16ème législature

Question N° 1281
de Mme Perrine Goulet (Démocrate (MoDem et Indépendants) - Nièvre )
Question écrite
Ministère interrogé > Ville et logement
Ministère attributaire > Ville et logement

Rubrique > urbanisme

Titre > Jugement de démolition

Question publiée au JO le : 13/09/2022 page : 4034
Réponse publiée au JO le : 18/10/2022 page : 4764

Texte de la question

Mme Perrine Goulet attire l'attention de M. le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la ville et du logement, sur les conséquences et l'interprétation de l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'homme n° 27013/07 du 17 octobre 2013. Cet arrêt de la CEDH dont la Cour de cassation tire les conséquences vient affirmer la primauté du droit à la vie familiale dans le cadre des règles d'urbanisme, des injonctions et jugements de démolition en cas de construction abusives et illégales. Une telle interprétation pourrait conduire à sacraliser des résidences principales, constructions déjà opérées, dès lors qu'elles procurent un foyer à une famille. De quelle manière, au regard de cette jurisprudence, le respect des règles d'urbanisme peut-il être assuré ? Comment, avec une telle interprétation, ne pas en arriver à une anarchie de construction sans qu'aucune règle ne puisse être suivie ? Enfin, elle souhaite savoir quel recours peut encore appartenir aux maires afin de faire respecter les règles d'urbanisme dûment votées.

Texte de la réponse

L'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales (CESDH) garantit à toute personne le droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance et prévoit qu'il ne peut y avoir une ingérence dans l'exercice de ce droit que si elle est prévue par la loi et qu'elle est nécessaire, dans une société démocratique, à un certain nombre d'objectifs. En application de cet article, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a considéré que la perte d'un logement est une atteinte des plus graves au droit au respect du domicile. Toute personne qui risque d'en être victime doit en principe pouvoir en faire examiner la proportionnalité par un tribunal ; les juridictions nationales doivent examiner les arguments en ce sens en détail et y répondre par une motivation adéquate après avoir analysé la proportionnalité de cette mesure (CEDH 17 octobre 2013, Winterstein et autres c/France, n° 27013/07, points 155, 156 et 158). Dans le cas d'espèce soumis à la Cour, l'inaction de la collectivité locale pendant plusieurs années, voire décennies, a été un élément important pour caractériser l'absence de proportionnalité de la mesure d'éviction. La France ayant ratifié cette convention, il appartient aux juridictions nationales de l'appliquer et de la faire respecter, dans l'interprétation qu'en donne la jurisprudence de la CEDH. Par un arrêt n° 14-22095 du 17 décembre 2015, la 3ème chambre civile de la Cour de cassation a, par exemple, annulé un arrêt de la Cour d'appel de Versailles qui avait ordonné l'enlèvement de plusieurs caravanes et de cabanons de jardin appartenant à des gens du voyage, installés en zone naturelle en méconnaissance des dispositions du plan local d'urbanisme de la commune. La Cour d'appel avait en effet considéré, que l'article 8 de la CESDH comme le droit au logement ne pouvaient faire obstacle au nécessaire respect des règles d'urbanisme ni faire disparaître le trouble résultant de leur violation ou effacer son caractère manifestement illicite, confirmant ainsi l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal de grande instance de Pontoise. Mais la Cour de cassation a jugé « qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les mesures ordonnées étaient proportionnées au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile, la cour d'appel (…) n'a [vait] pas donné de base légale à sa décision ». Il convient, également, de rappeler que le Conseil d'État avait déjà jugé qu'un refus de raccordement aux réseaux d'électricité, d'eau, de gaz ou de téléphone d'une construction à usage d'habitation irrégulièrement implantée « a le caractère d'une ingérence d'une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par les stipulations » de l'article 8 de la CESDH et que « si une telle ingérence peut être justifiée par le but légitime que constituent le respect des règles d'urbanisme et de sécurité ainsi que la protection de l'environnement, il appartient, dans chaque cas, à l'administration de s'assurer et au juge de vérifier que l'ingérence qui découle d'un refus de raccordement est, compte tenu de l'ensemble des données de l'espèce, proportionnée au but légitime poursuivi » (CE, 15 décembre 2010, n° 323250). Ainsi, l'article 8 de la CESDH n'interdit pas les conséquences qui peuvent être tirées de l'occupation illégale d'un terrain, mais implique que les mesures les plus lourdes, telles l'éviction ou la démolition de la construction illégale, devront sous le contrôle du juge respecter des conditions précises et être justifiées et proportionnées. Par ailleurs la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, a ouvert des moyens nouveaux à l'autorité compétente en matière d'urbanisme, bien souvent le maire, afin de compléter utilement le dispositif pénal et de permettre une action rapide visant à traiter les infractions en matière d'urbanisme. C'est ainsi que les articles L. 481-1 à L. 481-3 du code de l'urbanisme, entrés en vigueur depuis le 29 décembre 2019, prévoient un mécanisme de mise en demeure de régulariser sous astreinte les constructions, travaux et installations réalisés en infraction au code de l'urbanisme. Très concrètement, une fois le procès-verbal d'infraction au code de l'urbanisme dressé, l'autorité compétente a la faculté de mettre en demeure l'auteur de cette infraction de procéder aux travaux nécessaires à la mise en conformité de sa construction ou de déposer une demande d'autorisation visant à les régulariser a posteriori. Cette mise en demeure peut être assortie d'une astreinte d'un montant de 500 euros maximum par jour de retard dont le produit revient à la collectivité compétente en matière d'urbanisme. Il s'agit donc là d'un moyen simple et rapide à disposition des collectivités pour traiter les constructions abusives et illégales.