Régulation des grands cormorans en eaux libres
Question de :
M. Sacha Houlié
Vienne (2e circonscription) - Renaissance
M. Sacha Houlié interroge M. le secrétaire d'État auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé de la mer et de la biodiversité, sur la régulation des grands cormorans en eaux libres. L'arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection cite le grand cormoran (Phalacrocorax carbo sinensis) parmi les volatiles protégés. Néanmoins, l'article L. 411-2-4 du code de l'environnement prévoit des possibilités de dérogation, permettant la régulation de cette espèce dans certains départements. Ainsi, l'arrêté du 19 septembre 2022 fixant les plafonds départementaux dans les limites desquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant les grands cormorans pour la période 2022-2025. Ce plafond est fixé à 990 dans le département de la Vienne, soit 330 par an mais limité aux seules piscicultures. Autrement dit, aucune régulation ne peut être faite de ce volatile ne peut être fait dans les eaux libres. Il est certain qu'aux termes de son ordonnance n° 468608 du 10 novembre 2022, le Conseil d'État, saisi en référé par la Fédération nationale de la pêche en France a considéré qu'il était nécessaire que « ces prélèvements soi(en)t justifié(s) au regard des critères fixés à l'article L. 411-2 du code de l'environnement de dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées posée par le 1° de l'article L. 411-1 du même code » et qu'à la date de son appréciation - c'est-à-dire avant même le début de la campagne de régulation - il ne ressortait « pas des pièces du dossier, ainsi que des éléments recueillis à l'audience, que la prédation des grands cormorans sur les plans et cours d'eau libres porte sur des espèces aquatiques protégées ou menacées une atteinte telle qu'elle imposait, à la date de l'arrêté litigieux, une telle dérogation ». Toutefois, les multiples éléments recueillis depuis et présentés par les pêcheurs lors des différents assemblées générales des fédération départementales de la pêche font état des destructions massives causés, dans le milieu naturel, par l'absence totale de régulation d'un oiseau qui ne connaît à ce jour aucun prédateur et dont la prolifération est autant une évidence que l'impact des dégâts qu'il cause aux espèces aquatiques qu'elles soient protégées ou menacées ou non et confirment les craintes initiales des pêcheurs. Dans ces circonstances, il appelle le Gouvernement à tirer les conséquences des constatations matérielles réalisées par les pêcheurs et l'interpelle sur les mesures qu'il compte adopter, dans les meilleurs délais, pour réguler la population des grands cormorans dans les eaux libres, assurer la protection des espèces aquatiques et de la faune sauvage et préserver l'équilibre fragile des milieux naturels que le défaut d'intervention perturbe manifestement.
Réponse publiée le 4 juin 2024
Le grand cormoran est une espèce autochtone protégée au niveau national. Il bénéficie également au niveau européen du régime général de la protection de toutes les espèces d'oiseaux (directive oiseau). Son régime alimentaire est piscivore. La population de la sous-espèce Phalacrocorax carbo sinensis s'était significativement réduite jusque dans les années 1970. Depuis lors, le nombre moyen de grands cormorans a augmenté jusqu'à atteindre un niveau relativement stable depuis 2013 et oscillant autour de 100 000 individus présents. Afin de contrôler l'impact que le grand cormoran occasionne sur les piscicultures et, le cas échéant, les poissons sauvages, un système dérogatoire à la protection stricte permet de mener des opérations de régulation dans des conditions fixées par l'arrêté ministériel cadre du 26 novembre 2010. Un arrêté pris tous les trois ans fixe les plafonds départementaux dans les limites desquelles les dérogations peuvent être accordées. L'arrêté couvrant la période 2022/2025, a été publié le 1er octobre 2022. Il est lui-même décliné en arrêtés départementaux annuels ou triennaux définissant les personnes habilitées, les périodes et les zones de tir autorisées. L'élaboration de l'arrêté triennal 2022-2025 est intervenue dans le contexte particulier d'annulation d'arrêtés préfectoraux relatifs aux dérogations sur les cours d'eau et plans d'eau, suite à plusieurs requêtes déposées ces dernières années. Plus d'une quinzaine d'arrêtés ont été annulés et plusieurs contentieux sont en attente de jugement. Les décisions des tribunaux administratifs font état de motivations insuffisantes des arrêtés car ils ne démontrent, ni la présence dans les cours d'eau d'espèces de poissons menacées, ni l'impact du grand cormoran sur les espèces protégées, ni la mise en œuvre de solutions alternatives. Dès lors, les conditions de dérogation ne sont pas remplies. En conséquence, lors des travaux préparatoires à l'élaboration de l'arrêté, des réflexions ont été engagées avec l'ensemble des partenaires concernés par le grand cormoran (représentants des pisciculteurs et pêcheurs, associations de protection de la nature, experts, administration) afin de permettre la sécurisation des actes juridiques et d'éviter que les futurs arrêtés préfectoraux ne soient à nouveau annulés. Au terme de la période de consultation, il a été décidé de ne pas établir dans l'arrêté 2022/2025 de plafonds pour les cours d'eau et plans d'eau et de n'y rendre aucune dérogation possible. En effet, en l'état, les éléments disponibles ne permettaient pas de démontrer l'impact du grand cormoran sur les espèces piscicoles menacées et de remplir les conditions de dérogation. L'arrêté du 19 septembre 2022 permet donc que les dérogations soient accordées pour protéger les seules piscicultures, dans 58 départements, avec un plafond annuel de 27 892 individus autorisés à la régulation. Les craintes des pêcheurs et de leurs fédérations de ne plus bénéficier de dérogations, notamment lorsque certaines rivières présentent des enjeux particuliers en raison de la présence de certaines espèces piscicoles patrimoniales et sensibles, ont été signalées. Un protocole-cadre national a été discuté avec la Fédération nationale de la pêche en France (FNPF) et quatre départements pilotes ont été retenus pour le mettre en œuvre, l'objectif étant de documenter les impacts du cormorans sur les espèces piscicoles sensibles. Les premiers résultats de ces études sont en train d'être réceptionnés et des évolutions réglementaires sont à l'étude. Enfin, au regard des menaces qui pèsent sur les milieux aquatiques, une vigilance est nécessaire pour que soit mis en œuvre l'ensemble des moyens permettant de restaurer et maintenir leur équilibre. En effet, au-delà de la prédation exercée par le grand cormoran sur les espèces piscicoles, d'autres enjeux importants, tels que la continuité écologique, la lutte contre les pollutions et les espèces exotiques envahissantes, doivent faire l'objet d'une attention particulière.
Auteur : M. Sacha Houlié
Type de question : Question écrite
Rubrique : Biodiversité
Ministère interrogé : Mer et biodiversité
Ministère répondant : Mer et biodiversité
Dates :
Question publiée le 26 mars 2024
Réponse publiée le 4 juin 2024