16ème législature

Question N° 17368
de M. Charles Fournier (Écologiste - NUPES - Indre-et-Loire )
Question écrite
Ministère interrogé > Entreprises, tourisme et consommation
Ministère attributaire > Entreprises, tourisme et consommation

Rubrique > propriété intellectuelle

Titre > Droit concernant les Indications géographiques

Question publiée au JO le : 23/04/2024 page : 3131

Texte de la question

M. Charles Fournier attire l'attention de Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée des entreprises, du tourisme et de la consommation, sur l'application de la loi opérée par l'Institut national de la propriété industrielle (INPI) concernant les indications géographiques (IG), en particulier des produits industriels et artisanaux (IG PIA), qui protègent la dénomination du produit et garantissent sa qualité particulière liée à son origine géographique. M. le député fonde son interpellation sur l'exemple du Morta, matériau unique et emblématique de la région des Pays de la Loire et exploité par les entreprises artisanales locales depuis des siècles. Le Morta est le chêne en cours de fossilisation, vieux de 5 000 ans, qui est extrait artisanalement dans les marais de Brière, en Loire-Atlantique. Le nom local « morta », issu du patois briéron, est de plus en plus utilisé pour désigner des matériaux similaires, mais non originaires de Brière. Il y a deux ans, les acteurs du Morta rassemblés au sein de l'Association ABAM (Association briéronne des artisans du Morta), ont donc été invités par l'INPI à déposer une demande d'IG pour le Morta. L'outil juridique qu'est l'IG répondrait en effet au besoin légitime de protéger l'activité artisanale des acteurs du Morta. Néanmoins, dans sa décision n° 2015-55 du 3 juin 2015, l'INPI a refusé de protéger l'appellation « Morta » au motif qu'il est impossible qu'un nom seul soit déposé comme IG, demandant d'y ajouter le nom géographique. Par cette décision, le Morta originaire de Brière perd dès lors toute sa spécificité et par conséquent tout l'intérêt donné aux IG. M. le député joint sa voix à celle de l'ABAM et de la Fédération française des indications géographiques industrielles et artisanales (FFIGIA) pour soutenir que cette décision et notamment son article 3, résultant d'une interprétation interne de l'INPI, a été conçue de façon unilatérale, sans égards pour sa traduction pratique et va à l'encontre de la doctrine des IG qui permet à des noms, même seuls, d'être protégés lorsqu'ils sont bien ancrés dans leurs territoires, comme le sont le Reblochon, la Feta ou le Vinho verde. L'ensemble de la doctrine s'est toujours accordée sur le fait qu'il existe en pratique 3 types de noms ou dénominations qui peuvent constituer une indication géographique : les dénominations composées du nom du type de produit et d'un nom géographique (comme textile de X ou jambon de Y), appelées dénominations « semi-génériques » ; les noms géographiques en tant que tels (Champagne, Bordeaux, Agenais) ; les noms qui ne sont pas des noms géographiques en tant que tels mais qui se réfèrent à un lieu ou qui ont une signification géographique (Reblochon, Feta, Vinho verde ou Argane) et qui remplissent les règles inhérentes aux IG. Ils sont qualifiés de noms « à connotation géographique ». Dans le cadre juridique national français des IG PIA2, le code de la propriété intellectuelle, dans son article L. 721-2, dispose : « Une indication géographique constitue le nom d'une aire géographique ou d'un lieu déterminé utilisé pour désigner un produit, autre qu'agricole, forestier, alimentaire ou marin, qui en est originaire et qui possède une qualité spécifique, une réputation ou d'autres caractéristiques qui peuvent être attribué essentiellement à cette origine géographique ». Cette définition donnée par la loi française n'est aucunement restrictive et autorise bien les trois types de dénominations IG précédemment citées. Par ailleurs, l'article 5 du futur règlement de l'UE relatif aux IG industrielles et artisanales ne prévoit aucune limitation du type de celle établie par l'INPI, car une telle limitation n'existe pas pour les produits agricoles. Le Reblochon, la Feta ou le Vinho verde sont certes des IG agricoles et agro-alimentaires, distinctes des IG protégeant les produits industriels et artisanaux, mais la définition de l'IG donnée à l'article 22 des accords OMC-ADPIC ne fait et n'a jamais fait aucune différence de traitement selon que le produit éligible à une IG est d'origine agricole ou artisanale. Concernant les critères de qualification d'IG, les interprétations issues de l'expérience de qualification des IG agricoles et agro-alimentaires doivent être appliquées pour les IG industrielles et artisanales, car il n'existe aucune raison de les distinguer sur ce point. M. le député souligne d'ailleurs que l'objectif poursuivi par la loi « Hamon » en 2013 et rappelé par le directeur de l'INPI à maintes reprises visait à étendre stricto sensu le dispositif des IG agricoles aux produits industriels et artisanaux. L'UE et l'Office de l'Union européenne pour la propriété intellectuelle se rangent également à cet avis, puisqu'il a été confirmé à M. le député que, dans le cadre du règlement relatif aux IG industrielles et artisanales, leur approche de l'éligibilité des noms tiendra compte de la pratique en matière agricole. Alors que l'article 3 de la décision de l'INPI était en étude de modification voire d'abrogation dans les services juridiques de l'INPI, la direction de l'INPI a décidé que l'abrogation n'aurait lieu que dans deux ans, c'est-à-dire à la toute fin du processus législatif de transposition du règlement européen précédemment évoqué. Cet immobilisme condamne les acteurs du Morta à subir d'ici là un préjudice injustifié, qu'ils évaluent à 3 millions d'euros par an. Les IG industrielles et artisanales existent depuis bientôt 10 ans, leur développement est lent et complexe en raison notamment de l'insécurité juridique des usagers maintes fois signalée comme celle illustrée par l'exemple du Morta. M. le député attire l'attention de Mme la ministre sur le fait que le cas exposé ici, qui concerne une filière en particulier, souligne plus largement le besoin d'abroger ou modifier l'article 3 de la décision de 2015 de l'INPI, qui semble contraire aux obligations internationales en matière d'IG et abusivement limitatif, empêchant ainsi certaines dénominations d'être déposées comme IG, donc d'être protégées correctement et de participer au rayonnement des savoir-faire locaux et nationaux. Il souhaite connaître sa position sur le sujet.

Texte de la réponse