Prise en charge des frais de transport pour les descendants de déportés
Question de :
M. François Piquemal
Haute-Garonne (4e circonscription) - La France insoumise - Nouveau Front Populaire
M. François Piquemal interroge Mme la ministre déléguée auprès du ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants, sur la nécessaire gratuité des frais de transport vers les lieux de mémoire de la Shoah et de la Seconde Guerre mondiale pour les petits-enfants de personnes déportés et déportées avec la complicité de l'État, sous le régime de Vichy et ultérieurement. La loi actuelle permet à un ascendant ou une ascendante, un descendant ou une descendante, ou un conjoint ou une conjointe d'ancienne déportée ou d'ancien déporté de bénéficier d'un trajet financé par l'État vers les lieux de mémoire et de déportation afin de se recueillir. Ces dispositions semblent largement insuffisantes. L'éloignement des camps de déportation et de concentration rend difficile d'entreprendre un tel voyage jusqu'en Allemagne, en Pologne, en Autriche... mais aussi sur le territoire national comme à Rivesaltes ou dans les nombreux lieux de rétention des groupes de travailleurs étrangers sous la période de Vichy en Occitanie et par la suite pour certains réfugiés espagnols ou certaines réfugiées espagnoles. Au fort poids émotionnel pour les proches des déportés s'ajoute un poids financier qui ne devrait pas être une barrière au deuil et à la mémoire. D'autant que cette prise ne charge ne s'applique qu'à un seul ou une seule bénéficiaire : aucune famille ne devrait avoir choisir qui de l'épouse, du frère ou de la mère pourra bénéficier de ce droit. Les années passant, les témoins de cette sombre époque sont de moins en mois nombreux, bien qu'il soit primordial que leur trace demeure pour faire perdurer la mémoire des dangers du fascisme et du nazisme. Les petits-enfants et arrière petits-enfants de déportés ou déportées, plus jeunes et donc bénéficiant de moins de ressources, doivent pouvoir se rendre sur ces lieux qui ont marqué l'histoire de leur famille et de la France. Certains n'ayant jamais connu leurs grands-parents, leur recueillement ne doit pas pouvoir être empêché par des considérations pécuniaires, qui contribueraient graduellement, à l'avenir, à diluer le souvenir des horreurs infligées aux déportés juifs et déportées juives, résistants et résistantes, communistes et opposants politiques, homosexuels, tziganes et tant d'autres. M. le député demande donc à Mme la ministre d'étendre la prise en charge des frais de transport pour un trajet aller-retour à destination des lieux de déportation pour tous les descendants et descendantes de déportés et déportées, dans un statut similaire à celui qui s'applique aux proches des militaires morts pour la France : un trajet pris en charge pour les ascendants ou ascendantes et descendants ou descendantes des premier et deuxième degrés, ainsi que les frères, soeurs et conjoints. Il souhaite connaître ses intentions à ce sujet.
Réponse en séance, et publiée le 12 mars 2025
PRISE EN CHARGE DES FRAIS DE TRANSPORT DES DESCENDANTS DE DÉPORTÉS
Mme la présidente . La parole est à M. François Piquemal, pour exposer sa question, n° 328, relative à la prise en charge des frais de transport des descendants de déportés.
M. François Piquemal . Quinze heures quinze : c'est l'heure à laquelle est bloquée l'horloge du camp de Buchenwald. Quinze heures quinze : c'est l'heure à laquelle, le 7 avril 1945, les détenus de ce camp, qui étaient des opposants politiques, des Juifs, des Tziganes ou des homosexuels, se sont libérés de leurs bourreaux nazis, peu avant l'arrivée des troupes américaines.
Le 7 avril dernier, j'étais moi-même à Buchenwald pour les quatre-vingts ans de la libération du camp, à l'invitation de l'Association française Buchenwald, Dora et kommandos, que je tiens ici à saluer. Cette association, comme d'autres, fait œuvre de mémoire ; c'est ô combien important alors que nous assistons à la montée de l'extrême droite dans notre pays et dans le monde.
Ainsi, à Buchenwald, l'extrême droite allemande a manifesté à plusieurs reprises pour demander à raser le lieu de mémoire. C'est la preuve que le négationnisme est toujours bien présent, quatre-vingts ans seulement après les événements en question. Quatre-vingts ans, c'est à la fois si proche et si loin à l'échelle d'une vie humaine ! Celles et ceux qui ont vécu les atrocités sont de moins en moins nombreuses et nombreux ; et pourtant, nous souhaitons que leur trace demeure, pour leurs enfants et leurs petits-enfants mais aussi pour notre société et pour celles et ceux qui viendront après nous.
Cependant, l'éloignement géographique des camps de transit et de concentration – Buchenwald, par exemple, se situe à une journée d'autocar de Paris – rend difficile de s'y rendre. Ils se trouvent en Allemagne, en Autriche ou en Pologne mais aussi sur notre territoire national, où de nombreux lieux d'internement ont été créés sous Vichy.
Ainsi, à la charge émotionnelle qui pèse sur les proches des déportés souhaitant se recueillir s'ajoute une charge financière, qui ne devrait pas être une barrière au deuil et à la mémoire. Vous le savez, il existe déjà un dispositif qui permet à un parent direct d'une personne déportée de bénéficier d'un trajet financé par l'État vers le lieu de la déportation, afin qu'il puisse s'y recueillir. Mais cette prise en charge ne s'applique qu'à un seul bénéficiaire par famille ; aussi est-il compliqué, pour une famille, de décider qui de ses membres en bénéficiera.
Par ailleurs, les petits-enfants et arrière-petits-enfants de déportés devraient aussi pouvoir se rendre sur ces lieux qui ont marqué l'histoire de leur famille et de la France, certains n'ayant jamais connu leurs grands-parents ou arrière-grands-parents. Connaître son histoire et savoir d'où l'on vient permet aussi de mieux savoir où l'on va.
J'adresse au gouvernement une double question concernant la portée du dispositif et son éventuelle extension familiale. Premièrement, est-il prévu d'étendre à tous les descendants de déportés la prise en charge des frais de transport pour un trajet aller-retour à destination des lieux de déportation ? Deuxièmement, est-il prévu que ce dispositif soit étendu aux familles de victimes des déportations organisées par l'État français après la période de Vichy, par exemple celles qui ont visé les réfugiés républicains espagnols dans les environs de Toulouse au début des années 1950 ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LFI-NFP.)
Mme la présidente . La parole est à Mme la ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants.
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants . Votre question touche à la mémoire des lieux de déportation et d'extermination, qui sont au cœur de notre politique mémorielle. Pour conserver cette mémoire, l'État s'est attaché de longue date à créer des lieux de recueillement pour celles et ceux qui n'avaient pas de sépulture.
C'est ce qui a présidé à la fondation, à Paris, du mémorial des martyrs de la déportation, du Mémorial de la Shoah et du Mur des noms, enrichi en 2024 d'un monument numérique. Les commémorations comme celle de dimanche dernier, qui a rassemblé plus de 1 000 personnes devant l'hôtel Lutetia, sont aussi l'occasion de se recueillir.
L'article L. 523-2 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre prévoit en outre que le conjoint survivant ou un descendant direct d'un déporté disparu peut aller se recueillir aux frais de l'État sur le lieu présumé du crime ou du décès, que ce soit en France ou à l'étranger. En 2024, ce dispositif a permis à vingt-cinq descendants de premier ou deuxième degré de se rendre sur un lieu de déportation. En revanche, comme pour les « Morts pour la France », le dispositif ne couvre pas les arrière-petits-enfants.
J'insiste sur l'importance que revêt la mémoire de la déportation et de la Shoah, à l'heure où l'antisémitisme connaît une résurgence inquiétante. Face à cela, notre parole doit être sans équivoque ni ambiguïté coupable ; notre réponse doit être claire : la mémoire est une arme contre l'oubli, un rempart contre les amalgames, le socle d'une société apaisée.
C'est pourquoi j'ai renforcé les outils de transmission existants, pour que la mémoire de la déportation et celle de la Shoah ne soient pas seulement celle des familles qui en ont souffert. J'ai ainsi lancé un appel à projets doté d'un million d'euros pour soutenir la mémoire de la Shoah – je signerai tout à l'heure la convention pour la création du réseau des jeunes ambassadeurs européens de la mémoire de la Shoah –, renforcé le soutien aux voyages pédagogiques, accentué l'accompagnement du concours national de la Résistance et de la déportation, et demandé aux préfets de mieux associer les élèves aux cérémonies commémoratives.
La mémoire doit être vivante, collective et incarnée, car c'est dans une mémoire partagée que se construit l'avenir des nations. Voilà la politique que je mène, et j'invite évidemment tous les jeunes à assister aux commémorations.
Mme la présidente . La parole est à M. François Piquemal.
M. François Piquemal . Vous l'avez dit vous-même, madame la ministre : seules vingt-cinq personnes ont pu bénéficier d'une aide pour se rendre sur les lieux de mémoire. C'est vraiment insuffisant ! Le dispositif doit, à mon sens, être étendu aux arrière-petits-enfants et, plus généralement, à l'ensemble des descendants. Vous avez évoqué plusieurs dispositifs intéressants, mais la mémoire incarnée dont vous parlez existe à plus forte raison dans les lieux de mémoire.
Auteur : M. François Piquemal
Type de question : Question orale
Rubrique : Anciens combattants et victimes de guerre
Ministère interrogé : Mémoire et anciens combattants
Ministère répondant : Mémoire et anciens combattants
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 29 avril 2025