’article 1er.
M. Boris Tavernier
La priorité, pour le groupe Écologiste et social, celle sur laquelle tous les groupes devraient s’accorder, c’est que le 2 janvier 2025, les Français puissent encore utiliser leurs titres-restaurant pour faire leurs courses. Il faut donc à tout prix qu’un texte le permettant soit voté dès aujourd’hui.
Même si nous sommes tous d’accord, il ne faut pas ignorer les alertes du secteur de la restauration, qui sera le grand perdant de cette modification. Ainsi, la proposition de prolonger le mécanisme de deux ans est la plus satisfaisante : elle assure aux Français de continuer de faire leurs courses avec leurs titres-restaurant ; elle constitue une sorte d’ultimatum pour élaborer et adopter une réforme structurelle du dispositif.
Mme la présidente
La parole est à M. Hadrien Clouet.
M. Hadrien Clouet
Nous entendons les engagements pris par Mme la ministre mais l’hypothèse n’est pas négligeable que les membres du gouvernement ne soient plus les mêmes d’ici quelques semaines, au pire quelques mois. (Murmures.) Ce n’est pas une attaque personnelle ! Seulement, si le gouvernement tombe, les engagements pris aujourd’hui partiront avec lui.
Dès lors, il vaudrait mieux que nous nous posions les bonnes questions, à savoir comment assurer aux restaurateurs et aux restauratrices une clientèle – pour cela il faut que les gens aient des revenus suffisants pour aller au restaurant –, et comment les protéger contre le grand cartel des titres-restaurant, qui rogne leurs marges. Tant que nous ne posons pas ces deux questions centrales, nous passons à côté du problème, en dépit de la meilleure volonté des acteurs.
Mme la présidente
La parole est à M. Karim Benbrahim.
M. Karim Benbrahim
Je tiens à réagir aux propos de Mme la rapporteure qui, semble-t-il, n’a pas bien compris mon intervention. Si les députés de droite souhaitaient défendre les intérêts des classes moyennes et des classes populaires, ils auraient voté les mesures de justice sociale que nous avons proposées lors de l’examen du PLF et du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). Or ils s’y sont à chaque fois opposés. (Applaudissements sur les bancs du groupe SOC.)
Je trouve quelque peu surprenant, madame la rapporteure, que vous preniez l’exemple de la revalorisation des retraites. Votre groupe a fait de l’obstruction pendant l’examen du PLFSS pour que nous ne puissions pas aborder l’article relatif au décalage de six mois de la revalorisation des pensions. Permettez-moi également de souligner que l’annonce du premier ministre Laurent Wauquiez – puisque, désormais, il semble fixer ses règles au gouvernement – ne permet pas de maintenir le pouvoir d’achat des retraités les plus précaires.
Mme la présidente
Sur les amendements no 1 et identiques, je suis saisie par les groupes Ensemble pour la République et Socialistes et apparentés de demandes de scrutin public, de même que sur les amendements no 13 et identique, cette fois par le groupe Droite républicaine.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je suis saisie de huit amendements, nos 30, 1, 19, 24, 33, 31, 13 et 34, pouvant être soumis à une discussion commune.
Les amendements nos 1, 19, 24 et 33, d’une part, et les amendements nos 13 et 34, de l’autre, sont identiques.
La parole est à M. Richard Ramos, pour soutenir l’amendement no 30.
M. Richard Ramos
Le sujet est important : 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires pour la restauration. Malheureusement, la montagne accouchera d’une souris et comme je suis un ancien chroniqueur gastronomique, je n’aime pas manger des souris.
M. Sébastien Delogu
Et les souris d’agneau ?
M. Richard Ramos
Nous proposons ici de prolonger la mesure pendant trois ans. Toutefois, comme il s’agit d’un amendement d’appel, je vais le retirer. Il me semble, madame la rapporteure, qu’il est dangereux de prévoir une durée d’un an seulement : nous devons disposer d’un peu plus de temps. J’approuverai ainsi la proposition qui porte le délai à deux ans.
Il faudra travailler sur le fond pour que les restaurateurs puissent vivre. Surtout, nous devrons revenir sur les flux financiers à cause desquels, en milieu rural, on ne prend plus les tickets-restaurant – et chez McDonald’s, les modalités et le prix ne sont pas les mêmes que dans un restaurant.
(L’amendement no 30 est retiré.)
Mme la présidente
La parole est à M. Karim Benbrahim, pour soutenir l’amendement no 1.
M. Karim Benbrahim
Prolonger le recours aux tickets-restaurant pour faire ses courses alimentaires est un impératif, tant le bilan économique d’Emmanuel Macron pèse sur le pouvoir d’achat des Français.
Au-delà de la prolongation, la refonte du dispositif est une nécessité – l’ensemble des groupes se sont exprimés en ce sens. Une période d’un an ne sera pas suffisante pour mener à bien cette réforme. Après trois mois sans gouvernement, nous constatons aussi que l’instabilité politique dans laquelle nous a plongés Emmanuel Macron complique cette tâche. Il y a donc fort à parier que nous nous retrouverons dans un an pour prolonger encore la mesure.
À l’instar de ce que nous avons fait en commission, nous soutiendrons toute initiative qui nous permettra d’aboutir à une durée de prolongation qui ne soit pas celle que nous impose la droite sénatoriale. C’est dans cet esprit de responsabilité que nous avons déposé ce qui peut être considéré comme un amendement de repli, par lequel nous proposons une durée de prolongation de deux ans – nous étions initialement favorables à la pérennisation.
Mme la présidente
La parole est à Mme Annaïg Le Meur, pour soutenir l’amendement no 19.
Mme Annaïg Le Meur
Les délais proposés semblent s’aligner, nous espérons donc que cette réforme aboutira. Confiants, mais prudents : elle nécessitera un long travail. Pour éviter de célébrer chaque année un nouvel anniversaire, nous proposons de prolonger le dispositif de deux ans, un délai qui devrait donner le temps de mettre tous les acteurs autour de la table et de conduire la réforme des titres-restaurant.
Mme la présidente
La parole est à Mme Constance de Pélichy, pour soutenir l’amendement no 24.
Mme Constance de Pélichy
Nous ne voulons pas faire la révolution, simplement soutenir le pouvoir d’achat de nos concitoyens face à la hausse des prix. Cette prolongation de deux ans nous semble raisonnable, mais il reste urgent de réformer le dispositif des titres-restaurant et de parvenir à mieux soutenir les restaurateurs et les producteurs qui les fournissent.
Mme la présidente
La parole est à M. Richard Ramos, pour soutenir l’amendement no 33.
M. Richard Ramos
L’amendement propose ce qui semble faire consensus, une prolongation de deux ans. Cela nous laisse du temps et répond aux exigences posées par la ministre et la rapporteure.
Mme la présidente
Qu’en est-il de l’amendement suivant, no 31 ?
M. Richard Ramos
Il s’agissait de prolonger la mesure pour une durée d’un an et de laisser la possibilité au gouvernement de la prolonger par décret de deux années supplémentaires.
Mme la présidente
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement no 13.
Mme Anne-Laure Blin, rapporteure
Cet amendement vise à revenir à la proposition initiale, celle pour laquelle j’ai travaillé et auditionné les acteurs. Je vous ai fait part, en commission, de ce qui m’a été rapporté.
Pourquoi prolonger seulement d’un an ? Parce qu’un travail a déjà été entamé et qu’un certain nombre de questions ont été tranchées avec les acteurs, notamment ceux qui siègent au sein de la CNTR. D’autres questions restent néanmoins en suspens.
M. Clouet évoquait l’instabilité politique à laquelle nous pourrions être confrontés dans les prochains mois. Que Mme la ministre me pardonne, mais peut-être n’aurons-nous plus les mêmes ministres au banc.
M. Hadrien Clouet
On ne sait jamais !
Mme Anne-Laure Blin, rapporteure
Raison de plus pour aller vite, tout en étant efficace.
Les représentants des restaurateurs nous ont assuré qu’ils étaient prêts à accepter une nouvelle prolongation d’un an, à condition que des engagements soient pris quant à la refonte du dispositif. Prolonger de deux ou trois ans, ou permettre de le faire par décret, serait aller à l’encontre de ce qu’ils souhaitent.
Les acteurs veulent soumettre plusieurs sujets à la réflexion : la valeur, les bénéficiaires, les commissions, la dématérialisation.
Tous les amendements visent à revenir sur la pérennisation ; je me réjouis qu’un certain nombre d’entre vous, qui avaient opté pour cette solution, préconisent aujourd’hui une prolongation sur une durée plus courte. Je pense que le délai d’un an est parfaitement tenable, à condition de se mettre immédiatement au travail.
Mme la présidente
La parole est à M. Jean-Luc Bourgeaux, pour soutenir l’amendement no 34.
M. Jean-Luc Bourgeaux
J’ai peine à croire qu’en France nous soyons incapables de travailler sur le sujet et de trouver un compromis au bout d’un an. S’il faut deux ou trois ans rien que pour les titres-restaurant, alors je m’inquiète quant aux choses plus importantes à régler !
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission sur ces amendements en discussion commune ?
Mme Anne-Laure Blin, rapporteure
Monsieur Ramos, il n’y a pas vraiment de consensus, puisque les amendements proposent une prolongation d’un an, de deux ans, de deux ans suivie d’un décret, de deux ans et suivie d’une pérennisation ou de trois ans. Faites vos jeux !
Nous voulons tous, cet après-midi, revenir sur le texte issu de la commission, qui vise à pérenniser un dispositif imparfait. C’est une bonne chose. Mais je le redis, les acteurs s’inquiètent de voir prolongée ad vitam æternam la mesure dérogatoire, d’autant qu’elle l’a déjà été une fois. Si nous utilisons les moyens dont nous disposons pour avancer très vite, alors nous pourrons tenir ce délai d’un an. De leur côté, les acteurs auditionnés sont prêts à collaborer immédiatement avec le gouvernement. Cette refonte est envisagée depuis 2019 – ce qu’ils souhaitent et ce qu’ils ne souhaitent pas est donc clair.
Nous avons tout intérêt à ce que notre travail aboutisse rapidement. Je demande le retrait des amendements no 1 et identiques, au profit des amendements no 13 et identique.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Laurence Garnier, secrétaire d’État
Le gouvernement était initialement favorable à une prolongation d’un an, car elle permettait d’éviter une rupture pour les Français au 1er janvier tout en laissant le temps de conduire les réflexions qui seront lancées en janvier.
Des débats que j’ai suivis en commission des affaires économiques, je retiens la volonté de certains de s’engager dans une voie un peu plus longue, d’une durée de deux ans, au motif que cela serait plus sécurisant et permettrait de ne pas y revenir, au cas où. Chacun entendra ce « au cas où » comme il le souhaite…
Monsieur Ramos, avez-vous retiré l’amendement no 31 ?
M. Richard Ramos
C’était mon intention.
(L’amendement no 31 est retiré.)
Mme Laurence Garnier, secrétaire d’État
Je m’en remets à la sagesse de votre assemblée sur l’ensemble des amendements en discussion commune.
Mme la présidente
La parole est à M. Laurent Wauquiez.
M. Laurent Wauquiez
Nous sommes tous d’accord sur quatre points : les titres-restaurant doivent pouvoir continuer d’être utilisés dans le cadre actuel au 1er janvier ; ce cadre doit être dérogatoire ; nous devons rapidement réformer le dispositif pour offrir quelque chose de plus durable ; nous souhaitons préserver le pouvoir d’achat, sans pour autant envoyer un message négatif aux restaurateurs. Bonus : nous voulons éviter que M. Ramos ne mange des souris.
Il est question de réformer le titre-restaurant – ce n’est pas l’Himalaya ! La ministre nous dit qu’il est possible de le faire en un an. Si nous trouvons la tâche tellement insurmontable qu’il faudrait deux ans pour l’accomplir, alors bon courage pour s’attaquer aux autres défis qui se posent au pays !
Si l’on donne un blanc-seing pour deux ans, nous savons pertinemment que cela s’étalera sur deux ans. Le bon sens exigerait de partir sur une durée d’un an, de faire confiance au gouvernement quand il affirme être capable de mener la réforme sur la période et d’intégrer une clause par laquelle on consulterait notre assemblée. Le message serait clair pour les restaurateurs et nous remplirions notre objectif en matière de pouvoir d’achat.
Si nous partons sur deux ans, il est évident qu’il ne se passera rien. Si on décide de prolonger la dérogation d’un an, le gouvernement se mettra tout de suite au travail. Cela permettra d’avancer rapidement, avec une garantie pour nos restaurateurs et le pouvoir d’achat.
Mme Annaïg Le Meur
Dans tous les cas, le gouvernement se mettra au travail !
Mme la présidente
La parole est à Mme Mathilde Hignet.
Mme Mathilde Hignet
Nous ne voyons pas les choses de la même façon : nous souhaitons pérenniser l’utilisation des titres-restaurant pour tous les produits alimentaires, afin de sécuriser le pouvoir d’achat des Français, compte tenu de la situation économique catastrophique et de la situation politique plus qu’incertaine. Pérenniser permettrait de disposer du temps nécessaire à la réforme des titres-restaurant.
Nous étions tous d’accord en commission : avoir la même discussion tous les ans n’est pas une option ; en rediscuter tous les deux ou trois ans est peut-être une avancée. Nous ne nous y opposerons pas, bien que nous maintenions notre volonté de pérenniser cet usage.
Mme la présidente
La parole est à M. Richard Ramos.
M. Richard Ramos
Vous voyez bien, madame la rapporteure, qu’il y a unanimité ! La ministre s’en remet à la sagesse de l’assemblée et nos collègues de gauche, qui prônent la pérennisation, ne s’opposeront pas à une prolongation de deux ans. C’est la solution de bon sens. Vous allez perdre, mais ce n’est pas grave… C’est la vie !
Mme la présidente
La parole est à Mme Nicole Dubré-Chirat.
Mme Nicole Dubré-Chirat
Nous avons déjà travaillé sur ce sujet l’année dernière, en dialogue avec les interlocuteurs concernés. Nous nous sommes donné un an par une dérogation, mais on sait bien qu’à force de prolonger, on oublie de traiter le sujet et on est obligé, à la dernière minute, de reprolonger. (M. Laurent Wauquiez applaudit.)
Votons pour une prolongation d’un an et traitons à fond le sujet ! On ne sait pas ce qui va se passer d’ici là. Une année suffit amplement.
Mme la présidente
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Anne-Laure Blin, rapporteure
Monsieur Ramos, il n’est pas question de gagner ou de perdre, mais de travailler, d’écouter ce qu’on nous dit et de respecter la parole que nous avons donnée. J’ai entendu les acteurs, les restaurateurs et j’ai saisi leur émoi. Conformément à mes engagements, j’ai déposé une proposition de loi – je propose aujourd’hui un amendement qui en rétablirait la rédaction. Les Français attendent que nous respections nos engagements, que nous soyons fiers de nos convictions et que nous les assumions jusqu’au bout.
Mme la présidente
Je mets aux voix les amendements identiques nos 1, 19, 24 et 33.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 86
Nombre de suffrages exprimés 81
Majorité absolue 41
Pour l’adoption 64
Contre 17
(Les amendements identiques nos 1, 19, 24 et 33 sont adoptés ; en conséquence l’article 1er est ainsi rédigé et les amendements suivants à cet article tombent.)
Article 2
Mme la présidente
La parole est à M. Boris Tavernier.
M. Boris Tavernier
L’article 2 est issu d’un amendement que j’ai déposé en commission des affaires économiques. Il prévoit que le gouvernement remettra un rapport proposant des réformes structurelles du titre-restaurant.
Ces réformes, le groupe Écologiste et social les appelle de ses vœux. Le titre-restaurant concerne près de 5,5 millions de salariés, pour un marché estimé à 10 milliards d’euros et une participation de l’État, sous forme d’exonérations fiscales et sociales, de 1,5 milliard. Il y a de quoi faire pour dépoussiérer le dispositif, en faire un outil de transition vers une alimentation plus durable et un outil de solidarité alimentaire, ouvert à de nouveaux usagers. Il y a également beaucoup à faire pour construire un système de commissionnement plus juste envers les différentes parties prenantes.
Mme la présidente
Sur les amendements nos 26 et 35, je suis saisie par le groupe Droite républicaine d’une demande de scrutins publics.
Les scrutins sont annoncés dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à Mme la rapporteure, pour soutenir l’amendement no 26, tendant à supprimer l’article 2.
Mme Anne-Laure Blin, rapporteure
Il faut avoir conscience de la brièveté des délais auxquels nous sommes tenus. Nous avions réussi à tomber d’accord avec le Sénat sur une prolongation d’un an de la dérogation d’usage des titres-restaurant, nous devrons désormais obtenir de ses membres un vote conforme.
Or il est certain que cette adoption conforme pourrait être compromise par l’introduction d’un deuxième article. Non seulement il vient complexifier une proposition de loi conçue pour être simple mais il prévoit la remise d’un rapport, mesure que le Sénat a pour habitude de rejeter. De surcroît, le gouvernement remettant rarement les rapports qui lui sont demandés, l’intérêt de l’article 2 est assez limité.
Je vous propose d’en revenir à l’article unique, sans quoi l’utilisation des titres-restaurant sera compromise à partir du 1er janvier.
Mme la présidente
Quel est l’avis du gouvernement ?
Mme Laurence Garnier, secrétaire d’État
Il est favorable. De manière générale, il semble préférable que les services de l’État travaillent à l’élaboration, à l’application et au contrôle des politiques publiques plutôt qu’à la rédaction de rapports.
Je souhaite que les concertations démarrent rapidement, dès janvier 2025, sur la base de travaux déjà engagés. Prévoir la remise d’un rapport dans six mois retarderait d’autant le début de nos discussions.
Mme la présidente
La parole est à M. Boris Tavernier.
M. Boris Tavernier
J’avoue que le dépôt de cet amendement de suppression m’a surpris venant de vous, madame Blin, puisque vous avez écrit dans votre rapport : « [I]l importe surtout que dans leur forme comme dans leur objet, les titres-restaurant évoluent avec leur temps et avec les besoins de la société. » Vous dites « inviter le gouvernement à reprendre les travaux engagés » et suggérez même qu’il s’inspire de votre proposition de loi relative à la création d’un titre-restaurant étudiant. Dès lors, pourquoi vous opposer à un rapport censé alimenter le travail de réforme du titre-restaurant ?
Mme la présidente
Je mets aux voix l’amendement no 26.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 88
Nombre de suffrages exprimés 88
Majorité absolue 45
Pour l’adoption 60
Contre 28
(L’amendement no 26 est adopté ; en conséquence, l’article 2 est supprimé et les amendements s’y rapportant tombent.)
Titre
Mme la présidente
Sur l’ensemble de la proposition de loi, je suis saisie par le groupe Ensemble pour la République d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
La parole est à M. Jean-Luc Bourgeaux, pour soutenir l’amendement no 10.
M. Jean-Luc Bourgeaux
Après ce que j’ai entendu en commission et dans l’hémicycle, il me semble que le terme « titre-repas » serait plus approprié pour l’intitulé de la proposition de loi, dans la mesure où il est plus consensuel et plus compréhensible.
Mme la présidente
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Anne-Laure Blin, rapporteure
Certains débats nous ont fait craindre que cette substitution ne soit justifiée. Dans la mesure où nous avons décidé de revenir sur la pérennisation de la mesure, pour simplement la prolonger, je vous invite à retirer votre amendement.
Mme la présidente
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Laurence Garnier, secrétaire d’État
L’amendement vise à modifier le titre de la proposition de loi, mais pas le code du travail, où les occurrences du terme « titre-restaurant » sont très nombreuses. Je suggère de le retirer.
(L’amendement no 10 est retiré.)
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente
Je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi.
(Il est procédé au scrutin.)
Mme la présidente
Voici le résultat du scrutin :
Nombre de votants 86
Nombre de suffrages exprimés 75
Majorité absolue 38
Pour l’adoption 75
Contre 0
(La proposition de loi est adoptée.)
5. Ordre du jour de la prochaine séance
Mme la présidente
Prochaine séance, mardi 26 novembre, à neuf heures :
Questions orales sans débat.
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures quarante.)
Le directeur des comptes rendus
Serge Ezdra