16ème législature

Question N° 212
de Mme Estelle Youssouffa (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires - Mayotte )
Question orale sans débat
Ministère interrogé > Outre-mer
Ministère attributaire > Outre-mer

Rubrique > outre-mer

Titre > Gestion de l'eau à Mayotte

Question publiée au JO le : 28/02/2023
Réponse publiée au JO le : 08/03/2023 page : 2216

Texte de la question

Mme Estelle Youssouffa alerte M. le ministre délégué auprès du ministre de l'intérieur et des outre-mer, chargé des outre-mer, sur la gestion de l'eau à Mayotte. Depuis la crise de l'eau en fin d'année 2016 et début d'année 2017, due au retard de la saison des pluies et l'absence d'investissements d'envergure pour le stockage et la production en eau sur le territoire couplé à un réseau vieillissant et sous-dimensionné, les foyers mahorais sont privés d'eau régulièrement. Les coupures d'eau sont dorénavant institutionnalisées sur le territoire, tantôt appelées pudiquement coupures techniques tantôt appelées tours d'eau, sans compter les coupures intempestives pour casse ou manque de niveau suffisant dans les réservoirs. Actuellement, les Mahoraises et Mahorais subissent l'injustice avec deux coupures d'eau par semaine sur le département de 17h à 7h du matin. Cette situation aurait-elle été tolérée sur le territoire hexagonal ? Six années se sont écoulées depuis la mise en œuvre du plan d'urgence « Eau Mayotte » en 2017 censé répondre à la crise, mais surtout apporter des solutions pérennes pour éviter d'autres situations de pénurie à l'avenir. Ce plan annonçait un certain nombre d'actions comme la rehausse d'un mètre du déversoir de la retenue de Combani avec un gain de 250 000 m3 de stockage d'eau brute en plus qui devait être livrée en douze mois mais qui finalement a été réceptionnée quatre ans plus tard en mars 2021. Ces 250 000 m3 correspondent à sept jours de consommation. Soit une attente de quatre ans pour sept jours de consommation ! Que dire des deniers publics jetés par la fenêtre, investis dans l'extension de l'usine de dessalement de Petite-Terre, marché attribué à la filiale de Vinci, la Mahoraise des eaux, qui est la société de production et distribution d'eau potable à Mayotte. Cette extension estimée à 7,5M d'euros et livrée en 2018 devait fournir 4 800 m3 par jour et permettre à l'usine de produire au total 5 300 m3 par jour. Or depuis sa livraison, pour un défaut de calibrage de la zone de pompage en mer (eau trop turbide), elle n'a jamais fourni la production escomptée. Aujourd'hui l'usine de dessalement fournit péniblement 2 000 m3 par jour. En 2022, l'État investit en plus 4,1M d'euros dans des travaux d'amélioration de l'usine de dessalement, conduit par la Mahoraise des eaux qui revoit à la baisse la production attendue à 4 700 m3 par jour par rapport à la prévision de départ de 5 300 m3 par jour. Mais surtout, il est annoncé 3 700 m3 par jour en fin d'année 2023 pour la réception du chantier : le bilan est très éloigné des attentes et pour combien de millions d'euros dépensés au total ! D'autres actions ne sont toujours pas mises en œuvre, notamment la sixième campagne de prospection de forage annoncée dans ce plan et qui ne sera mise en route que sur la période 2024-2026. Ce plan fut un échec lourd de conséquences avec la situation catastrophique dans laquelle se trouve le territoire aujourd'hui. Le renvoi permanent du Gouvernement à la signature du tout nouveau contrat de progrès 2022-2026 entre l'État et les Eaux de Mayotte, syndicat unique de l'eau et de l'assainissement, qui dispose de la compétence eau et les 416 millions d'euros prévus dans ce contrat pour répondre aux besoins en eau et assainissement, n'est pas audible. Le sujet de l'eau est vital et urgent pour Mayotte. Il n'y a toujours pas d'eau au robinet et cette situation n'a que trop duré ! Les citoyens français du 101e département ne peuvent se satisfaire de cette réponse. En effet, l'État a contractualisé le premier contrat de progrès avec le syndicat en 2018 alors que celui-ci était en difficultés notoires (voir rapport de la Cour des comptes) et que tout changement supposait une restructuration en profondeur et un accompagnement avec l'ingénierie des services de l'État, qui a bien eu lieu. Ce fut également un échec puisqu'en 2020 le territoire a connu sa deuxième crise de l'eau avec le recours aux tours d'eau. Aujourd'hui encore le même schéma est reproduit avec ce nouveau contrat de progrès qui ramène les investissements vitaux pour le territoire à 2026 pour la deuxième usine de dessalement et quid des investissements pour la troisième retenue collinaire aux vues des blocages et des retards pris sur la question du foncier. Le contrat de progrès vise à définir la bonne trajectoire de développement du syndicat dans l'exercice de ses missions, dans ce même document, il est précisé que jusqu'en 2024, les équilibres seront tendus et le territoire sera soumis à des tours d'eau saisonniers ! De tels propos interrogent sur l'ambition du contrat de progrès. L'urgence et la gestion de crise ne sont pas traitées. La population ne peut pas se permettre d'attendre que le syndicat se mette en ordre de marche et éponge ses dettes. Néanmoins, Mme la députée salue le fait que la démarche de restructuration soit bénéfique pour l'institution. Elle rappelle à M. le ministre que la crise de l'eau à Mayotte concerne également les niveaux des retenus d'eau. Sujet éminemment important dans l'équation, mais qui n'est, de manière troublante, jamais abordé par les services de l'État. En effet, les niveaux des retenus sont extrêmement bas. Les eaux souterraines et les cours d'eau sont également dans le rouge. Selon les prévisionnistes, la situation ne tend pas à s'améliorer au niveau de la pluviométrie. Il faudrait qu'un cyclone ou une forte dépression amène des pluies intenses. D'après les simulations, sans pluies importantes d'ici la fin de la saison des pluies, c'est-à-dire en avril 2023, les réserves actuelles permettent une résilience jusqu'à avril, pire jusqu'à mi-mars 2023 pour les plus pessimistes. Mayotte est à sa troisième crise de l'eau avec plan ORSEC sur le volet eau datant de 2014 : si une catastrophe frappait l'île demain, les Mahoraises et Mahorais seraient totalement démunis ! Elle l'interroge sur les actions que le Gouvernement entend mettre en œuvre pour répondre à l'urgence de la crise de l'eau qui court actuellement à Mayotte, ainsi que les dispositions durant les trois années à venir en attendant les grandes infrastructures annoncées pour 2026.

Texte de la réponse

GESTION DE L'EAU À MAYOTTE


M. le président. La parole est à Mme Estelle Youssouffa, pour exposer sa question, n°  212, relative à la gestion de l'eau à Mayotte.

Mme Estelle Youssouffa. Ma question s'adresse au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Alors que nous entendons sur les ondes le ministre Béchu évoquer en long et en large la sécheresse et le risque de coupures d'eau dans l'Hexagone, sans jamais mentionner l'outre-mer, je veux ici rappeler au Gouvernement que Mayotte connaît des coupures d'eau depuis plusieurs années. Chaque foyer mahorais subit les coupures institutionnalisées, avec des robinets à sec deux jours par semaine, de dix-sept heures à sept heures du matin, sans compter les coupures intempestives sans alerte, qui laissent les habitants sans eau courante parfois trois jours d'affilée. Je vous laisse imaginer le cauchemar logistique pour les malades, les enfants, les personnes âgées, la cuisine et l'hygiène, alors que le prix des packs d'eau atteint 9 à 12 euros. Je vous le demande, madame la ministre déléguée : cette situation aurait-elle été tolérée sur le territoire hexagonal ?

Le plan d'urgence Eau Mayotte de 2017, piloté par le ministère des outre-mer, était censé répondre à la crise et surtout apporter des solutions pérennes. C'est malheureusement un échec ! Le rehaussement d'un mètre de la retenue collinaire de Combani a été livré en retard, pour n'ajouter que 250 000 mètres cubes de stockage d'eau brute, ce qui correspond à seulement sept jours de consommation – et je ne parle même pas de la progression démographique, qui fait augmenter nos besoins à Mayotte.

Malgré les millions d'euros investis, l'usine de dessalement de Petite-Terre ne produit toujours pas à hauteur des promesses et des besoins. La sixième campagne de prospection de forages ne sera mise en route que sur la période 2024-2026. Le ministre me répondrait sans doute que 416 millions d'euros ont été mis sur la table avec le nouveau contrat de progrès 2022-2026 conclu entre l'État et Les Eaux de Mayotte, qui est le seul syndicat à disposer de la compétence relative à l'eau. C'est la troisième fois que l'État passe un contrat sans aucun résultat avec une institution notoirement défaillante, actuellement sous le coup d'une enquête du parquet national financier (PNF). Nous, Mahoraises et Mahorais, ne pouvons attendre que l'on nettoie les écuries d'Augias ni que vous vous mettiez d'accord pour enfin nous fournir de l'eau potable tous les jours et entamer les travaux nécessaires pour la deuxième usine de dessalement et la troisième retenue collinaire !

Samedi dernier, j'ai pu survoler la retenue collinaire de Dzoumogné, qui doit alimenter le nord de la Grande-Terre. Elle est quasiment vide – je l'ai vu de mes propres yeux –, alors que nous sommes en pleine saison des pluies : elle devrait être à son maximum et servir de réserve. La situation est gravissime. Comment allons-nous pouvoir tenir à Mayotte ? Nous allons vers de très longs mois sans la moindre goutte d'eau courante pour notre île.

Quelles actions comptez-vous mettre en œuvre pour répondre à l'urgence de la crise de l'eau qui perdure à Mayotte ? Quelles dispositions entendez-vous prendre pour les trois années à venir, en attendant les grandes infrastructures annoncées pour 2026, qui paraissent déjà bien en retard ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité.

Mme Dominique Faure, ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité. Afin de répondre aux besoins croissants et d'accompagner le syndicat Les Eaux de Mayotte dans la mise en œuvre de ses missions, l'État a mis en place de nombreuses actions en matière de financement, d'investissement et de soutien à l'ingénierie. Dans le cadre du plan Eau DOM, 64,2 millions d'euros ont été mobilisés depuis 2016 et 85 millions d'euros de prêts ont été consentis. Par ailleurs, 10,1 millions d'euros du plan de relance ont été fléchés vers le département, dont 3,2 millions pour l'eau potable.

Cela a notamment permis de lancer la création de l'usine de dessalement à Grande-Terre. Dans un contexte de changement climatique, et compte tenu de la dépendance du territoire à la pluviométrie que vous avez décrite, la sortie durable de la crise repose nécessairement sur un accroissement de la part des usines de dessalement dans les moyens de production d'eau potable. L'usine de Grande-Terre, d'une capacité de 16 000 mètres cubes par jour, devra alimenter à la fois le nord et le sud de l'île ; sa capacité devra ensuite être portée à 48 000 mètres cubes par jour d'ici 2032.

S'agissant de l'usine de dessalement de Petite-Terre, des travaux sont en cours afin d'augmenter au plus tôt la capacité de production de 2 000 mètres cubes par jour. Enfin, concernant la troisième retenue collinaire, nous mettons tout en œuvre, aux côtés du syndicat, pour une livraison en 2032, afin d'augmenter la capacité de production de 5 000 mètres cubes par jour.

J'en viens au contrat de progrès et ses 411 millions d'euros, au titre duquel l'État accompagne fortement Les Eaux de Mayotte pour que ses capacités d'exécution progressent et que le calendrier soit strictement tenu. Après l'installation d'une assistance technique composée de cinq postes d'ingénieur et de chargé d'opérations, quatre postes supplémentaires ont été créés et seront bientôt pourvus. Les forages prévus dans le contrat permettront par ailleurs d'augmenter la capacité du réseau à court terme.

À côté de tout cela, le Gouvernement se tient évidemment prêt à agir et à réagir, en lien étroit avec les acteurs locaux, en cas de sécheresse importante.

M. le président. La parole est à Mme Estelle Youssouffa.

Mme Estelle Youssouffa. Les solutions que vous présentez reposent toutes sur Les Eaux de Mayotte qui, je le répète, s'avèrent être un syndicat particulièrement défaillant. La situation de sécheresse est déjà notre quotidien. C'est pourquoi je vous demande de réfléchir à un financement de citernes pour les maisons individuelles, mais aussi à un plafonnement du prix de l'eau, que l'on est obligé d'acheter dans les supermarchés. C'est un bien de base qui atteint des prix records à Mayotte. Pour les foyers mahorais, touchés par une très forte pauvreté, c'est une dépense impérative dont les montants astronomiques ne font qu'enrichir la grande distribution.<