Utilisation illégale du logiciel Briefcam par la police nationale
Question de :
M. Aurélien Saintoul
Hauts-de-Seine (11e circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire
M. Aurélien Saintoul interroge M. le ministre de l'intérieur sur l'utilisation illégale et opaque du logiciel israélien Briefcam par la police nationale, employé dès 2015 sans cadre légal et sans autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), comme révélé par le journal Disclose. En novembre 2023, le ministre Gérald Darmanin avait annoncé une enquête indépendante dont les conclusions étaient attendues pour février 2024. Près d'un an plus tard, Disclose dévoile que le rapport, émanant des inspections générales de gendarmerie, de l'administration et de la police nationale, confirme l'usage « hors cadre légal » de Briefcam de 2015 à 2023, une cessation d'usage par la police nationale suite aux révélations de la presse, ainsi que la désactivation de sa fonction de reconnaissance faciale. M. le député rappelle que l'utilisation de ce logiciel représente un enjeu grave pour les libertés publiques, l'État de droit et la souveraineté des données des citoyens français. Il souligne que, déjà en 2023, le tribunal administratif de Caen avait ordonné la suppression des données captées par Briefcam pour la communauté de communes Cœur Côte Fleurie. Il constate aussi que, selon Disclose, la reconnaissance faciale était « active par défaut » depuis la version 5.2 de 2018 et déplore un manque de transparence du ministère sur ces technologies intrusives. Face à ces faits, M. le député interroge M. le ministre sur les conditions d'acquisition de Briefcam, l'usage auquel ce logiciel était destiné, les services impliqués, les dispositifs en place pour éviter tout détournement à des fins de surveillance, les mesures pour prévenir de futurs manquements similaires. Il souhaite savoir comment l'ancien ministre Gérald Darmanin a pu ignorer l'existence de ce logiciel en service pendant 8 ans. Il souhaiter aussi savoir pourquoi une enquête interne d'au moins 3 mois n'a donné lieu à la publication d'un rapport qu'un an plus tard. Enfin, il lui demande quelles sanctions et poursuites ont été engagées envers les personnes responsables de l'acquisition et du déploiement de ce logiciel ; il serait totalement inconcevable que le ministère chargé par excellence de faire respecter la loi ait pu s'en affranchir sans aucune conséquence.
Réponse publiée le 3 juin 2025
Les fichiers de police sont des outils de travail indispensables pour les forces de sécurité intérieure et le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur est déterminé à ce qu'elles disposent des moyens, notamment technologiques, les plus performants pour exercer leurs missions. Ils représentent également, à l'instar de diverses technologies déployées par des acteurs privés, d'importants enjeux en matière de libertés publiques. La conciliation avec le respect des droits des personnes est un fil conducteur de rigueur. Tout fichier de police doit répondre à des exigences juridiques fortes, tant pour sa création que pour son utilisation. Les fichiers mobilisent des données dont le caractère personnel de celles-ci oblige à se conformer notamment à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés et au « paquet européen de protection des données à caractère personnel » (règlement du 27 avril 2016 dit règlement général sur la protection des données et directive du 27 avril 2016 dite directive police-justice). Le respect de ce cadre juridique est soumis au contrôle de la commission nationale de l'informatique et des libertés. S'agissant du traitement « Vidéo Synopsis » (dit BriefCam), il s'agit d'un logiciel d'analyse vidéo utilisé par les services de police et les unités de gendarmerie pour simplifier et accélérer le travail des enquêteurs. Il ne peut être utilisé que dans un cadre judiciaire, en temps différé, et non en police administrative, en temps réel. Ainsi, les décisions d'acquisition du logiciel BriefCam résultaient du besoin d'exploiter à des fins judiciaires une masse considérable d'images vidéo, de réduire le temps nécessaire à leur visionnage par le recours à un outil numérique de « dérushage » et de rationaliser le travail des enquêteurs en privilégiant d'autres activités à plus forte valeur ajoutée. En gendarmerie, ce logiciel a une vocation de traitement de la criminalité du haut du spectre plutôt que de la délinquance du quotidien. Sur le plan juridique, il correspond à un logiciel de rapprochement judiciaire. Le régime juridique des logiciels de rapprochement judiciaire, défini à l'article 230-20 du code de procédure pénale, dispose que ces derniers ont pour finalité de « faciliter le rassemblement des preuves des infractions et l'identification de leurs auteurs », ainsi que « l'exploitation et le rapprochement d'informations sur les modes opératoires réunies au cours des enquêtes ou procédures dont les services de police et de gendarmerie nationales ont la charge ». Il convient à cet égard de rappeler que le décret n° 2012-687 du 7 mai 2012 relatif aux traitements automatisés de données à caractère personnel dénommé « logiciel de rapprochement judiciaire à des fins d'analyse criminelle » autorise la mise en œuvre des traitements de données à caractère personnel après envoi à la commission nationale de l'informatique et des libertés d'un engagement de conformité. Dans un premier temps, le logiciel Briefcam, dont l'acquisition sporadique par les forces de l'ordre est d'ailleurs intervenue dans une période marquée par l'évolution du droit relatif aux données, n'a pas été considéré par ses utilisateurs comme pouvant avoir un statut spécifique dans la procédure, dans la mesure où il ne produit aucune pièce ni documentation directement intégrée à la procédure. En outre, ce logiciel n'est installé que sur un ordinateur dédié, déconnecté de toute base de données. Briefcam n'a donc pas été initialement considéré par les services enquêteurs comme un LRJ au sens du décret n° 2012-687 du 7 mai 2012. Depuis, conformément au droit applicable, la direction générale de la police nationale a transmis à la commission nationale de l'informatique et des libertés le 14 décembre 2023 un engagement de conformité attestant mettre en œuvre ce logiciel comportant des données à caractère personnel dans le respect des dispositions législatives et réglementaires applicables. La commission nationale de l'informatique et des libertés a accusé réception de cet engagement le 15 décembre 2023. Par ce récépissé, l'utilisation du logiciel dit BriefCam répond aux exigences posées par le cadre juridique en vigueur. La direction générale de la gendarmerie nationale a par ailleurs suspendu l'utilisation du logiciel BriefCam à compter du 17 novembre 2023 et a procédé à la désinstallation des suites logicielles en attendant une consolidation du cadre juridique. Conformément aux conclusions de l'enquête administrative, présentées dans un rapport remis au ministre de l'intérieur le 15 février 2024 et publié sur le site du ministère, la direction générale de la gendarmerie nationale a procédé à une régularisation de ce traitement de données auprès de la CNIL par l'envoi d'un engagement de conformité le 7 octobre 2024 et la CNIL en a accusé réception le lendemain. Pour autant, la gendarmerie nationale n'a pas redéployé pour l'instant le logiciel BriefCam au profit de ses unités de police judiciaire. Le traitement réalisé par BriefCam est actuellement utilisé dans un nombre restreint de services judiciaires de la police nationale et son usage répond à des critères strictement définis. Seul un nombre limité d'agents de la police nationale qui sont individuellement désignés et habilités ont accès au traitement. Les accédants sont donc restrictivement limités. Une procédure analogue est envisagée pour la gendarmerie nationale si le logiciel est éventuellement réinstallé sur des postes informatiques en vue d'une reprise de son utilisation après le rachat de licences. Concernant la collecte et le stockage des données révélées par l'exploitation des enquêtes, ces dernières sont effacées à la clôture de l'enquête et, en tout état de cause, à l'expiration d'un délai de trois ans à compter de leur enregistrement conformément à la décision du Conseil constitutionnel du 10 mars 2011. Par ailleurs, ces outils ne peuvent analyser que des images ayant été obtenues dans le cadre exclusif d'une enquête judiciaire, avec l'ensemble des garanties que ce cadre judiciaire implique. Ils ne sont donc pas utilisés pour réaliser des analyses de l'image en temps réel. Aucune « décision automatique » n'est également prise par l'outil, qui n'est qu'une aide à l'enquête, toute décision étant prise par l'enquêteur. Ces logiciels ne sont interconnectés avec aucun autre traitement. Plusieurs autres mesures contribuent à la sécurité et à l'intégrité des données. Les données d'une enquête sont accessibles exclusivement aux personnes autorisées dans le cadre de ladite enquête. Vidéo Synopsis ne permet aucun partage des données ce qui maximise la protection de celles-ci. Le traitement est accessible uniquement aux utilisateurs de l'application, identifiés et habilités sur un ordinateur dédié qui n'est pas connecté à internet. Aussi et conformément aux dispositions du code de procédure pénale applicables en la matière, aucun dispositif de reconnaissance faciale ne peut être mis en œuvre. Cette nécessité a d'ailleurs été rappelée par instruction du directeur général du 6 février 2023 adressée à l'ensemble des services utilisateurs. Dans ce cadre, le logiciel n'a pas été acheté ni déployé dans l'intention de mettre en œuvre de la reconnaissance faciale puisque cette fonctionnalité n'existait pas lors des acquisitions initiales. Cette fonctionnalité n'a pas suscité de demandes de la part des services, à l'exception d'un cas unique d'utilisation, illégale, de la reconnaissance faciale, sur près de 600 exploitations du logiciel, sans que l'emploi de cette fonctionnalité conduise à la mise en cause d'individus initialement soupçonnés. Désormais, le fabricant s'est engagé à bloquer nativement le module qui permettrait d'accéder à des fonctionnalités de reconnaissance faciale pour la version française du logiciel. Le ministère de l'intérieur garantit ainsi la protection des données à caractère personnel collectées par le logiciel BriefCam. Dans un souci de transparence, il a également rendu public le 28 octobre 2024, sur le site internet du ministère (interieur.gouv.fr/publications/rapports de l'inspection générale de l'administration) un rapport inter-inspections relatif à l'usage de logiciels d'analyse vidéo par les services de la police et de la gendarmerie nationales, commandé précisément en réponse à la dénonciation par un organisme spécialisé - cité dans la question écrite - d'une utilisation prétendument illégale par la police nationale, depuis 2015, d'un logiciel d'analyse algorithmique d'images vidéo qui utiliserait la reconnaissance faciale. Ce rapport contient des préconisations à la mise en œuvre desquelles les services du ministère travaillent. Des travaux sont aujourd'hui en cours afin de développer une solution souveraine, « Système V », destinée à remplacer BriefCam. Mise à profit des services de la police nationale et des unités de la gendarmerie nationale, elle disposera de fonctionnalités équivalentes, à l'exception de la reconnaissance faciale et de la reconnaissance de plaques. Elle a fait l'objet des engagements de conformité idoines.
Auteur : M. Aurélien Saintoul
Type de question : Question écrite
Rubrique : Police
Ministère interrogé : Intérieur
Ministère répondant : Intérieur
Dates :
Question publiée le 12 novembre 2024
Réponse publiée le 3 juin 2025