Couverture sociale des exploitant(e)s agricoles outre-mer
Question de :
M. Marcellin Nadeau
Martinique (2e circonscription) - Gauche démocrate et républicaine - NUPES
M. Marcellin Nadeau appelle l'attention de M. le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire sur la nécessité de réactualiser le mode d'affiliation au régime de protection sociale des non salarié(e)s agricoles en outre-mer et notamment en Martinique. En effet, les dispositifs de l'article L. 762-7 du code rural et du décret n° 85-589 du 3 juin 1985 instaurent un seuil de deux hectares, pondéré pour les outre-mer par des coefficients, pour juger de la viabilité d'une exploitation et permettre l'affiliation de son exploitant à la protection sociale agricole (AMEXA, etc.). Ce dispositif est inadapté pour les agriculteurs outre-mer et beaucoup se voient privés de la reconnaissance officielle de leur métier, voire écartés de couverture sociale et d'aides publiques. Cette situation est encore plus intolérable pour les femmes agricultrices outre-mer. Salariées, travailleuses saisonnières, la pénibilité de leur métier risque de n'être pas reconnue, les critères étant supprimés, y compris celui important pour les territoires de Martinique et de Guadeloupe, d'exposition aux risques chimiques provoquant des maladies à long terme, qui constitue par là-même une couche supplémentaire à l'injustice sociale du chlordécone. Si elles sont conjointes d'exploitation, elles seront sans salaires et donc sans déclaration et sans cotisations versées sans droit. Enfin, si elles sont exploitantes agricoles, affiliées au régime de l'assurance maladies des exploitants agricoles (AMEXA), elles ne seront pas éligibles à l'action sociale (aides ménagères, aide à l'équipement ménager, à l'amélioration de l'habitat, au secours exceptionnel, etc., sauf à compter de 70 ans contre 60 ans pour les salariées agricoles. Les critères d'affiliation à ce régime reposent en effet sur la surface exploitée et les heures travaillées. La surface travaillée doit être justifié par un titre de propriété, un bail ou un commodat, d'une parcelle d'un minimum de deux hectares pondérés pour le maraîchage et de quatre hectares pondérés pour la diversification outre-mer, beaucoup par exemple restent sur un mode d'exploitation comme le colonat théoriquement aboli depuis 2006 ou sur de très petites parcelles disséminées, ou sur des terres théoriquement en friches nécessitant une autorisation de l'ONF ou de la DAF. Obligées d'être simples cotisantes solidaires, c'est-à-dire de produire insuffisamment sur une surface réduite, mais de contibuer à hauteur de 16 % de leur revenu agricole à l'AMEXA pour pouvoir bénéficier d'un faible revenu, ces femmes n'ont malgré tout aucun droit à la retraite, ni à l'assurance-maladie. Double peine! La loi d'avenir de l'agriculture du 13 octobre 2014 ne peut pas s'appliquer aux Antilles. L'AMEXA a bien introduit deux nouveaux modes de production pour permettre aux agricultrices de disposer des surfaces pondérées requises, sur les cultures intercalaires ou sur le temps de travail consacré à l'activité, mais ces deux possibilités soulèvent de trop fortes contraintes outre-mer pour être opérables. Il lui demande en conséquence ce qu'il compte faire pour remédier à cette situation qui touche les agriculteurs, mais encore plus les agricultrices qui vivent en grande précarité ; il lui rappelle en conséquence l'urgence d'actualiser le mode d'affiliation au régime de protection sociale des non-salarié(e)s agricoles outre-mer.
Réponse en séance, et publiée le 29 mars 2023
COUVERTURE SOCIALE DES EXPLOITANTS AGRICOLES DANS LES OUTRE-MER
M. le président. La parole est à M. Marcellin Nadeau, pour exposer sa question, n° 235, relative à la couverture sociale des exploitants agricoles dans les outre-mer.
M. Marcellin Nadeau. Ma question s’adresse à M. Marc Fesneau, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, et porte sur les retraites agricoles dans les départements dits d'outre-mer, plus précisément sur les retraites des agricultrices et des conjointes d'agriculteur. Il est urgent de réactualiser le mode d’affiliation au régime de la protection sociale des non-salariés agricoles dans les départements dits d'outre-mer, notamment en Martinique.
En effet, les dispositions de l’article L. 762-7 du code rural et de la pêche maritime, et du décret n° 85-589 du 3 juin 1985 instaurent un seuil de 2 hectares, pondéré dans nos pays par des coefficients, aux fins de juger de la viabilité d’une exploitation et de permettre l’affiliation de l'exploitant à la protection sociale agricole. Nous pouvons affirmer que ce dispositif est complètement inadapté aux réalités de nos territoires, car beaucoup d’agriculteurs et, surtout, d’agricultrices ne peuvent être reconnus dans leur profession. Dès lors, ils sont écartés de toute couverture sociale et de toute aide publique, ce qui provoque, vous vous en doutez, une grande pauvreté chez un nombre important de ces femmes et de ces hommes. Cette paupérisation est d’autant plus intolérable que des critères tels que la pénibilité et l’exposition aux risques chimiques – dans des pays où l'on a jadis utilisé le chlordécone – ont été supprimés.
Nous souhaitons savoir ce que le Gouvernement compte faire pour remédier à cette situation, qui touche des agriculteurs et, surtout, des agricultrices et des conjointes d’exploitant agricole aux Antilles. Les intéressés vivent dans une grande précarité. Il est urgent d’actualiser le régime de protection sociale des exploitants et exploitantes agricoles dans les départements dits d'outre-mer. C’est véritablement la double peine pour ces personnes et leurs familles. Et je vous laisse imaginer les conséquences de la loi relative aux retraites : ce serait non plus la double, mais la triple peine !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé de la mer.
M. Hervé Berville, secrétaire d'État chargé de la mer. Je réponds au nom de M. Marc Fesneau, dont je vous prie de bien vouloir excuser l'absence.
Dans les outre-mer, les salariés agricoles relèvent du régime général. Le Gouvernement veille à la coordination entre le régime agricole et le régime général. Par exemple, nous utilisons pour ces salariés les tableaux de maladies professionnelles du régime agricole, qui sont plus adaptés que les tableaux du régime général.
S'agissant de l’exposition au risque chimique, je tiens à souligner l’action menée par le Gouvernement en métropole et dans les outre-mer non seulement en matière de prévention des risques, mais aussi en matière de réparation, grâce à la mise en œuvre du Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides et à la création récente du tableau de maladie professionnelle relatif au cancer de la prostate.
Pour les exploitants agricoles en Martinique, le montant des cotisations sociales dépend de la superficie exploitée – évaluée en hectares pondérés en fonction de la nature de la production animale ou végétale – et non du revenu professionnel, comme c’est le cas dans l'Hexagone. À partir de 2 hectares pondérés, les non-salariés agricoles sont redevables de cotisations sociales non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour les membres de leur famille qui participent aux travaux de l’exploitation. C’est le cas pour les conjoints collaborateurs des chefs d’exploitation, majoritairement des femmes, qui bénéficient bel et bien d’une protection sociale, même si elle est moindre.
En revanche, contrairement à ce que vous avez semblé indiquer, en raison de la spécificité de l’assiette des non-salariés agricoles ultramarins, il n’y a pas de cotisation de solidarité dans les outre-mer. Les exploitants agricoles exerçant leur activité sur une exploitation de moins de 40 hectares pondérés sont exonérés de la plupart des cotisations sociales – famille, maladie, invalidité, maternité, vieillesse de base – tout en bénéficiant des prestations en vigueur. Cette exonération concerne une très large majorité d’exploitants agricoles et fait l’objet d’une compensation par le ministère chargé des outre-mer.
Une évolution du régime de protection sociale pourrait porter sur la réforme de l’assiette des cotisations sociales dans les outre-mer. Ces cotisations pourraient être assises sur les revenus, ce qui constituerait une réforme structurelle et d’ampleur. La réforme prévue de l’assiette sociale des travailleurs indépendants, annoncée pour le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale, pourrait être l'occasion de procéder à une analyse et de lancer des concertations sur la question spécifique des exploitants agricoles dans les outre-mer.
Je vous prie de m'excuser du degré de technicité de la réponse, mais il était nécessaire compte tenu de la qualité et de la précision de votre question.
M. le président. La parole est à M. Marcellin Nadeau.
M. Marcellin Nadeau. Je reviens sur cette particularité : c'est non pas la loi, mais une forme de colonat qui s'applique aux exploitations de superficie modeste ou disséminées. Je prends acte que vous prévoyez des réformes et envisagez des solutions dans ce cadre. Toutefois, j'y insiste, la situation de certaines agricultrices et conjointes d'exploitant agricole est particulièrement préoccupante – ces éléments remontent d'organisations de femmes. Il faut vraiment prendre le problème à bras-le-corps, afin d'améliorer la situation de ces personnes, qui vivent bien au-dessous du seuil de pauvreté.
Auteur : M. Marcellin Nadeau
Type de question : Question orale
Rubrique : Outre-mer
Ministère interrogé : Agriculture et souveraineté alimentaire
Ministère répondant : Agriculture et souveraineté alimentaire
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 21 mars 2023