16ème législature

Question N° 12062
de Mme Danielle Simonnet (La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale - Paris )
Question écrite
Ministère interrogé > Travail, plein emploi et insertion
Ministère attributaire > Travail, plein emploi et insertion

Rubrique > nouvelles technologies

Titre > Suppression de 217 postes par l'IA chez Onclusive

Question publiée au JO le : 10/10/2023 page : 8994
Réponse publiée au JO le : 19/12/2023 page : 11604

Texte de la question

Mme Danielle Simonnet interroge M. le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion sur le plan social de l'entreprise (PSE) Onclusive dû à l'intelligence artificielle. En effet, le 5 septembre 2023, Onclusive, groupe international spécialisé dans la veille médiatique et les relations publiques établi à Courbevoie, a annoncé la suppression de 217 postes sur les 383 que compte l'entreprise pour les remplacer par de l'intelligence artificielle vraisemblablement développée en Inde. Les salariés sont notamment chargés de compiler des articles et d'en fournir des analyses en lien avec leurs connaissances de l'actualité et du contexte politique. Dans un mail envoyé aux employés, le PDG Rob Stone motive sans état d'âme ce PSE par la volonté de « devenir plus agiles et plus compétitifs » en modernisant « les systèmes et les infrastructures obsolètes des anciennes entreprises ». Il ajoute de manière orwellienne que ce changement contribuera à « améliorer les carrières (des) employés », « en leur permettant de se concentrer sur des tâches à plus forte valeur ajoutée ». Les faits révélés dans la presse montrent que l'entreprise est familière du remplacement de l'emploi dans un objectif de réduction des « coûts » puisqu'elle sous-traitait une partie de sa main-d'œuvre nettement moins bien rémunérée à Madagascar et au Maroc. Les représentants du personnel estiment quant à eux que les outils devant remplacer les salariés seront inefficaces, en particulier pour hiérarchiser et trier les données, voire n'existent tout simplement pas. Ils craignent ainsi que l'objectif soit une nouvelle délocalisation de la masse salariale à Madagascar, ou une annonce de communication dans un but de revente de l'entreprise. En plus des pratiques, le ton employé par les dirigeants de l'entreprise sur les salariés est consternant. En effet, le 14 septembre 2023, le journal Libération a révélé des propos de la direction aux délégués du personnel expliquant qu'elle ne tolérera pas « les coups de pute » de la part des syndicats. Pire, lors d'une visioconférence où les salariés sont conviés à écouter le PDG américain Rob Stone décliner le virage stratégique de l'entreprise, celui-ci les compare à ses chiens en glorifiant leur esprit de collaboration, révèle un article de La Tribune. Le réel dépasse ici la fiction. Les pratiques autant que le ton employé par Onclusive doivent interpeller l'État surtout lorsque celui-ci figure parmi les principaux clients de l'entreprise, notamment à travers le service d'information du Gouvernement (SIG) placé sous l'autorité de Mme la Première ministre, des grandes administrations, des ministères, l'APHP, etc. L'État semble ainsi contribuer pour moitié au chiffre d'affaires d'Onclusive. Ces suppressions d'emplois manifestent la montée en puissance de l'intelligence artificielle dans l'économie dont on a observé, avec la grève des scénaristes aux États-Unis d'Amérique ayant duré plus de 5 mois, sa capacité à mettre en péril des emplois aussi bien peu que très qualifiés. Au cours de la commission d'enquête parlementaire relative aux Uber files dont Mme la députée a été rapporteure, celle-ci a aussi pu constater les problèmes majeurs que posent l'intelligence artificielle, notamment à travers les « travailleurs du clic » chargés de l'entraîner mais qui connaissent une très grande pauvreté, ou encore les enjeux de protection des données personnelles et leur utilisation par le biais d'algorithmes. En définitive, l'intelligence artificielle et la transformation numérique mettent à l'épreuve le respect de l'État de droit, du code du travail et des libertés publiques. Ainsi, Mme la députée interroge M. le ministre : l'État peut-il accepter d'une entreprise dont il est client un tel plan de licenciement aux contours flous et faisant peser le risque d'un service durablement dégradé ? À l'heure où le Gouvernement se vante d'agir en faveur de la recherche du « plein emploi », elle lui demande quelles mesures il compte prendre pour sauvegarder ces emplois.

Texte de la réponse

L'entreprise Reputational Intelligence France appartenant au groupe Onclusive, qui compte 383 salariés, a engagé, le 12 septembre 2023, une procédure de plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) portant sur la suppression de 217 postes dont 8 vacants et la modification de 24 postes de travail, soit un maximum de 233 ruptures de contrats de travail pour motif économique. Le projet de restructuration présenté au Comité social et économique (CSE) s'inscrivait dans un projet de mutations technologiques via l'automatisation des tâches manuelles (approvisionnement presse, scanne, découpe, saisie, etc.) et l'intégration de nouveaux algorithmes modifiant ainsi ses prestations intellectuelles (analyse de contenu, synthèse). Il s'agissait donc d'un projet basé sur l'intégration de l'intelligence artificielle au sein de l'entreprise. Toutefois, l'autorité administrative n'est pas compétente pour apprécier le motif économique à l'origine du projet de réorganisation. L'appréciation du motif économique relève en effet exclusivement de la compétence du juge judiciaire et des services d'inspection du travail amenés, le cas échéant, à se prononcer sur les demandes d'autorisation de licenciement des salariés protégés. L'administration n'a pas non plus à se prononcer sur les stratégies économiques opérées par l'employeur. En revanche, dans le cadre du contrôle qu'elle opère préalablement à la validation ou à l'homologation du le plan de sauvegarde de l'emploi, la Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) s'assure de la régularité de la procédure d'information-consultation du CSE qui doit disposer d'une information précise, complète et suffisante pour rendre un avis éclairé sur le projet de réorganisation et ses modalités d'application, l'identification et l'évaluation des conséquences de la réorganisation de l'entreprise sur la santé et la sécurité des salariés ainsi que le projet de licenciement le cas échéant. La DREETS apprécie également la suffisance des mesures d'accompagnement des salariés au regard des moyens de l'entreprise et du groupe auquel elle appartient, lesquelles, prises dans leur ensemble, doivent être de nature à satisfaire les objectifs de maintien dans l'emploi et de reclassement des salariés, en particulier lorsque le PSE prend la forme d'un document unilatéral. En l'espèce, lors d'un échange organisé le 27 septembre 2023 entre la Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités Ile-de-France (DRIEETS) et la direction de l'entreprise Reputational Intelligence France, les services du ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion ont adressé leurs premières observations ainsi que des pistes d'amélioration, sans présager des propositions qui auraient pu être faites par les représentants du personnel. La DRIEETS a notamment indiqué à l'entreprise qu'au vu des insuffisances relevées parmi les informations transmises au CSE lors de la première réunion d'information (dite « R1 »), ainsi que de l'insuffisance de l'évaluation des impacts du projet en matière de santé, sécurité et conditions de travail, la reprise ab initio de la procédure était fortement recommandée. La DRIEETS a par ailleurs adressé, le 13 octobre 2023, une première lettre d'observation reprenant l'ensemble de ces observations et préconisations et demandant à l'entreprise de fournir des précisions concernant le calendrier prévisionnel d'information-consultation et des licenciements, le périmètre et les moyens du groupe, l'organisation cible du projet de restructuration ou encore la méthodologie retenue pour définir les catégories professionnelles concernées par le projet. Des pistes d'amélioration ont également été proposées telles que la mise en place d'une première phase de volontariat et la réévaluation du niveau des mesures de reclassement. Enfin, la DRIEETS a rappelé l'obligation pour l'employeur d'assurer la protection des salariés au travail, de leur santé physique et mentale ainsi que la mise en œuvre des principes généraux de prévention des risques professionnels. Il a donc invité l'entreprise à élaborer une grille d'identification et d'évaluation des risques santé-sécurité liés à la restructuration et un plan de prévention des risques listant et détaillant les actions déjà réalisées et prévues afin de limiter les risques identifiés. Tenant compte des observations de la DRIEETS, Reputational Intelligence France a le 19 octobre 2023, informé son CSE de l'abandon de la procédure relative au projet de sauvegarde de l'emploi. Une lettre de clôture de la procédure a été transmise en ce sens à l'administration le 24 octobre 2023, précisant que l'entreprise souhaitait redémarrer une nouvelle procédure ultérieurement sur la base d'un nouveau projet de restructuration plus abouti et plus complet permettant une meilleure information du CSE. Les services du ministère du travail, du plein emploi et de l'insertion seront particulièrement attentifs au bon déroulement de cette future procédure de restructuration au sein de l'entreprise Reputational Intelligence France et pleinement mobilisés pour garantir un accompagnement de qualité au bénéfice des salariés menacés de licenciement.