Stratégie française sur les néonicotinoïdes
Question de :
Mme Hélène Laporte
Lot-et-Garonne (2e circonscription) - Rassemblement National
Mme Hélène Laporte interroge M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur la stratégie qu'il compte suivre pour maintenir la pérennité de la filière betteravière française en l'absence d'alternatives satisfaisantes pour protéger les cultures. Le Lot-et-Garonne est l'un des premiers départements producteurs de semences de betteraves. Dans un contexte de menace de jaunisse de la betterave, ces semences pouvaient jusqu'ici être enrobées d'insecticides de la famille des néonicotinoïdes, bénéficiant d'une dérogation qui devait être valide jusqu'en juillet 2023. Avec la décision de la CJUE du 19 janvier 2023 supprimant toute dérogation à l'utilisation de clothianidine et thiaméthoxame dans les cultures à l'air libre et le règlement de la Commission européenne du 2 février 2023 qui abaisse la teneur maximale en résidus de ces deux substances au-delà laquelle les produits agroalimentaires ne sont pas autorisés sur le marché européen, la filière française se trouve brusquement sans solution pour protéger ses cultures alors que la période des ensemencements arrive. Le ministère de l'agriculture a annoncé des aides spécifiques pour aider les cultivateurs de betterave pour le cas où la jaunisse détruirait leur production. Si ces aides sont les bienvenues, elles ne sauraient représenter une solution pérenne pour la filière dans la mesure où on ne dispose pas à ce jour d'alternative viable aux néonicotinoïdes pour protéger efficacement les plants de betterave des pucerons. Mme la députée souhaite donc interroger M. le ministre sur plusieurs points : peut-on se permettre de maintenir une législation nationale parmi les plus restrictives au monde en matière de néonicotinoïdes ? Quelle action mène-t-il auprès des institutions européennes pour faire constater le faible impact environnemental de la pratique de l'enrobage des semences comparativement à la pulvérisation ? Enfin et parallèlement aux planteurs de betteraves, elle lui demande quel dispositif il prévoit pour l'amont (producteurs de semences) et l'aval (industrie sucrière) de la filière.
Réponse en séance, et publiée le 1er mars 2023
NÉONICOTINOÏDES ET FILIÈRE BETTERAVIÈRE
Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Laporte, pour exposer sa question, n° 190, relative aux néonicotinoïdes et à la filière betteravière.
Mme Hélène Laporte. Le 23 janvier dernier, après la décision de la Cour de justice de l'Union européenne interdisant, sans dérogation possible, tout usage des néonicotinoïdes prohibés par les règlements européens, vous annonciez vous conformer à cette sentence et ne demander aucune dérogation supplémentaire pour la commercialisation de semences de betteraves enrobées de néonicotinoïdes (NNI).
En l'absence d'alternatives à l'emploi de ces substances immédiatement disponibles, cette décision a provoqué la colère des betteraviers, qui redoutent particulièrement la menace de la jaunisse du puceron. Ils ont d'ailleurs fait entendre leur colère le 8 février dernier à Paris, vous amenant à envisager par avance leur indemnisation si les cultures venaient à être décimées par cette infection.
Deux cadres juridiques se superposent.
D'une part, le cadre européen, avec trois règlements d'exécution du 29 mai 2018, et un quatrième du 13 janvier 2020, interdit quatre néonicotinoïdes – avec une exception pour les cultures sous serre. À l'exception de celles-ci, aucune substance n'est interdite. Ainsi, l'acétamipride, un autre néonicotinoïde, demeure autorisé jusqu'en 2033.
D'autre part, le cadre légal français – la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages – interdit l'ensemble des insecticides de la famille des NNI. Pourtant, une dérogation était prévue par la loi du 14 décembre 2020 relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières. Elle permet de semer des graines de betteraves enrobées de néonicotinoïdes pour tenir compte du risque spécifique affectant cette culture. Du fait du cadre européen, cette dérogation est inutilisable, et cela aboutit à une interdiction complète des NNI en France.
Dans ce contexte, je vous demande de nous éclairer sur plusieurs points.
Pouvons-nous nous permettre d'imposer à nos agriculteurs la législation la plus restrictive au monde en matière de NNI et, ainsi, par jusqu'au-boutisme écologique, nous placer dans une situation de concurrence déloyale par rapport à nos voisins, pour lesquels les restrictions ne vont pas au-delà du cadre européen ? Envisagez-vous une autorisation légale de l'acétamipride, produit admis sur le marché européen ? Qu'en est-il des cultures sous serre permanentes ?
Alors que les dérogations françaises en faveur de l'enrobage des semences de betterave se fondaient sur le faible impact environnemental de la pratique – les betteraves sucrières ne fleurissent pas, les doses de NNI sont minimes et des précautions sont prévues quant à l'usage des sols les années suivantes –, allez-vous défendre auprès de vos homologues européens et de la Commission la compatibilité de la législation française actuelle avec la protection des insectes pollinisateurs ?
Enfin, l'indemnisation des producteurs de betterave sucrière en cas de pertes dues à la jaunisse ne résout malheureusement pas tout. En l'absence d'outils satisfaisants pour protéger ses plans, toute la filière française du sucre de betterave se retrouve fragilisée. Que prévoyez-vous pour les producteurs de semences, très présents dans mon département du Lot-et-Garonne, et pour l'industrie sucrière française, la plus importante en Europe ? Nos agriculteurs, betteraviers et industriels du sucre attendent avec beaucoup d'intérêt d'en savoir plus sur votre stratégie.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des personnes handicapées.
Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée des personnes handicapées. J'ai répondu à une première question sur ce sujet et vais vous apporter d'autres précisions. La décision de la Cour de justice de l'Union européenne s'applique à tous les États membres. Ce ne sont donc pas les choix stratégiques de la France qui sont en cause. Cela illustre au contraire que nous avons eu raison, en 2020, d'initier le processus de transition pour sortir des néonicotinoïdes en 2024.
Le premier enjeu est donc bien de s'assurer que tous les États membres de l'Union européenne appliquent la décision de manière uniforme. La France va également demander à la Commission européenne de vérifier que les semences de betterave éventuellement importées en 2023 ne contiennent pas de néonicotinoïdes – nous avons déclenché une clause de sauvegarde en ce sens. C'est essentiel pour protéger nos producteurs de la concurrence déloyale.
Vous m'interrogez également sur les traitements à base de NNI ou assimilés non interdits au niveau européen. Mais il s'agit de traitements foliaires, et non de traitements pour les semences, les deux substances utilisées en enrobage étant interdites au niveau européen, sans possibilité de dérogation. Il n'est donc ni souhaitable sur le fond, ni réaliste au vu du calendrier – les semis ont commencé et se termineront d'ici trois à quatre semaines – de revenir sur la loi du 8 août 2016 précitée.
Il faut donc tenir un langage de vérité aux producteurs, ne pas entretenir de perspectives qui seront contredites par les faits, et être immédiatement dans l'action afin de soutenir la filière et de gérer la campagne 2023. C'est ce que nous faisons : nous mobiliserons des produits phytosanitaires alternatifs autorisés en traitement foliaire en 2023 ; les agriculteurs pourront demander des dérogations d'urgence pour renforcer leur utilisation en cours de campagne. Celles-ci pourront être accordées en 2023 au regard de la situation. En outre, toutes les solutions immédiatement disponibles issues des projets de recherche du plan national de recherche et d'innovation (PNRI) pourront être utilisées. Enfin, nous allons prolonger l'outil de suivi et de prévision du risque de jaunisse jusqu'à l'été 2023, en travaillant également sur la gestion des réservoirs viraux afin de proposer un plan d'action pour la gestion de ces réservoirs d'ici au début mars.
Auteur : Mme Hélène Laporte
Type de question : Question orale
Rubrique : Agriculture
Ministère interrogé : Agriculture et souveraineté alimentaire
Ministère répondant : Agriculture et souveraineté alimentaire
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 21 février 2023