ÉLEVAGE DE CREVETTES D'EAU DOUCE DANS L'AIN
M. le président. La parole est à M. Jérôme Buisson, pour exposer sa question, n° 228, relative à l'élevage de crevettes d'eau douce dans l'Ain.
M. Jérôme Buisson. Mon département de l'Ain est une grande terre de pisciculture – la plus grande de France s'agissant de la pisciculture d'eau douce : les étangs de la Dombes sont exploités depuis le Moyen-Âge pour la pratique de l'aquaculture. Initialement tournée vers la carpe, celle-ci doit s'adapter au changement climatique et diversifier ses productions.
À ce titre le règlement européen no 708/2007 du 11 juin 2007, modifié par le règlement no 304/2011 du 9 mars 2011, autorise – et j'insiste sur ce terme –, dans des conditions très encadrées, l'élevage d'espèces exotiques dans le domaine de l'aquaculture, dont l'espèce de crevettes en eau douce
Macrobrachium rosenbergii.
L'élevage de cette espèce revêt un triple avantage pour les pisciculteurs et, plus largement, pour notre pays : tout d'abord, comme je l'ai dit, en permettant l'élevage d'une espèce plus adaptée à un climat plus chaud – et donc à une eau plus chaude –, il apporte une perspective d'adaptation de l'aquaculture au changement climatique. Ensuite, il répond aux impératifs de souveraineté alimentaire de notre pays, puisque la crevette reste aujourd'hui un produit importé à 99,7 %. En effet, selon FranceAgriMer, seules 150 des 120 000 tonnes consommées en France y sont produites.
Il permet enfin de diversifier – et d'harmoniser à l'échelle d'une année – les sources de revenus des aquaculteurs, qui peuvent élever certaines espèces durant la saison chaude et d'autres à la saison froide. Or les nombreux pisciculteurs intéressés par cette variété sont freinés par des lourdeurs bureaucratiques. Plusieurs élevages ont néanmoins ouvert en France, le premier, dans le Gers, à l'issue de trois ans de lutte en vue d'obtenir, par arrêté préfectoral, une autorisation provisoire assortie d'un cahier des charges. Désormais, il commercialise ces crevettes avec succès. Dans l'Ain, les autorités préfectorales, plus précisément la direction départementale des territoires, continuent de refuser toute autorisation : en témoigne le courrier en date du 18 mai 2022 adressé à l'association locale de développement de l'aquaculture, qui avait pourtant fourni un dossier complet. Le refus s'appuie sur la version non modifiée du règlement européen en cause, laquelle n'opérait pas de distinction entre l'introduction – interdite – d'une nouvelle espèce dans le milieu naturel et son élevage au sein d'installations fermées, que le règlement modifié autorise. Ce texte est donc appliqué différemment d'un département à l'autre, ce qui pose un problème majeur d'égalité devant la loi.
Je souhaitais donc vous demander, monsieur le ministre, si vous entendez prendre les mesures nécessaires pour uniformiser l'application du règlement et laisser enfin les pisciculteurs de la Dombes commencer, dans le respect de la biodiversité, l'élevage de cette espèce de crevette d'eau douce.
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. J'aurais pu partager cette question avec Bérangère Couillard, puisqu'elle concerne à la fois la biodiversité et la production ; mais l'aquaculture est comprise dans mon périmètre. Cette activité se trouve particulièrement réglementée – du fait, reconnaissons-le, de l'introduction malheureuse d'espèces exotiques envahissantes, en particulier la fameuse écrevisse de Californie, dont l'arrivée en Suède puis en France a eu des conséquences néfastes en matière de biodiversité. Par ailleurs, vous avez raison : le développement des activités aquacoles contribue à notre souveraineté alimentaire, si bien que nous devons l'encourager, en fonction des possibilités – telle crevette ici, tel poisson là –, d'autant que le dérèglement climatique en perturbe les cycles.
La réglementation européenne, plutôt ferme et restrictive, soumet l'élevage de crevettes d'eau douce à une évaluation environnementale préalable, sauf dans le cas des installations considérées comme fermées, caractère qui relève de l'appréciation des services de l'État. J'entends parfaitement ce que vous me dites, à savoir que cette appréciation varierait en fonction du territoire ; je vais demander à mes services de se pencher sur le cas de l'Ain, afin d'examiner les motifs de la décision que vous avez évoquée et de les comparer à ceux invoqués dans le Gers et en Charente-Maritime. J'ai également souhaité, dans chaque région, un référent aquaculture : la chose est quasiment faite. Nous avons en effet besoin d'une coordination nationale, que j'ai bien l'intention d'organiser, mais aussi régionale, afin que puissent se développer de tels projets, dont nous avons besoin. C'est pourquoi, encore une fois, il importe de mettre un terme aux contraintes imposées dans l'Ain, étant donné leur absence dans d'autres départements : la nation est une et indivisible.
M. le président. La parole est à M. Jérôme Buisson.
M. Jérôme Buisson. Au-delà de la question des normes, j'ajouterai que selon les experts, cette crevette s'élève en eau saumâtre et ne survit pas au-dessous de 13 ou 14 degrés, ce qui serait de nature à empêcher sa prolifération.