Agriculteurs transfrontaliers - Exploitations agricoles
Question de :
Mme Géraldine Grangier
Doubs (4e circonscription) - Rassemblement National
Mme Géraldine Grangier interroge M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur la situation des agriculteurs du Doubs, nord Franche-Comté et transfrontaliers de la Suisse. Lorsqu'un agriculteur français souhaite louer des terres agricoles ou une exploitation sur le territoire français, il doit remplir un dossier d'autorisation d'exploiter à la DDT où il renseigne la surface agricole de son exploitation et des terres déjà exploitées dans le cadre de son activité. C'est la CDOA - commission départementale d'orientation agricole (DDT, Chambre, FDSEA, banques) - qui est chargée d'étudier les dossiers et d'attribuer les terres ou exploitations proposées à la location. En frontière suisse, les agriculteurs français se trouvent directement en concurrence avec le agriculteurs suisses qui postulent eux-aussi pour exploiter les terres agricoles françaises. Or il s'avère que les exploitants suisses obtiennent régulièrement les marchés locatifs car, contrairement aux agriculteurs français, ils n'ont pas à démontrer administrativement leur surface agricole exploitée en Suisse. Les terres agricoles étant prioritairement attribuées aux exploitants ayant le moins de surface, les agriculteurs français se trouvent à chaque fois pénalisés. Actuellement, sur le territoire nord Franche-Comté, ce sont déjà des milliers d'hectares de terres agricoles françaises qui sont exploitées par des Suisses. Cela représente une réelle perte pour la France, qui voit ses terres agricoles exploitées et rachetées par des agriculteurs suisses, et une perte de richesse et d'emplois pour les agriculteurs français qui voient leur filière AOP ainsi fragilisée. Aussi, afin de garantir la souveraineté alimentaire de la France et face à l'impossibilité des agriculteurs frontaliers d'acquérir de nouvelles terres ou créer de nouvelles exploitations, il semble à Mme la députée urgent de prioriser les agriculteurs français dans les demandes d'autorisation d'exploiter et de rendre obligatoire pour les agriculteurs suisses de fournir un justificatif de l'ensemble de leurs surfaces agricoles exploitées en Suisse et en France. Il est à noter que ce problème est récurrent sur l'ensemble du territoire français en zone frontalière. Aussi, elle lui demande ce qu'il compte mettre en application pour prioriser l'agriculture française et mettre fin à cette situation injuste.
Réponse en séance, et publiée le 18 janvier 2023
AGRICULTEURS TRANSFRONTALIERS
Mme la présidente. La parole est à Mme Géraldine Grangier, pour exposer sa question, n° 128, relative aux agriculteurs transfrontaliers.
Mme Géraldine Grangier. Je me permets d'appeler votre attention sur un fait qui m'a été rapporté par de nombreux agriculteurs du territoire du Doubs Nord Franche-Comté, frontaliers avec la Suisse. Lorsqu'un agriculteur français souhaite louer des terres agricoles ou une exploitation sur le territoire national, il doit remplir un dossier d'autorisation auprès de la direction départementale des territoires (DDT), dans lequel il indique la surface agricole de son exploitation et des terres qu'il exploite déjà dans le cadre de son activité. La commission départementale d’orientation de l’agriculture (CDOA), composée de la DDT, de la chambre d'agriculture, de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) et des banques, est chargée d'étudier ces dossiers et d'attribuer les terres ou les exploitations proposées à la location.
À la frontière suisse, nos agriculteurs se trouvent directement en concurrence avec les agriculteurs helvètes, qui postulent eux aussi pour exploiter les terres agricoles françaises. Ces exploitants suisses obtiennent régulièrement les marchés locatifs, car, contrairement aux Français, ils n'ont pas à démontrer administrativement leur surface agricole exploitée en Suisse. Les terres agricoles étant prioritairement attribuées aux exploitants ayant le moins de surface, les Français sont à chaque fois pénalisés. Dans le territoire Doubs Nord Franche-Comté, des milliers d'hectares de terres agricoles françaises sont ainsi exploités par des Suisses. Cela représente une réelle perte pour la France, qui voit ses terres agricoles exploitées et rachetées par des étrangers, mais c'est aussi une perte de richesse et d'emplois pour nos agriculteurs, qui voient leurs filières d'appellation d'origine protégée (AOP) fragilisées – je pense en particulier aux filières du Comté et du Morbier.
Afin de garantir notre souveraineté alimentaire, et face à l'impossibilité pour nos agriculteurs frontaliers d'acquérir de nouvelles terres ou de créer de nouvelles exploitations, il me semble urgent de donner la priorité aux agriculteurs français dans les demandes d'autorisation d'exploiter, et d'obliger les agriculteurs suisses à fournir un justificatif de l'ensemble de leurs surfaces agricoles exploitées en Suisse et en France.
Ce problème se pose malheureusement dans l'ensemble des zones frontalières françaises, notamment à la frontière belge. Face à cette situation injuste, que comptez-vous faire pour donner la priorité à l'agriculture française ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Je vous remercie pour cette question qui soulève deux sujets de nature quelque peu différente.
Tout d'abord, le fait que des agriculteurs suisses ou belges exploitent des terres en France ne remet pas en cause notre souveraineté : dans le cas que vous citez, par exemple, des agriculteurs suisses alimentent la filière Comté. Le risque tient plutôt à un éventuel accaparement des terres, qui compromettrait l'intérêt national – en cela, je vous rejoins. Ce n'est toutefois pas un risque de souveraineté en tant que tel, puisque les productions concernées sont élaborées sur le sol français et sont dédiées aux industries agroalimentaires françaises – en partie en tout cas, pour un certain nombre d'entre elles.
Ensuite, vous avez raison de souligner que les CDOA ne tiennent pas compte des surfaces exploitées à l'extérieur des frontières nationales ; en la matière, l'extraterritorialité ne s'applique pas. Cet aspect n'entre pas dans les critères d'autorisation d'exploiter appliqués aux agriculteurs étrangers. Pour rappel, ces critères concernent notamment l'âge de l’exploitant – les jeunes étant favorisés –, ou encore la distance au siège de l’exploitation. Lorsque les circonstances locales le justifient, des solutions peuvent néanmoins être trouvées dans le cadre de la coopération transfrontalière. C'est le cas avec la Suisse, puisqu'une commission coordonnée par nos deux pays a élaboré un protocole de suivi des exploitants suisses en France, qui s'attache notamment à éviter les écueils auxquels vous faites référence.
Notez par ailleurs que la loi du 23 décembre 2021 portant mesures d'urgence pour assurer la régulation de l'accès au foncier agricole au travers de structures sociétaires, dite loi Sempastous, permet d'intervenir lorsque les demandes d'autorisation d'exploiter font suite à une acquisition, en France, de parts sociales ou d'actions par une société détenant ou exploitant du foncier agricole et dont le siège social est à l'étranger.
Le Gouvernement est donc très attentif à la question du foncier agricole, en particulier à la transparence du marché et au contrôle du risque d'accaparement. Le décret du 31 décembre 2019, pris en application de la loi relative à la croissance et à la transformation des entreprises, prévoit ainsi que le contrôle des investissements étrangers en France couvre les enjeux de sécurité alimentaire.
Nous aurons l'occasion de travailler ensemble, madame la députée, dans le cadre des concertations sur le projet de pacte et de loi d’orientation et d’avenir agricoles. L'accès au foncier me paraît constituer une question fondamentale, dans les zones transfrontalières et de façon plus générale : il s'agit de permettre à des exploitants français – et à des exploitants tout court – d’accéder à la terre. Comme vous, je suis convaincu que c'est un élément essentiel de la souveraineté alimentaire.
Auteur : Mme Géraldine Grangier
Type de question : Question orale
Rubrique : Agriculture
Ministère interrogé : Agriculture et souveraineté alimentaire
Ministère répondant : Agriculture et souveraineté alimentaire
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 10 janvier 2023