Renouvellement de l'autorisation européenne du glyphosate
Question de :
Mme Chantal Jourdan
Orne (1re circonscription) - Socialistes et apparentés (membre de l’intergroupe NUPES)
Mme Chantal Jourdan alerte M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur la prochaine décision de l'Union européenne concernant le renouvellement de l'autorisation du glyphosate, dans laquelle la position de la France jouera un rôle décisif. Le glyphosate est le désherbant le plus utilisé en France et dans le monde. Il a été inscrit sur la liste des substances actives approuvées par l'Union européenne en 2002 et son autorisation a été renouvelée en 2017 pour cinq ans. Lors de ce dernier vote, la France s'était prononcée contre le renouvellement de l'autorisation du glyphosate. L'autorisation du glyphosate dans l'Union européenne devait prendre fin en décembre 2022, mais son expiration a été repoussée d'un an. Aujourd'hui, la Commission européenne propose de soumettre au vote des États membres un renouvellement de l'autorisation du glyphosate pour une durée de dix ans, jusqu'en 2033. La Commission européenne fonde sa proposition sur les dernières conclusions de l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) selon lesquelles l'évaluation des risques associés à la substance active glyphosate en ce qui concerne les risques pour l'homme, pour l'animal ou pour l'environnement « n'a pas révélé de sujet de préoccupation critique ». Néanmoins, l'EFSA note des « lacunes dans les données », des « questions non résolues » et des « questions en suspens » et met en évidence « un risque élevé à long terme pour les mammifères dans 12 des 23 utilisations proposées du glyphosate ». Les conclusions de l'EFSA se fondent sur un ensemble de travaux qui ne tient pas compte de toute une partie de la littérature scientifique quant aux effets du glyphosate pour la santé humaine et la biodiversité. Des effets néfastes ont pourtant été mis en avant par de nombreuses études universitaires et d'instituts publics de référence. Ainsi, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé le glyphosate comme cancérigène probable en 2015. C'est également le cas de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), qui, dans son rapport d'expertise collective sur les effets des pesticides sur la santé humaine de 2021, a relevé son niveau de présomption de lien entre l'exposition au glyphosate et la survenue de lymphome non hodgkinien, cancer du système lymphatique, de faible à moyen. Les conclusions de l'Inserm sont préoccupantes, elles mettent notamment en évidence : des conséquences génotoxiques facteur de cancérogénicité ; l'induction d'un stress oxydant qui peut jouer un rôle dans la génotoxicité, la cancérogénicité et la neurotoxicité ; la possibilité pour le glyphosate de « présenter des propriétés de perturbation endocrinienne qui ont un impact sur la fonction de reproduction » ; une toxicité mitochondriale qui « peut être observée avec des doses environnementales » ; des modes d'actions épigénétiques et transgénérationnels ; de potentiels effets sur le microbiote. Au-delà des conséquences pour la santé, les conséquences du glyphosate pour la biodiversité sont également préoccupantes. Il est évidemment établi que les herbicides impactent les écosystèmes dans lesquels ils sont déversés. Ainsi, par exemple, en 2022, le comité d'évaluation du risque de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a souligné la toxicité chronique du glyphosate pour des espèces aquatiques. D'autres études récentes, conduites par des chercheurs du département biologie intégrative de l'université du Texas, ont montré que le glyphosate était susceptible d'augmenter la mortalité des abeilles en agissant sur leur flore intestinale. La protection de la santé humaine doit primer et les conséquences socio-économiques doivent être prises en charge par les États. Cette décision pose la question de l'agriculture dont on a besoin, l'agriculture cohérente avec l'urgence climatique et la souveraineté alimentaire. Les alternatives existent, l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE) a d'ailleurs déjà produit un rapport à ce sujet en 2017. Partout, dans les territoires, on observe la mise en place de pratiques vertueuses. On doit accélérer la transition vers les modèles agroécologiques, indépendants des produits tels que le glyphosate. Cela nécessite un accompagnement et un soutien solide des agriculteurs dans l'évolution de leurs pratiques. Au regard de l'ensemble de ces considérations, elle aimerait savoir si le Gouvernement défendra le principe de précaution qui devrait s'appliquer concernant l'autorisation du glyphosate à l'échelle de l'Union européenne, sachant que proposer une alternative à 5 ans ne serait absolument pas satisfaisant non plus au regard du retard pris, des risques potentiels et des défis environnementaux devant nous.
Réponse publiée le 26 décembre 2023
Le 16 novembre 2023, la Commission européenne a soumis à un comité d'appel un projet de règlement renouvelant l'approbation du glyphosate pour 10 ans. À cette occasion, la France s'est abstenue, dans le cadre du renouvellement tel que proposé par la Commission européenne. Dans ce contexte, la Commission a le 28 novembre, comme elle l'avait annoncé à l'issue du comité d'appel, adopté sa proposition. À l'égard du glyphosate, la position française est claire : le Gouvernement n'est pas opposé au principe de renouvellement de la molécule, mais souhaite pour autant réduire rapidement son usage et encadrer l'utilisation de la molécule, afin d'en limiter les conséquences, et la remplacer par des alternatives, dès que celles-ci sont disponibles. Le Gouvernement a, à plusieurs reprises, formulé le souhait d'un encadrement plus strict des usages du glyphosate et fait des propositions à la Commission en ce sens. Ce point de vue, porté par la France, a permis une réduction de 27 % de l'utilisation du glyphosate depuis 2017, tout en ne laissant aucun agriculteur sans solution. Concrètement, il s'agit de mener des interdictions ciblées, d'encadrer les doses utilisées et d'accompagner les agriculteurs. Cette approche est fondée sur l'expertise scientifique, notamment de l'agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, reconnaissant que le produit ne dispose pas d'effet avéré sur la santé dans le strict respect des doses et conditions d'utilisation. Toutefois, les agences soulignent un manque d'analyse sur les conséquences de la molécule sur la biodiversité. À cet égard, les recherches se poursuivent. La France a ainsi exprimé le souhait d'un délai de réhomologation plus court que les 10 ans proposés, afin de pouvoir intégrer les compléments d'analyse, dès lors qu'ils seraient disponibles. Dans ce contexte, le Gouvernement a demandé à la Commission européenne d'accélérer les travaux de mise au point des méthodes d'évaluation des risques indirects pour la biodiversité. Au niveau national, le glyphosate continuera à être encadré : son utilisation demeurera autorisée dès lors qu'il n'existe pas d'alternative, et le Gouvernement, à travers le plan Écophyto, poursuivra son effort de recherche d'alternatives et continuera à accompagner au mieux les agriculteurs. À ce titre, le Gouvernement a lancé, le 30 octobre 2023, une consultation des parties prenantes relative à la stratégie Écophyto 2030, qui fera l'objet d'une publication dans les prochains mois. Cette stratégie prévoit d'accélérer le développement d'alternatives aux produits phytopharmaceutiques et de renforcer l'accompagnement des changements de pratiques.
Auteur : Mme Chantal Jourdan
Type de question : Question écrite
Rubrique : Agriculture
Ministère interrogé : Agriculture et souveraineté alimentaire
Ministère répondant : Agriculture et souveraineté alimentaire
Dates :
Question publiée le 17 octobre 2023
Réponse publiée le 26 décembre 2023