16ème législature

Question N° 13367
de Mme Hélène Laporte (Rassemblement National - Lot-et-Garonne )
Question écrite
Ministère interrogé > Agriculture et souveraineté alimentaire
Ministère attributaire > Agriculture et souveraineté alimentaire

Rubrique > agriculture

Titre > Œufs ukrainiens : concurrence déloyale pour les producteurs français

Question publiée au JO le : 05/12/2023 page : 10792
Réponse publiée au JO le : 09/04/2024 page : 2792
Date de changement d'attribution: 12/01/2024
Date de signalement: 19/03/2024

Texte de la question

Mme Hélène Laporte alerte M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur la concurrence déloyale faite aux œufs et ovoproduits français par leurs équivalents ukrainiens du fait de l'absence de droits de douane. Adoptées le 30 mai 2022 dans un contexte d'effondrement du marché alimentaire ukrainien consécutif à l'agression militaire portée par la Russie, les mesures de libéralisation temporaires des échanges entre l'Union européenne et l'Ukraine ont prévu la suspension totale des droits de douane sur divers produits agricoles ukrainiens. Le 31 mai 2023, ces mesures ont été prorogées s'agissant des œufs et de la viande de volaille. Cette prorogation intervient alors même que la production ukrainienne d'œufs a retrouvé son niveau de 2021 et que la présence de stocks importants de grain dont l'export a été rendu impossible par le blocus maritime imposé par la Russie en mer Noire a permis de contenir les prix de l'alimentation des volailles. Ainsi, en mars 2023, le prix des œufs coquille ukrainiens était 48,5 % moins élevé que celui de leurs équivalents produits dans l'Union européenne, la différence se portant à 42,1 % pour les ovoproduits liquides et 27,5 % pour les ovoproduits séchés, de sorte qu'en l'absence de droits de douane, les œufs et ovoproduits ukrainiens exercent une concurrence fortement déséquilibrée à l'égard des produits français. En plus de pénaliser les éleveurs français, cette distorsion de concurrence va directement à l'encontre des efforts poursuivis par la filière pour l'amélioration des conditions d'élevage des poules pondeuses. En effet, les ovoproduits importés dans l'Union européenne, à l'inverse des œufs coquille, ne sont pas soumis à l'obligation d'être issus de poules élevées dans des cages aménagées et peuvent provenir d'élevages en batterie. La densité de poules pondeuses dans les élevages ukrainiens est deux fois plus importante que celle des élevages des pays de l'Union européenne. Enfin, cette ouverture du marché est difficilement compréhensible par les éleveurs qui ont, à la demande de l'État, investi dans le développement de l'ovosexage afin de mettre fin à la pratique du broyage des poussins, interdite depuis le 1er janvier 2023. Estimant injuste de faire peser sur les éleveurs la charge du soutien à l'Ukraine face à l'invasion militaire contraire au droit international à laquelle elle fait face depuis vingt-et-un mois, elle l'appelle à mettre fin à ce dispositif dérogatoire pénalisant lourdement les producteurs français d'œufs.

Texte de la réponse

En soutien à l'économie ukrainienne face à la guerre d'agression russe, l'Union européenne (UE) a libéralisé, avec le soutien du Gouvernement français, ses échanges avec l'Ukraine depuis le 4 juin 2022 pour une durée initiale d'un an. Le 6 juin 2023, le règlement (UE) 2023/1077 « mesures commerciales autonomes » a prolongé la libéralisation d'une année supplémentaire soit jusqu'au 5 juin 2024. L'ouverture des échanges entre l'UE et l'Ukraine a entraîné des augmentations significatives des importations de plusieurs produits agricoles ukrainiens dans l'UE, dont les œufs. Les importations européennes d'œufs en provenance d'Ukraine ont connu une hausse importante en 2022 [17 000 tonnes (t) soit 48 % des importations d'œufs extra-européennes] et 2023 (39 000 t importées en 2023, soit 60 % des importations européennes). Entre 2022 et 2023, les importations d'œufs ukrainiens dans l'UE ont augmenté de 129 %. Face à cette situation, la France a alerté à plusieurs reprises la Commission européenne sur l'impact des mesures de libéralisation tarifaire sur les marchés agricoles européens de certains produits sensibles dont les œufs, tout en insistant sur la nécessaire solidarité avec l'Ukraine et la nécessité d'une action continue de l'UE en soutien à son économie en cette période de guerre sur son territoire. C'est pourquoi tout en proposant une nouvelle fois le 31 janvier 2024 de prolonger d'une année supplémentaire la libéralisation des échanges avec l'Ukraine -soit jusqu'au 5 juin 2025- la Commission européenne a proposé la révision du règlement (UE) 2023/1077 « mesures commerciales autonomes » en renforçant les clauses de sauvegarde et en mettant en place un mécanisme automatique de frein d'urgence pour le sucre, la viande de volaille et les œufs. Le Parlement européen a adopté, le 13 mars 2024, une version du texte amendée visant à renforcer ce mécanisme de frein automatique en demandant qu'il couvre davantage de produits (céréales et miel), qu'il se déclenche à partir de volumes de référence abaissés, et que son déclenchement intervienne dans un délai maximal réduit à 14 jours (au lieu de 21 jours proposés par la Commission européenne). Les négociateurs européens (représentant des trois institutions dans ce dossier), se sont accordés sur un compromis à l'issue du trilogue du 19 mars 2024. Les discussions se poursuivent désormais entre le Conseil, le Parlement européen et la Commission européenne pour une adoption définitive avant les élections européennes de début juin 2024, pour permettre le renouvellement d'un dispositif à expiration du dispositif aujourd'hui en vigueur.  Si la hausse des importations d'œufs ukrainiens dans l'UE du fait de la libéralisation tarifaire est indéniable, elle doit toutefois être relativisée au regard du niveau de production, d'exportations et d'importations européennes ainsi que du niveau des prix européens. La hausse des importations d'œufs en provenance d'Ukraine participe par ailleurs d'une tendance générale d'augmentation de l'ensemble des importations européennes. Entre 2021 et 2022, les importations d'œufs en provenance de pays tiers ont augmenté de 36 % en volume. Cette tendance s'est accentuée puisqu'entre 2022 et 2023 les importations extra-UE ont augmenté de 53 % par rapport à la même période en 2022. Une partie des importations ukrainiennes s'est donc substituée à des importations en provenance d'autres pays tiers, le Royaume-Uni principalement, qui représentait 47 % des importations d'œufs extra-européennes en 2021 et n'en représente plus que 16 % en 2023. Concernant la balance commerciale de l'UE, elle reste largement excédentaire. Par ailleurs, la production d'œufs dans l'UE a connu une baisse importante en 2022 à la suite de l'épizootie d'influenza aviaire hautement pathogène (IAHP). La France, premier pays producteur d'œufs de l'UE (devant l'Allemagne et l'Espagne) a été particulièrement touchée par cette baisse. En 2023, la production d'œufs a progressé à nouveau pour atteindre des niveaux proches de 2020 et 2021, soit avant la dernière crise de l'IAHP. La baisse de production en 2022 a entrainé une hausse significative des prix. En 2023, les prix ont baissé mais sont restés à des niveaux plus élevés que ceux de 2020 et 2021. S'agissant des conditions d'importation des œufs ukrainiens, les produits agricoles ukrainiens qui rentrent sur le territoire de l'UE doivent respecter, au même titre que l'ensemble des produits agricoles importés dans l'UE, les normes de commercialisation européennes qui préservent la santé et la sécurité des consommateurs européens. La bonne application des normes de production européennes aux produits importés constitue une priorité du Gouvernement, a fortiori dans la perspective de l'élargissement de l'UE à l'Ukraine. Le ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire est particulièrement vigilant à ce que l'Ukraine rapproche sa législation de celle de l'UE, notamment concernant la production d'œufs. Enfin, depuis la parution du décret le 5 février 2022 relatif à l'interdiction de mise à mort des poussins des lignées de l'espèce Gallus gallus destinées à la production d'œufs de consommation, le ministère chargé de l'agriculture a œuvré avec l'interprofession de la filière œufs (CNPO) afin d'identifier et de déployer des solutions techniques et financières pour accompagner les professionnels dans cette transition d'ampleur. L'État, à travers France Relance, a accompagné à hauteur de 10,5 millions d'euros les couvoirs pour mettre en place de nouvelles techniques d'ovosexage permettant de déterminer le sexe des embryons dans les œufs. Un travail important a également été mené par l'interprofession en collaboration avec le ministère chargé de l'agriculture afin d'élaborer un dispositif particulièrement novateur pour financer cette transition. Un accord interprofessionnel a été mis en œuvre par l'interprofession dès novembre 2022 afin de mutualiser les coûts induits par ces nouvelles technologies entre les couvoirs et la distribution et sans faire peser le coût de la transition sur les éleveurs. La fin de l'élimination par broyage des poussins mâles dans la filière œufs constitue une avancée majeure en matière de bien-être animal. Attendue de longue date, elle répond à une attente forte de la part des citoyens, des consommateurs et des associations de protection animale. Cette initiative continuera d'être portée au niveau européen pour obtenir dans l'ensemble des États membres de l'UE un comportement similaire, en particulier dans le cadre de la future révision de la réglementation européenne sur le bien-être animal. Le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire reste très attentif à la situation de la filière œufs et continue à demander à la Commission européenne de rester vigilante à travers un suivi rapproché des flux commerciaux en provenance d'Ukraine, permettant de déclencher le cas échéant les mesures de protection commerciale prévues en cas de perturbation du marché européen justifiant leur activation.