Politiques interministérielles de lutte contre le trafic de drogue
Question de :
M. Frédéric Mathieu
Ille-et-Vilaine (1re circonscription) - La France insoumise - Nouvelle Union Populaire écologique et sociale
M. Frédéric Mathieu interroge Mme la Première ministre sur la mise en place de politiques interministérielles de lutte contre le trafic de drogue. Depuis plusieurs mois, M. le député a été interpellé à maintes reprises par des habitants de sa circonscription concernant la problématique de l'occupation de l'espace public liée au trafic de drogue. Depuis la crise du covid-19, le trafic a explosé dans certains quartiers de Rennes, avec un glissement du cannabis vers les drogues dures. Nuisances sonores incessantes, installation d'entraves sur la voie publique, squares et parcs pour enfants désertés, caves visitées, portes d'immeubles forcées, interphones rendus inutilisables, contrôle des allers et venues des habitants, voire même contrôle d'identité : voilà le quotidien d'un trop grand nombre des concitoyennes et concitoyens. Le passage régulier des forces de police ne permet pas d'améliorer la situation, celle-ci se dégradant de mois en mois. L'appropriation de l'espace public et des lieux de vie par les trafiquants est insupportable et mine la vie au quotidien. La seule répression ne suffit pas, pire, elle amène à donner une image de trafiquants aux habitants de ces quartiers alors qu'ils en sont les premières victimes. Il lui demande ce qu'elle compte mettre en place en terme de politiques interministérielles (intérieur, justice, santé, éducation, etc.), associant les collectivités locales et bailleurs concernés, pour permettre aux concitoyennes et concitoyens de récupérer l'espace public et l'usage des parties communes qui leur sont inaccessibles actuellement à cause de ces trafics.
Réponse en séance, et publiée le 3 mai 2023
LUTTE CONTRE LE TRAFIC DE DROGUE
M. le président. La parole est à M. Frédéric Mathieu, pour exposer sa question, n° 306, relative à la lutte contre le trafic de drogue.
M. Frédéric Mathieu. Depuis plusieurs mois, je suis interpellé par des habitants de ma circonscription, à Rennes – place du Banat, place de Serbie, square Sarah-Bernhardt pour ne citer que ces sites –, concernant le problème de l'occupation de l'espace public liée au trafic de drogue. Depuis la crise du covid-19, le trafic a explosé dans certains quartiers, opérant un glissement du cannabis vers les drogues dures. Nuisances sonores incessantes, installation d'entraves sur la voie publique, squares et parcs pour enfants désertés, caves visitées, portes d'immeubles forcées, interphones rendus inutilisables, contrôle des allées et venues des habitants, voire contrôles d'identité : voilà le quotidien d'un trop grand nombre de nos concitoyennes et concitoyens.
Le passage régulier des forces de police ne permet pas d'améliorer la situation, celle-ci se dégradant de mois en mois. L'appropriation de l'espace public et des lieux de vie par les trafiquants est insupportable et mine la vie au quotidien. La seule répression ne suffit pas ; pire, elle conduit à donner des habitants de ces quartiers une image de trafiquants alors qu'ils en sont les premières victimes.
Pouvez-vous me préciser quelles politiques interministérielles – dans les domaines de l'intérieur, de la justice, de la santé, de l'éducation ou autres – le Gouvernement envisage-t-il d'engager, associant les collectivités locales et les bailleurs concernés, afin de permettre aux concitoyennes et aux concitoyens de récupérer l'espace public et l'usage des parties communes qui leur sont inaccessibles actuellement à cause de ces trafics ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé des outre-mer.
M. Jean-François Carenco, ministre délégué chargé des outre-mer. Avant de répondre à vos interrogations en matière de sécurité, je veux dire que les premiers coupables sont les consommateurs : s'il n'y avait pas de demande, il n'y aurait pas de trafic. Nous devons, tous ensemble, condamner fermement ces consommateurs qui sont, dans mon esprit, les premiers responsables. C'est clair et je l'affirmerai désormais partout. Nous ne pourrons lutter contre ce phénomène si nous laissons la liberté de consommer ; nous devons nous y opposer. Il faut montrer du doigt ceux qui rendent le trafic possible.
Nous luttons contre les trafics en tous genres, en particulier les trafics de stupéfiants qui génèrent des nuisances au quotidien et un sentiment d'insécurité très fort chez nos concitoyens et mobilisent, beaucoup trop, l'ensemble des forces de sécurité intérieure. En Bretagne comme dans l'ensemble du territoire national, les policiers et les gendarmes effectuent un travail remarquable pour fermer les points de deal et assécher les réseaux.
La physionomie de la délinquance a fortement évolué dans l'agglomération rennaise depuis une dizaine d'années : développement d'une économie souterraine et arrivée de populations délinquantes qui n'ont que ce moyen pour vivre – même si, parfois, elles aiment aussi se situer en dehors de la loi. Sans vouloir les montrer du doigt, la présence de mineurs étrangers non accompagnés et non pris en charge entraîne une recrudescence de ces phénomènes : je l'ai constaté non seulement en outre-mer, mais aussi dans tous les territoires – à Rennes, comme en Guyane ou en Guadeloupe. Nous sommes à l'ère de la circulation absolue des personnes ; il est possible de se déplacer partout, tout le temps. Au-delà des voyous ou des chefs de bande, ces trafiquants, en provenance de pays exportateurs de drogue, y trouvent bien souvent une manière de vivre et viennent précisément là où sont les consommateurs.
Un effort appuyé des services de la police nationale a néanmoins permis une forte hausse des interpellations de mineurs non accompagnés depuis fin 2021 dans la circonscription de sécurité publique de Rennes, avec une hausse de plus de 21 % des étrangers mis en cause en 2022 par rapport à 2021. Le succès du travail effectué par la police nationale a conduit une partie de ces populations, qui vivaient de rapines et du désordre, à se tourner vers le trafic de stupéfiants. Quatre quartiers à Rennes concentrent ces trafics : Villejean, Cleunay, Le Blosne et Maurepas. Ils ont été désignés comme quartiers prioritaires de la politique de la ville, ce qui leur permettra de bénéficier d'une mobilisation accrue des forces de la police nationale ainsi que d'une priorité dans un grand nombre de politiques visant à lutter à la racine contre les trafics : logement, insertion, emploi, éducation. L'agglomération rennaise, qui réalise une partie du travail, fait donc l'objet d'une attention particulière des services de police judiciaire dans la lutte contre les stupéfiants. Elle bénéficie d'une antenne de l'office antistupéfiants, appuyée par une cellule permanente de renseignement opérationnel sur les stupéfiants, composée à la fois de policiers et de gendarmes.
Ce travail produit des résultats : en 2022, 605 opérations de démantèlement des points de deal ont conduit à 436 gardes à vue ; 1 880 amendes forfaitaires délictuelles (AFD) ont été dressées pour usage de stupéfiants dans l'ensemble du département de l'Ille-et-Vilaine. Au premier trimestre 2023, ces efforts ont été intensifiés, avec 185 opérations ayant abouti à 133 gardes à vue. L'effort de la police est maximal et a permis de régler des problèmes de désordre ; malheureusement, je crains que cela ne suffise pas car le monde, et pas seulement notre société, est consommateur de drogues. C'est cela que je veux dénoncer. Si je n'avais qu'une réponse à vous apporter, ce serait celle-ci : condamnons les consommateurs !
M. le président. La parole est à M. Frédéric Mathieu.
M. Frédéric Mathieu. Je suis en total désaccord avec votre approche de condamnation des consommateurs : affirmer qu'il n'y aurait pas de trafic s'il n'y avait pas de consommateurs est aussi vain que de chercher qui de la poule ou de l'œuf est arrivé en premier. D'ailleurs, cette politique ne fonctionne pas : dans mon département, comme peut-être dans d'autres, le logiciel de l'AFD ne marche pas. Infliger une amende à des personnes qui risquent leur vie à chaque prise d'héroïne ou de crack ne fonctionne pas. Il faudrait, à mon avis, prendre de la hauteur sur cette question et arrêter de criminaliser les consommateurs, ce qui constitue, d'ailleurs, une régression en matière de santé publique. Car il s'agit d'un problème de santé publique. L'Organisation mondiale de la santé (OMS) le répète depuis longtemps : les addictions sont une maladie, non un délit.
Auteur : M. Frédéric Mathieu
Type de question : Question orale
Rubrique : Drogue
Ministère interrogé : Première ministre
Ministère répondant : Première ministre
Date de la séance : La question a été posée au Gouvernement en séance, parue dans le journal officiel le 25 avril 2023