Question orale n° 135 :
Encadrement du marché de l'influence

16e Législature

Question de : M. Aurélien Taché
Val-d'Oise (10e circonscription) - Écologiste - NUPES

M. Aurélien Taché interroge M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur le marché de l'influence. Il est estimé à 15 milliards d'euros et des chiffres récents démontrent que 500 000 influenceurs contracteraient des partenariats publicitaires. On sait aussi que 4 % d'entre eux en vivraient très confortablement. Problème : il n'y a rien aujourd'hui pour réguler les relations entre influenceurs et agents, influenceurs et marques. Que faut-il attendre de la consultation que M. le minsitre a lancée ? Est-ce une consultation citoyenne qui sera réellement prise en compte ? Le Gouvernement a annoncé des mesures législatives, des mesures réglementaires, la création d'un statut d'influenceurs. M. le député a déposé une proposition de loi début novembre 2022 en menant de nombreuses auditions (influenceurs, agents d'influenceurs, juristes) encore en cours. Cette proposition de loi reprend déjà ce que le Gouvernement annonce : pourquoi ne pas la soutenir et la reprendre ? Dans cette attente et au-delà de la nécessité de légiférer à ce sujet, il est essentiel de doter la DGCCRF de moyens financiers et techniques pour agir. Elle doit pouvoir suivre ce marché en pleine croissance et être dotée d'outils de sanctions, qui pour certaines doivent être prises sans attendre. Le Gouvernement a annoncé la création de quatre groupes de travail dès ce mois de janvier 2023 : les parlementaires pourront-ils y participer ? Il lui demande à quelle date on peut espérer voir arriver une véritable législation alors que de nombreux influenceurs dangereux sévissent librement sur les réseaux sociaux.

Réponse en séance, et publiée le 18 janvier 2023

ENCADREMENT DU MARCHÉ DE L'INFLUENCE
Mme la présidente. La parole est à M. Aurélien Taché, pour exposer sa question, n°  135, relative à l'encadrement du marché de l'influence.

M. Aurélien Taché. « Je vais vous dire un truc qui est une dinguerie, je vous promets que c'est la vérité, c'est hallucinant. C'est quelque chose qui guérit les cellules cancérigeuses (sic). C'est-à-dire que si tu as des cellules cancérigeuses dans ton corps, ce produit-là les tue. » Voilà comment, au mois de novembre 2022, l'influenceur Dylan Thiry a fait la promotion, sur son compte Snapchat, d'un médicament miracle qui détruirait les cellules cancérigènes dans le corps, avant l'apparition de symptômes… Catastrophique, n'est-ce pas ?

Je suis interpellé depuis des mois, dans ma circonscription, sur l'ampleur des arnaques liées aux « influvoleurs » : un sujet qui fait écho à mon travail sur les abus publicitaires des paris sportifs en ligne. Dans les deux cas, les principales victimes sont des jeunes des quartiers populaires qui, pour beaucoup, sont dans des situations précaires. C'est ainsi que j'ai décidé de lancer un travail d'expertise sur le sujet et de me rapprocher des principaux lanceurs d'alerte et collectifs.

Le sujet des « influvoleurs » enflamme régulièrement les réseaux sociaux, notamment avec l'explosion des placements de produits frauduleux. Shampooings aux compositions douteuses, régimes dangereux pour la santé ou commandes qui n'arrivent jamais, dropshipping… Et même une arnaque au compte professionnel de formation (CPF), pour en faire un outil de fraude et de détournement de fonds publics. Ces cas sont désormais nombreux et largement relayés par des collectifs de victimes, juristes ou simples citoyens.

Les pouvoirs publics, et notamment le Gouvernement, ont tardé à réagir. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) n'est pas dotée des moyens financiers et techniques pour agir, et de très nombreuses escroqueries restent impunies, alors qu'il suffirait de le vouloir pour que des sanctions soient prises.

Afin de sécuriser davantage ces activités et surtout de protéger les consommateurs, j'ai déposé, au mois de novembre, une proposition de loi visant à poser un premier cadre légal à l'activité des influenceurs et à définir un nouveau régime de responsabilité applicable à ces derniers. En effet, pour pouvoir agir contre les pratiques frauduleuses, il faut commencer par combler un vide en définissant dans la loi ce qu'est un influenceur. Ensuite, un grand nombre d'influenceurs ne mentionnent pas le caractère publicitaire de leurs publications : il faut donc une obligation et des sanctions. Par ailleurs, il est aujourd'hui impossible de signaler une pratique frauduleuse ou contraire aux dispositions légales sur la publicité sur la plupart des plateformes ou réseaux sociaux. Ma proposition de loi pose l'obligation, pour les opérateurs de plateforme en ligne, de mettre en place un dispositif de signalement des contenus relevant des pratiques commerciales interdites, agressives et trompeuses.

Des textes législatifs encadrent déjà la pratique des partenariats commerciaux, et les professionnels du secteur, réunis au sein de l'Autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP), ont adopté de bonnes pratiques visant à clarifier les situations et permettant de définir les conditions à partir desquelles la collaboration doit être mentionnée et selon quelles modalités. Certains travaillent aussi sur des labels, comme la toute nouvelle certification Label Influence. Mais force est de constater que, dans la pratique, de nombreux contenus à caractère publicitaire n'indiquent pas l'existence du partenariat entre influenceurs et annonceurs, que le cadre légal est insuffisant et que l'autorégulation des acteurs ne saurait suffire.

Depuis le dépôt de ma proposition de loi, Bruno Le Maire a annoncé le lancement d'une consultation citoyenne, mais aussi des mesures législatives et réglementaires, ainsi que la création d'un statut d'influenceur. Par ailleurs, le député Stéphane Vojetta a annoncé déposer cette semaine une proposition de loi pour une meilleure régulation du secteur, et le Gouvernement envisagerait un examen du texte au mois de mars à l'Assemblée nationale.

Que faut-il attendre de la consultation citoyenne que vous avez lancée, et sera-t-elle réellement prise en compte ? Qu'attendez-vous pour sanctionner les arnaques qui peuvent déjà l'être à droit constant ? Pourquoi ne pas reprendre ma proposition de loi et retravailler ensemble à partir de ce cadre consensuel et concerté ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’industrie.

M. Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’industrie. Monsieur le député, permettez-moi de saluer votre travail sur le sujet, mais également le travail des députés Stéphane Vojetta et Arthur Delaporte, eux aussi extrêmement mobilisés sur le sujet.

Vous l'avez vu, le ministre Bruno Le Maire est pleinement mobilisé sur le sujet. Le secteur de l'influence et de la création de contenus – il faut le rappeler au préalable – est un formidable vecteur de créativité, d'inventivité et de richesse économique, qui prend une ampleur croissante avec la numérisation de nos sociétés. La majorité des personnes travaillant dans ce milieu respecte les règles. Il y a beaucoup plus de bons influenceurs et de bons créateurs de contenu que de mauvais.

Pour autant, ces dernières années, l'image du secteur a été ternie par certains agissements, qui peuvent aller jusqu'à mettre en danger la santé des consommateurs. Ces comportements doivent évidemment être combattus.

Dans une démarche assumée de coconstruction avec l'ensemble des parties prenantes – vous y serez associé ainsi que tous les parlementaires qui souhaitent y participer – et en tant que ministre de l'économie et de la consommation, Bruno Le Maire a décidé d'organiser à Bercy, le 9 décembre dernier, une grande table ronde autour de l'influence. Elle a rassemblé une trentaine d'acteurs de tous types, plateformes numériques, agences d'influence, annonceurs, universitaires, etc. Huit groupes de travail seront organisés, en janvier et février, pour poursuivre ce travail, qui exclut tout préjugé : ce secteur est riche ; il faut l'encadrer pour éviter les abus, sans le charger de contraintes démesurées.

Nous souhaitons aussi aider le secteur à trouver ses lettres de noblesse, en l'accompagnant dans la mise en place de ce que l'on appelle l'influence responsable. L'objectif est clair : protéger les consommateurs français, comme les influenceurs et créateurs de contenu. La France se doit, comme dans beaucoup de domaines, de donner l'exemple.

C'est dans ce même esprit de démocratie participative que Bruno Le Maire a lancé, jusqu'au 31 janvier, sur le site Make.org, une grande consultation publique sur douze mesures permettant de mieux encadrer les droits et obligations des influenceurs et créateurs de contenu. Elle rencontre déjà un énorme succès, avec plusieurs dizaines de milliers de réponses en quelques jours.

Ces mesures ne sont, à ce stade, qu'une ébauche de solutions, susceptibles d'évoluer en fonction des suggestions qui seront faites. Les mesures proposées sont d'ordre législatif, réglementaire, ou relèvent d'une valorisation de dispositifs existants. Vous le voyez, nous allons donc faire tout ce qu'il faut pour rendre ce secteur responsable.

Évidemment, pendant les travaux, les ventes continuent. Si des comportements délictueux sont constatés, ils doivent faire l'objet d'une enquête et, le cas échéant, être poursuivis. L'administration s'y attachera, preuve que nous ne négligeons pas ce sujet important.

Données clés

Auteur : M. Aurélien Taché

Type de question : Question orale

Rubrique : Publicité

Ministère interrogé : Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique

Ministère répondant : Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique

Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 10 janvier 2023

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