Conséquences de l'interdiction du plomb sur le patrimoine français
Question de :
M. Jordan Guitton
Aube (1re circonscription) - Rassemblement National
M. Jordan Guitton appelle l'attention de Mme la ministre de la culture à propos de l'interdiction du plomb par l'Union européenne. En effet, les créateurs et rénovateurs de vitraux s'inquiètent pour leur travail et pour l'avenir du patrimoine français. Ce métal, par ses propriétés uniques, est utilisé pour la fabrication des vitraux qui illuminent les cathédrales, églises, mairies et hôpitaux. La France a la plus grande surface de vitraux du monde, soit 90 000 m2, et pas moins de 450 entreprises artisanales vivent de la production de vitraux au plomb, concentrant ainsi plus de 60 % du patrimoine vitrail européen. Le département de l'Aube dispose du plus grand patrimoine européen en la matière et a créé la route du vitrail pour attirer les touristes et leur faire découvrir la richesse de ce département. Cette route fait découvrir 220 églises avec des vitraux datant du XIXe, XXe et du XXIe siècle. Il est souhaitable d'interdire le plomb là où il représente une menace et là où il peut être remplacé par un autre matériau. Mais il est impensable d'interdire ce métal pour les vitraux puisqu'il n'existe à ce jour aucun matériau de substitution. Dans une lettre ouverte cosignée par des maîtres verriers, ils énoncent : « Nous ne serions sans doute même pas en mesure de terminer la restauration des vitraux de Notre-Dame de Paris dont le drame a mobilisé le monde entier pour financer sa reconstruction à l'identique, d'engager les restaurations nécessaires en région, etc. ». Cela démontre l'urgence de la situation afin de préserver le patrimoine français, mais aussi européen. Ainsi, il souhaiterait connaître les mesures qu'elle mettra en place pour aider les maîtres verriers et pour lutter contre cette décision européenne qui va affecter lourdement le patrimoine français.
Réponse en séance, et publiée le 23 novembre 2022
UTILISATION DU PLOMB PAR LES MAÎTRES-VERRIERS
Mme la présidente. La parole est à M. Jordan Guitton, pour exposer sa question, n° 24, relative à l'utilisation du plomb par les maîtres-verriers.
M. Jordan Guitton. J'interpelle Mme la ministre de la culture à propos de l'interdiction du plomb par l'Union européenne. En effet, nos créateurs et nos rénovateurs de vitraux s'inquiètent pour leur travail et pour l'avenir du patrimoine français. Je rappelle que ce métal, de par ses propriétés uniques, est utilisé pour la fabrication des vitraux qui illuminent cathédrales, églises, mairies et hôpitaux. La France possède la plus grande surface de vitraux du monde, environ 90 000 mètres carrés et plus de 60 % du patrimoine européen, et pas moins de 450 entreprises artisanales vivent de la production de vitraux au plomb.
Le département de l'Aube, dont je suis élu, dispose du plus grand patrimoine européen en la matière et a créé la route du vitrail pour attirer les touristes et leur faire découvrir la richesse de notre département. Cette route leur révèle ainsi 220 églises avec des vitraux datant des XIXe, XXe et XXIe siècles. L'Aube est un département porteur en termes de patrimoine, d'églises et de vitraux ; il faut que son caractère exceptionnel à cet égard perdure.
Il est souhaitable d'interdire le plomb là où il représente une menace et où il peut être remplacé par un autre matériau, mais il est impensable d'interdire ce métal pour les vitraux puisqu'il n'existe à ce jour aucun matériau de substitution. Voici un passage d'une lettre ouverte cosignée par des maîtres-verriers : « Nous ne serions sans doute même pas en mesure de terminer la restauration des vitraux de Notre-Dame de Paris dont le drame a mobilisé le monde entier pour financer sa reconstruction à l'identique, d'engager les restaurations nécessaires en région […] ». Cela démontre combien il est urgent d'agir afin de préserver le patrimoine français mais aussi européen.
Dès lors, j'aimerais connaître les mesures qui vont être mises en place pour aider nos maîtres-verriers et pour lutter contre cette décision européenne qui va affecter lourdement notre patrimoine. Comment pouvez-vous garantir la continuité de l'utilisation de ce matériau, notamment dans la verrerie ? La France va-t-elle enfin défendre sa spécificité au sein de l'Europe ou va-t-elle se laisser imposer une norme injuste et mortelle pour son patrimoine ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé de la mer.
M. Hervé Berville, secrétaire d'État chargé de la mer. Les évolutions législatives sur l'utilisation du plomb préoccupent à juste titre nos maîtres-verriers qui ont recours à cette substance pour la restauration des milliers de vitraux que compte la France, lesquels font la beauté de nos territoires et la richesse de notre patrimoine. À l'échelle européenne, vous l'avez rappelé, monsieur le député, la France concentre à elle seule plus de 60 % du patrimoine des vitraux et abrite la plus grande surface de vitraux au monde.
Je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de la ministre, mais sachez que le ministère de la culture est bien sûr pleinement mobilisé aux côtés des maîtres-verriers et des nombreux autres métiers de la filière patrimoniale qui l'utilisent – couvreurs, facteurs d'orgue, tailleurs de pierre.
Tout d'abord, il faut rappeler que l'identification des propriétés toxiques du plomb n'est pas nouvelle puisque celui-ci figure depuis le 27 juin 2018 sur la liste des substances extrêmement préoccupantes dans le règlement européen Reach – enregistrement, évaluation, autorisation des substances chimiques et restrictions applicables à ces substances. L'ingestion ou l'inhalation de plomb est en effet toxique et peut provoquer des troubles réversibles – anémie, troubles digestifs –, voire irréversibles.
Une consultation publique a été ouverte du 2 février au 2 mai 2022, procédure habituelle réalisée par l'Agence européenne des produits chimiques, sur le projet de recommandation des substances prioritaires à inclure dans la liste des substances soumises à autorisation par le règlement Reach. Les résultats de cette consultation ne sont pas encore connus, et le comité des États membres, dit comité Reach, devra se prononcer sur le tonnage, la dangerosité et le caractère dispersif du plomb. Prévue pour la fin de cette année, la réunion du comité a été malheureusement reportée au quatrième trimestre de 2023. Le Gouvernement va tout faire pour qu'elle se tienne le plus rapidement possible. Comme il s'agit d'une négociation au niveau européen, il est particulièrement mobilisé auprès de la Commission européenne et il reste vigilant pour que des dérogations soient autorisées afin de préserver l'ensemble du secteur du vitrail, des monuments historiques et du patrimoine culturel, tout en respectant scrupuleusement les mesures préventives qu'appliquent, depuis des années, les professionnels des secteurs concernés pour assurer la sécurité et la santé des travailleurs.
Ainsi, vous le voyez, nous menons de front deux missions : assurer la sécurité des travailleurs de ce magnifique secteur tout en étant particulièrement déterminés à conserver la vitalité, la maîtrise et le maintien des savoir-faire, donc l'excellence de nos artisans.
Mme la présidente. La parole est à M. Jordan Guitton.
M. Jordan Guitton. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, pour la réponse que vous m'avez transmise, mais je me dois tout de même de vous exprimer mon inquiétude. Vous dites que votre gouvernement restera attentif à cette question, mais que se passera-t-il concrètement si aucune dérogation n'est admise ? Actuellement, je le répète, il n'existe aucune alternative au plomb ; au terme des recherches qui ont été menées, seul un matériau de base composé à 98 % d'étain a été trouvé, mais il est beaucoup plus rigide et neuf à dix fois plus cher que le plomb. Pour rappel, le secteur du tourisme est essentiel pour la France puisqu'il représente environ 6 % de son PIB, et des conséquences désastreuses découleraient d'une éventuelle interdiction pour nos professionnels des vitraux, pour le tourisme et pour notre économie. Le patrimoine français et son tourisme ne doivent plus être soumis à des normes européennes ; la France doit enfin se défendre au sein de la Commission européenne.
L'Europe est un continent millénaire, et je finirai par ces mots de Paul Valéry : « […] toute terre qui a été successivement romanisée, christianisée et soumise, quant à l'esprit, à la discipline des Grecs, est absolument européenne. » Et cet héritage européen, qu'incarnent nos églises et nos cathédrales, a été embelli par les vitraux. Que le Gouvernement le défende, qu'il ne lâche rien ! En tout cas, moi, je ne lâcherai rien car l'avenir ne se transmet que par notre patrimoine, seule trace de l'humain et de la civilisation sur Terre.
Auteur : M. Jordan Guitton
Type de question : Question orale
Rubrique : Commerce et artisanat
Ministère interrogé : Culture
Ministère répondant : Culture
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 15 novembre 2022