16ème législature

Question N° 3065
de Mme Anne Genetet (Renaissance - Français établis hors de France )
Question écrite
Ministère interrogé > Transition numérique et télécommunications
Ministère attributaire > Culture

Rubrique > audiovisuel et communication

Titre > Contribution d'Eutelsat S.A. à la propagande russe

Question publiée au JO le : 15/11/2022 page : 5353
Réponse publiée au JO le : 02/05/2023 page : 4009
Date de changement d'attribution: 13/12/2022

Texte de la question

Mme Anne Genetet appelle l'attention de M. le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de la transition numérique et des télécommunications, sur la contribution d'Eutelsat S.A. - l'un des plus grands opérateurs de satellite au monde - à la propagande russe, à travers la poursuite de sa collaboration avec des entreprises d'État russes dans ce domaine et la diffusion de chaînes de télévision de propagande russe dans des pays tiers (dont des territoires occupés et annexés de l'Ukraine) ; d'autant plus grave que celle-ci s'inscrit dans un contexte de guerre d'annexion et de guerre hybride menée en Ukraine et déclenchée unilatéralement par la Fédération de Russie, le 24 février 2022. Née de l'ambition de développer une industrie européenne capable de construire, lancer et exploiter des satellites, l'organisation intergouvernementale européenne de télécommunications par satellite Eutelsat a été créée en 1977. Selon l'article XXI de la convention éponyme de 1982, la France en est l'État dépositaire. En 2001, les activités opérationnelles et les actifs d'Eutelsat (désormais dénommée Eutelsat IGO) ont été transférés à Eutelsat S.A. ; Eutelsat IGO conservant un rôle de supervision des activités de la société de droit privé. Eutelsat S.A. a son siège en France (Issy-les-Moulineaux). Le Gouvernement français est également actionnaire à hauteur de 23,38 % d'Eutelsat Communications, société holding qui détient plus de 96 % du capital d'Eutelsat S.A. à travers Bpifrance. Acceptée comme membre de l'organisation intergouvernementale en 1995, la Fédération de Russie a également maintenu sa participation à travers l'opérateur public russe de satellites de télécommunication Russian Satellite Communication Company (RSCC). À ce jour, les deux principaux clients russes d'Eutelsat S.A. sont les plateformes Trikolor (contrôlé par l'État russe) et NTV Plus (filiale de Gazprom Media Holding). L'opérateur satellitaire diffuse, par le biais de plusieurs satellites et de capacités louées à son partenaire RSCC, leurs « bouquets télévisés », soit plus de 300 chaînes, dont Rossiya 1, Perviy Kanal ou encore NTV. Elles sont actuellement disponibles en Fédération de Russie (15 millions de foyers y sont abonnés), dans les territoires ukrainiens occupés et annexés, ainsi qu'en Estonie, Lettonie et Lituanie (« marché gris »). Il est à noter que ces deux plateformes ont récemment arrêté de diffuser 8 chaînes internationales d'information, dont France 24 et TV5 Monde. Eutelsat S.A. diffuse également des chaînes au contenu similaire vers d'autres régions du monde, dont RT Arabic en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Interpellée par Reporter sans frontières (RSF) à propos de sa collaboration avec des entreprises d'État et des chaînes de télévision russes en juillet 2022, la direction d'Eutelsat S.A. a répondu agir en conformité avec les sanctions européennes décidées depuis le début de la guerre (interdiction des chaînes RT, Rossiya-24, RTR-Planeta) ainsi qu'avec les décisions de l'ARCOM (interdiction de NTV Mir). Dans sa décision du 27 juillet 2022, l'ARCOM avait en effet mis en demeure la société Eutelsat S.A. de cesser, dans un délai de 48 heures à compter de la décision, la diffusion du service « NTV Mir », considérant que celui-ci constituait un manquement à l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, par sa tendance à inciter à la haine et à la violence, ainsi que par la « diffusion répétées, dans un contexte de guerre, d'informations erronées, décontextualisées, orientées, ne reposant sur aucune source d'information fiable, traduisant ainsi un manquement particulièrement grave à l'obligation d'assurer l'honnêteté de l'information ». La direction d'Eutelsat S.A. a également déclaré, en lien avec la charte éthique de l'entreprise adoptée au premier semestre 2014, ne pas être responsable du contrôle des contenus des services diffusés, ce rôle revenant aux autorités publiques et de régulation des médias. Mme la députée interroge donc M. le ministre sur l'éventuelle mise en place, par le Gouvernement et l'ARCOM, d'une procédure d'identification des chaînes relevant de la juridiction française au titre de l'article 43-4 de la loi du 30 septembre 1986 sur les télécommunications et sur les mesures envisagées par les autorités françaises pour mettre un terme à leur diffusion par Eutelsat S.A. En outre, des échanges avec la Commission européenne ont-ils été engagés afin d'intégrer dans les paquets de sanctions européennes un volet sur l'interdiction de collaboration des sociétés opérateurs de satellites de communication avec les entreprises de transmission, de distribution, d'édition de chaînes propriétés de l'État russe ou d'entreprises d'État ? Par ailleurs, la France a-t-elle envisagé de demander une réunion extraordinaire de l'Assemblée des parties de la convention de 1982 afin de prendre les mesures nécessaires pour que cesse la diffusion de chaînes russes d'incitation à la haine, à la violence et au génocide sur l'ensemble des capacités satellitaires d'Eutelsat S.A., y compris celles en leasing sur les satellites russes ? Plus globalement, quelles mesures la France compte-t-elle mettre en place pour protéger son espace médiatique et informationnel contre les entreprises de désinformation émanant d'entités étrangères ? Mme la députée appelle également l'attention de M. le ministre sur le protocole d'accord entre Eutelsat S.A. et One Web, signé en juillet 2022. Ce rapprochement stratégique intervient alors que le 6 septembre 2022, la société britannique a suspendu le lancement de 36 de ses satellites depuis le cosmodrome de Baïkonour (Kazakhstan) après avoir reçu une demande de l'agence spatiale russe Roscosmos de fournir les garanties que les satellites ne seront pas utilisés contre la Russie. Elle souhaite connaître sa position sur le sujet.

Texte de la réponse

Le 2 mars 2022, le Conseil de l'Union européenne a pris une décision historique en imposant la suspension de la diffusion des médias « RT » et « Sputnik », puis de trois autres chaînes russes le 3 juin 2022. Le 27 juillet 2022, le Tribunal de l'Union européenne a confirmé cette décision en rejetant au fond le recours de la chaîne « RT ». Par ailleurs, le 27 juillet 2022 également, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) a mis en demeure la société Eutelsat de cesser la diffusion sous 48 heures du service de télévision « NTV/NTV Mir » pour incitation à la haine et à la violence, et pour manquement à l'obligation d'honnêteté de l'information. S'agissant de la diffusion par Eutelsat des chaînes « Rossiya 1 », « Perviy Kanal » et « NTV », à la suite de l'introduction d'une requête par l'association Reporter sans frontières (RSF) devant le juge des référés au Conseil d'État, ce dernier a estimé que la compétence de l'ARCOM pouvait être fondée sur l'article 43-6 de la loi du 30 septembre 1986 et sur l'article 5 de la convention européenne du 5 mai 1989 sur la télévision transfrontalière. Au niveau européen, le 15 décembre 2022, le Conseil de l'Union européenne a adopté un 9e paquet sanctions qui a suspendu la diffusion des chaînes « NTV/NTV Mir », « Rossiya 1 », « Perviy Kanal », visées par la demande de RSF. Cette interdiction de diffusion s'applique à tous les moyens de transmission, y compris en ligne. Par ailleurs, aux termes de l'article 2 sexies du Règlement 833/2014, il est également interdit de « permettre, de faciliter ou de contribuer d'une autre manière à la diffusion de contenus » provenant des chaînes visées, ainsi la mise à disposition de capacités satellitaires à cet effet est également interdite. Les négociations actuellement en cours concernant la proposition de règlement sur la liberté des médias (« European Media Freedom Act ») seront également l'occasion d'étudier les possibilités de renforcement des dispositifs actuels de lutte contre les médias issus d'États tiers, vecteurs de propagande et de désinformation, en particulier via l'amélioration de la coordination entre les autorités de régulation des États membres.