16ème législature

Question N° 10665
de Mme Constance Le Grip (Renaissance - Hauts-de-Seine )
Question écrite
Ministère interrogé > Justice
Ministère attributaire > Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique

Rubrique > impôts et taxes

Titre > La solidarité fiscale

Question publiée au JO le : 01/08/2023 page : 7173
Réponse publiée au JO le : 14/11/2023 page : 10210
Date de changement d'attribution: 22/08/2023

Texte de la question

Mme Constance Le Grip appelle l'attention de M. le garde des sceaux, ministre de la justice sur le principe de solidarité fiscale induit par l'article 1791-1 du code des impôts, qui, s'il est nécessaire, tend aussi à engendrer des situations d'injustice fiscale dont les victimes sont le plus souvent des femmes. La solidarité fiscale postule que deux époux doivent régler ensemble les dettes fiscales contractées pendant la durée de leur union, y compris après la rupture de celle-ci et y compris si le régime matrimonial est celui de la séparation des biens. Cette obligation concerne l'impôt sur le revenu, l'impôt sur la fortune immobilière et la taxe d'habitation. La solidarité fiscale peut donc, dans certains cas, faire peser une dette fiscale sur l'un des deux époux longtemps après la séparation et même si ce dernier n'est aucunement responsable de la dette en question. C'est ainsi que certaines femmes se voient tenues responsables de dettes fiscales contractées par leurs ex-maris, alors même qu'elles ne connaissaient pas l'existence de ces dettes et qu'elles n'en ont pas tiré un avantage quelconque. Des femmes tout à fait étrangères aux déboires financiers de leurs ex-maris, dont elles ont parfois été les victimes, sont alors obligées de rembourser leurs dettes et peuvent même faire l'objet d'une saisie de biens par l'administration fiscale si elles n'en ont pas les moyens. Bien qu'il soit possible de requérir la désolidarisation, les conditions pour y être éligible sont restrictives et celle-ci reste soumise à l'approbation de l'administration fiscale. Elle souhaite donc savoir ce qu'il entend mettre en œuvre pour limiter ces situations, qui, si fort heureusement très rares, n'en sont pas moins des cas d'injustice fiscale.

Texte de la réponse

Les couples mariés ou pacsés, tenus à des obligations réciproques en droit civil, font l'objet d'une imposition commune et la solidarité de paiement, qui en est le corollaire, constitue l'une des garanties de l'effectivité du recouvrement de la contribution commune aux charges publiques. Ainsi, les revenus tirés d'une activité, fût-elle occulte, constituent des revenus communs dont les deux époux ou partenaires profitent ne serait-ce qu'au travers du train de vie du couple ou de leurs patrimoines propres ou commun et aucun motif d'intérêt général ne justifie de ne pas poursuivre le recouvrement des impositions correspondantes envers chacun des codébiteurs. Le divorce ou la séparation ne saurait mettre fin de manière systématique à la solidarité fiscale au titre de la période d'imposition commune, sauf à créer une rupture d'égalité devant les charges publiques entre les contribuables ayant une dette fiscale et poursuivant leur vie commune d'une part, et ceux supportant la même dette fiscale mais séparés ou divorcés d'autre part. Cela étant, la loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007, portant loi de finances pour 2008, a institué, sous certaines conditions, un véritable droit à décharge de responsabilité solidaire (DRS) au profit de l'ex-conjoint ou de l'ex-partenaire lié par un PACS tenu au paiement de l'impôt sur le revenu, de la taxe d'habitation et de l'impôt de solidarité sur la fortune (devenu l'impôt sur la fortune immobilière). Ce texte, codifié sous l'article 1691 bis du CGI, prévoit des conditions spécifiques de recevabilité : la nécessité d'une rupture de la vie commune, la constatation d'un comportement fiscal exempt de toute critique et l'existence d'une « disproportion marquée entre le montant de la dette fiscale et, à la date de la demande, la situation financière et patrimoniale, nette de charges, du demandeur ». Par ce dispositif le législateur a entendu concilier la garantie du recouvrement des créances fiscales, à laquelle contribue la solidarité de paiement entre époux ou partenaires de PACS, avec la prise en compte des difficultés financières et des conséquences patrimoniales pouvant naître, pour l'un ou l'autre des ex-conjoints ou ex-partenaires de PACS, de cette solidarité de paiement pour la période antérieure au divorce, à la séparation ou à la rupture de PACS (Cons. Const. 28-6-2013, n° 2013-330 QPC, Mme B). L'instruction commentant les modalités d'appréciation des critères prévus par ce dispositif a été publiée le 20 avril 2009 (BOI n° 5 B-13-09) et complétée par diverses notes de service. La condition de disproportion marquée vise à prendre en compte les difficultés financières et patrimoniales du demandeur. L'examen de l'existence d'une telle disproportion s'effectue d'abord au regard de la situation patrimoniale, en excluant la résidence principale, quelle qu'en soit sa valeur, et ce afin de sauvegarder le toit des personnes divorcées et délaissées. La disproportion est considérée comme marquée si la situation financière du demandeur à la date de la demande ne permet pas d'envisager un plan de règlement de la dette fiscale, nette de la valeur du patrimoine, dans un délai fixé à 3 ans par l'article 139 de la loi n° 2021-1900 du 30 décembre 2021 de finances pour 2022. L'appréciation qui est faite, au cas par cas, par l'administration sur la disproportion marquée peut être soumise par les demandeurs au contrôle du juge administratif garant d'une équité de traitement. Lorsque les conditions fixées par l'article 1691 bis-II du CGI sont remplies, le demandeur bénéficie d'une décharge de son obligation de paiement au titre de la fraction de cotisation d'impôt correspondant aux revenus de son conjoint et à la moitié des revenus communs. En outre, la décharge des intérêts de retard et des pénalités d'assiette est prononcée en totalité s'ils sont consécutifs à la rectification de bénéfices ou de revenus propres au conjoint. Enfin, l'article 1691 bis-III du CGI prévoit la possibilité pour le redevable qui a été déchargé partiellement de son obligation de paiement en vertu des dispositions de l'article 1691 bis-II du CGI, de déposer, simultanément ou postérieurement à la demande de décharge, une demande tendant à obtenir la remise gracieuse de la quote-part maintenue à sa charge lorsqu'il se trouve en situation de gêne ou d'indigence. L'esprit de la loi en matière de DRS et la volonté du législateur étaient d'instaurer une procédure encadrée pour les personnes divorcées et délaissées justifiant être dans l'incapacité de faire face au règlement de l'impôt commun. En l'état, le dispositif répond à ces objectifs et paraît équilibré. Ainsi, l'ex-conjoint ou conjointe qui se retrouve seul (e), dépourvu (e) de patrimoine ou propriétaire de sa résidence principale et dont les moyens financiers ne lui permettent pas de faire face au paiement de la dette fiscale du couple, constitue le profil type des personnes admises à bénéficier de la DRS. Ainsi, ce dispositif qui s'attache à protéger les plus démunis en toute équité, paraît de nature à préserver la justice fiscale vis à vis de la communauté de l'ensemble des autres redevables. Une ouverture plus large du droit à DRS, qui ne prendrait pas en compte les facultés contributives du demandeur, serait contraire à l'objectif de gouvernement de lutte contre la fraude en permettant facilement à des contribuables de connivence de simuler une situation de séparation, afin d'échapper par ce biais au recouvrement de leurs dettes qui, en matière de DRS, sont quasi exclusivement issues d'un contrôle fiscal. En l'état le dispositif de DRS, récemment assoupli de façon substantielle paraît équilibré et il n'est pas envisagé de le modifier de nouveau d'autant que sa mise en œuvre conduit l'administration fiscale à faire un examen au cas par cas particulièrement attentif des situations particulières de chaque demandeur de décharge et que les décisions prises par les services locaux peuvent faire l'objet d'un recours hiérarchique auprès des services centraux de la DGFIP, ou être soumises au contrôle du juge de l'impôt.