
Lors de sa réunion du mercredi 28 mai 2025, la commission des lois de l’Assemblée nationale, présidée par M. Florent Boudié (Ensemble pour la République, Gironde) a autorisé la publication du rapport de la mission d’information sur l’avenir institutionnel de la Corse.
Depuis plus de quarante ans, la Corse a bénéficié de plusieurs évolutions de son statut, traduisant la reconnaissance progressive par la République de ses spécificités territoriales, culturelles et historiques. Ces adaptations successives – de la création de la collectivité territoriale de Corse en 1982 à la mise en place de la collectivité unique en 2018 – n’ont toutefois pas suffi à répondre pleinement aux attentes exprimées localement.
Les événements de mars 2022, consécutifs à l’agression mortelle d’Yvan Colonna en détention, ont ravivé les revendications identitaires et autonomistes sur l’île, et conduit à l’engagement d’un processus de dialogue inédit entre les représentants politiques corses et l’État : le « processus de Beauvau ». Fruit de cet important travail de concertation, un projet d’écriture constitutionnelle, consacrant l’autonomie de la Corse au sein de la République, traduit la recherche mutuelle d’un compromis politique entre l’État, représenté par le ministre de l’intérieur, et les élus corses. Cette écriture a fait l’objet d’un large consensus au sein de l’Assemblée de Corse, qui en a délibéré le 27 mars 2024.
Dans ce contexte, la commission des lois de l’Assemblée nationale a créé, le 3 décembre 2024, une « mission d’information sur l’avenir institutionnel de la Corse », présidée par Florent Boudié, également président de la commission des lois, avec un double enjeu : associer l’ensemble des sensibilités composant l’hémicycle à la préparation du processus constitutionnel qui doit s’engager ; et garantir que l’avenir de l’île et la reconnaissance de sa place singulière dans la Constitution figurent à l’agenda politique de l’Assemblée, en dépit des incertitudes nées de la dissolution du mois de juin 2024.
Composée de 16 membres issus de tous les groupes représentés à l’Assemblée nationale, ainsi que de l’ensemble des députés de Corse et de l’ancien président de la commission des lois, la mission a conduit ses travaux pendant plus de quatre mois. Elle a procédé à plus d’une vingtaine d’auditions à l’Assemblée nationale et s’est également rendue en Corse pour y rencontrer les représentants des institutions locales et des forces politiques, ainsi que les acteurs économiques et la société civile. Elle a ainsi entendu plus de 110 personnes : ministres, élus de toutes sensibilités politiques, hauts fonctionnaires, juristes, chercheurs et représentants syndicaux, associatifs et économiques.
Ces travaux ont permis de faire émerger des recommandations portant à la fois sur le contenu du projet de révision constitutionnelle, sur les garanties à prévoir dans la loi organique à laquelle il renvoie, sur le calendrier de la réforme, ainsi que sur d’autres considérations, tenant en particulier à l’équilibre territorial de l’île, qui n’ont pas vocation à figurer dans les textes constitutionnel et organique mais font partie du débat sur son avenir institutionnel.
Entre autres propositions, la mission d’information recommande notamment, dans le cadre de la future loi organique, de mettre en débat la question d’un « statut de la langue corse » en vue de sécuriser l’enseignement immersif, de même que les conditions de la création d’un « statut de résidence », notamment pour lutter contre la spéculation immobilière.
S’agissant des institutions de la Corse, la mission recommande de permettre à la collectivité de Corse de mettre en œuvre une différenciation locale renforcée des normes nationales en matière d’urbanisme. Elle appelle également à redéfinir le rôle de la Chambre des territoires afin d’en faire un réel contre-pouvoir et un échelon intermédiaire favorisant le lien entre les maires et la collectivité de Corse.
Le rapport n’a pas vocation à trancher des décisions qui résulteront des débats parlementaires, mais à éclairer la représentation nationale dans ses futures délibérations. C’est la raison pour laquelle la mission d’information a opéré selon une méthode inédite en procédant, en son sein, au vote de ses membres sur chacune des dispositions du projet d’écriture constitutionnelle issu du « processus de Beauvau », permettant ainsi de mesurer l’expression des sensibilités qui composent l’Assemblée nationale, à quelques mois d’engager la discussion parlementaire.
Sur les douze points ainsi examinés, trois ont fait l’objet d’une approbation unanime de la mission d’information :
- L’inscription de la Corse [dans la Constitution] en tant que collectivité à statut particulier au motif de ses intérêts propres, liés à sa condition insulaire ainsi qu’à ses spécificités géographiques, historiques, linguistiques et culturelles ;
- L’affirmation de l’existence d’une « communauté historique, linguistique et culturelle en Corse », partie intégrante du peuple français ;
- La nécessité d’un dépôt du projet de loi constitutionnelle devant le Parlement avant l’été, afin de permettre la réunion du Congrès à Versailles à la fin de l’année 2025.
Huit autres points ont recueilli une large adhésion de la part des membres de la mission d’information, parmi lesquels :
- La qualification du statut de la Corse comme « un statut d’autonomie au sein de la République » ;
- L’attribution d’un pouvoir normatif à la collectivité de Corse, dans les conditions et sous les réserves définies par le législateur organique ;
- L’exclusion formelle, s’agissant des matières pouvant relever de ce pouvoir normatif, du domaine « régalien » ;
- La consultation préalable des électeurs inscrits sur les listes électorales de Corse sur le projet de statut organique, après avis de l’assemblée délibérante et dans les conditions prévues par un décret en conseil des ministres, en organisant la consultation après l’achèvement de la procédure de révision constitutionnelle et avant l’examen par le Parlement des dispositions organiques appelées à préciser le projet de statut de la Corse ;
- L’accompagnement du futur projet de statut d’une réforme du mode d’élection des membres de l’Assemblée de Corse aux fins de garantir une représentation mixte fondée, d’une part, sur une circonscription unique et, d’autre part, sur des sections territoriales.