Éducation des jeunes sourds, langue des signes et implants cochléaires
Question de :
M. Didier Le Gac
Finistère (3e circonscription) - Renaissance
M. Didier Le Gac attire l'attention de Mme la ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l'autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées, sur l'éducation des jeunes sourds. Alerté par l'Association des sourds du Finistère sur les conséquences parfois douloureuses de l'implant cochléaire des enfants sourds (un tiers des personnes implantées ne trouve pas d'amélioration significative, voire endure de réelles souffrances à la suite de cette opération de chirurgie cérébrale), il rappelle qu'avoir le choix de sa communication et connaître dès le plus jeune âge la langue des signes est essentiel pour l'enfant sourd. Il en va de son apprentissage et de son éducation. Aujourd'hui, plus d'un tiers d'adultes sourds n'ont pas accès à l'emploi du fait de l'échec scolaire massif et de potentialités inexploitées. Le choix du mode de communication est pourtant un droit pour les jeunes sourds. Dans l'éducation et le parcours scolaire des jeunes sourds ou malentendants, l'article L. 112-3 du code de l'éducation pose en effet le principe de la liberté de choix entre, d'une part une communication bilingue (langue des signes française (LSF) et langue française écrite), d'autre part une communication en langue française écrite et orale (avec ou sans appui de la LSF ou du code de la LfPC). Le choix linguistique de l'élève et de sa famille fait donc bien partie du projet de vie de l'élève ; il figure dans son PPS (projet personnalisé de scolarisation). Que l'élève soit appareillé ou non, la LSF et la LfPC peuvent contribuer à une meilleure maîtrise du français écrit ou oral. La réponse ministérielle publiée le 24 juillet 2018 à la question n° 6393 rappelait que, s'agissant des enfants sourds, des précisions « sur les parcours de soins » pourraient « apporter des éclairages sur les bénéfices respectifs ou conjoints, de l'implantation pour la communication orale d'une part et de l'apprentissage de la langue des signes d'autre part ». M. le député souhaite connaître les suites accordées à ces études. Il souhaite également connaître les préconisations de la Mme la ministre s'agissant du déploiement sur le terrain des pôles d'enseignement des jeunes sourds (PEJS). Les PEJS regroupent dans un secteur géographique donné des ressources nécessaires à l'accompagnement des élèves sourds ou malentendants de la maternelle au lycée, quel que soit leur projet linguistique. Pour le parcours bilingue, la LSF est la langue première des élèves : elle est la langue d'enseignement mais aussi une langue enseignée. Le parcours bilingue permet à l'élève sourd de suivre les enseignements en LSF et d'apprendre le français progressivement, essentiellement via l'écrit et grâce à la LSF. Tout au long de sa scolarisation, l'élève approfondit sa maîtrise de la LSF tout en intégrant progressivement des éléments de la culture sourde. Pour l'enfant sourd, l'objectif du bilinguisme « sourd » est bien de permettre une inclusion sociale réussie, une maîtrise de la langue française et de sa culture, une prise d'autonomie. Concrètement, l'accès à ces PEJS reste toutefois compliqué et beaucoup de familles - faute d'un maillage suffisant en PEJS - sont contraintes de déménager en direction des secteurs dotés en PEJS. Enfin, M. le député interroge Mme la ministre sur la reconnaissance officielle de la langue des signes française (LSF) dans la Constitution de la République française. Si la loi reconnaît à la LSF un statut de langue de la République au même titre que le français, la langue des signes française n'est pas officiellement reconnue comme langue officielle de l'État français. L'inscription de la langue des signes française dans la Constitution correspond pourtant à une recommandation de l'Union européenne (resolution on sign languages B4-0985/98 ; résolution du Parlement européen du 23 novembre 2016 sur les langues des signes et les interprètes professionnels en langue des signes (2016/2952(RSP)) et de l'ONU : convention relative aux droits des personnes handicapées de l'ONU, ratifiée et signée par la France. Il la remercie de lui répondre sur ces différents points.
Réponse publiée le 24 janvier 2023
L'éducation des jeunes sourds est un sujet qui a toute l'attention du Gouvernement. Cette éducation repose en effet, notamment, sur un principe de liberté de choix du mode de communication et d'accompagnement. Le recours à l'implant a fait l'objet au cours de la dernière décennie de recommandations visant à préciser les indications et les mesures d'accompagnement adaptées. Ainsi, en 2012 la Haute autorité de santé (HAS) précisait le champ d'indication de l'implant cochléaire ou du tronc cérébral aux seules surdités neurosensorielles sévères à profondes. Toute implantation est conditionnée à un essai prothétique dont les résultats permettent de confirmer ou non la décision, également par la motivation de l'entourage de l'enfant, ou pour l'appétence de ce dernier pour la communication orale passé l'âge de 5 ans. En 2018, la Société française d'oto-rhino-laryngologie et de chirurgie de la face et du cou (SFORL) a porté par ailleurs des recommandations pour la pratique clinique, visant à conforter la bonne information des parents, à les amener à réfléchir sur leurs attentes dans un dialogue avec une équipe pluridisciplinaire, à proposer à tous une technique chirurgicale préservant au mieux les structures encore fonctionnelles de l'oreille externe, moyenne et interne et à ne pas se limiter aux évaluations audiométriques mais également à évaluer la qualité de vie avant et après implantation. Le recours à l'implant n'est donc jamais une obligation, et à l'école, l'article L. 112-3 du code de l'éducation pose le principe que « dans l'éducation et le parcours scolaire des jeunes sourds, la liberté de choix entre une communication bilingue, langue des signes et langue française et une communication en langue française est de droit ». Après information éclairée au jeune sourd et, le cas échéant, à ses représentants légaux, la maison départementale des personnes handicapées inscrit le mode de communication adopté par le jeune sourd dans son projet de vie. Ce choix est également inscrit dans le projet personnalisé de scolarisation. Il doit pouvoir être confirmé, précisé ou modifié. Il s'impose au système éducatif qui doit s'adapter aux besoins particuliers de ces jeunes. Le conseil scientifique de l'éducation nationale a publié en juin 2021 un rapport sur la scolarisation des élèves sourds en France. Il fait le constat qu'« aujourd'hui aucune étude ne permet de conclure qu'un mode de communication est plus performant que l'autre pour tous les jeunes sourds ; des réussites scolaires sont observées chez des élèves sourds porteurs d'aides auditives ou implantés, exposés à une approche bimodale (auditive et visuelle) de type soit monolingue (Français parlé accompagné de la LfPC), soit bilingue (Français parlé et langue des signes française-LSF), à partir du moment où l'enfant bénéficie de ces aides précocement, de façon régulière et intensive. La littérature scientifique internationale nous incite toutefois à nous pencher sur les avantages d'un programme d'enseignement bilingue bimodal avec pour langues, le français parlé avec LfPC et la LSF. La mise en pratique précoce de ce programme devrait donner aux enfants sourds les moyens d'une inclusion scolaire et sociale réussie. L'une des recommandations du rapport porte sur l'augmentation du nombre de PEJS (pôle d'enseignement des jeunes sourds) « complets » de la maternelle au lycée sur l'ensemble du territoire français avec les deux parcours (monolingue : langue française accompagnée de la LfPC et bilingue : langue française accompagnée de la LfPC et langue des signes française). Les services du ministère de l'éducation confortent actuellement le maillage des pôles d'enseignement des jeunes sourds, en sollicitant parfois des enseignants spécialisés des établissements médico-sociaux titulaires du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement des jeunes sourds (CAPEJS). Enfin, la France dispose d'un patrimoine linguistique d'une grande richesse. À côté du français, langue nationale, dont le caractère officiel est inscrit depuis 1992 dans la Constitution, les langues de France participent de l'identité culturelle et contribuent à la créativité de notre pays et à son rayonnement culturel. La délégation générale à la langue française et aux langues de France définit ces dernières comme étant les langues régionales, ou minoritaires, ou sans lien avec une aire géographique particulière, parlées par des citoyens français sur le territoire de la République depuis assez longtemps pour faire partie du patrimoine culturel national et qui ne sont langue officielle d'aucun État. Chacun sait maintenant que la LSF est une langue à part entière, avec le même degré de complexité et les mêmes performances qu'une langue orale. Depuis 1991 et sa reconnaissance officielle comme langue d'enseignement, la place de la langue des signes française s'est progressivement développée dans l'éducation des enfants sourds. La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a traduit cette évolution et a conduit à mettre en place de nombreuses actions dans le domaine de l'enseignement : l'élaboration de programmes de LSF, la création du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement du second degré en LSF, la mise en place d'une option au baccalauréat, la refonte du certificat d'aptitude professionnelle aux pratiques de l'éducation inclusive et du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement des jeunes sourds. L'obligation de respecter le projet linguistique du jeune sourd est inscrite dans les règles de scolarisation du jeune sourd, quel que soit son mode de scolarisation. L'enseignement de la LSF ainsi organisé permet de conforter sa position de langue de France, qui se traduit également aussi bien par les solutions d'accessibilité téléphonique, par les engagements pris en matière de traduction d'émissions télévisées nationales, par l'organisation d'accueil en LSF dans les établissements de santé ou encore par les travaux linguistiques universitaires sur la LSF. Dans ces conditions, la LSF est bien une langue de France à part entière.
Auteur : M. Didier Le Gac
Type de question : Question écrite
Rubrique : Personnes handicapées
Ministère interrogé : Personnes handicapées
Ministère répondant : Personnes handicapées
Dates :
Question publiée le 11 octobre 2022
Réponse publiée le 24 janvier 2023