Question orale n° 129 :
Liaison A28-A13 dite « contournement est de Rouen »

16e Législature

Question de : M. Philippe Brun
Eure (4e circonscription) - Socialistes et apparentés (membre de l’intergroupe NUPES)

M. Philippe Brun interroge M. le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports, au sujet du projet de liaison autoroutière A133-A134, dit « contournement est de Rouen ». Ce projet daté de 1971, repoussé sans cesse en raison des oppositions des populations locales, a fait l'objet de l'ouverture d'un appel à concession en février 2022. Le projet A133-A134 est ainsi le seul contournement de France qui ne recueille pas l'approbation de la métropole contournée elle-même, la métropole Rouen Normandie (qui comprend 60 % du tracé). La communauté d'agglomération Seine-Eure (30 % du tracé) et la communauté de communes Inter-Caux-Vexin (10 % du tracé) ont elles aussi fait savoir leur opposition. Même le conseil départemental de l'Eure, alors présidé par le ministre des armées Sébastien Lecornu, ne souhaite plus financer cette infrastructure. La région Normandie et le département de la Seine-Maritime, qui ont absorbé financièrement le désistement des autres collectivités, ont donc fait le choix de porter seuls le projet de contournement est de Rouen, nonobstant l'avis des élus locaux directement concernés. Ce projet contredit ainsi le discours de politique générale du 16 septembre 2022 prononcé par la Première ministre Élisabeth Borne, dans lequel elle s'est engagée à ce que « État et territoires bâtissent ensemble » pour « la réussite de notre Nation ». Le contournement est de Rouen n'aurait pas pour effet de diminuer les embouteillages au sein de la métropole rouennaise, car ceux-ci sont constitués à 85 % du trafic interne. Au demeurant, le projet A133-A134 ne respecte pas la logique d'usage de l'agglomération rouennaise, 89 % du trafic de transit et d'échange étant situés à l'ouest de Rouen. A contrario, le flux de transit à l'est représente 6 % du trafic de l'agglomération. Le coût financier important du projet A133-A134, qui s'élève à près d'1 milliard d'euros, semble donc excessif au regard du faible bénéfice que celui-ci pourrait apporter au territoire s'agissant de la réduction de la congestion. Par ailleurs, le projet A133-A134 soumettrait l'accès à la métropole rouennaise, où vont travailler quotidiennement des milliers d'Eurois, à un péage, accentuant la fracture entre la métropole et le département de l'Eure. Estimé à 10 centimes d'euros par kilomètre pour les véhicules légers par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), ce transfert de revenu des ménages à un concessionnaire privé est d'autant plus inacceptable que l'Eure est déjà traversée par de nombreuses autoroutes à péage. En outre, la hausse du prix des carburants depuis un an rend particulièrement inopportune la poursuite de ce projet dans un département où une large majorité des habitants - 85 % dans la circonscription de Louviers - utilise la voiture pour se rendre sur son lieu de travail situé dans une autre commune que celle de sa résidence. La construction de 41,5 kilomètres d'autoroute supplémentaires aurait pour effet d'augmenter la pollution atmosphérique. La hausse induite du trafic des poids lourds, les vitesses élevées et l'allongement des distances entraîneraient en effet jusqu'à 50 000 tonnes de CO2 supplémentaires émises par an, s'ajoutant à la pollution atmosphérique déjà excessive dans l'agglomération rouennaise. Le contournement est de Rouen n'est donc pas en phase avec l'objectif de transition écologique. Comme l'a rappelé le Président de la République Emmanuel Macron dans un tweet le 23 septembre 2019, « on ne peut pas prétendre lutter contre le réchauffement climatique et continuer à financer des infrastructures qui augmentent les émissions de CO2 ». Le projet A133-A134 conduirait également à l'artificialisation de 540 hectares de terres naturelles, agricoles et forestières. Des zones humides seraient détruites et la viabilité de plusieurs captages d'eau serait aussi remise en question, selon les analyses de l'Agence de l'eau. En outre, ce projet d'étalement urbain aurait un effet néfaste sur la qualité de vie des habitants de l'agglomération rouennaise et de l'Eure. Par exemple, Val-de-Reuil serait longée par une autoroute à la place de la forêt et la base naturelle et de loisirs de Léry-Poses subirait d'importantes nuisances sonores. Il est encore temps que l'État retire l'appel à concession pour ce projet et privilégie des alternatives crédibles et soutenables, comme la réouverture de la ligne de train Evreux-Rouen, le développement du fret ferroviaire et fluvial et la création de nouveaux RER métropolitains comme l'a annoncé le Président de la République. Il souhaite connaître ses intentions à ce sujet.

Réponse en séance, et publiée le 18 janvier 2023

LIAISON A28-A13
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Brun, pour exposer sa question, n°  129, relative à la liaison A28-A13.

M. Philippe Brun. Ce matin, je vais vous parler d'un projet ancien, datant de 1971, année que l'ORTF – l'Office de radiodiffusion-télévision française – avait qualifiée d'année de l'invention des objets inutiles. Je souhaite évoquer l'objet inutile qu'est le vieux projet dit de contournement est de Rouen, promis par Georges Pompidou aux Rouennais et qui, faute d'intérêt général suffisant, n'a jamais vu le jour. Pourtant, en décembre dernier, le Gouvernement a décidé de le ressusciter en ouvrant l'appel à concession pour la liaison entre l'A28 et l'A13. Ce projet est inutile et je vais vous expliquer pourquoi.

D'abord, ce projet est le seul en France à ne pas recueillir l'approbation de la ville contournée, la métropole Rouen Normandie, et de l'ensemble des intercommunalités – la communauté d’agglomération Seine-Eure, que j'ai l'honneur de représenter, et la communauté de communes Inter-Caux-Vexin – situées sur le tracé.

Ce projet ne réduira en rien la congestion de la métropole rouennaise, causée, à plus de 85 %, par du trafic interne. Puis, monsieur le ministre, vous qui êtes chargé de la transition écologique et de la cohésion des territoires, ce projet est un désastre écologique, puisqu'il entraînerait l'émission de 50 000 tonnes de CO2 supplémentaires, menacerait d'importants captages d'eau du territoire que j'ai l'honneur de représenter, détruirait nos villes, nos villages et nos paysages.

Il constituerait également une catastrophe sociale et financière pour les habitants. Cette nouvelle autoroute à péage édifierait autour du territoire un mur de l'argent. Pour aller travailler chaque jour dans la métropole rouennaise, les habitants devraient débourser plus de 10 centimes d'euro par kilomètre. Alors que nous cherchons tous des deniers publics, qui sont rares, le contournement, dont le coût financier important pour les finances publiques s'élève à 1 milliard, mériterait d’être abandonné.

Dès lors, pourquoi persévérer ? La persévérance est devenue insistance, la résolution est devenue obstination et la technicité est devenue absurdité. Mais l'espoir existe. J'ai ainsi entendu le Président de la République formuler des propositions innovantes, notamment relatives à la création des RER métropolitains ; je veux croire que le Gouvernement saura abandonner le mauvais projet de contournement pour le remplacer par cette voie d'avenir.

Le Gouvernement envisage-t-il d'abandonner ce projet inutile et de le remplacer par la réouverture de la ligne de train entre Évreux, Louviers et Rouen, et de la ligne de train entre Pont-de-l'Arche et Gisors, afin de donner corps à cette promesse de RER métropolitains et de faire entrer la métropole de Rouen, et plus largement la Haute-Normandie, dans le XXIe siècle ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

M. Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Vous avez porté la voix de ceux qui sont opposés à ce projet que vous connaissez parfaitement. Néanmoins, vous savez que certains y sont au contraire favorables. La région et le département, notamment, soutiennent le contournement, en s'engageant financièrement.

Je connais l'opposition de la métropole de Rouen Normandie ; j'ai d'ailleurs eu l'occasion d'échanger sur ce point avec son président. Vous avez rappelé l'histoire du projet, sa longévité, les débats et les controverses qu'il suscite entre, d'une part, ceux qui pointent, ainsi que vous venez de le faire, les raisons en vertu desquelles il ne devrait pas être réalisé, et d'autre part, ses promoteurs. Ceux-ci mettent en avant les heures économisées en évitant les embouteillages ; les emplois maintenus grâce à l'attractivité du territoire ; la meilleure qualité de vie des habitants, une fois le trafic de transit détourné ; ou encore, la continuité de l'axe Seine.

Je tiens à dire clairement que si ce projet devait se concrétiser, son intégration dans l'environnement ne serait pas une variable d'ajustement. Du reste, à chaque étape, l'exemplarité du projet sera assurée. C'est le seul engagement que je puisse prendre dans le cadre de la séance des questions orales sans débat. Vous avez été parfaitement dans votre rôle, en relayant toutes les raisons pour lesquelles il était souhaitable que le projet ne se réalise pas. Je ne veux ni me faire l'avocat d'un projet que je ne connais pas de manière exhaustive ni me joindre aux critiques que vous avez formulées. Vous connaissez l'état du débat et le rôle que joue l'État, représenté par Clément Beaune, en écoutant toutes les parties prenantes, dont les opposants au projet.

Données clés

Auteur : M. Philippe Brun

Type de question : Question orale

Rubrique : Transports routiers

Ministère interrogé : Transports

Ministère répondant : Transports

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 10 janvier 2023

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