16ème législature

Question N° 2206
de M. Pierre Dharréville (Gauche démocrate et républicaine - NUPES - Bouches-du-Rhône )
Question écrite
Ministère interrogé > Culture
Ministère attributaire > Culture

Rubrique > arts et spectacles

Titre > Situation du cinéma français

Question publiée au JO le : 18/10/2022 page : 4630
Réponse publiée au JO le : 31/01/2023 page : 902

Texte de la question

M. Pierre Dharréville alerte Mme la ministre de la culture sur la situation du cinéma français. Le monde du cinéma est inquiet. La pandémie a fait prendre aux Français de nouvelles habitudes. On constate aujourd'hui une baisse de 34 % en moyenne de la fréquentation des salles par rapport à septembre 2019, niveau le plus bas depuis 1980, première année des statistiques mensuelles du CNC. La création et la diffusion du cinéma indépendant a été fragilisé alors que les mastodontes américains ont pu tirer leur épingle du jeu. Dans le même temps, les plateformes sont devenues incontournables et ont vu leur nombre d'abonnés augmenter. Le temps de la pandémie, l'État a été présent, en soutien, avec 300 millions d'euros, qui sont allés essentiellement aux salles de cinéma. 50 millions s'y sont ajoutés pour l'indemnisation des tournages. Mais ces nouveaux usages semblent désormais durablement installés. Le système de financement du cinéma français s'en trouve fragilisé, avec une baisse de la taxe spéciale additionnelle sur le prix des places de cinéma notamment. Le cinéma français a pu surmonter bien des crises, rester vivant et créatif, avec un cinéma d'auteur toujours inventif quand ceux des voisins européens ne résistaient pas aux assauts du marché. Il y a urgence à réfléchir collectivement pour soutenir et réinventer ce modèle pour lui permettre de tenir et de se développer dans ce nouveau contexte. M. le député s'inquiète des propositions qui sont faites par le Gouvernement : un CNC qui semble s'ouvrir de plus en plus aux logiques marchandes ; la fin de la redevance audiovisuelle ; la remise en cause récurrente de la chronologie des médias au détriment des salles. Enfin, un projet de la grande fabrique de l'image, inscrit dans le plan « France 2030 », se veut « une réponse industrielle » à « l'explosion de la demande de contenus ». Le cinéma se retrouve fondu dans un tout où se mélangent audiovisuel, jeu vidéo, animation et cinéma. Se retrouver dans une salle pour regarder ensemble une œuvre est un geste social fécond. La manière dont des forces financières, à travers les plateformes, prennent le contrôle de la forme et du fond des œuvres constitue un problème considérable. On ne doit pas accepter la façon dont elles en viennent à contourner et fragiliser l'édifice du financement public mutualisé de la création. Il semble périlleux et vain de vouloir singer le modèle américain et d'aligner les productions françaises sur les attendus des plateformes. Au contraire, il faut à nouveau s'interroger sur ce qu'est véritablement le cinéma, ce qui en fait sa spécificité, son financement, la place des producteurs dans le processus de création etc. Aussi, M. le député demande à Mme la ministre que tous les acteurs puissent être réunis pour mener cette réflexion en profondeur. Il s'agit également de voir comment articuler cinéma et ces nouveaux usages et de réfléchir au modèle de société que cela sous-tend. Il lui demande ce qu'elle envisage pour mener des politiques publiques résolument engagées pour que continue à vivre le cinéma français dans toute sa diversité.

Texte de la réponse

La fréquentation cinématographique demeure en recul par rapport aux années précédant la crise sanitaire. En effet, selon les derniers chiffres publiés par le centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), les salles françaises totalisent, en 2022, 152 millions d'entrées, soit une baisse de 26,9 % par rapport à la moyenne des années 2017-2019. Il convient toutefois de rappeler, d'une part, que le cinéma a connu d'autres crises liées notamment, pendant les années 90, à la multiplication des chaines de télévision et au développement de la vidéo. En 1992, la fréquentation avait ainsi chuté jusqu'à n'atteindre que 116 millions d'entrées. Or, lorsqu'il a été confronté à de nouveaux défis, le secteur cinématographique a toujours su se réinventer. Ainsi, par la modernisation continue des salles et par le système des obligations d'investissement des diffuseurs mis en place en 1986, le cinéma a su développer avec l'aide des pouvoirs publics une offre attractive conduisant la fréquentation à dépasser les 210 millions d'entrées en 2019. Autrement dit, la situation actuelle n'est pas inédite et la baisse de fréquentation n'est en aucun cas irréversible. D'autre part, il est également nécessaire de rappeler que la fin des dernières restrictions sanitaires dans les salles ne date que de mars 2022. Peu à peu, le public retrouve l'habitude d'aller dans les salles de cinéma, comme en témoignent notamment le dernier trimestre de l'année dernière. Cette reprise de la fréquentation est due au succès d'une grande diversité de films. Certes, comme toujours, les blockbusters américains continuent à attirer les foules, mais ces derniers mois ont aussi vu des films d'auteurs, notamment français, connaître des succès indéniables, qu'il s'agisse de « Simone – le voyage du siècle » d'Olivier Dahan qui a dépassé les 2,2 millions d'entrées, « Novembre » de Cédric Jimenez qui a conquis 2,3 millions de spectateurs ou « L'Innocent » de Louis Garrel qui frôle 700 000 entrées. Il est cependant vrai qu'une partie du secteur cinématographique, même s'il a pu traverser la crise sans qu'aucune salle ne ferme et sans qu'aucune entreprise de production ou de distribution ne fasse faillite, grâce au soutien massif dont il a bénéficié de la part de l'État, manifeste une inquiétude sur son avenir. Celle-ci s'est manifestée dans un appel à la tenue d'états généraux du cinéma, lancé par un petit nombre d'organisations du secteur. Aucun groupement de producteurs, pas plus que la fédération des exploitants de salles, ni les organisations de gestion collective d'auteurs ne s'y sont associées. Les auteurs de cet appel ont tenu des propos qui ne correspondent pas à la réalité de la politique poursuivie par l'État, dont il est nécessaire de rappeler quatre grands axes. En premier lieu, l'action du CNC, conduite sous la tutelle du ministère de la culture, n'est en rien livrée, comme l'expriment ces professionnels, à une nouvelle logique marchande ou supposée libérale. Il n'est pas non plus exact que le CNC mêlerait désormais cinéma et audiovisuel dans une seule et unique action. Les données budgétaires du CNC prouvent, en effet, que depuis au moins une dizaine d'années, la part du budget du CNC allouée au cinéma est constante, de même que la part des aides dites sélectives (au premier rang desquelles l'avance sur recettes) qui sont les plus orientées vers le soutien à la création. Ces équilibres n'ont aucune raison de changer et le budget du CNC, dont il est important de rappeler que 20 % seulement proviennent de la taxe sur les entrées réalisées dans les salles, sera, pour les années à venir, peu ou prou constant. En deuxième lieu, l'action de l'État – notamment via le CNC – à l'égard des plateformes de vidéo à la demande étrangères vise à intégrer celles-ci à l'écosystème français de financement de la création, pour le plus grand bénéfice des talents et des producteurs français. Là encore, cette action est cohérente par rapport à celle déjà conduite, par le passé, à l'égard d'autres diffuseurs alors émergents – par exemple la télévision payante ou les éditeurs de vidéo physique. Cette intégration passe à la fois par la fiscalité – les plateformes acquittent une taxe qui contribue désormais au financement du CNC à hauteur de 16 % de son budget – et par les obligations d'investissement qui ont été mises à leur charge depuis le 1er juillet 2021 par le décret dit « SMAD ». Cette intégration se matérialise, aussi, par la nouvelle place reconnue aux plateformes dans la chronologie des médias signée le 24 janvier dernier. En somme, il ne s'agit pas, aujourd'hui, d'affaiblir les piliers structurant ce dispositif singulier qui fait la force du cinéma français, mais bien au contraire de le renforcer par l'intégration des nouveaux acteurs. Pour mener à bien cette évolution majeure, la concertation avec le secteur cinématographique, sous l'égide du CNC, est et restera constante grâce à un dialogue permanent avec les différents syndicats professionnels représentant les auteurs, les producteurs, les distributeurs, les exploitants et les techniciens. En troisième lieu, au-delà de la question de l'intégration des plates-formes au système de financement du cinéma et de l'audiovisuel, l'action du CNC s'attache aussi à la question du renouvellement des publics. Pour garantir une fréquentation durable, il est en effet primordial que les jeunes générations ne perdent pas le chemin des salles de cinéma et qu'elles aient également un appétit pour les films français et les œuvres les plus diverses en général. Dans ce but, les initiatives des pouvoirs publics, notamment du ministère de la culture mais aussi du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse, sont nombreuses et convergentes : le Pass Culture, les programmes scolaires d'éducation à l'image qui s'étendent désormais de la maternelle au lycée et, à titre expérimental à ce jour, à l'université, le soutien aux structures associatives et à plus de 160 festival. En quatrième lieu enfin, pour que la création cinématographique en France continue à rayonner dans le monde entier et pour que la France continue à être une terre de cinéma, il faut que les infrastructures françaises de tournage soient au niveau des plus performantes sur le plan international et que suffisamment d'auteurs et de techniciens de haut niveau puissent être formés chaque année. C'est à ces deux objectifs que l'appel à projet France 2030 « La grande fabrique de l'image » sur les studios et la formation entend répondre, grâce à un financement exceptionnel de l'État à hauteur de 350 M€, qui vient s'ajouter aux financements publics traditionnels du secteur. L'ambition est ainsi de positionner la France en pays leader des tournages et de la production numérique, dans le contexte de la forte augmentation de la demande d'œuvres sur les marchés du cinéma, de l'audiovisuel et du jeu vidéo, et du besoin de renforcement de l'indépendance culturelle et industrielle de la filière. Sur ce point, contrairement à ce qui a pu être soutenu par les auteurs de l'appel à des états généraux, il est important de souligner que ces nouvelles capacités ont vocation à bénéficier à toute la filière : les subventions accordées au titre de France 2030 seront en effet subordonnées à la condition que les structures aidées s'ouvrent à tous les types d'œuvres, et non seulement aux grosses productions. Ces priorités sont de nature à permettre que le secteur cinématographique retrouve au plus vite la vitalité et la croissance qui sont tant enviées et saluées dans le monde entier.