Points-clés Dans certains cas, l’avis d’autres institutions peut être préalablement requis (Conseil économique, social et environnemental en particulier). |
Alors que l’initiative législative est en droit exercée concurremment par les parlementaires et le Premier ministre, la très grande majorité des lois adoptées en France a longtemps été d’origine gouvernementale : même en excluant les lois autorisant la ratification de traités ou l’approbation d’accords internationaux, le pourcentage de lois trouvant leur origine dans un projet gouvernemental s’établissait, jusqu’à la XIIe législature incluse, autour de 80 %.
Ce constat, qui reflète la primauté du pouvoir exécutif dans les institutions de la Ve République, n’est toutefois pas propre à la France.
L’instauration de l’ordre du jour partagé par la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, qui facilite l’adoption d’un plus grand nombre de propositions de loi, conduit à infléchir ce constat. La part des propositions dans les textes définitivement adoptés hors conventions n’a cessé de croître, passant de plus de 30 % sous la XIIIe législature à plus de 45 % sous la XVe législature.
I. – L’ÉLABORATION DE L’AVANT-PROJET DE LOI
1. – LA PHASE D’ARBITRAGE
Dans un premier temps, les services et le cabinet du ministre compétent rédigent un avant-projet de loi qui doit rencontrer l’accord de l’ensemble des ministres intéressés.
À cette fin, se tiennent des réunions interministérielles, présidées par un membre du cabinet du Premier ministre et où sont présents des représentants des ministres intéressés.
En cas de désaccord, c’est le Premier ministre qui tranche. Le secrétariat de ces réunions (depuis l’envoi des convocations jusqu’à la diffusion du compte rendu) est assuré par le secrétariat général du Gouvernement. Plus de mille réunions interministérielles ont lieu chaque année.
2. – LA PHASE DE CONSULTATION
Le Gouvernement peut demander l’avis du Conseil économique, social et environnemental sur un projet de loi.
Par ailleurs, l’avis de diverses institutions est requis pour certains textes spécifiques par la Constitution ou la loi. On peut citer à titre d’exemples :
– l’avis du Conseil économique, social et environnemental pour les avant-projets de loi de programmation à caractère économique, social ou environnemental ;
– l’avis des assemblées territoriales des collectivités d’outre-mer à statut spécifique pour les textes les concernant ;
– l’avis du comité des finances locales pour les textes relatifs aux ressources des collectivités territoriales.
Il est fait état de toutes les consultations officielles dans l’étude d’impact jointe au projet de loi.
3. – L’ÉTUDE D’IMPACT
Aux termes de l’article 39 de la Constitution tel qu’il résulte de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, la présentation des projets de loi déposés devant les assemblées parlementaires doit répondre aux conditions fixées par une loi organique.
Aussi, la loi organique du 15 avril 2009 (1) précise-t-elle que les projets de loi, dès leur transmission au Conseil d’État, sont précédés d’un exposé des motifs et sont accompagnés d’une étude d’impact exposant avec précision l’articulation du texte avec le droit européen, les modalités d’application envisagées, les conséquences économiques, financières, sociales et environnementales du projet ainsi que son impact sur l’emploi public, mais aussi les conditions d’application du texte dans les collectivités d’outre-mer.
Si cette communication d’une évaluation préalable est la règle, la loi organique y apporte des exceptions pour prendre en compte les projets d’une nature particulière. Certains projets de loi (constitutionnelle, de finances, de financement de la sécurité sociale, de programmation, relatifs aux états de crise) ne sont pas soumis à la règle de présentation d’une étude d’impact. Toutefois, pour les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale, des dispositions spécifiques figurent dans les textes organiques les concernant (2). Enfin, dans le cas des projets de loi autorisant la ratification d’un traité ainsi que des projets de loi habilitant le Gouvernement à prendre des ordonnances, des évaluations adaptées doivent être fournies.
L’article 39 de la Constitution donne aux Conférences des présidents des assemblées la possibilité de s’opposer à l’inscription à l’ordre du jour d’un projet de loi dont la présentation méconnaîtrait les conditions fixées par la loi organique (3). En cas de désaccord entre la Conférence des présidents de l’assemblée concernée et le Gouvernement, il appartient au Conseil constitutionnel de trancher.
4. – L’EXAMEN DU PROJET DE LOI PAR LE CONSEIL D’ÉTAT
a) La procédure
Le Conseil d’État est à la fois la plus haute juridiction de l’ordre administratif et le conseiller juridique du Gouvernement. C’est à ce dernier titre qu’il est obligatoirement consulté par le Gouvernement sur les projets de loi, en application de l’article 39 de la Constitution.
Le projet de loi lui est transmis par le secrétariat général du Gouvernement. Le Conseil d’État l’attribue à l’une de ses cinq sections administratives (intérieur, finances, travaux publics, sociale, administration), dont le président désigne un ou plusieurs rapporteurs.
À partir de l’avant-projet du Gouvernement, le rapporteur rédige son propre projet ; c’est celui-ci qui est débattu par la section compétente.
Le projet du rapporteur est examiné par la section en présence des commissaires du Gouvernement, qui sont les représentants de l’administration. Le texte est d’abord examiné dans son ensemble, puis article par article. Le texte issu de cet examen est à son tour soumis à l’assemblée générale du Conseil d’État selon la même procédure. Il appartient alors au rapporteur devant la section de défendre en assemblée le projet issu des travaux de sa section.
Cet examen aboutit à l’adoption par l’assemblée générale d’un texte définitif qui constitue l’avis que le Conseil d’État donne au Gouvernement. L’assemblée générale peut aussi rejeter le projet de loi. Cet avis qui ne contraint pas le Gouvernement est réservé à son usage exclusif. Toutefois, depuis mars 2015, les avis du Conseil d’État sont rendus publics à l’issue du Conseil des ministres qui en a délibéré et sont joints au projet de loi déposé sur le bureau de l’une des deux assemblées, afin de mieux éclairer les débats parlementaires et d’informer les citoyens.
Pour que l’avis du Conseil d’État éclaire le Gouvernement, il est nécessaire que toutes les questions posées par le projet de loi finalement soumis au Conseil des ministres aient pu être examinées au préalable par le Conseil d’État. Si le Gouvernement introduit des dispositions nouvelles entre le passage au Conseil d’État et celui en Conseil des ministres sans consulter au préalable le Conseil d’État, ces dispositions, une fois adoptées par le Parlement, encourent la censure du Conseil constitutionnel pour méconnaissance de la procédure de consultation prévue à l’article 39 de la Constitution (Conseil constitutionnel, décision n° 2003-468 DC du 3 avril 2003).
Une procédure d’urgence peut être également mise en œuvre. Dans ce cas, c’est la commission permanente du Conseil d’État qui examine le texte soumis par le rapporteur sans examen préalable en section. L’usage de cette procédure est rare.
b) Le champ de l’intervention
L’examen du texte par le Conseil d’État porte sur la forme et sur le fond. Sur la forme, le Conseil d’État vérifie la structure du texte, sa compatibilité avec le droit existant et le respect des règles de procédure. Sur le fond, le Conseil d’État s’autorise à examiner les effets prévisibles du texte au regard de ses objectifs.
L’examen du texte par le Conseil d’État permet surtout de limiter le risque d’une annulation partielle ou totale du texte par le Conseil constitutionnel si ce dernier est saisi après le vote du Parlement. Le Conseil d’État examine, en effet, la compatibilité du texte avec la Constitution. Il vérifie, par ailleurs, que le projet de loi est conforme aux conventions internationales auxquelles la France est partie ainsi qu’au droit de l’Union européenne.
Le Gouvernement n’est pas lié par cet avis mais s’en écarter présente des risques de fragilité sur le plan juridique.
II. – L’ADOPTION DU PROJET DE LOI PAR LE CONSEIL DES MINISTRES ET SON DÉPÔT SUR LE BUREAU D’UNE ASSEMBLÉE
Le texte issu du Conseil d’État est examiné en Conseil des ministres et devient un projet de loi au sens strict du terme. Généralement, le texte n’est plus modifié à ce stade.
Le projet est ensuite déposé sur le bureau de l’une des deux assemblées, c’est à dire transmis par le secrétariat général du Gouvernement à la direction de la séance de l’assemblée concernée. Concrètement, depuis avril 2008, cette transmission est dématérialisée et prend la forme d’un envoi du texte par l’intermédiaire d’un module de communications commun aux assemblées et au secrétariat général du Gouvernement (Solex).
Le choix de l’assemblée dépositaire est libre (sauf pour les projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale, qui doivent être prioritairement examinés par l’Assemblée nationale, et les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales, qui sont soumis en premier lieu au Sénat).
Le projet de loi se compose de trois éléments :
– l’exposé des motifs qui indique la raison d’être du projet et ses objectifs ; il peut contenir une brève explication par article ;
– le dispositif est le texte soumis au vote des assemblées ; dans le cas des lois d’orientation et des lois de programmation, il est complété par des annexes explicatives ;
– l’étude d’impact.
Le projet est accompagné d’un décret de présentation au Parlement qui indique les organes qui ont délibéré, détermine l’assemblée devant laquelle le texte est déposé en premier lieu et désigne les membres du Gouvernement qui soutiendront le texte devant les assemblées. Ce décret est signé par le Premier ministre et contresigné par les ministres ainsi désignés. À ce stade, le Gouvernement ne peut plus modifier le projet de loi que par une lettre rectificative. Cette procédure coutumière, que ne prévoit aucun texte, prend la forme d’une lettre du Premier ministre rectifiant directement le contenu d’un projet de loi préalablement déposé. Comme ce dernier, la lettre rectificative est soumise au Conseil d’État. Elle conduit à remanier le texte devant servir de base à la discussion parlementaire.
III. – LE DROIT D’AMENDEMENT
Aux termes de l’article 44 de la Constitution, le Gouvernement, au même titre que les parlementaires, dispose du droit d’amendement. Il s’agit d’une innovation de la Constitution de 1958 qui est un corollaire de l’incompatibilité des fonctions de membre du Gouvernement et de parlementaire.
Le Gouvernement – comme la commission saisie au fond – est affranchi des délais de dépôt qui sont opposables aux amendements des membres du Parlement. Néanmoins, en cas de dépôt hors délai, ce dernier n’est plus opposable aux amendements portant sur des articles sur lesquels le Gouvernement ou la commission saisie au fond a déposé au moins un amendement ou à ceux susceptibles d’être mis en discussion commune avec des amendements portant articles additionnels présentés par ces mêmes auteurs. Le dépôt de sous-amendements n’est, quant à lui, soumis à aucun délai.
Par ailleurs, contrairement au droit d’amendement des députés et des sénateurs, le droit d’amendement du Gouvernement n’est pas soumis à l’article 40 de la Constitution relatif aux irrecevabilités financières, lequel ne vise que les seules initiatives parlementaires.
En revanche, le Gouvernement est tenu de respecter les autres conditions d’exercice du droit d’amendement fixées par la loi organique du 15 avril 2009, comme la présentation par écrit et la motivation sommaire. Il est également soumis aux conditions de recevabilité prévues par les lois organiques relatives aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale.
De même, le Gouvernement peut se voir opposer l’article 41 de la Constitution par le président d’une des deux assemblées. Cette disposition vise à écarter du débat les initiatives ne relevant pas du domaine de la loi. En cas de désaccord entre le Gouvernement et le Président de l’assemblée concernée, il revient au Conseil constitutionnel de trancher.
Un amendement gouvernemental peut enfin se voir opposer l’irrecevabilité au titre de l’article 45 de la Constitution s’il ne présente pas un lien, au moins indirect en première lecture, direct aux stades ultérieurs de la navette, avec le texte déposé ou transmis.
(1) Loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.
(2) Articles 51 et 53 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances, pour les projets de loi de finances, et article L.O. 111-4 du code de la sécurité sociale pour les projets de loi de financement de la sécurité sociale.
(3) La Conférence des présidents a déjà été convoquée pour s’assurer de la conformité d’une étude d’impact associée à un projet de loi aux prescriptions de la loi organique : tel a été le cas les 27 avril et 31 août 2010 et le 30 septembre 2013, respectivement sur le projet de loi relatif à l’immigration, sur celui portant réforme des retraites et sur celui garantissant l’avenir et la justice du système de retraites ; la Conférence des présidents s’est également prononcée le 28 janvier 2020 sur l’étude d’impact des projets de loi organique et ordinaire relatifs à un système universel de retraite.
Septembre 2023