16ème législature

Question N° 231
de M. Philippe Brun (Socialistes et apparentés (membre de l’intergroupe NUPES) - Eure )
Question orale sans débat
Ministère interrogé > Transports
Ministère attributaire > Transports

Rubrique > transports routiers

Titre > Liaison autoroutière A133-A134

Question publiée au JO le : 28/02/2023
Réponse publiée au JO le : 08/03/2023 page : 2200

Texte de la question

M. Philippe Brun interroge M. le ministre délégué auprès du ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, chargé des transports, au sujet du projet de liaison autoroutière A133-A134 dit « contournement Est de Rouen ». Ce projet daté de 1971, repoussé sans cesse en raison des oppositions des populations locales, a fait l'objet de l'ouverture d'un appel à concession en février 2022. Le projet A133-A134 est ainsi le seul contournement de France qui ne recueille pas l'approbation de la métropole contournée elle-même, la Métropole Rouen Normandie (qui comprend 60 % du tracé). La communauté d'agglomération Seine-Eure (30 % du tracé) et la communauté de communes Inter-Caux-Vexin (10 % du tracé) ont elles aussi fait savoir leur opposition. Même le conseil départemental de l'Eure, alors présidé par le ministre des armées Sébastien Lecornu, ne souhaite plus financer cette infrastructure. La région Normandie et le département de la Seine-Maritime, qui ont absorbé financièrement le désistement des autres collectivités, ont donc fait le choix de porter seuls le projet de contournement Est de Rouen, nonobstant l'avis des élus locaux directement concernés. Ce projet contredit ainsi le discours de politique générale du 16 septembre 2022 prononcé par la Première ministre Élisabeth Borne, dans lequel elle s'est engagée à ce que « État et territoires bâtissent ensemble » pour « la réussite de notre Nation ». Le contournement Est de Rouen n'aurait pas pour effet de diminuer les embouteillages au sein de la métropole rouennaise, car ceux-ci sont constitués à 85 % du trafic interne. Au demeurant, le projet A133-A134 ne respecte pas la logique d'usage de l'agglomération rouennaise, 89 % du trafic de transit et d'échange étant situés à l'Ouest de Rouen. A contrario, le flux de transit à l'Est représente 6 % du trafic de l'agglomération. Le coût financier important du projet A133-A134, qui s'élève à près d'1 milliard d'euros, semble donc excessif au regard du faible bénéfice que celui-ci pourrait apporter au territoire s'agissant de la réduction de la congestion. Par ailleurs, le projet A133-A134 soumettrait l'accès à la métropole rouennaise, où vont travailler quotidiennement des milliers d'Eurois, à un péage, accentuant la fracture entre la métropole et le département de l'Eure. Estimé à 10 centimes d'euros par kilomètre pour les véhicules légers par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), ce transfert de revenu des ménages à un concessionnaire privé est d'autant plus inacceptable que l'Eure est déjà traversée par de nombreuses autoroutes à péage. En outre, la hausse du prix des carburants depuis un an rend particulièrement inopportune la poursuite de ce projet dans un département où une large majorité des habitants - 85 % dans la circonscription de Louviers - utilise la voiture pour se rendre sur son lieu de travail situé dans une autre commune que celle de sa résidence. La construction de 41,5 kilomètres d'autoroute supplémentaires aurait pour effet d'augmenter la pollution atmosphérique. La hausse induite du trafic des poids lourds, les vitesses élevées et l'allongement des distances entraîneraient en effet jusqu'à 50 000 tonnes de CO2 supplémentaires émises par an, s'ajoutant à la pollution atmosphérique déjà excessive dans l'agglomération rouennaise. Le contournement Est de Rouen n'est donc pas en phase avec l'objectif de transition écologique. Comme l'a rappelé le Président de la République Emmanuel Macron dans un tweet le 23 septembre 2019, « on ne peut pas prétendre lutter contre le réchauffement climatique et continuer à financer des infrastructures qui augmentent les émissions de CO2 ». Le projet A133-A134 conduirait également à l'artificialisation de 540 hectares de terres naturelles, agricoles et forestières. Des zones humides seraient détruites et la viabilité de plusieurs captages d'eau serait aussi remise en question, selon les analyses de l'Agence de l'eau. En outre, ce projet d'étalement urbain aurait un effet néfaste sur la qualité de vie des habitants de l'agglomération rouennaise et de l'Eure. Par exemple, Val-de-Reuil serait longée par une autoroute à la place de la forêt et la base naturelle et de loisirs de Léry-Poses subirait d'importantes nuisances sonores. Il est encore temps que l'État retire l'appel à concession pour ce projet et privilégie des alternatives crédibles et soutenables, comme la réouverture de la ligne de train Evreux-Rouen, le développement du fret ferroviaire et fluvial et la création de nouveaux RER métropolitains comme l'a annoncé le Président de la République. Il souhaiterait connaître ses intentions à la suite du dernier rapport du conseil d'orientation des infrastructures, qui souligne l'importante empreinte écologique et le déficit financier du projet.

Texte de la réponse

LIAISON AUTOROUTIÈRE A133-A134


Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Brun, pour exposer sa question, n°  231, relative à la liaison autoroutière A133-A134.

M. Philippe Brun. Après avoir saisi M. le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires lors d'une précédente séance de questions orales, je me permets de vous soumettre à nouveau une question relative à un sujet épineux, qui préoccupe mon territoire : le contournement de Rouen par l'est. Il s'agit d'un vieux projet datant de 1971, promis par Georges Pompidou aux Rouennais, dont le maintien ne laisse pas de susciter des interrogations, tant il traduit une vision datée de la mobilité, qui ne correspond plus en rien aux objectifs actuels.

Ce projet à un coût très élevé, 1 milliard d'euros, dont la moitié serait couverte par des subventions publiques. Or une grande partie des collectivités s’en sont désengagées. Le département de l'Eure ne participe pas à son financement, pas plus que la communauté d'agglomération Seine-Eure ni la communauté de communes Inter Caux Vexin. Élément notable : la métropole de Rouen et la ville mêmes sont défavorables à ce contournement. La réalisation du projet serait en conséquence une première nationale, puisque le contournement ne satisfait pas la première ville concernée.

Le projet est en outre dangereux pour l'environnement : il implique la destruction de la forêt de Bord-Louviers, dans ma circonscription ; il expose la population à la pollution – il devrait provoquer l'émission de 50 000 tonnes de CO2 supplémentaires –, et il met en danger certains captages d'eau. Aussi nourrit-il de fortes inquiétudes parmi la population, qui le fait savoir chaque jour – des manifestations ont été organisées récemment dans ma circonscription.

Je vous sais attaché, monsieur le ministre délégué, à ce que certains projets qui ne correspondent plus à la politique que l'État souhaite mener soient revus. J'ai lu avec attention le dernier rapport du Conseil d'orientation des infrastructures (COI), qui fait état des difficultés que rencontre le projet de contournement de Rouen. Il indique que des désaccords locaux subsistent, et que les impacts environnementaux sont forts : les émissions liées au trafic routier augmenteront de 5 %, et 500 hectares seront artificialisés. On lit dans le rapport annexe : « Le COI ne dispose pas d’une analyse qui permettrait d’apprécier pleinement si ce projet est compatible ou en contradiction avec ces stratégies nouvelles » – à savoir, les stratégies de neutralité carbone et de zéro artificialisation nette. Le rapport annexe ajoute que « la déclaration d'utilité publique n’a pas levé tous les doutes sur la pertinence de cette concession, dont les modèles financiers sont encore incertains […]. » Enfin, le COI invite à « revisiter la pertinence du projet au regard des éléments d’appréciation postérieurs à la déclaration d'utilité publique […] ».

Ma question est simple : compte tenu de l'engagement de M. le Président de la République de créer des RER métropolitains – j'y suis favorable bien que je siège dans l'opposition –, et au vu du rapport du COI, le Gouvernement compte-t-il abandonner ce mauvais projet du contournement est de Rouen ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre délégué chargé des transports.

M. Clément Beaune, ministre délégué chargé des transports. Je vous remercie de vous faire l'écho du travail du COI, présidé par David Valence et composé notamment de parlementaires de diverses tendances politiques, qui a, dans son récent rapport, clairement identifié les projets ferroviaires comme prioritaires. La Première ministre elle-même, lorsqu'elle a reçu ce rapport le 24 février, a annoncé son intention de dédier 100 milliards d'euros au seul réseau ferroviaire d'ici à 2040.

Cela ne signifie pas que nous abandonnerons tous les projets routiers, car ceux-ci sont parfois nécessaires, notamment en zone rurale, et que certains sont mêmes écologiquement vertueux, comme les projets de contournement des certaines grandes villes. Il convient toutefois de s'interroger à nouveau, au cas par cas, sur leur opportunité. Ce travail, commencé par le COI, sera poursuivi par le Gouvernement, en concertation avec les collectivités locales, notamment avec les régions, dans le cadre des contrats de plan État-région (CPER) – je signerai d'ailleurs avant la fin du mois, au nom de la Première ministre, le mandat donné par l'État à chacun des préfets de région. C'est selon cette méthode que nous pourrons étudier à nouveau le projet sur lequel vous m'interrogez.

Je prends acte de la position que vous défendez, partagée par le président de la métropole de Rouen, M. Nicolas Mayer Rossignol, que j'ai reçu, mais également de celle du président de la région Normandie, M. Hervé Morin, et du président du conseil départemental de Seine-Maritime, qui sont très favorables à la poursuite du projet. Nous mènerons donc une discussion ouverte, transparente, dont je ne peux préjuger des résultats. Vous soulignez certains inconvénients du projet ; mais tout projet a ses inconvénients. Je me permets de souligner ses avantages, dont nous devons également tenir compte, comme l'économie de temps de parcours ou encore la décongestion des voies, qui peut être bénéfique pour l'environnement. Pour ce projet comme pour d'autres, nous dresserons le bilan des avantages et des inconvénients. Les CPER, qui unissent par définition l'État et les régions, semblent un cadre adéquat pour cette discussion ; je m'engage à y associer également les autres collectivités concernées, afin que tous les points de vue puissent être écoutés et pris en compte dans les prochains mois.

Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Brun.

M. Philippe Brun. Merci, monsieur le ministre délégué, pour votre ouverture. Je tiens à vous rappeler que la population que je représente attend impatiemment des solutions de mobilité, qui ne sauraient rester celles du passé. Nous avons formulé plusieurs propositions, comme la réouverture de la ligne de train reliant Évreux à Rouen en passant par Louviers ou celle de la ligne reliant Pont-de-l'Arche à Gisors, visant à décongestionner la métropole rouennaise sans porter atteinte à l'environnement.