Notion de conflits d'intérêt et protection des élus territoriaux
Question de :
M. Didier Le Gac
Finistère (3e circonscription) - Renaissance
M. Didier Le Gac appelle l'attention de Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer et du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargée des collectivités territoriales, sur la question des conflits d'intérêt concernant les élus territoriaux. Dans le seul département du Finistère, en effet, pour la deuxième fois en moins de six mois, un maire a été poursuivi devant le tribunal pour prise illégal d'intérêt dans un dossier vide de tout enrichissement personnel ou de tout trouble à l'ordre public. Ces poursuites judiciaires ont suscité une vive émotion des élus locaux à commencer par l'association des maires et président d'EPCI du Finistère. En effet, la quasi-totalité des décisions prises par les élus des collectivités territoriales, notamment communales et intercommunales, sont uniquement commandées par le souci de l'intérêt général. Pourtant il arrive que telle ou telle décision adoptée par des assemblées territoriales soit contestée par des associations, moins sur le bien-fondé de cette décision que sur la façon dont celle-ci a été adoptée. Ces associations pointent alors le non-respect éventuel du déport de l'élu ou sa participation à un vote sur un sujet auquel il serait intéressé. Le formalisme juridique, voire le caractère purement procédurier de ces associations plaignantes censées lutter contre la corruption finit par aboutir à la mise en cause d'élus voire à leur condamnation. Elle finit surtout par fragiliser beaucoup d'élus, notamment les très nombreux maires de petites communes et présidents de communautés de communes, qui se sentent menacés dans leur action par crainte de ne pas respecter scrupuleusement et à la lettre l'ensemble des procédures. Il convient d'ailleurs de souligner que ces élus, notamment dans les plus petites communes, sont souvent très impliqués dans la vie associative locale où ils sont bénévoles voire membre actifs. C'est même souvent leur engagement au sein du milieu associatif local qui est à la base de leur engagement au sein d'une équipe municipale. Cette situation qui ne génère aucun enrichissement personnel est pourtant considérée comme une potentielle source de conflit d'intérêts, ce qui place ces élus dans une position extrêmement délicate à même de voir leur action suspectée en raison de leurs divers engagements. Conscient de cette évolution préoccupante qui tend à annihiler l'action des élus locaux et rend leur mandat extrêmement difficile à exercer, notamment pour ce qui concerne le bon déroulement des séances délibératives, deux texte de lois viennent d'être adoptés comprenant des dispositions nouvelles visant à clarifier la notion de conflit d'intérêt. Ainsi, la loi du 22 décembre 2021 « pour la confiance en l'institution judicaire », afin de mieux définir la notion de conflit d'intérêt, a modifié le premier alinéa de l'article 423-12 du code pénal en substituant au mot : « quelconque », les mots : « de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité ». Ainsi également, la loi portant sur la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale votée le 3 janvier 2022 qui en son article 73 ter est venue préciser, pour la première fois, les règles désormais applicables en matière de déport pour les élus représentant au sein de leur assemblée une autre structure publique. S'il est nécessaire de toujours mieux améliorer les règles de transparence de la vie publique nécessaires à la démocratie, jamais le contrôle de celle-ci n'a jamais été aussi rigoureux qu'aujourd'hui. En outre, cette nécessaire exigence se transforme désormais de facto en une épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des élus locaux qui, de ce fait, les empêche d'exercer leur mandat et risque à terme de décourager tout nouvel engagement dans la vie publique. Au contraire et alors qu'on assiste déjà à une augmentation des agressions de toutes sortes envers les élus, il convient plus que jamais de sécuriser et de protéger l'exercice de leur mandat. C'est pourquoi il lui demande comment, au-delà des dernières dispositions votées par le Parlement et mentionnés ci-dessus, elle entend mieux protéger les élus et mieux sécuriser leur action contre des attaques et des dépôts de plaintes de plus en plus nombreuses.
Réponse publiée le 14 février 2023
La notion de conflit d'intérêts a été définie à l'article 2 de la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique comme « toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraitre influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction ». Afin d'éviter ces situations d'interférence, des mécanismes de prévention et de sanctions ont été élaborés. Un mouvement de clarification juridique des situations sources de conflits d'intérêts a été opéré en 2021 et 2022. Il convient tout d'abord de rappeler qu'une clarification juridique, visant à identifier plus facilement les situations de prise d'intérêts condamnables, a été apportée par l'article 15 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire. Le délit de prise illégale d'intérêts est désormais défini comme le fait par un agent public ou une personne investie d'un mandat électif public, de « prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt de nature à compromettre son impartialité, son indépendance ou son objectivité dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou en partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement » ; des exceptions au délit de prise illégale d'intérêts demeurent prévues pour les communes de moins de 3 500 habitants. La caractérisation de cette infraction suppose la réunion d'un élément matériel (un acte d'ingérence dans une entreprise ou une opération compromettant les exigences de neutralité qui s'imposent à l'action publique) et d'un élément intentionnel (l'élu doit avoir pris sciemment un intérêt dans une affaire soumise à son contrôle ou sa surveillance, cette intention n'impliquant cependant pas forcément que l'élu ait voulu retirer un avantage personnel de cette prise d'intérêts). Concernant la prévention des conflits d'intérêts, l'article L. 1111-6 au Code général des collectivités territoriales (CGCT), introduit par la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (loi dite « 3DS »), pose le principe selon lequel la seule désignation d'un élu local, représentant sa collectivité territoriale ou un groupement au sein de l'instance décisionnelle d'une autre personne morale en application de la loi, ne suffit pas à considérer l'élu comme intéressé à l'affaire lorsque la collectivité territoriale ou le groupement délibère sur une affaire concernant cette personne morale. Ce même article énumère les cas dans lesquels le déport de cet élu est obligatoire lorsqu'il siège à l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement. Il s'agit des situations où la délibération ou la décision a pour objet l'attribution d'un contrat de la commande publique à l'autre entité concernée, l'octroi d'une garantie d'emprunt à cette entité, ou l'octroi à cette entité d'une aide revêtant la forme de prestations de services, de subventions, de bonifications d'intérêts, de prêts et d'avances remboursables, de rabais sur le prix de vente, de location ou de location-vente de terrains nus ou aménagés ou de bâtiments neufs ou rénovés, de prêts, d'avances remboursables ou de crédit-bail. Le déport est également obligatoire lorsque la délibération de la collectivité territoriale ou du groupement ou, le cas échéant, la décision envisagée, a pour objet la désignation de l'élu local au sein de cette entité ou sa rémunération, de même lors des commissions d'appel d'offres ou de la commission prévue à l'article L. 1411-5 du CGCT dans le cadre des délégations de service public, si l'autre entité est candidate. Les II et III de l'article L. 1111-6 du CGCT prévoient néanmoins des dérogations à ces règles de déport obligatoire. Ainsi l'élu n'a pas obligatoirement à se déporter lorsque la délibération de la collectivité ou du groupement porte sur une dépense obligatoire ou sur le vote du budget ou lorsque l'autre entité concernée et à laquelle il participe est une autre collectivité ou un de ses groupements ou bien un centre communal, ou intercommunal, d'action sociale, ou une caisse des écoles. Ainsi, cette clarification permet d'éviter la qualification systématique de conflit d'intérêts. Enfin, la loi « 3DS » a introduit, à l'article L. 1111-1-1 du CGCT, la possibilité pour les élus de consulter un référent déontologue chargé d'apporter tout conseil utile au respect des principes consacrés dans la charte de l'élu local (voir sur les règles de désignation du référent déontologue le décret n° 2022-1520 du 6 décembre 2022 relatif au référent déontologue de l'élu local). Dans la mesure où cette charte inclut l'obligation pour l'élu de prévenir ou faire cesser « immédiatement tout conflit d'intérêts », cette nouvelle possibilité permettra d'apporter un appui aux élus, notamment en matière de conflits d'intérêts.
Auteur : M. Didier Le Gac
Type de question : Question écrite
Rubrique : Collectivités territoriales
Ministère interrogé : Collectivités territoriales
Ministère répondant : Collectivités territoriales et ruralité
Dates :
Question publiée le 6 septembre 2022
Réponse publiée le 14 février 2023