Rubrique > numérique
Titre > Projet d'euro digital et souveraineté européenne
M. Arnaud Le Gall interroge Mme la ministre de l'Europe et des affaires étrangères sur le projet d'euro digital et la souveraineté européenne. En juillet 2021, la phase d'étude du projet d'euro numérique a été lancée par la Banque centrale européenne. Cette phase préliminaire avait notamment pour objectif de déterminer une stratégie de création et d'implémentation de l'e-€. Un pan entier de ce premier volet était consacré à la détermination des partenaires financiers et différentes offres de services. Le 16 septembre 2022, la BCE a communiqué sa feuille de route concernant la phase de tests de l'euro numérique. Cinq partenaires ont été désignés pour tester l'intégration de la technologie de l'e-€ au sein de prototypes développés par des entreprises. La Caixa Bank (Espagne), Worldline, spécialiste française du paiement, l'italienne Nexi et le consortium bancaire public EPI ont été annoncés comme parties prenantes de cette phase test. Finalement, l'entreprise américaine Amazon a été chargée par la BCE des paiements de commerce électronique dans le cadre de la fourniture de services frontaux. Cette phase, telle qu'annoncée par la BCE, pourrait prendre jusqu'à trois ans. Cette décision semble difficile à comprendre alors que l'Union européenne a annoncé depuis plusieurs années sa volonté de s'impliquer dans la régulation des géants du numérique non européens, avec pour objectif d'aboutir à une souveraineté numérique européenne. La France, sous le premier quinquennat Macron, s'était d'ailleurs saisie de la question en proposant Thierry Breton au poste de commissaire au marché intérieur en charge notamment de la mise en place d'un marché numérique et technologique « uni et souverain ». Plus récemment, durant la présidence française de l'Union européenne, une conférence nommée « Construire la souveraineté numérique de l'Europe » était organisée, dont le premier pilier reposait sur une Union européenne « puissance protectrice », au service de la sécurité de ses citoyens et dont la stratégie industrielle de données serait conçue pour résister à l'implantation d'acteurs extraterritoriaux monopolistiques. C'est donc un double-discours qui semble s'installer sur l'idée d'une souveraineté numérique européenne. D'un côté, on explique se saisir de la question des GAFAM et vouloir affirmer l'UE comme une puissance numérique forte et souveraine. De l'autre côté, on inclut Amazon, acteur privé, de nature commerciale et étasunien dans le cadre d'une phase test concernant l'opérationnalisation d'une monnaie numérique européenne. À terme, ce pourrait être les données bancaires de millions de consommateurs qui seraient gérées directement par une multinationale pouvant à tout moment jouer le rôle de bras armé des États-Unis d'Amérique. Occulter les risques soulevés par ce choix relève d'un mélange de naïveté et de complicité avec des intérêts incompatibles avec l'ambition affichée d'une « autonomie stratégique européenne ». L'émergence d'acteurs monétaires numériques étatiques est un enjeu géopolitique dépassant les seuls enjeux financiers et commerciaux. Comment justifier, dès lors, la volonté européenne de confier un pan essentiel du projet de monnaie numérique à une multinationale étasunienne ? Quelle est la position de la France sur ce projet ? Entend-elle contribuer à rompre avec une conception strictement monétaire de la monnaie, à l'heure où les grandes puissances l'utilisent aussi comme une arme géopolitique ? Enfin, il lui demande si elle compte, le cas échéant, utiliser les leviers à sa disposition pour empêcher un tel déni de souveraineté.