Question orale n° 236 :
Menace sur les manades : désengagement du dernier assureur

17e Législature

Question de : M. Charles Alloncle
Hérault (9e circonscription) - UDR

M. Charles Alloncle alerte Mme la ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur la situation critique rencontrée par les manadiers de sa circonscription, menacés de perdre prochainement toute possibilité de poursuivre leur activité faute de solutions d'assurance adaptées. Les manades, élevages emblématiques de taureaux qui parsèment les paysages du Gard, des Bouches-du Rhône, mais aussi de l'Hérault, incarnent l'âme de la tradition camarguaise de la bouvine. Les taureaux y sont élevés avec soin en vue de leur participation à diverses manifestations taurines dont les courses camarguaises, qui mêlent gardians, tourneurs et raseteurs dans un jeu inégalable, forgeant l'identité de ce territoire et nourrissant la fierté de ses habitants. Au-delà de leur valeur culturelle inestimable, ces manifestations représentent également une économie à part entière et une source d'emploi considérable. Les fêtes votives génèrent ainsi chaque année près de 400 millions d'euros de chiffre d'affaires grâce aux retombées touristiques. On compte en effet 18 000 taureaux camarguais au total, pour 25 000 hectares de terres agricoles, dont une partie se trouvent dans la circonscription de M. le député, aux confins de l'Hérault et du Gard. Cependant, les difficultés rencontrées par les manadiers en matière d'assurances deviennent aussi récurrentes qu'insurmontables. Le député M. Nicolas Meizonnet avait posé une question il y a un an de cela. Depuis, la situation a empiré : le dernier assureur acceptant jusqu'ici d'assurer les manadiers, cessera son engagement en 2025. Et ce alors que les primes d'assurances, déjà multipliées par 5 à 7, pèsent lourdement sur les finances fragiles de ces éleveurs et compromettent la pérennité de leurs exploitations. La raison de cette difficulté est à la fois d'ordre pratique et légale. D'une part, les manifestations taurines, telles que les abrivados et bandidos - au cours desquelles les taureaux sont conduits de la manade aux arènes à travers des rues bondées - engendrent régulièrement des dommages corporels. Certains spectateurs adoptent en effet un comportement particulièrement dangereux, surmontant les barrières de sécurité pour se confronter au taureau. D'autre part, le code civil, en son article 1385, rend responsable le propriétaire de l'animal des dommages causés et ce même s'il a mis en place des règles de sécurité drastiques qui ont été outrepassées par des tiers. Face à ces risques financiers croissants et au regard du faible montant relatif des cotisations encaissées, les assureurs se désengagent, laissant les manadiers sans solution viable. La Fédération des manadiers a pourtant élaboré une charte, prévoyant une répartition plus équitable des risques : les communes assumeraient la responsabilité des accidents impliquant des spectateurs passifs, tandis que les comportements à risque relèveraient de la responsabilité des contrevenants. La signature de cette charte par les préfectures, enjoignant les communes à y adhérer, constituerait une première avancée vers un meilleur partage des responsabilités. Aujourd'hui, faute de possibilité de s'assurer, ce sont des milliers d'emplois, une tradition emblématique du sud de la France et avec elle tout un territoire qui risquent de s'effondrer du jour au lendemain. Face à cette urgence, il aimerait savoir quelles mesures le Gouvernement envisage de mettre en place afin de garantir aux manadiers un moyen d'assurer leur activité et de pérenniser ainsi un joyau du patrimoine culturel immatériel de sa circonscription.

Réponse en séance, et publiée le 12 mars 2025

ASSURANCES DES MANADIERS
M. le président . La parole est à M. Charles Alloncle, pour exposer sa question, no 236, relative aux assurances des manadiers.

M. Charles Alloncle . Madame la ministre, savez-vous ce qu’est un manadier ? Savez-vous ce que signifie vouer une vie entière à sa terre, à ses bêtes, à cette rugosité du réel qui forge les âmes enracinées ? Chez moi, aux portes de la Camargue, entre le Vidourle et les derniers remparts de la garrigue, dans ces plaines que le vent balaie et que le sel imprègne, certains veillent depuis des générations à l’élevage du taureau camarguais. Chez moi, le taureau est bien plus qu’un animal : il est le caractère de nos terres sauvages, le maître de nos paysages, le lien qui unit nos villages. Des Saintes-Maries-de-la-Mer à Mauguio, il dicte la cadence de nos fêtes votives, porte la clameur de nos arènes et la gaieté de nos rues lorsqu’une fois l’été venu, elles s’animent au rythme des abrivados et courses camarguaises. Chez moi, les clochers veillent sur cette culture indomptable qui, depuis des décennies, défie l'uniformisation imposée par la mondialisation.

Pourtant, pour la première fois, ce monde vacille, cette tradition séculaire menace de disparaître – non sous le poids du temps ni de l’indifférence des hommes, mais sous l’injustice d’une nouvelle absurdité administrative. À cause d’un système de responsabilité inique, Groupama, l’un des derniers assureurs à encore couvrir nos manadiers, a annoncé son retrait pour 2026. La raison ? Lorsqu’un spectateur prend des risques inconsidérés au mépris des règles de sécurité, c’est le manadier qui paye ; c’est lui que l’on tient pour responsable, lui que l’on accuse et que l’on asphyxie sous le poids d’un droit dévoyé.

Madame la ministre, il est temps de remettre la loi à l’endroit. Les manadiers ont déjà montré la voie : ils ont établi une charte qui n’attend plus que la signature des préfets. Nous, députés, prenons aussi nos responsabilités ! Après avoir rencontré Groupama au Salon de l’agriculture, nous déposerons, avec mes collègues Nicolas Meizonnet et Emmanuel Taché de la Pagerie, une proposition de loi pour inverser ce régime de responsabilité.

Car, en vérité, ce qui est en jeu ici dépasse de loin le sort d’un secteur ou d’une simple économie. Ce qui est en jeu, c’est une culture, un héritage et une certaine idée de la liberté ; ce sont ces images que nous voulons continuer de transmettre : le galop des bêtes sous un ciel dégagé, la silhouette des gardians au soleil couchant, le rire des enfants devant l’adresse des cavaliers qu’ils voudront un jour égaler.

Madame la ministre, la France est belle quand elle est fière de ses racines et qu’elle les protège. Alors serez-vous avec nous ? Serez-vous avec nous pour défendre la bouvine, la fé di bioù, ces rites qui font l’identité d’un pays, le caractère de ses terres et l’âme de son peuple ?

M. le président . La parole est à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche . Je réponds pour le compte de ma collègue Annie Genevard, ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Comme vous, je veux souligner le caractère emblématique des manades, ces élevages de taureaux qui émaillent les paysages du Gard, des Bouches-du-Rhône et de l'Hérault. Ils incarnent l'âme de la tradition camarguaise de la bouvine et constituent une part de l'identité de nos territoires.

Vous avez souhaité appeler l'attention du gouvernement sur la situation des manadiers, qui rencontrent des difficultés à s'assurer dans le secteur privé. Comme vous le savez, la souscription de contrats d'assurance relève de la liberté contractuelle reconnue aux assurés et aux assureurs, ces derniers restant libres de déterminer leur propre politique commerciale. La tarification d'une garantie assurantielle est construite en fonction de l'évaluation du risque, de sa probabilité de survenance et de l'intensité du dommage potentiel. Aussi toute recrudescence d'un risque se traduit-elle par une hausse de la prime correspondante. Quand la probabilité de survenance devient si élevée que l'aléa disparaît, les entreprises d'assurance, soucieuses de commercialiser leurs produits, peuvent choisir de ne pas proposer de garantie assurantielle, considérant qu'elle serait trop coûteuse pour les assurés éventuels.

À cet égard, les efforts entrepris par les manadiers, notamment au niveau de leur fédération, pour réduire les risques liés à la profession doivent être salués car ils sont de nature à réduire la sinistralité ; ils permettront aux assureurs de rester sur ce marché et de proposer des offres acceptables. Une telle démarche devrait porter ses fruits, entraînant des effets bénéfiques à long terme sur la souscription et la tarification des assurances couvrant les manades.

Si les pouvoirs publics n'ont pas d'influence directe sur les politiques commerciales des organismes d'assurance, je peux vous assurer que le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire se montre très attentif aux préoccupations des manadiers en la matière.

M. le président . La parole est à M. Charles Alloncle.

M. Charles Alloncle . Merci, madame la ministre. La mesure la plus concrète que nous demandons porte sur le régime de responsabilité. Dans les prochaines semaines, les groupes UDR et RN déposeront une proposition de loi visant à l'inverser afin de rétablir un peu de bon sens dans le traitement des sinistres que subissent les manadiers. Nous attendons du bloc central et des autres groupes qu'ils soutiennent cette proposition de loi, que nous souhaiterions transpartisane. Je pense que nous pouvons réunir une majorité en sa faveur ; nous aurons besoin de vous, comme de Mme la ministre de l'agriculture, pour soutenir nos manadiers, plus que jamais en difficulté.

Données clés

Auteur : M. Charles Alloncle

Type de question : Question orale

Rubrique : Élevage

Ministère interrogé : Agriculture, souveraineté alimentaire

Ministère répondant : Agriculture, souveraineté alimentaire

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 4 mars 2025

partager