16ème législature

Question N° 277
de M. Paul-André Colombani (Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires - Corse-du-Sud )
Question orale sans débat
Ministère interrogé > Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique
Ministère attributaire > Économie, finances, souveraineté industrielle et numérique

Rubrique > énergie et carburants

Titre > Régulation des prix des carburants en Corse

Question publiée au JO le : 04/04/2023
Réponse publiée au JO le : 12/04/2023 page : 3722

Texte de la question

M. Paul-André Colombani alerte M. le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur la situation grave d'inflation des prix des carburants en Corse faisant peser une pression économique insoutenable sur les ménages corses. Depuis plusieurs années maintenant, M. le député interpelle le Gouvernement sur la nécessité de réguler les prix des carburants en Corse, territoire caractérisé par un coût de la vie courante très élevé, un salaire moyen identifié comme le plus bas de France métropolitaine et un taux de précarité supérieur à toutes les régions du continent. La moitié des personnes en Corse ont un niveau de vie annuel inférieur à 20 670 euros et la dégradation du niveau de vie des Corses ne cesse de s'amplifier, notamment du fait de la forte augmentation du prix des carburants depuis 2020. En effet, l'utilisation plus fréquente de la voiture conjuguée à des temps d'accès souvent plus longs a un impact sur le budget de la plupart des foyers : en 2008, 28 % des ménages étaient considérés en situation de vulnérabilité énergétique liée aux déplacements, contre 10,2 % sur le continent. De plus, comme l'a souligné l'Autorité de la concurrence en 2020, l'île connaît une situation de monopole sur le marché des carburants qui se traduit par des surcoûts importants et des tarifs à la pompe plus élevés que sur le continent et ce malgré une TVA réduite à 13 %. Dès lors, une telle situation de monopole implique la nécessité pour le Gouvernement de pratiquer une régulation des prix, conformément à l'article 410-2 du code du commerce, qui dit que « dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d'approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d'État peut réglementer les prix après consultation de l'Autorité de la concurrence ». Cette régulation des prix devra concerner l'intégralité des segments de la chaîne de distribution insulaire et aller même au-delà (achat aux producteurs, stockage au sein des dépôts pétroliers du continent, acheminement en Corse et stockage local) et ce afin d'éviter que les acteurs bénéficiant d'une situation de monopole ne se contentent de décaler leurs surmarges en aval des segments réglementés, dans le but de contourner les mesures de régulation des prix des carburants. Face à cette situation, le Gouvernement juge que les préconisations de l'ADLC engendreraient des effets pervers et note que celle-ci s'est saisie d'office le 15 décembre 2021 de pratiques présumées anti-concurrentielles dans le secteur de l'approvisionnement, du stockage et de la distribution des carburants en Corse, ce qui ouvrira la possibilité, si les services d'instruction suspectaient des pratiques anticoncurrentielles, de les poursuivre en notifiant des griefs aux entreprises ou associations d'entreprises concernées afin de faire cesser les éventuels effets de renchérissement des prix liés à ces pratiques. Cependant, M. le député rappelle à M. le ministre que le budget des ménages corses ne peut attendre indéfiniment les conclusions de l'enquête de l'ADLC et qu'il convient d'envisager dès aujourd'hui des solutions pérennes de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles dans ce secteur. Il lui demande donc, d'une part, s'il dispose d'éléments d'information relatifs à l'état d'avancement de l'enquête de l'ADLC démarrée il y a un an et demi de cela et, d'autre part, s'il entend décider d'une régulation immédiate des prix des carburants sur l'île et ce afin répondre à la situation d'urgence absolue dans laquelle se trouve aujourd'hui la Corse.

Texte de la réponse

RÉGULATION DES PRIX DES CARBURANTS EN CORSE


Mme la présidente. La parole est à M. Paul-André Colombani, pour exposer sa question, n°  277, relative à la régulation des prix des carburants en Corse.

M. Paul-André Colombani. Je souhaite alerter à nouveau le Gouvernement sur la grave inflation des prix des carburants en Corse, qui fait peser une pression économique insoutenable sur les ménages. Alors que notre territoire est caractérisé par un coût de la vie courante très élevé, un salaire moyen identifié comme étant le plus bas de France métropolitaine et un taux de précarité supérieur à celui de chacune des régions du continent, la dégradation du niveau de vie des Corses ne cesse de s'amplifier, notamment du fait de la forte augmentation du prix des carburants depuis 2020.

En 2008 déjà, 28 % des ménages insulaires étaient considérés comme étant en situation de vulnérabilité énergétique au titre des déplacements contre 10,2 % sur le continent. De plus, comme l'a souligné l'Autorité de la concurrence en 2020, l’île est confrontée à un monopole sur le marché des carburants, auquel il convient de répondre par une régulation des prix, conformément à l'article L. 410-2 du code de commerce.

Le ministère de l'économie et des finances estime que les préconisations de l'Autorité de la concurrence engendreraient des effets pervers et souligne que celle-ci s'est saisie d'office de pratiques présumées anticoncurrentielles dans le secteur de l'approvisionnement, du stockage et de la distribution des carburants en Corse. Cependant, je vous l'assure, le budget des ménages corses ne peut attendre indéfiniment les conclusions de l'enquête de l'Autorité de la concurrence, lancée il y a déjà un an et demi. Il convient d'appliquer dès aujourd'hui des solutions pérennes pour lutter contre les pratiques anticoncurrentielles dans ce secteur.

Le Gouvernement dispose-t-il d'éléments d'information relatifs à l'état d'avancement de cette enquête ? Entend-il instaurer une régulation immédiate des prix des carburants en Corse afin de répondre à la situation d’urgence absolue dans laquelle se trouve notre île ?

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme.

Mme Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et du tourisme. Les prix à la consommation des carburants en Corse sont en effet en général plus élevés que ceux constatés en France continentale et ce, malgré une fiscalité allégée sur les produits énergétiques applicable dans les deux départements de l'île. De nombreuses études ont été menées récemment. Citons la mission de l'inspection générale des finances (IGF) relative à l'économie corse, l'avis de l'Autorité de la concurrence relatif au niveau de concentration des marchés en Corse, publié en 2020, ou encore le rapport sur la sécurisation de l'approvisionnement en carburants en Corse, publié lui aussi en 2020.

Les éléments d'explication suivants ont été avancés : chaîne de logistique devant passer par le transport par bateau, du fait de l'insularité ; contraintes sur les produits engendrées par le transport maritime ; surcoûts logistiques entraînés par le faible nombre de dépôts de stockage sur l'île ; maillage territorial très dense des stations-services lié à la configuration montagneuse qui renchérit les coûts de la distribution ; faible intensité concurrentielle due notamment au fait que la grande distribution n'a pas de points de vente de carburants sur l'île.

L'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office, le 15 décembre 2021, du sujet de l'approvisionnement, du stockage et de la distribution des carburants en Corse. La complexité des sujets et les contraintes de la procédure contentieuse expliquent les délais d'instruction, mais la décision est attendue pour cette année.

L'une des propositions formulées par l'Autorité dans son avis de 2020 consiste en un recours à la réglementation des prix prévue par l'article L. 410-2 du code de commerce aux termes duquel « dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d'approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d'État peut réglementer les prix après consultation de l'Autorité de la concurrence. » Il est important néanmoins de rappeler que le recours à une réglementation tarifaire est susceptible de générer des effets pervers. Il pourrait notamment conduire à plafonner la marge commerciale des opérateurs, avec un effet quasi certain d'alignement des prix à la pompe sur le maximum autorisé.

En outre, dans la mesure où le différentiel de prix est essentiellement lié au coût plus élevé des produits, du transport et du réseau de distribution, le prix réglementé devrait être fixé à un prix peu éloigné du prix actuel, à moins de remettre en cause la densité du maillage territorial en stations-services. Un dispositif de prix réglementés pourrait donc conduire à figer les surcoûts au lieu de les réduire comme vous le souhaitez, si nous ne nous attaquons pas aux raisons structurelles de ces surcoûts. Or, comme l'a indiqué Bruno Le Maire l'été dernier, notre objectif est bien de travailler à la réduction des causes structurelles des surcoûts constatés en Corse.

Mme la présidente. La parole est à M. Paul-André Colombani.

M. Paul-André Colombani. Madame la ministre déléguée, les effets pervers, ce sont essentiellement les ménages corses qui les subissent et ce, depuis de très nombreuses années. La taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) est certes une ressource dynamique qui enrichit le budget de la région, mais il y aurait toute une réflexion à mener sur le mode de financement de cette collectivité. Nous pourrions parler aussi des taxes sur le tabac : en Corse, plus on fume, plus on a de belles routes, mais plus on a aussi de cancers, accessoirement. Ou bien encore des droits de mutation : plus la spéculation immobilière s'intensifie, plus la région s'enrichit, mais cette évolution n'est pas bénéfique pour les ménages corses.