Relever les défis de l'intelligence artificielle au service de l'agriculture.
Question de :
M. Alexandre Dufosset
Nord (18e circonscription) - Rassemblement National
M. Alexandre Dufosset alerte Mme la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur les défis de l'intelligence artificielle au service de l'agriculture. L'agriculture française vit une transition décisive. Elle se situe à la croisée des chemins entre traditions séculaires et innovations de rupture. Aujourd'hui, être agriculteur, c'est manier à la fois la fourche et le microprocesseur, conjuguer la sagesse des générations passées avec la puissance des outils numériques, notamment l'intelligence artificielle (IA). Cette technologie, loin d'être une simple mode, représente un levier majeur pour répondre aux défis du XXIe siècle : hausse des coûts de production, raréfaction des ressources naturelles, exigence de traçabilité, changement climatique, exigence accrue des consommateurs... L'IA permet d'optimiser les rendements, de réduire l'usage des intrants, d'améliorer la santé animale et végétale, de mieux anticiper les aléas climatiques ou encore d'automatiser des tâches chronophages. En somme, elle peut contribuer à renforcer la compétitivité des filières tout en accélérant les transitions agroécologiques. Mais aujourd'hui, l'accès à ces technologies reste inégal et les freins sont nombreux, en particulier pour les petites et moyennes exploitations : coûts d'investissement, manque de formation, absence d'accompagnement adapté, difficultés de couverture numérique dans certaines zones rurales... Se pose par ailleurs la question de la dépendance que l'utilisation de certains outils d'intelligence artificielle peut entraîner pour le pays. Il ne faudrait pas que l'amélioration de la souveraineté alimentaire, par une utilisation adéquate de l'intelligence artificielle, porte préjudice à la souveraineté industrielle, en raison d'une autonomie technologique insuffisante, voire nulle. La France doit donc se donner les moyens d'une IA agricole souveraine. Or la loi d'orientation agricole, qui se veut un cadre structurant pour l'avenir de notre modèle agricole, n'aborde de manière explicite aucune de ces questions, alors même que son titre II affiche l'ambition de « former et mettre l'innovation au service du renouvellement des générations et des transitions en agriculture ». Une telle omission interroge. Car si l'innovation doit être un moteur de transformation, encore faut-il en garantir l'accès pour tous, dans un esprit de justice sociale, de performance collective et de souveraineté garantie. Dès lors, il souhaite savoir quelles mesures concrètes le Gouvernement entend prendre pour lever les freins à l'usage de l'intelligence artificielle dans le secteur agricole, afin que cette révolution technologique soit une opportunité pour tous les agriculteurs et pas seulement pour une minorité déjà connectée et équipée.
Réponse publiée le 3 juin 2025
L'agriculture est depuis plusieurs années l'une des professions les plus numérisées. Il faut rappeler que les premiers usages de robots de traite remontent au milieu des années 90. Aujourd'hui, l'observatoire des usages du numérique en agriculture, soutenu par la chaire AgroTIC, elle-même composée de l'institut Agro Montpellier et Bordeaux Sciences Agro, évalue à 18 000 le nombre de robots en élevage, contre 10 000 en 2018, et à 600 en cultures végétales, pour 100 en 2018. Ces chiffres révèlent donc une hausse de 85 % du nombre de ces systèmes en service en 5 ans. Dans l'élevage, 14 000 robots de traite sont recensés en France, ce qui représente 75 % de l'effectif global des robots. Dans ce secteur, ils précèdent les racleurs et aspirateurs de lisier, au nombre de 2 800, ainsi que les 1 000 robots d'alimentation et de fourrage bovins. Dans le secteur végétal, l'usage de la machinerie est beaucoup plus récent. En 2018, si seuls 5 modèles étaient disponibles sur le marché, il y en a aujourd'hui plus de 25. La viticulture et le maraîchage se partagent l'essentiel des usages, avec respectivement 47 % et 42 % des robots en activité pour le désherbage et le travail du sol, ainsi que le semis des légumes. Les agriculteurs utilisent aussi déjà très largement nombre d'autres outils numériques au quotidien. Les trois-quarts d'entre eux utilisent internet tous les jours. De plus, un tiers d'entre eux possède des capteurs de rendement. En outre, plus de 50 % des agriculteurs utilisent la géolocalisation, les tracteurs étant souvent équipés de GPS. Enfin, plus d'un quart des exploitations disposent des logiciels de gestion technico-économique. Il faut également rappeler que par ailleurs, la mise en œuvre de la politique agricole commune (PAC) mobilise des moyens numériques considérables : 9 agriculteurs sur 10 utilisent l'outil dédié TelePAC pour leurs déclarations, ainsi que l'imagerie satellite qui permet, entre autres fonctionnalités, un suivi fin des cultures. Pour autant, des freins subsistent à une adoption plus large des outils numériques, comme l'a montré la Cour des comptes dans son rapport de février 2025, intitulé « l'innovation en matière agricole ». Ces freins sont tout d'abord liés à la complexité du numérique. Si les jeunes exploitants nés avec le numérique sont très à l'aise avec ces outils, les plus anciens restent confrontés à une approche technique des outils qui peut encore rebuter certains, la résistance au changement étant présente dans le secteur agricole comme dans beaucoup d'autres. Les technologies numériques impliquent des compétences pour maximiser leur usage et leur efficacité dans la conduite des exploitations. L'appareil de formation a ainsi développé l'enseignement de ces compétences depuis plusieurs années via des modules spécifiques et des simulateurs. C'est un enjeu essentiel dans la perspective du départ à la retraite de 100 000 exploitants dans les années à venir car le pilotage des fermes reposera de plus en plus sur les données. Le coût des outils numériques est en outre un facteur à prendre en considération. Sans démonstration claire de l'apport de valeur, un exploitant hésitera davantage à s'en doter, a fortiori car les outils numériques requièrent une maintenance plus fréquente et contraignante que les machines non connectées, dans un contexte où la situation économique de nombre d'exploitations reste fragile. Par ailleurs, malgré les efforts menés dans le cadre du plan national « très haut débit », certaines zones rurales ont encore un accès difficile au réseau. Des technologies alternatives permettront toutefois de dépasser cet obstacle, notamment la connexion par satellite. Enfin, la captation de la valeur des données agricoles par l'aval du système alimentaire demeure une crainte parfois fondée qui peut maintenir une réticence à les échanger, notamment au regard des risques d'utilisation des données pour l'agribashing, voire par la cybercriminalité. On peut regretter à ce titre la disparition fin 2024 de l'acteur Agdatahub dont l'État s'apprêtait à faire une solution publique et souveraine pour un échange consenti et sécurisé des données. Toutefois, le cadre réglementaire européen récent (Data Act, Data Governance Act) est aujourd'hui de nature à renforcer la confiance des agriculteurs en la matière. Conscient des conséquences potentielles du développement de l'intelligence artificielle (IA), le ministère chargé de l'agriculture a décidé, à la suite d'un rapport du conseil général de l'alimentation de l'agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) rendu fin 2024 relatif aux impacts de l'IA sur les métiers du ministère, la définition d'une feuille de route IA. À cet égard, le CGAAER est chargé de caractériser cette nouvelle révolution technique en cours dans le secteur et de formuler les recommandations d'action nécessaires, pour une intégration de ces nouveaux enjeux au sein des politiques publiques. Il convient par ailleurs de saluer les initiatives que prend d'ores et déjà la profession en la matière, notamment le travail remarquable de l'association de coordination technique agricole, celui de la ferme digitale qui a organisé son second hackathon IA au salon de l'agriculture en février 2025, ou encore le très récent livre blanc de la coopération agricole sur l'IA générative. L'IA en agriculture est désormais une priorité stratégique au niveau européen. Ainsi, la commission européenne a multiplié les annonces en la matière depuis le début de l'année 2025, avec notamment la proposition d'une « stratégie numérique agricole » pour le second semestre de l'année 2025 dans laquelle l'IA tiendra une place prépondérante. Il en va de même pour le programme de travail numérique pour 2025-2027 publié le 28 mars 2025, mettant l'IA au premier rang des priorités et proposant un soutien à 100 % d'un nouvel instrument de réalisation de projets numériques agricoles. Il s'agit du consortium européen pour les infrastructures numériques pour l'agriculture et l'alimentation, qui est en cours de création. Développé avec plus d'une dizaine d'États membres, ce projet est piloté depuis 18 mois par le ministère. Enfin, le plan d'actions continent IA, publié le 9 avril 2025, fait une large place à l'IA en agriculture avec notamment un appel à projet dédié qui vient d'être lancé et auquel le consortium précité est appelé à candidater pour développer des cas d'usage dans diverses filières.
Auteur : M. Alexandre Dufosset
Type de question : Question écrite
Rubrique : Agriculture
Ministère interrogé : Agriculture, souveraineté alimentaire
Ministère répondant : Agriculture, souveraineté alimentaire
Dates :
Question publiée le 8 avril 2025
Réponse publiée le 3 juin 2025